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23/10/2006 | BELGIQUE | N°S.05.0042.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 octobre 2006, S.05.0042.F


L. M. A., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants L. M., R. M. M et R. M. M.,
demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l'assistance judiciaire par ordonnance du premier président de la Cour du 20 avril 2005 (pro Deo n° G.05.0062.F),
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE D'IXELLES, dont les bureaux sont établis à Ixelles, chaussée de Boondael, 92,
défendeur en cassation.

La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé co

ntre l'arrêt rendu le 20 janvier 2005 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Phil...

L. M. A., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants L. M., R. M. M et R. M. M.,
demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l'assistance judiciaire par ordonnance du premier président de la Cour du 20 avril 2005 (pro Deo n° G.05.0062.F),
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE D'IXELLES, dont les bureaux sont établis à Ixelles, chaussée de Boondael, 92,
défendeur en cassation.

La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2005 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Philippe Gosseries a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
Les moyens de cassation
La demanderesse présente cinq moyens, dont le premier, le troisième et le quatrième sont libellés dans les termes suivants:
Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 1er et 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale;
- article 580, 8°, d), du Code judiciaire;
- articles 2, 5 et 14 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du royaume;
- articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'État du
12 janvier 1973;
- articles 23, 149 et 159 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la demanderesse a, le 20 janvier 2000, introduit une demande de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999, que le ministre de l'Intérieur a, le 15 mars 2002, pris une décision lui refusant le bénéfice de ladite loi, que cette décision, qui lui a été notifiée le
10 juin 2002, était assortie d'un ordre de quitter le territoire, que ces décisions ont motivé la décision du défendeur de mettre fin à l'aide sociale qui était allouée à la demanderesse et que celle-ci a, devant les juridictions du travail, invoqué le caractère illégal desdites décisions, l'arrêt décide que les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour se prononcer, même à titre incident, sur la légalité d'une décision prise par le ministre de l'Intérieur et confirme en conséquence les décisions du défendeur des 11 février et 18 mars 2003 ayant refusé à la demanderesse le bénéfice de toute aide sociale financière ainsi que la prise en charge d'une dette de 1.679,45 euros envers la compagnie Sibelgaz, par tous ses motifs et ceux des actes de procédure auxquels il se réfère, considérés ici comme intégralement reproduits et plus particulièrement, sous l'intitulé «Application de l'article 159 de la Constitution», aux motifs suivants :
«Sur ce point précis, la cour [du travail] se rallie entièrement au raisonnement tenu par le premier juge, aux arguments développés par les parties intimées, et spécialement par l'Etat belge (tant par le département de l'Intégration sociale que par celui de l'Intérieur [...]), et enfin à l'avis du ministère public [...]. Elle fait siens tous les arguments développés dans ces écrits de procédure;
Les juridictions du travail ne sont, en effet, pas compétentes pour se prononcer, même à titre incident, sur la légalité d'une décision prise par le ministre de l'Intérieur, un tel contrôle relevant de la compétence d'attribution exclusive du Conseil d'Etat;
Ainsi que le relevait le tribunal du travail de Bruxelles :
'Si le tribunal du travail se prononçait sur la légalité de la décision du
15 mars 2002, et qu'il «écartait» cette décision, comme la demanderesse le souhaite, cela aurait d'ailleurs cette conséquence, pour le moins curieuse, mais exposée à l'audience par la demanderesse elle-même, qu'elle devrait être à nouveau considérée comme une demanderesse de régularisation de séjour, ce qui obligerait le ministre de l'Intérieur à prendre une nouvelle décision sur cette demande et ce, par la vertu d'un jugement du tribunal du travail !
Cela entraînerait dans l'ordonnancement des pouvoirs dans l'Etat un chaos à proprement parler révolutionnaire, dans lequel chaque autorité constituée se saisirait, incidemment, des décisions des autres autorités, ce qui conduirait à la destruction de l'Etat lui-même ».
Griefs
Première branche
L'article 23, alinéa 1er, de la Constitution consacre le droit de chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine; selon le deuxième alinéa de cet article, la loi garantit à cette fin, en tenant compte des obligations légales correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et détermine les conditions de leur exercice; l'article 23, alinéa 3, inclut expressément parmi les droits sociaux ainsi garantis le droit à l'aide sociale.
L'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine; l'alinéa 2 du même article charge les centres publics d'action sociale de réaliser ce but. L'article 57, § 1er, de la même loi consacre le droit à une aide sociale sous toutes ses formes, y compris matérielle.
Par exception, l'article 57, § 2, limite la mission des centres publics d'action sociale à l'octroi de l'aide médicale urgente à l'égard de l'étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L'article 2 de la loi du 22 décembre 1999 énumère les catégories d'étrangers qui, séjournant effectivement en Belgique le 1er octobre 1999, peuvent introduire une demande de régularisation de séjour.
L'article 14 de cette loi dispose que, hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale ou à moins que la demande ne réponde manifestement pas aux conditions de l'article 9 de la loi, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de la demande et le jour où une décision négative aura été prise en application de l'article 12. Soucieux de donner un effet utile à la possibilité de régulariser leur séjour qu'il ouvrait à certaines catégories d'étrangers, le législateur a ainsi, sous réserve des exceptions qu'il a prévues, interdit que soit mise à exécution, durant l'examen de la demande, toute mesure d'éloignement qu'eût autrement justifiée la situation de ces étrangers.
L'étranger qui introduit une demande de régularisation se trouve ainsi autorisé par la loi, dans le but de régler des difficultés liées à la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, à prolonger sur le territoire du royaume son séjour pourtant entaché d'illégalité tant que le ministre n'a pas pris légalement une décision d'exclusion du bénéfice de la loi ou une mesure d'éloignement, en sorte qu'il ne peut entre-temps se voir refuser le bénéfice de l'aide sociale sur la base de l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976.
Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliquent les règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils sont conformes aux lois. Cette disposition est générale et ne fait aucune distinction entre les actes qu'elle vise; elle s'applique aux décisions même non réglementaires de l'administration et aux actes administratifs individuels; elle impose aux cours et tribunaux d'exercer un contrôle de légalité tant interne qu'externe sur lesdits actes. Le recours en suspension, même d'extrême urgence, ou en annulation devant le Conseil d'Etat dont dispose l'étranger sur la base des articles 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne porte pas atteinte au pouvoir que les cours et tribunaux trouvent dans l'article 159 de la Constitution.
Il s'en déduit qu'une décision négative sur la demande de l'étranger fondée sur la loi du 22 décembre 1999 ne fait perdre à l'étranger le bénéfice de l'article 14 de cette loi que si elle a été prise légalement et que, pour décider si un étranger rentre dans le champ d'application de l'article 57, § 2, de la loi du
8 juillet 1976 et, partant, peut se voir refuser le bénéfice de toute aide sociale autre que l'aide médicale urgente, les juridictions du travail ont l'obligation de contrôler la légalité de la décision de refus d'application de la loi du
22 décembre 1999 et de l'ordre de quitter le territoire qui en est la conséquence.
En décidant que les juridictions du travail ne sont «pas compétentes pour se prononcer, même à titre incident, sur la légalité d'une décision prise par le ministre de l'Intérieur», l'arrêt viole, partant, les dispositions qui régissent la compétence respective des tribunaux de l'ordre judiciaire, plus particulièrement du tribunal du travail, et du Conseil d'Etat (violation des articles 159 de la Constitution, 580, 8°, d), du Code judiciaire, 14 et 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat) et, par voie de conséquence, en refusant à la demanderesse le bénéfice de l'aide sociale financière demandée, viole les articles 23 de la Constitution, 1er, 57, § 1er, de la loi du 8 juillet 1976, 2, 5 et 14 de la loi du 22 décembre 1999, qui accordent à l'étranger demandeur de régularisation le droit à l'aide sociale sous toutes ses formes jusqu'à ce qu'une décision légale ait été prise sur sa demande de régularisation, ainsi que l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976, qui ne peut trouver application en l'absence de cette décision légale.
Seconde branche
Dans l'avis donné à la cour du travail, le ministère public avait conclu que les juridictions du travail devaient, en vertu de l'article 159 de la Constitution, écarter la décision du ministre de l'Intérieur refusant à la demanderesse le bénéfice de la loi du 22 décembre 1999 et lui ordonnant de quitter le territoire si cette décision n'était pas conforme à la loi. Il soutenait qu'en exerçant ce contrôle de légalité, les tribunaux ne se substituaient pas au Conseil d'Etat et que les recours en suspension et en annulation ne portaient pas atteinte au pouvoir conféré aux cours et tribunaux par ledit article 159 de la Constitution. Il avait en conséquence invité la cour du travail à contrôler la légalité interne et externe de la décision du ministre de l'Intérieur.
L'arrêt, pour décider que les juridictions du travail n'ont aucune compétence pour se prononcer, même à titre incident, sur la légalité d'une décision prise par le ministre de l'Intérieur en matière de séjour des étrangers, se rallie ainsi à la fois aux motifs de l'avis du ministère public qui reconnaissait aux juridictions du travail cette compétence et au jugement dont appel et aux actes de procédure pris par le défendeur et l'Etat belge qui lui déniaient cette compétence. L'arrêt adopte ainsi, sur le pouvoir des juridictions du travail d'exercer un contrôle de légalité sur la décision ministérielle, des motifs contradictoires, ce qui équivaut à une absence de motifs. Il viole, partant, l'article 149 de la Constitution.
Troisième moyen
Dispositions légales violées
- articles 1er et 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale;
- articles 2, 5 et 14 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du royaume;
- article 23 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la demanderesse a, le 20 janvier 2000, introduit une demande de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999, que le ministre de l'Intérieur a, le 15 mars 2002, pris une décision lui refusant le bénéfice de ladite loi, que cette décision, qui lui a été notifiée le
10 juin 2002, était assortie d'un ordre de quitter le territoire, que ces décisions ont motivé la décision du défendeur de mettre fin à l'aide sociale qui était allouée à la demanderesse et que celle-ci a, devant les juridictions du travail, invoqué le caractère illégal desdites décisions, l'arrêt confirme le jugement dont appel ayant, par confirmation des décisions du défendeur des 11 février et
18 mars 2003, refusé à la demanderesse le bénéfice de toute aide sociale financière ainsi que de la prise en charge d'une dette de 1.679,45 euros envers la compagnie Sibelgaz, par tous ses motifs considérés ici comme intégralement reproduits et plus particulièrement, sous l'intitulé «La loi du 22 décembre 1999», aux motifs suivants :
«La cour [du travail] considère que, même si elle devait écarter - quod non - la décision ministérielle du 15 mars 2002 et que, par une fiction, l'on dût considérer que [la demanderesse] était toujours en demande de régularisation de séjour, elle ne pourrait, pour autant, prétendre à l'octroi d'une aide sociale financière;
En effet, si certaines décisions ont eu recours à l'article 14 de la loi du
22 décembre 1999 pour y trouver le fondement du droit à l'aide sociale aussi longtemps que la procédure de régularisation était en cours [...], la Cour d'arbitrage et de nombreuses juridictions du fond ont refusé de puiser dans cette disposition un droit quelconque à l'aide sociale à charge des centres publics d'action sociale;
Du reste, la cour [du travail] a posé trois questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage à ce sujet dans deux arrêts rendus les 18 et 25 septembre 2003. La Cour d'arbitrage a, dans un arrêt rendu le 21 décembre 2004 (n°204/2004), répondu aux questions préjudicielles en confirmant ses arrêts des 30 octobre 2001 et 17 janvier 2002. La Cour [d'arbitrage] a confirmé que l'article 14 de la loi du 22 décembre 1999 ne fait pas obstacle à l'application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 pendant la procédure de régularisation. De toute manière, il n'était pas nécessaire d'attendre l'arrêt de la Cour d'arbitrage puisqu'en l'espèce, la procédure de régularisation de séjour s'est terminée par la décision négative du 15 mars 2002».
Griefs
L'article 23, alinéa 1er, de la Constitution consacre le droit de chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Selon le deuxième alinéa de cet article, la loi garantit à cette fin, en tenant compte des obligations légales correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et détermine les conditions de leur exercice. L'article 23, alinéa 3, inclut expressément parmi les droits sociaux ainsi garantis le droit à l'aide sociale.
L'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. L'alinéa 2 du même article charge le centre public d'action sociale de réaliser ce but. L'article 57,
§ 1er, de la même loi consacre le droit à une aide sociale sous toutes ses formes, y compris matérielle.
Par exception, l'article 57, § 2, limite la mission des centres publics d'action sociale à l'octroi de l'aide médicale urgente à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L'article 2 de la loi du 22 décembre 1999 énumère les catégories d'étrangers qui, séjournant effectivement en Belgique le 1eroctobre 1999, peuvent introduire une demande
de régularisation de séjour.
L'article 14 de cette loi dispose que, hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale ou à moins que la demande ne réponde manifestement pas aux conditions de l'article 9 de la loi, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de la demande et le jour où une décision négative aura été prise en application de l'article 12. Soucieux de donner un effet utile à la possibilité de régulariser leur séjour qu'il ouvrait à certaines catégories d'étrangers, le législateur a ainsi, sous réserve des exceptions qu'il a prévues, interdit que soit mise à exécution, durant l'examen de la demande, toute mesure d'éloignement qu'eût autrement justifiée la situation de ces étrangers.
L'étranger qui introduit une demande de régularisation se trouve ainsi autorisé par la loi, dans le but de régler des difficultés liées à la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, à prolonger sur le territoire du royaume son séjour pourtant entaché d'illégalité tant que le ministre n'a pas pris légalement une décision d'exclusion du bénéfice de la loi ou une mesure d'éloignement, en sorte qu'il ne peut se voir refuser le bénéfice de l'aide sociale sur la base de l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976.
En ce qu'il décide que, même si les décisions ministérielles devaient être écartées pour illégalité et si, en conséquence, la demanderesse devait toujours être considérée comme étant demanderesse de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999, elle ne pourrait pour autant prétendre à l'octroi d'une aide sociale financière, l'arrêt viole les articles 23 de la Constitution, 1er, 57, §§ 1er et 2, de la loi du 8 juillet 1976, 2, 5 et 14 de la loi du 22 décembre 1999, qui accordent à l'étranger demandeur de régularisation le droit à l'aide sociale sous toutes ses formes jusqu'à ce qu'une décision légale ait été prise sur cette demande, ainsi que l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976, qui ne peut trouver application qu'après que cette décision a été prise.
Quatrième moyen
Dispositions légales violées
- articles 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée à New York le 20 novembre 1989 et approuvée par la loi du
25 novembre 1991;
- articles 1er et 57, § 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale;
- article 580, 8°, d), du Code judiciaire;
- articles 10, 11 et 23 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, saisi par la demanderesse, agissant en sa qualité de représentante légale de ses trois enfants, d'une demande subsidiaire tendant à voir condamner le défendeur à lui accorder à partir du 1er février 2003 le bénéfice d'une aide financière afin de couvrir l'ensemble des besoins spécifiques desdits enfants (logement, nourriture, hygiène, scolarité et soins de santé) et à prendre en charge la dette d'énergie de 1.679,45 euros dont elle soutenait que l'apurement était nécessaire pour permettre à ses enfants de vivre conformément à la dignité humaine, l'en déboute par tous ses motifs considérés ici comme intégralement reproduits et plus particulièrement, sous l'intitulé «La convention de New York relative aux droits de l'enfant», aux motifs suivants :
«Par son arrêt du 22 juillet 2003, la Cour d'arbitrage a considéré qu'il importait de concilier les objectifs énumérés dans la Convention relative aux droits de l'enfant (articles 2, 3, 24.1, 26 et 27), qui concernent exclusivement les enfants, avec l'objectif de ne pas inciter des adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire (considérant B. 7. 6);
C'est pourquoi la Cour d'arbitrage a décidé qu'une aide en nature pouvait être accordée, dans la limite des besoins propres de l'enfant et dans le respect de trois conditions bien précises, savoir :
- il est requis que les autorités compétentes aient constaté que les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien ;
- il doit être établi que la demande concerne des dépenses indispensables au développement de l'enfant au bénéfice duquel elle est formulée ;
- le centre public d'action sociale doit s'assurer que l'aide sera exclusivement consacrée à couvrir ces dépenses (considérant B. 7. 7);
S'inspirant de cet arrêt de la Cour d'arbitrage, le législateur en a inscrit le contenu à l'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003, lequel a remplacé l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 par le texte suivant :
'Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d'action sociale se limite à :
1° l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume ;
2° constater l'état de besoin suite au fait que les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien, à l'égard de l'étranger de moins de 18 ans qui séjourne, avec ses parents, illégalement dans le royaume.
Dans le cas visé sous 2°, l'aide sociale est limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi';
Le texte de cette loi, entrée en vigueur le 10 janvier 2004, a été exécuté par un arrêté royal du 24 juin 2004. En son article 3, cet arrêté royal définit comme suit les missions du centre public d'action sociale :
'Le centre public d'action sociale vérifie sur la base d'une enquête sociale si toutes les conditions légales sont remplies. Il vérifie notamment si :
- l'enfant a moins de 18 ans ;
- l'enfant et ses parents séjournent illégalement sur le territoire ;
- le lien de parenté requis existe ;
- l'enfant est indigent ;
- les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien';
Cet arrêté royal a fait l'objet d'une circulaire ministérielle émanant du service public fédéral de l'Intégration sociale, le 16 août 2004;
Il résulte de ces nouvelles dispositions que, à partir du 10 janvier 2004, les centres publics d'action sociale ne sont plus compétents pour octroyer l'aide sociale aux enfants de personnes étrangères se trouvant en séjour illégal en Belgique. Une telle aide est désormais exclusivement octroyée dans les centres d'accueil fédéraux et ne peut consister qu'en une aide matérielle;
La cour [du travail] observe que la requête d'appel de [la demanderesse] est datée du 5 janvier 2004 et que ses conclusions sont datées du 20 avril 2004 (c'est-à-dire qu'elles sont postérieures à la loi du 22 décembre 2003). Néanmoins, la demande de [la demanderesse] consiste toujours en une demande de paiement de sommes, alors que, depuis l'arrêt de la Cour d'arbitrage du
22 juillet 2003 déjà, il était clairement indiqué que seule une aide 'matérielle' pouvait être accordée en faveur d'enfants [d]ont les parents étaient en séjour illégal;
Dans un arrêt récent du 23 décembre 2004 (R.G. n° 44.835), la cour [du travail] a reproduit un passage d'un jugement rendu par le tribunal du travail de Bruxelles le 2 octobre 2002 (R.G. n° 31.636/02) qui s'exprimait comme suit :
'Il convient en effet d'éviter soigneusement les abus qu'engendrerait le recours à la notion générique d'intérêt de l'enfant par des parents se servant de leur progéniture comme d'un bouclier leur permettant de se soustraire, d'une part, aux règles posées par le législateur pour définir les conditions d'accès et de séjour sur le territoire belge et, d'autre part, à celles qu'il a arrêtées en matière d'aide sociale, lorsque a été prise à leur encontre une décision d'éloignement';
Au vu de tous les éléments qui précèdent, l'appel de [la demanderesse] ne peut être déclaré fondé, sous la réserve extrêmement partielle que, à partir du
10 janvier 2004, le [défendeur] pourrait être tenu de procéder à une enquête sociale, en vue de préciser si les enfants de [la demanderesse] remplissent les conditions d'octroi de l'aide sociale (autre que l'aide médicale urgente qui continue de devoir être prodiguée, en toute hypothèse) telle qu'elle est définie dans les textes légaux et réglementaires mentionnés ci-avant. Cette intervention du centre public d'action sociale n'est toutefois pas sollicitée par [la demanderesse], même à titre subsidiaire».
Griefs
En vertu des dispositions combinées des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant, lorsque des parents sont dans l'impossibilité, parce qu'ils se trouvent en séjour illégal, de subvenir aux besoins de leurs enfants qui les accompagnent, lesdits enfants ne peuvent se voir refuser une aide sociale lorsque ce refus les obligerait à vivre dans des conditions qui nuisent à leur santé et à leur développement. Ces dispositions ont un effet direct en sorte qu'en cas de conflit avec une norme de droit interne, elles doivent prévaloir.
Première branche
Ces dispositions sont d'ordre public et il appartient en conséquence aux centres publics d'action sociale, dans le cadre de la mission que leur confèrent les articles 1er et 57, § 1er, de la loi du 8 juillet 1976 et, à défaut, aux tribunaux [désignés] par l'article 580, 8°, d), du Code judiciaire de consacrer les droits subjectifs des enfants à l'aide sociale en choisissant à cette fin les moyens les plus appropriés.
La seule circonstance que la demanderesse, en tant que représentante de ses enfants mineurs, sollicitait une aide en argent, n'a pas pour conséquence que toute aide puisse leur être refusée. En déboutant la demanderesse de son action au motif qu'elle réclame le paiement de sommes, l'arrêt méconnaît les dispositions d'ordre public de la Constitution et de la convention visées au moyen qui consacrent le droit à l'aide sociale des enfants ainsi que la mission que les articles 1er et 57, § 1er, de la loi du 8 juillet 1976 attribuent aux centres publics d'action sociale et celle que l'article 580, 8°, d), du Code judiciaire assigne aux juridictions du travail.
Seconde branche
En outre, la demanderesse ne se bornait pas à solliciter le bénéfice d'une aide financière. Elle invitait également la cour du travail à condamner le défendeur à prendre en charge une dette d'énergie envers un tiers, la société Sibelgaz, dont elle soutenait que l'apurement était nécessaire pour permettre à ses enfants de vivre conformément à la dignité humaine. Cette prise en charge d'une dette à l'égard d'un tiers est susceptible de concilier les objectifs énumérés aux articles 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention des droits de l'enfant combinés avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution avec l'objectif de ne pas inciter les adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire. En déboutant la demanderesse de cette demande au motif qu'il ne s'agit pas d'une aide matérielle et que seule cette aide matérielle est susceptible de correspondre à la conciliation des objectifs énumérés dans la Convention avec celui de ne pas inciter des adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire, l'arrêt viole toutes les dispositions visées au moyen.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Quant à la première branche:
Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.
Les juridictions contentieuses ont, en vertu de cette disposition, le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception.
L'arrêt constate que, devant la cour du travail, saisie d'une contestation relative à l'application de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale et relevant de sa compétence en vertu des articles 580, 8°, d), et 607 du Code judiciaire, la demanderesse a fait valoir que, bien qu'elle séjournât illégalement en Belgique, la limitation du droit à l'aide sociale prévue à l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 ne lui était pas applicable dès lors qu'elle avait introduit une demande de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation du séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du royaume, et que les parties défendant des intérêts opposés au sien se sont prévalues d'une décision du ministre de l'Intérieur rejetant cette demande, décision dont la demanderesse a contesté la légalité.
En décidant que la cour du travail n'était pas compétente pour vérifier la légalité de cette décision ministérielle à laquelle il donne effet pour considérer que la demande de régularisation de séjour de la demanderesse n'était plus en cours d'examen et qu'il pouvait dès lors être procédé à son égard à une mesure d'éloignement du royaume, l'arrêt viole l'article 159 de la Constitution.
En cette branche, le moyen est fondé.
Sur le troisième moyen:
Conformément à l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976, toute personne a droit à l'aide sociale, qui a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine.
L'article 57, § 1er, de la même loi charge les centres publics d'action sociale d'assurer aux personnes et aux familles l'aide due par la collectivité.
L'article 57, § 2, alinéa 1er, de cette loi dispose que, par dérogation aux autres dispositions de la loi, la mission du centre public d'action sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
Cette disposition doit être lue en combinaison avec la disposition de l'article 191 de la Constitution en vertu de laquelle tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. L'article 57, § 2, précité prévoit pareille exception pour les personnes qui séjournent illégalement dans le royaume.
En adoptant cette disposition, le législateur a eu pour objectif de décourager les étrangers séjournant illégalement de prolonger leur séjour en Belgique.
L'article 2 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du royaume énumère les catégories d'étrangers qui, dans la mesure où ils séjournent effectivement en Belgique au 1er octobre 1999, peuvent introduire une demande de régularisation de leur séjour.
L'article 14 de cette loi dispose que, hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale, ou à moins que la demande ne réponde manifestement pas aux conditions de l'article 9, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de
la demande et le jour où une décision négative aura été prise en application de l'article 12.
Il ressort de cette disposition qu'en vue de donner un effet utile à la possibilité de régulariser leur séjour qu'il ouvrait à certaines catégories d'étrangers, et sous réserve des exceptions qu'il a prévues, le législateur a interdit, pour la durée de l'instruction de la demande, l'exécution de toute mesure d'éloignement qui aurait été justifiée par la situation de cet étranger.
La loi autorise ainsi l'étranger, qui a introduit une demande de régularisation sur la base de la loi du 22 décembre 1999, à séjourner sur le territoire du royaume; dès lors, tant qu'il n'a pas été statué légalement sur sa demande, il ne peut être considéré, en ce qui concerne l'aide qui lui est due, comme une personne qui séjourne illégalement dans le royaume au sens de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976.
L'arrêt, qui décide «que, même si [la cour du travail] devait écarter [.] la décision ministérielle du 15 mars 2002 et que [.] l'on dût considérer que [la demanderesse] était [.] en demande de régularisation de séjour, [celle-ci] ne pourrait [.] [pas] prétendre à l'octroi d'une aide sociale financière» au motif «que l'article 14 de la loi du 22 décembre 1999 ne [fait] pas obstacle à l'application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 pendant la procédure de régularisation», viole les dispositions constitutionnelle et légales visées au moyen.
Celui-ci est fondé.
Sur le quatrième moyen:
Quant à la première branche:
Aux termes de l'article 57, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976, sans préjudice des dispositions de l'article 57ter, le centre public d'action sociale a, ainsi qu'il a été dit, pour mission d'assurer aux personnes et aux familles l'aide due par la collectivité.
L'alinéa 3 de ce paragraphe dispose que l'aide peut être matérielle, sociale, médicale, psycho-sociale ou psychologique.
Il se déduit de ces dispositions que cette aide peut être financière.
L'arrêt qui, pour débouter la demanderesse de sa demande subsidiaire tendant à l'octroi d'une aide sociale adéquate pour couvrir les besoins de ses trois enfants mineurs d'âge, considère que «la demande de [la demanderesse] consiste [.] en une demande de paiement de sommes alors que (depuis l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 22 juillet 2003 déjà, il [est] clairement indiqué que) seule une aide 'matérielle' [peut] être accordée en faveur d'enfants dont les parents sont en séjour illégal», viole l'article 57, § 1er, précité.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
Il n'y a lieu d'examiner ni la seconde branche du premier moyen, ni la seconde branche du quatrième moyen, ni les deuxième et cinquième moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue entre la demanderesse et le défendeur ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Les dépens taxés à la somme de septante-neuf euros dix-sept centimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Christian Storck, les conseillers Daniel Plas, Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-trois octobre deux mille six par le conseiller faisant fonction de président Christian Storck, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.05.0042.F
Date de la décision : 23/10/2006
3e chambre (sociale)

Analyses

AIDE SOCIALE (CENTRES PUBLICS D') - Mission générale - Aide sociale - Etrangers - Demande de régularisation - Loi du 22 décembre 1999 - Interdiction de toute mesure d'éloignement - Octroi de secours - Etendue /

L'étranger qui a introduit une demande de régularisation sur la base de la loi du 22 décembre 1999, est autorisé par la loi à séjourner sur le territoire du Royaume; il ne peut, dès lors, être considéré, en ce qui concerne l'aide qui doit lui être apportée, comme une personne séjournant illégalement dans le Royaume au sens de l'article 57, ,§ 2, de la loi du 8 juillet 1976, tant qu'il n'a pas été statué légalement sur sa demande.


Références :

Voir Cass., 7 juin 2004, audience plénière, RG S.03.0008.N, n° 307, avec concl. de Mme l'avocat général, DE RAEVE, publiées dans A.C.; L. du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, art. 57, ,§ 2, al. 1er, dans sa version postérieure à la L. du 15 juillet 1996.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2006-10-23;s.05.0042.f ?
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