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16/11/2007 | BELGIQUE | N°C.06.0349.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 novembre 2007, C.06.0349.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0349.F

LES TUILERIES, societe anonyme dont le siege social est etabli à Rebecq(Bierghes), chaussee Maieur Habils, 81,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

DELBART Christine, avocat, dont le cabinet est etabli à Mons, rue deTelliers, 20, agissant en qualite de curatrice à la faillite de lasociete anonyme Metallographit,

defende

resse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arr...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0349.F

LES TUILERIES, societe anonyme dont le siege social est etabli à Rebecq(Bierghes), chaussee Maieur Habils, 81,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

DELBART Christine, avocat, dont le cabinet est etabli à Mons, rue deTelliers, 20, agissant en qualite de curatrice à la faillite de lasociete anonyme Metallographit,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 octobre 2005par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 1134, alinea 3, 1724 et 1732 du Code civil ;

* principe general du droit interdisant l'abus de droit, consacre parl'article 1134, alinea 3, de ce code ;

* article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

La demanderesse, proprietaire d'un bien loue par Metallographit ayantdemande la condamnation de la defenderesse, en sa qualite de curatrice dela faillite de la societe, au paiement de 2.575.973 francs en reparationde dommages supplementaires causes à ce bien par manque de reparations etde mesures de sauvegarde apres un accident, l'arret dit pour droit que lademanderesse dispose à l'egard de la curatelle de la societe d'unecreance de 42.571,13 euros (1.717.315 francs) en principal.

Pour en decider ainsi, l'arret - apres avoir constate notamment que le 21mai 1990, un camion conduit par un chauffeur de la societe Transports VanDer Bulck avait heurte et endommage la charpente metallique d'un hangarfaisant partie du bien loue à Metallographit ; que le 21 septembre 1990,celle-ci a demande un devis des reparations et que leur cout a ete estimeà environ 300.000 francs ; que le 15 novembre 1990, l'assureur deMetallographit a fait savoir que « pour eviter une aggravation desdommages, (la societe) a fait proceder aux reparations » ; que le 19fevrier 1991, d'abondantes chutes de neige se sont produites ; qu'il a eteconstate peu apres que l'etat du hangar dejà endommage s'etait aggrave,mettant en danger la stabilite du hangar voisin - se fonde sur les motifssuivants :

« A l'instar de l'expert judiciaire, il y a lieu de s'etonner que ledevis de reparation n'ait ete demande par Metallographit que le 21septembre 1990, soit plus de quatre mois apres l'accident. (Ladefenderesse) es qualites estime que ce delai n'est pas anormal, comptetenu de l'intervention des assureurs et de leurs conseils techniques, dela mise en oeuvre d'une expertise contradictoire et de la periode de congedu batiment. Si ces circonstances ne sont pas à negliger, il n'en demeurepas moins que, mis à part la telecopie envoyee à la (demanderesse) le 29mai 1990, le dossier ne revele pas la moindre initiative de Metallographitafin d'assurer la prise de mesures conservatoires avant le 21 septembre1990, ce qui etablit une negligence dans son chef qui est egalement enrelation de cause à effet avec l'aggravation du prejudice. (Ladefenderesse) es qualites fait cependant valoir à bon droit que la(demanderesse) en sa qualite de bailleresse ne pouvait, comme elle le fit,se desinteresser completement de l'etat de sa propriete ensuite del'accident. Le principe de l'execution de bonne foi des conventions,fondement de la theorie de l'abus de droit en matiere contractuelle,interdit notamment à une partie, qui a le choix entre differentes fac,onsd'exercer son droit avec la meme utilite pour elle, d'opter pour celle quiest la plus dommageable pour l'autre partie. Elle observe à bon escientque la (demanderesse) pouvait, en invoquant l'article 1724 du Code civil,realiser les travaux necessaires, quitte à recuperer les frais consentisà charge du locataire. Elle signale à cet egard que des le29 mai 1990, elle a averti la (demanderesse) de l'incident (du 21 mai1990), l'attestation transmise signee par le prepose de Transports Van DerBulck parlant d'un endommagement grave du hangar. Elle rappelle que, parretour du courrier, (la demanderesse) lui a reserve une fin denon-recevoir, estimant qu'il lui appartenait de 'prendre toutes lesdispositions voulues à l'egard du responsable et de son assureur afin queles travaux de reparations soient pris en charge par ceux-ci ou (lui)soient rembourses' et 'qu'elle n'avait pas à intervenir dans une affairequi concerne des tiers'. Il s'ensuit que, si sur la base contractuelle la(demanderesse) est fondee à reclamer à la (defenderesse)es qualites l'indemnisation des degats resultant directement du heurtsurvenu le 21 mai 1990 et de ceux resultant de l'absence de mesures desauvegarde, il y lieu, dans ce cadre, de tenir compte de l'attitudenegligente de la (demanderesse), egalement en relation causale avecl'aggravation des degats. (La defenderesse) es qualites et (lademanderesse) font valoir à bon droit que ces obligations qui decoulentde leurs rapports contractuels sont sans incidence sur le comportementqu'elles etaient en droit d'attendre du tiers, auteur de la faute ayantentraine des desordres à l'immeuble et dont il doit reparation.

S'agissant de la reparation des degats qui auraient pu etre evites par lamise en ouvre de mesures de sauvegarde, l'expert judiciaire analyse lamaniere dont il aurait fallu reagir en presence des degats causes parl'impact du camion. (...) Il decrit avec precision le mecanisme qui aentraine les degats consecutifs à l'abondante chute de neige intervenueen fevrier 1991. (...) S'il n'est pas douteux, à la lecture de ce quiprecede, que ce soit la charge de la neige de fevrier 1991 qui a etel'element determinant ayant entraine l'aggravation des dommages et quecette aggravation est la consequence de l'attitude negligente tant deMetallographit que de la (demanderesse), il est tout aussi indiscutableque, sans la faute du prepose de Transports Van Der Bulck commise le 21mai 1990 et celle resultant de la propre totale inertie dont cettederniere a fait preuve dans le cadre de ses obligations de reparer leprejudice cause, le dommage tel qu'il s'est presente apres fevrier 1991 nese serait pas realise tel qu'il s'est produit sans lesdites fautes. Laresponsabilite de Transports Van Der Bulck est donc egalement engagee ence qui concerne les degats qui auraient pu etre evites par la mise enoeuvre de mesures de sauvegarde. (...)

La (demanderesse) et (la curatelle de la faillite de la societe TransportsVan Der Bulck) font valoir en outre que, independamment du contrat debail, Metallographit s'etait, aux termes de la lettre du 15 novembre 1990de Eagle Star, son assureur, finalement engagee expressement à fairerealiser les reparations et qu'en ne reservant aucune suite à cetengagement, elle a commis une faute. (...) Il convient de relever queMetallographit n'a jamais soutenu n'avoir pas ete tenue informee del'evolution des discussions entre son assureur et celui de Transports VanDer Bulck. Outre la circonstance que l'assureur avait, à l'evidence, prisla direction du litige, il n'est pas soutenu que Metallographit n'a pasete informee de l'initiative prise par son assureur et qu'elle s'y seraitopposee. C'est au demeurant le contraire qui resulte de la lettrerecommandee que Metallographit adresse le 21 fevrier 1991 à la(demanderesse) et dans laquelle elle fait un resume des evenements, lequelreprend la teneur de l'engagement contenu dans la lettre precitee du15 novembre 1990. Cette attitude de Metallographit est assurement fautiveet en relation causale avec l'aggravation du prejudice. Cet engagementn'autorisait toutefois ni Transports Van Der Bulck ni la (demanderesse) àne pas s'inquieter de la suite reservee à cet engagement.

Lorsque le dommage est cause par des fautes concurrentes, dont celle de lavictime, les auteurs du dommage ne peuvent etre condamnes envers lavictime à la reparation integrale. Il appartient au juge d'apprecier dansquelle mesure la faute de chacun a contribue à causer le dommage et dedeterminer, sur ce fondement, la part du prejudice due par l'auteur à lavictime. (...) S'agissant des degats qui auraient pu etre evites par lamise en oeuvre de mesures de sauvegarde, soit 2.575.973 francs, ilconvient, tenant compte des developpements qui precedent, de delaisser àla (demanderesse) un tiers du prejudice dont elle reclame la reparation.En ce qui concerne le surplus de ce dommage, (la defenderesse) esqualites, d'une part, et (les curateurs de la faillite de la societeTransports Van Der Bulck), d'autre part, devraient en regle, enapplication de la theorie de l'equivalence des conditions, en supporterchacun la reparation integrale. La demande de la (demanderesse) n'etantdirigee que contre la (defenderesse) es qualites, il n'y a pas lieu àcondamnation in solidum de cette derniere avec (les curateurs de lafaillite de la societe Transports Van Der Bulck) ».

Griefs

Premiere branche

L'abus de droit en matiere contractuelle suppose qu'un droit ne du contratait ete effectivement exerce par son titulaire et que la maniere dont ill'a ete ait cause un dommage à l'autre partie. Selon l'arret attaque,l'abus de droit commis par la demanderesse et justifiant la reduction d'untiers de l'indemnite due par la locataire en raison des degradations dubien loue consiste exclusivement dans le fait que la demanderesse n'a pasutilise la possibilite offerte au bailleur par l'article 1724 du Codecivil. L'arret ne releve aucun acte constituant l'exercice par lademanderesse d'un droit decoulant du bail ni l'existence d'un dommagecause à la locataire. En considerant neanmoins que la demanderesse seserait rendue coupable d'un abus de droit devant etre sanctionne par lareduction de l'indemnite qui lui etait due, l'arret meconnait des lors lanotion d'abus de droit (violation de l'article 1134, alinea 3, du Codecivil, ainsi que du principe general du droit consacre par cettedisposition), de meme que la regle selon laquelle le preneur repond desdegradations de la chose louee qui arrivent pendant sa jouissance(violation de l'article 1732 du Code civil) et, en en faisant une fausseapplication, viole en outre l'article 1724 du Code civil.

Deuxieme branche

La demanderesse a fait valoir devant la cour d'appelque la defenderesse qualitate qua ne pouvait invoquer un abus de droitdont la societe Metallographit aurait ete victime, celle-ci « ayantcumule les fautes tant lors de l'accident qu'au cours des moissuivants ». L'arret ne repond pas à cette defense. Il n'est des lors pasregulierement motive en tant qu'il se fonde sur un abus de droit commispar la demanderesse pour reduire l'indemnite due par Metallographit(violation de l'article 149 de la Constitution).

Troisieme branche

Dans son appreciation du caractere abusif de l'exercice d'un droit, lejuge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause. L'arretconstate que le 15 novembre 1990, l'assureur de la locataire,Metallographit, a annonce que celle-ci faisait proceder à la reparationdes degats causes au bien loue par l'accident du 21 mai 1990 pour eviterleur aggravation. Tout en reconnaissant l'existence d'un engagement de lalocataire à cet egard, l'arret n'en tient pas compte. La consideration del'arret selon laquelle cet engagement n'autorisait pas la demanderesse àne pas s'inquieter des reparations incombant à sa locataire se reduit àune simple affirmation qui ne permet pas de determiner pourquoi, dansl'opinion des juges d'appel, la demanderesse ne pouvait tenir pour certainque les reparations annoncees etaient effectuees et aurait du ensurveiller l'execution.

Il s'ensuit que l'arret, qui decide que la demanderesse a commis un abusde droit justifiant la reduction de son indemnisation, mais ne prend pasen consideration l'engagement de la locataire de proceder aux reparationsdestinees à eviter l'aggravation des dommages, meconnait la regle que,pour determiner le caractere abusif de l'exercice d'un droit, le juge doittenir compte de toutes les circonstances de la cause (violation del'article 1134, alinea 3, du Code civil et du principe general du droitconsacre par cette disposition), ainsi que la regle selon laquelle lepreneur repond des degradations de la chose louee qui arrivent pendant sajouissance (violation de l'article 1732 du Code civil).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Le principe consacre par l'article 1134 du Code civil, en vertu duquel lesconventions doivent etre executees de bonne foi, interdit à une partied'abuser d'un droit qui lui est reconnu par la convention. L'abus de droitconsiste à exercer un droit d'une maniere qui excede manifestement leslimites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente etdiligente.

L'arret constate que la societe faillie, locataire d'un batimentindustriel appartenant à la demanderesse, s'etait expressement engagee àfaire reparer ce batiment qui avait ete endommage par un vehicule, maisqu'elle n'avait pas respecte cet engagement.

Il considere que « le principe de l'execution de bonne foi desconventions, fondement de la theorie de l'abus de droit en matierecontractuelle, interdit notamment à une partie qui a le choix entredifferentes fac,ons d'exercer son droit avec la meme utilite pour elle,d'opter pour celle qui est la plus dommageable pour l'autre partie » etque, pour eviter l'aggravation de son dommage, la demanderesse « pouvait,en invoquant l'article 1724 du Code civil, realiser les travauxnecessaires, quitte à recuperer les frais consentis à charge dulocataire ».

L'arret ne constate pas que la demanderesse a exerce un droit decoulant ducontrat de bail. En se fondant sur le seul fait que celle-ci n'a pas faitusage de la possibilite d'effectuer elle-meme les reparations quiincombaient à la locataire, l'arret ne justifie pas legalement sadecision que la demanderesse a commis un abus de droit et qu'elle doitsupporter un tiers de son dommage.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il statue sur la recevabilite desappels et des demandes ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batsele, Daniel Plas, Christine Matray et Martine Regout, etprononce en audience publique du seize novembre deux mille sept par lepresident de section Claude Parmentier, en presence de l'avocat generaldelegue Philippe de Koster avec l'assistance du greffier Marie-JeanneMassart.

16 NOVEMBRE 2007 C.06.0349.F/9



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 16/11/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : C.06.0349.F
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2007-11-16;c.06.0349.f ?
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