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09/06/2008 | BELGIQUE | N°S.07.0051.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 juin 2008, S.07.0051.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0051.F

LOTERIE NATIONALE, societe anonyme de droit public dont le siege socialest etabli à Bruxelles, rue Belliard, 25-33,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

1. N. A.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfon

taine, 11,ou il est fait election de domicile,

2. OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, etablissement publ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0051.F

LOTERIE NATIONALE, societe anonyme de droit public dont le siege socialest etabli à Bruxelles, rue Belliard, 25-33,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

1. N. A.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

2. OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, etablissement public dont lesiege est etabli à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11,

defendeur en cassation ou à tout le moins partie appelee en declarationd'arret commun,

represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,

3. INSTITUT NATIONAL D'ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURSINDEPENDANTS, etablissement public dont le siege est etabli àBruxelles, place Jean Jacobs, 6,

defendeur en cassation ou à tout le moins partie appelee en declarationd'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 23 janvier 2007par la cour du travail de Liege, section de Namur.

Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

* articles 1134, 1710, 1779 et 1780 du Code civil ;

* articles 1er, 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contratsde travail ;

* article 1er de la loi du 27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du28 decembre 1944 concernant la securite sociale des travailleurs.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel principal non fonde sous l'emendation que larequalification du contrat de travail unissant la demanderesse et lepremier defendeur n'est admise qu'à dater du 1er mars 1997, confirme lejugement entrepris en ce qu'il requalifie le contrat, condamne lademanderesse à payer une indemnite compensatoire de preavis de six mois,condamne la demanderesse à verser une indemnite de 2.500 euros du chefd'abus du droit de licenciement, indemnite augmentee des interetsjudiciaires, condamne la demanderesse à verser à titre provisionnel duchef d'indemnite compensatoire de preavis la somme de 12.940,02 euros sousdeduction des retenues sociales et fiscales, donne acte à la demanderesseet au deuxieme defendeur de la demande de rectification des cotisationsdues par la demanderesse dans l'hypothese ou la hauteur de la remunerationserait superieure à celle fixee sur la base de la convention des parties,dit l'arret commun et opposable aux deuxieme et troisieme defendeurs etordonne la reouverture des debats afin que les parties debattent de lahauteur de la remuneration à laquelle peut pretendre le premier defendeurdu 25 fevrier 1998 au 8 mars 2002 et, en consequence, de la hauteur del'indemnite compensatoire de preavis, aux motifs que :

« La subordination est la caracteristique du contrat de travail. C'estcet element qui le distingue d'un contrat d'entreprise par lequel unepersonne preste egalement un travail moyennant retribution de son labeur.(...)

C'est donc ce lien d'autorite qui constitue la caracteristique de lasubordination juridique alors que la subordination economique est presentenon seulement entre un entrepreneur et son sous-traitant lequel depend desrentrees que le travail qu'il accomplit vont lui procurer pour rendreviable sa propre entreprise. (...)

Hormis l'existence d'une presomption, la charge de la preuve del'existence ou de l'inexistence d'un contrat de travail repose sur celuiqui s'en prevaut à l'appui de sa demande. (...)

Le juge ne peut, meme à l'egard des tiers, donner à la convention desparties une autre qualification que si les elements soumis à sonappreciation excluent le maintien de la qualification donnee. (...)

(En l'espece) (...) les contrats de travail successifs sontincontestablement des conventions qui excluent la qualification de contratde travail. Leur denomination est claire et les clauses qu'ils contiennentne sont pas en soi incompatibles. Au contraire, le contrat (cfr article 3)prevoit la faculte de se faire remplacer avec designation par le premier(defendeur) de la personne qui va remplir sa tache sous sa seuleresponsabilite moyennant l'approbation de (la demanderesse) sur l'identitede la personne engagee pour le remplacer, element qui, en soi, ne suffitpas à constater une ingerence des lors que la mission à accomplir estune mission de confiance. Des lors que la qualification ne fait pas dedoute, il incombe (aux premier et deuxieme defendeurs) d'etablirl'existence d'un lien de subordination en apportant la preuve del'existence d'elements inconciliables avec la qualification donnee,elements resultant de l'execution du contrat. (...)

Le premier et (le deuxieme defendeur) considerent que le contrat doit etredisqualifie en contrat de travail et invoquent à cette fin diverselements. (...)

1. Les injonctions

Il convient de relever que des contraintes organisationnelles ne peuventetre confondues avec des injonctions revelatrices d'un lien desubordination. Sont par contre incompatibles avec un contrat d'entreprisedes injonctions qui revelent une intervention du cocontractant dans lagestion du travail confie à l'autre partie à la convention. Ainsi, sonten l'espece incompatibles avec la qualification donnee à la convention :

- Le fait que (la demanderesse) decide unilateralement et sans aucuneconcertation prealable de modifier le lieu d'affectation du (premierdefendeur). Il en fut ainsi en 1999 : le 5 aout 1999, le directeur generalde (la demanderesse) decide d'affecter provisoirement le premier(defendeur) au siege de Liege avec effet au 9 aout. Il en fut egalementainsi en avril 2001 puisque, à la suite de la fermeture du siege deMarche-en-Famenne, le comite de direction transfere definitivement lepremier (defendeur) du siege de Marche à celui de Namur avec effet aulundi 9 avril. (La demanderesse) devait à tout le moins proposer à sonsoi-disant cocontractant un changement du lieu de travail et en negocieravec lui les conditions. C'est donc la maniere dont le transfert de lieud'affectation a ete organise qui est en cause et non le fait que lepremier (defendeur) se soit incline et ait accepte le transfert ;

[...]

- L'obligation imposee simultanement aux agents statutaires et auxcollaborateurs independants de faire parvenir à bref delai (...) unedescription detaillee des taches et du temps imparti quotidiennement àleur realisation. Un collaborateur independant n'a pas à recevoirpareille injonction ;

- L'obligation faite d'assister à des formations à une date precisee(...).

Par contre, n'est pas incompatible le fait d'imposer des horaires àrespecter des lors que ces horaires sont lies à l'organisation generaledu travail. Le courrier du 6 mars 1997 - qui invite le premier (defendeur)à respecter l'heure de fin de la tournee - n'est donc pas une injonctionincompatible avec la qualification puisque, lorsque la tournee prenait finau-delà de 16 heures, l'organisation du travail du bureau en etaitperturbee (...). Il en va de meme de l'organisation des jours d'absence etnotamment des conges.

2. La surveillance de l'activite elle-meme

Le premier (defendeur) produit des feuilles intitulees 'registre depresence' que chaque agent, y compris les independants, devait completeret qui mentionnent les heures de prestations tant le matin quel'apres-midi, avec l'interruption sur le temps de midi. Ce tableau permetde calculer tres exactement le nombre d'heures de prestation journaliereet donc de verifier si le travailleur a droit à des recuperations ou aucontraire doit (effectuer) un complement mais il permettait aussi uncontrole de l'activite (...).

En outre, le premier (defendeur) doit travailler dans les bureaux memes de(la demanderesse), hormis pour les prestations exterieures. Unesurveillance de l'activite est donc exercee ou susceptible de l'etre, cequi peut, joint avec d'autres indices, constituer un element incompatibleavec une qualification de contrat d'entreprise. Le premier (defendeur)doit aussi entamer et terminer sa journee par un passage dans ces bureauxet 'pointer', ce qui permet encore le controle de l'activite memeitinerante. Certes, il profite de son passage au bureau pour emporter cequ'il doit apporter chez les depositaires mais le detour au bureau n'estpas justifie au retour et il n'en reste pas moins vrai que l'activite dupremier (defendeur) est surveillee ou susceptible de l'etre avec unegrande precision, notamment par les registres de presence. (...) Il faut(...) considerer comme non etabli que l'organisation des tournees etait lefait de (la demanderesse). Est indifferent le fait que la facturation soitcontrolee par le responsable du bureau regional qui atteste de l'activiteexercee pendant le nombre de jours mentionnes. Il convient de realiser quece n'est que depuis le mois de janvier 1999 que ce controle de lafacturation a ete institue.

[...]

Selon la facturation (...), le montant convenu mensuellement est verse aupremier (defendeur) meme en cas d'absence liee soit à la prise de conges,soit à une periode d'absence pour maladie. Les prestationssupplementaires, notamment dues aux gardes de week-end, etaientrecuperees. Ce systeme n'est pas compatible avec l'exercice de l'activitesous statut d'independant. (...)

Le systeme mis en place en cas d'empechement afin de pourvoir auremplacement d'un 'agent independant' consiste, en realite, non pas àlaisser à l'agent le choix de son remplac,ant qu'il devait remunererlui-meme mais à assurer une prise en charge par les agents independants(...) et par le personnel statutaire ou salarie de (la demanderesse)(...).

Il resulte des elements dont la preuve est ainsi apportee que l'executiondu contrat n'est pas conforme aux termes de celui-ci et à ce que lesparties avaient convenu. Ces elements sont suffisamment importants - memes'il fallait admettre que les injonctions donnees portant sur lamodification du lieu de travail n'etaient pas revelatrices d'unesubordination juridique - pour permettre de requalifier le contrat(d'entreprise) en contrat de travail. C'est l'accumulation des elementsqui autorise cette requalification. D'autres elements invoques ne sont pasexclusifs d'un contrat d'entreprise ou de travail. Ainsi en est-il du faitque des travailleurs salaries et independants exercent une activiteidentique car celle-ci peut etre exercee dans des conditions differentes,en telle sorte qu'il faut verifier in concreto s'il existe un lien desubordination et non seulement comparer une similitude d'occupation ».

Griefs

Il n'est pas contestable que le juge n'est pas tenu par la qualificationdonnee par les parties à la convention qu'elles ont conclue, en sorteque, lorsqu'il constate que ce que les parties ont declare vouloir necorrespond pas aux relations contractuelles qu'elles ont poursuivies, ilpeut les disqualifier, des lors que l'une des parties contractantes l'yinvite en invoquant l'execution qu'elles ont donnee à leur convention.

Mais il reste que, lorsque les elements soumis à l'appreciation du jugene permettent pas, pris isolement et dans leur ensemble, d'exclureradicalement la qualification donnee par les parties, le juge du fond nepeut y substituer une qualification differente.

En vertu de l'article 1134 du Code civil, la convention regulierementformee fait la loi des parties ; certes, dans la mesure ou la notion decontrat de travail est de droit imperatif lorsqu'elle touche à laprotection du travailleur et aux obligations de l'employeur, et est memed'ordre public lorsqu'il s'agit des obligations fixees par la loi du 27juin 1969, le juge doit rechercher si, nonobstant la qualification decontrat d'entreprise adoptee par les parties, l'une d'elles n'a pas puexercer sur l'autre l'autorite caracteristique du contrat de travail, maislorsque, comme en l'espece, la loi ne presume pas l'existence d'un contratde travail, l'absence d'un tel contrat ne doit pas resulter necessairementde faits incompatibles avec l'existence de ce contrat.

Il s'en deduit que le juge ne peut requalifier la convention des partiesen se fondant sur des elements compatibles avec la qualification que lesparties ont declare vouloir adopter, soit en l'espece le contratd'entreprise au sens des articles 1710, 1779 et 1780 du Code civil.

Or, en l'espece, aucun des elements de fait retenus par l'arret n'estinconciliable avec la qualification de contrat d'entreprise et n'impose laqualification de contrat de travail : un entrepreneur peut travailler,partiellement ou totalement, dans les locaux du cocontractant, percevoirune remuneration forfaitaire, qui tiendra compte neanmoins de sesprestations reelles, et specialement de celles qu'il effectue les joursferies, beneficier de cette remuneration au moment ou il se trouve enconge ou en arret de travail pour cause de maladie, parce que laremuneration est forfaitaire (et il n'est d'ailleurs pas pretendu en lacause qu'elle aurait ete augmentee ou diminuee en raison de ces eventuelsevenements), chacun des contractants assumant les risques normauxd'accroissement ou de diminution d'activite, etre soumis, quant à larealite des prestations qu'il effectue et qui sont remunerees de cettemaniere, à un controle effectue par le maitre de l'ouvrage qui reste endroit de verifier si les prestations reellement effectuees justifient lepayement du prix convenu.

Le louage d'ouvrage independant n'exclut pas la possibilite, surtout dansun domaine ou les interventions de l'entrepreneur supposent une absolueprobite, et une grande efficacite, d'un controle plus serre surl'execution des taches remplies.

En la cause, ni les injonctions generales donnees par la demanderesse aupremier defendeur, specialement en ce qui concerne le lieu au departduquel il devait executer le contrat et assumer ses obligations de« ramasseur », ni le fait de devoir rendre compte de ses activites et deson emploi du temps, eu egard aux particularites de la remuneration et destaches, ni l'obligation de travailler et d'assurer des permanences lesamedi, jour normalement « chome » par les salaries, meme s'il y avaitpossibilite de recuperation, pas plus que l'obligation de participer àdes formations professionnelles (devoirs imposes pratiquement à tous lestitulaires de professions liberales, type meme des activitesindependantes), ou de rendre compte des activites exercees, ainsi que celaetait impose aux autres categories de personnes travaillant pour le comptede la demanderesse, [n'excluent l'existence d'un contrat d'entreprise] ;la possibilite et meme le droit d'exercer une surveillance sur l'activiteaccomplie par le cocontractant ne sont pas davantage exclusifs del'existence d'un contrat d'entreprise et ne dependent pas de l'intensitede cette surveillance, laquelle peut etre plus ou moins intense selon lesactivites qui sont poursuivies, celles de la demanderesse necessitant uncontrole important, ce que ne denie pas l'arret.

L'absence d'autonomie effective dans un domaine tel que celui desremplacements en cas d'incapacite et la circonstance que ces remplacementssont faits par des collegues independants, voire par des travailleurs sousregime statutaire ou contractuel, est aussi indifferente, eu egard à laspecialisation des activites des cocontractants et à l'urgence qu'il y ade proceder au remplacement d'un « ramasseur » indisponible.

Ni l'obligation faite au premier defendeur de rendre compte, meme demaniere detaillee, de ses activites effectives, ni la circonstance qu'ilaccomplissait ses taches administratives dans les locaux de lademanderesse, ni, compte tenu des caracteristiques de l'activite, qu'ildevait se rendre, en debut et en fin de journee, au siege du bureauregional dont il dependait, pas plus que la « surveillance » que pouvaiteffectuer la demanderesse quant à la realite des prestations du premierdefendeur, pas plus que le fait que la remuneration est due lorsque lepremier defendeur etait absent et qu'il avait le droit de rattraper lesheures ou jours supplementaires, ne sont, ni separement, ni conjointement,incompatibles avec l'existence d'un contrat d'entreprise.

En ecartant la qualification de contrat d'entreprise adoptee par lesparties et en lui substituant celle de contrat de travail, l'arret viole,en consequence, la notion de contrat de travail au sens des articles 1er,2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail etl'article 1er de la loi du 27 juin 1969, ainsi qu'en outre la notion decontrat d'entreprise au sens des articles 1710, 1779 et 1780 du Codecivil ; par voie de consequence, en refusant d'appliquer la convention quifait la loi des parties, il viole l'article 1134 dudit Code.

Deuxieme moyen

Dispositions legales violees

* articles 1er, 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats detravail ;

* article 1er de la loi du 27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du 28decembre 1944 concernant la securite sociale des travailleurs ;

* articles 1134, 1170, 1179 et 1180 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel principal non fonde sous l'emendation que larequalification du contrat de travail unissant la demanderesse et lepremier defendeur n'est admise qu'à dater du 1er mars 1997, confirme lejugement entrepris en ce qu'il requalifie le contrat avenu entre parties,condamne la demanderesse à payer une indemnite compensatoire de preavisde six mois, condamne la demanderesse à verser une indemnite de 2.500euros du chef d'abus du droit de licenciement, indemnite augmentee desinterets judiciaires, condamne la demanderesse à verser à titreprovisionnel du chef d'indemnite compensatoire de preavis la somme de12.940,02 euros sous deduction des retenues sociales et fiscales, donneacte à la demanderesse et au deuxieme defendeur de la demande derectification des cotisations dues par la demanderesse dans l'hypothese oula hauteur de la remuneration serait superieure à celle fixee sur la basede la convention des parties, dit l'arret commun et opposable aux deuxiemeet troisieme defendeurs et ordonne la reouverture des debats afin que lesparties debattent de la hauteur de la remuneration à laquelle peutpretendre le premier defendeur du 25 fevrier 1998 au 8 mars 2002 et, enconsequence, de la hauteur de l'indemnite compensatoire de preavis, auxmotifs que, le contrat devant etre requalifie en convention de louage detravail salarie :

« Au cours des premiers mois de l'occupation, les parties ont, en effet,pu executer leur convention dans le strict respect de leur volontecommune, d'autant que le premier (defendeur) avait precedemment exerce lameme activite pour le compte d'un autre entrepreneur en dehors d'un liende subordination. Des lors, la requalification ne doit pas intervenir àla date de la prise de cours du premier contrat. Les premiers elementsprobants attestant du non-respect de la convention apparaissent en mars1997 (feuille de controle du temps de travail). Pour la periodeanterieure, il faut considerer que la convention a ete executeeconformement à la volonte commune des parties ».

Griefs

Meme s'il devait etre admis que l'arret a pu requalifier la convention desparties et considerer que celles-ci etaient liees par un contrat de louagede travail salarie et non par un contrat d'entreprise, il n'a pulegalement considerer que cette requalification devait intervenir àpartir du mois de mars 1997, alors que, par ailleurs, en raison de sesconstatations, visees au premier moyen, à cette date, le seul element quipouvait etre retenu à cette fin, mais qui etait insuffisant pour retenirla qualification de contrat de travail à l'encontre de celle decidee parles parties, consistait dans l'obligation de completer les feuillesintitulees « registre de presence » permettant le controle desprestations, element qui, isolement, ne permet, en aucune circonstance,d'ecarter la qualification de contrat d'entreprise, les autres indicesadmis par l'arret n'etant intervenus, selon ses constatations, qu'en 1999.

Il s'ensuit qu'en decidant que la convention des parties devait etredisqualifiee à compter de 1997, alors qu'à cette epoque, le seul elementretenu par l'arret, tendant à cette disqualification, ne la permettaitpas, l'arret viole toutes les dispositions visees au moyen.

Troisieme moyen

Dispositions legales violees

Articles 1134, 1315, 1316, 1319, 1320, 1322, 1349 et 1350 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel principal non fonde sous l'emendation que larequalification du contrat de travail unissant la demanderesse et lepremier defendeur n'est admise qu'à dater du 1er mars 1997, confirme lejugement entrepris en ce qu'il requalifie le contrat avenu entre parties,condamne la demanderesse à payer une indemnite compensatoire de preavisde six mois, condamne la demanderesse à verser une indemnite de 2.500euros du chef d'abus du droit de licenciement, indemnite augmentee desinterets judiciaires, condamne la demanderesse à verser à titreprovisionnel du chef d'indemnite compensatoire de preavis la somme de12.940,02 euros sous deduction des retenues sociales et fiscales, donneacte à la demanderesse et au deuxieme defendeur de la demande derectification des cotisations dues par la demanderesse dans l'hypothese oula hauteur de la remuneration serait superieure à celle fixee sur la basede la convention des parties, dit l'arret commun et opposable aux deuxiemeet troisieme defendeurs et ordonne la reouverture des debats afin que lesparties debattent de la hauteur de la remuneration à laquelle peutpretendre le premier defendeur du 25 fevrier 1998 au 8 mars 2002 et, enconsequence, de la hauteur de l'indemnite compensatoire de preavis, auxmotifs que, le contrat devant etre requalifie en convention de louage detravail salarie :

« Le premier (defendeur) entend beneficier de la remuneration et desavantages acquis auxquels ont droit les travailleurs qui, au sein de (lademanderesse), exercent la meme activite que la sienne.

A l'epoque, la loi du 5 decembre 1968 ne s'appliquait pas à la(demanderesse).

(Celle-ci) s'en tient à la convention des parties qui a ete respectee.Elle se retranche derriere le fait qu'il fallait obtenir une nomination àla suite d'examens organises par le Selor pour reunir les conditionspermettant de beneficier d'un grade determine avec les remunerations etavantages lies.

Ce moyen est depourvu de pertinence puisqu'il est par ailleurs admis quedu personnel a ete engage sous contrat d'emploi en attendant qu'il passeet reussisse les examens en question et meme que le personnel ayant echouea ete maintenu en fonction pendant un an sous ce statut (cfr conclusionsadditionnelles de [la demanderesse]).

Il apparait du dossier que la (demanderesse) a edicte des baremesapplicables au personnel.

La cour [du travail] ignore si le personnel engage sous contratbeneficiait des memes avantages pecuniaires que ceux nommes, meme si celaparait vraisemblable. Il conviendrait (...) ».

Griefs

Premiere branche

L'arret, se fondant sur une hypothese dont il admet qu'elle n'est pasverifiee, à savoir que « le personnel », meme s'il n'etait pas nomme,beneficiait des memes avantages que les agents statutaires, ce que lademanderesse deniait et dont la preuve n'etait pas rapportee par lesdefendeurs, fut-ce par presomptions, alors que la charge de cette preuveleur incombait, decide neanmoins qu'il y a lieu d'ecarter la conventiondes parties qui fixait la remuneration à laquelle le premier defendeurpouvait pretendre et de faire application du bareme edicte par lademanderesse que celle-ci pretendait applicable aux seuls agentsstatutaires, allegation dont les defendeurs ne demontraient pas qu'elleetait inexacte, l'arret se bornant à considerer qu'il est« vraisemblable » que le personnel sous contrat en aurait beneficie.

Or, en vertu des articles 1315 et 1316 du Code civil, il appartient audemandeur à une action de demontrer avec certitude la realite desallegations qu'il avance, le juge ne pouvant se fonder sur une simplevraisemblance pour accueillir une demande. Au demeurant, il ne peut sefonder sur des presomptions de l'homme que s'il constate que le faitconnu, dont il deduit la realite du fait inconnu, est certain.

Par ailleurs, la convention, meme disqualifiee, fait, en vertu del'article 1134 du meme code, la loi des parties et ne peut etre ecarteeque dans l'hypothese ou elle est contraire à une disposition legale oureglementaire d'ordre public ou imperative.

Il s'ensuit que l'arret, qui se fonde sur une simple vraisemblance pourdecider que le personnel non statutaire beneficiait des memes avantagesque les agents regulierement nommes et, pour ce motif, ecarte laconvention des parties, meconnait les regles qui gouvernent la preuve enmatiere civile (violation des articles 1315 et 1316 du Code civil), lanotion legale de presomption de l'homme (violation des articles 1349 et1350 du Code civil) et le principe de la convention-loi (violation del'article 1134 du Code civil).

Seconde branche

Par ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse avait faitvaloir, à cet egard, que « c'est en vain et de maniere absolumentgratuite (que) (le premier defendeur) pretend que MM. P. et R., Mmes B. etL. auraient ete engagees sans passer de concours ; (...) ces quatrepersonnes ont ete engagees en 1999 dans le cadre des dispositions del'arrete royal nDEG 230 du 21 decembre 1983 relatif au stage et àl'insertion professionnelle des jeunes (plan Rosetta) et ce, pour uneduree d'un an (ce contrat ne necessitait donc pas de concours) ; (...) auterme de ce contrat, ils ont ete tous les quatre contraints de passerl'examen Selor ; (...) Monsieur R. et Madame L.y ont reussi cet examen(...) ; (...) Madame B. et Monsieur P. ont echoue et (la demanderesse) n'afait que renouveler leur contrat pour une duree determinee d'un an ».

L'arret, qui ecarte la defense de la demanderesse qui soutenait que seulesles personnes ayant, apres avoir passe et reussi les examens organises parle Selor, ete nommees pouvaient beneficier du salaire et des avantageslies revendiques par le premier defendeur et faisait valoir qu'iln'existait pas, au sein de l'entreprise, de personnel qui ne fut pasnomme, les personnes designees par le defendeur relevant d'un statut toutà fait particulier et n'ayant ete engagees pour une courte dureedeterminee que parce qu'elles entraient dans le cadre de l'application dedispositions speciales inapplicables au defendeur, au motif que « cemoyen est depourvu de pertinence puisqu'il est par ailleurs admis que dupersonnel a ete engage sous contrat d'emploi en attendant qu'il passe etreussisse les examens et meme que le personnel ayant echoue a ete maintenuen fonction pendant un an sous ce statut (cfr conclusions additionnellesde la [demanderesse]) », donne desdites conclusions additionnelles de lademanderesse une interpretation qui n'est pas conciliable avec leurstermes et meconnait la foi qui leur est due (violation des articles 1319,1320 et 1322 du Code civil).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Lorsque les elements soumis à son appreciation permettent d'exclure laqualification donnee par les parties à la convention qu'elles ontconclue, le juge du fond peut y substituer une qualification differente.

Pour ecarter la qualification de contrat d'entreprise que la demanderesseet le premier defendeur ont donnee à leur convention et retenirl'existence d'un lien de subordination, l'arret se fonde sur un ensembled'elements de fait, en particulier : 1DEG) l'exercice par la demanderessedu pouvoir de donner des ordres au premier defendeur en ce qui concerne lelieu de travail, les permanences du samedi, la redaction d'un rapportdetaille des taches et du temps imparti quotidiennement à leurrealisation, l'assistance obligatoire à des formations et, en casd'impossibilite d'y etre present, l'obtention de l'accord du responsabledu service ; 2DEG) l'exercice par la demanderesse de son pouvoir desurveillance de l'activite du demandeur en obligeant ce dernier àcompleter un « registre de presence » mentionnant les heures deprestations et à « pointer » dans les bureaux de la demanderesse aucommencement et à la fin de chaque journee ; 3DEG) l'octroi d'uneretribution mensuelle fixe.

L'arret decide, des lors, legalement que la demanderesse et le premierdefendeur etaient lies par un contrat de travail.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur le deuxieme moyen :

De la constatation que la demanderesse a impose unilateralement au premierdefendeur de completer des feuilles de controle de son temps de travail àpartir du mois de mars 1997, l'arret a pu legalement decider que laqualification donnee par les parties à leur convention ne correspondaitplus à l'execution qui en etait faite depuis ce moment.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur le troisieme moyen :

Quant à la premiere branche :

L'arret ne decide pas que le personnel non statutaire beneficiait desmemes avantages que les agents regulierement nommes.

Le moyen qui, en cette branche, repose sur une lecture inexacte del'arret, manque en fait.

Quant à la seconde branche :

S'il est vrai que, dans ses conclusions additionnelles, la demanderessereconnaissait seulement que quatre travailleurs avaient ete engages dansle cadre de l'arrete royal nDEG 230 du 21 decembre 1983 relatif au stageet à l'insertion professionnelle des jeunes, et non par contrat d'emploi,cette reconnaissance suffisait pour autoriser la cour du travail àrejeter, pour defaut de pertinence, la defense de la demanderesse suivantlaquelle « il n'existait pas, au sein de l'entreprise, de personnel quine fut pas nomme ».

Fut-il des lors fonde, le moyen qui, en cette branche, ne sauraitentrainer la cassation, est irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de quatre cent quinze euros cinq centimesenvers la partie demanderesse, à la somme de cent soixante-cinq eurostrente et un centimes envers la premiere partie defenderesse et à lasomme de cent soixante-cinq euros trente et un centimes envers la deuxiemepartie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batsele, Daniel Plas, Christine Matray et Philippe Gosseries etprononce en audience publique du neuf juin deux mille huit par lepresident de section Claude Parmentier, en presence de l'avocat generaldelegue Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier JacquelinePigeolet.

9 JUIN 2008 S.07.0051.F/17


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.07.0051.F
Date de la décision : 09/06/2008

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL - NOTION. ELEMENTS CONSTITUTIFS. FORME - Notion et conditions d'existence


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-06-09;s.07.0051.f ?
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