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08/12/2008 | BELGIQUE | N°S.07.0114.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 décembre 2008, S.07.0114.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0114.F

B. Y.,

demandeur en cassation,

admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 6 decembre 2007,

represente par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Affaires sociales et de laSante publique, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue du Commerce,78-80,



de

fendeur en cassation,

represente par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0114.F

B. Y.,

demandeur en cassation,

admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 6 decembre 2007,

represente par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Affaires sociales et de laSante publique, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue du Commerce,78-80,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 10 septembre2007 par la cour du travail de Bruxelles.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1er et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 etapprouvee par la loi du 13 mai 1955 ;

- article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, signe àParis le 20 mars 1952 et approuve par la loi du 13 mai 1955 ;

- article 26 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, fait à New York le 19 decembre 1966 et approuve par la loi du15 mai 1981 ;

- articles 1er, 2, S:S: 1er et 2, et 5, S: 2, de la loi du 27 fevrier 1987relative aux allocations aux personnes handicapees ;

- articles 2, 3 et 13, S: 2, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droità l'integration sociale ;

- articles 57, S: 1er, et 60, S:S: 1er et 4, de la loi du 8 juillet 1976organique des centres publics d'action sociale ;

- article 5 de l'arrete royal du 6 juillet 1987 relatif à l'allocation deremplacement et à l'allocation d'integration.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate que le demandeur, de nationalite congolaise, residelegalement en Belgique depuis 2001 ; qu'il est inscrit au registre desetrangers ; qu'il beneficie d'une aide du centre public d'action socialede sa commune ; que son medecin traitant estime que sa capacite de gainest reduite à un tiers et son degre d'autonomie à quinze points surdix-huit ; qu'il a introduit, le 20 septembre 2004, aupres du defendeur,service des prestations aux personnes handicapees, une demanded'allocations ; que, sans l'avoir fait examiner par un medecin-inspecteurdelegue, le defendeur, par decision du15 octobre 2004, lui a refuse l'octroi des allocations sollicitees aumotif qu'il ne remplissait pas les conditions de nationalite prevues àl'article 4 de la loi du 27 fevrier 1987 relative aux allocations auxpersonnes handicapees ; que le demandeur a forme un recours contre cettedecision,

l'arret, par reformation de la decision du premier juge, dit la demande dudemandeur non fondee et l'en deboute.

L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :

« IV. 1. La decision [du defendeur] est conforme au texte clair de la loinationale applicable, à savoir l'article 4 de la loi du 27 fevrier 1987.La question est de savoir si cette disposition peut etre appliquee, vu lesnormes internationales applicables en Belgique. Le [demandeur] invoque àce sujet le principe de non-discrimination, etabli par l'article 14 de laConvention europeenne des droits de l'homme, en rapport avec le 'droit aurespect de ses biens' (droit de propriete), tel qu'il est garanti parl'article 1er du premier Protocole additionnel à cette convention ;

IV. 2. La Cour d'arbitrage (aujourd'hui Cour constitutionnelle) s'estprononcee à ce sujet dans un arret du 19 mai 2004 (arret nDEG 92/2004).Certes, la Cour constitutionnelle se prononc,ait sur l'application duprincipe denon-discrimination tel qu'il est affirme par la Constitution belge ; entant que juridiction nationale, elle n'est pas l'interprete ultime de laConvention europeenne des droits de l'homme. Plusieurs considerationspoussent cependant la cour du travail à accorder une attentionparticuliere au raisonnement suivi par la Cour constitutionnelle. [...]Dans l'appreciation du caractere injustifie de distinctions clairementetablies par la loi, les cours et tribunaux doivent faire preuve decirconspection et ne pas s'immiscer dans des choix politiques etbudgetaires qu'ils n'ont ni le pouvoir ni la competence d'assumer [...].Si, à la lumiere de tous les textes dont elle peut faire application, laCour constitutionnelle belge estime que la disposition en cause n'est pasdiscriminatoire, il devrait en aller a fortiori de meme si l'on raisonneà la lumiere d'un texte qui a une portee plus limitee en ce qui concernele principe de non-discrimination (celui-ci n'est affirme qu'en rapportavec les droits garantis par la Convention europeenne, et non commeprincipe general), mais moins specifique en ce qui concerne le droitsubstantiel en cause (le 'respect des biens' a, selon l'entendementhabituel, des rapports moins etroits avec les allocations revendiquees enl'espece que le droit à la securite sociale garanti par la Constitutionbelge). Cela dit, la Cour constitutionnelle a statue en ayant dument egardà l'argument, souleve aujourd'hui, tire de la Convention europeenne desdroits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour europeenne des droitsde l'homme ;

IV. 3. [...] La cour du travail prend acte de ce que, dansl'interpretation que lui donne la Cour europeenne, le droit au 'respectdes biens' garanti par l'article 1er du premier Protocole additionnel àla Convention europeenne des droits de l'homme peut se rapporter à undroit à des prestations sociales. [...] Elle n'est cependant pasconvaincue que, dans l'entendement de la Cour europeenne, ce raisonnementdoive conduire à une egalite absolue, sans aucune distinction, dansl'octroi de toute allocation sociale. La cour du travail est, en effet,d'avis que les Etats membres peuvent reserver certaines prestations à despersonnes qui presentent un lien suffisant avec le pays concerne, pourautant que cela ne compromette pas le droit fondamental des personnesexclues de ces prestations de mener une vie conforme à la dignitehumaine, que cela ne spolie pas ces personnes des droits constitues sur labase de contributions qu'elles auraient faites au regime de securitesociale et qu'il ne s'agisse pas de prestations qui, telles l'assurancesoins de sante, sont un element essentiel de la protection sociale desresidents ;

IV. 4. La cour [du travail] a pris dument en consideration l'arret du30 septembre 2003 de la Cour europeenne des droits de l'homme (affaire40892/98 Koua Poirrez/France), qui concernait l'àllocation pour adultehandicape' dans le regime franc,ais. Cette allocation presenteeffectivement des analogies avec l'allocation de remplacement de revenusdans le systeme belge des allocations pour handicapes. Elle presentecependant aussi des differences, surtout quant à sa situation dansl'ordonnancement general de la protection sociale. [...] Les allocationsbelges, par contre, constituent un regime d'assistance distinct de lasecurite sociale. Le montant de l'allocation 'de remplacement de revenus'est du meme montant avant enquete sur les ressources que le revenud'integration sociale (RIS) (ou, pour les etrangers qui ne peuventpretendre à ce revenu proprement dit, que l'aide sociale alignee sur cerevenu), qui peut etre accorde meme à des personnes qui remplissent lescriteres d'incapacite de travail pour percevoir des allocations pourhandicapes. Si le demandeur le justifie, il peut etre alloue l'equivalenten aide sociale de l'allocation dite d'integration. Du point de vue del'Etat belge, couvrir le risque social des adultes handicapes par le biaisd'allocations specifiques, à charge de l'Etat federal, ou par le biais duRIS ou de l'aide sociale, qui met à contribution les communes, lesregions (par le biais du Fonds des communes) et l'Etat federal, est unchoix de politique budgetaire dans lequel les cours et tribunaux n'ont pasà intervenir ;

IV. 5. Subsidiairement, la cour du travail constate que, dans l'affairedeterminee soumise à la Cour europeenne, le requerant presentait avec laFrance des attaches [...]. Le requerant etait lui-meme de nationaliteivoirienne, mais avait ete adopte par un citoyen franc,ais ; il residaitde tres longue date en France, ou il avait beneficie du RMI, dont il avaitete exclu en raison de son etat de sante. Le demandeur ne peut invoquer detelles attaches avec la Belgique ».

Griefs

Premiere branche

Selon l'article 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales, « les hautes parties contractantesreconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits etlibertes definis au titre 1er de la presente convention ». Sous ce titre1er figure l'article 14 selon lequel « la jouissance des droits etlibertes reconnus dans la presente convention doit etre assuree, sansdistinction aucune, fondee notamment sur [...] l'origine nationale ousociale ». Cette disposition s'applique aux droits reconnus par lepremier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, signe à Paris le 20 mars 1952, quidispose en son article 1er : « Toute personne physique ou morale a droitau respect de ses biens. Nul ne peut etre prive de sa propriete que pourcause d'utilite publique et dans les conditions prevues par la loi et lesprincipes generaux du droit international » (alinea 1er).

Constitue un droit patrimonial au sens de l'article 1er du premierProtocole additionnel, une prestation sociale non contributive, telle queles allocations aux personnes handicapees prevues par la loi du 27 fevrier1987, qu'il s'agisse de l'allocation de remplacement de revenus prevue àl'article 2,S: 1er, de cette loi (allocation accordee à la personne handicapee d'aumoins 21 ans et de moins de 65 ans dont l'etat physique ou psychique areduit sa capacite de gain à un tiers ou moins de ce qu'une personnevalide est en mesure de gagner en exerc,ant une profession sur le marchegeneral du travail) ou de l'allocation d'integration prevue par l'article2, S: 2, de ladite loi (allocation accordee à la personne handicapee d'aumoins 21 ans et de moins de 65 ans dont le manque ou la reductiond'autonomie est etabli).

Des lors, l'article 14 de la Convention est applicable à l'octroidesdites allocations.

En outre, l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques dispose : « Toutes les personnes sont egales devant la loi etont droit sans discrimination à une egale protection de la loi. A cetegard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutesles personnes une protection egale et efficace contre toute discrimination[...] d'origine nationale ou sociale ». Cette regle du droitinternational interdit l'application d'une disposition du droit nationalqui y est contraire, sans reference à l'objet du droit consacre par cettedisposition. Cette regle consacre donc un principe d'egalite applicable àtout droit reconnu par l'Etat contractant.

Selon l'article 4, S: 1er, de la loi precitee du 27 fevrier 1987, lesallocations aux personnes handicapees « ne peuvent etre octroyees qu'àune personne qui a sa residence reelle en Belgique et qui est : 1DEGbelge ;2DEG ressortissante d'un pays de l'Union europeenne ; 3DEG marocaine,algerienne ou tunisienne qui satisfait aux conditions du reglement C.E.E.nDEG 1408 du14 juin 1971 [...] ; 4DEG apatride [...] ; 5DEG refugiee [...] ; 6DEGexclue des categories definies aux 1DEG à 5DEG mais qui a beneficiejusqu'à l'age de 21 ans de la majoration de l'allocation familiale ».Des lors, selon cette disposition de la loi belge, l'etranger qui a saresidence reelle en Belgique et qui est inscrit regulierement au registredes etrangers, mais qui ne fait pas partie des categories precitees del'article 4, S: 1er, 2DEG à 6DEG, de la loi du 27 fevrier 1987, n'a pasdroit aux allocations pour personnes handicapees, bien qu'il puisse avoirsa capacite de gain reduite en raison de son etat physique ou psychique àmoins d'un tiers de ce qu'une personne valide est en mesure de gagner enexerc,ant une profession et bien que son manque ou sa reductiond'autonomie puisse etre etabli et qu'il puisse des lors etre dans lesconditions prevues à l'article 2, S:S: 1er et 2, de ladite loi pourbeneficier de l'allocation de remplacement de revenus et de l'allocationd'integration. La distinction dans l'application de la loi est uniquementfondee sur l'origine nationale de la personne handicapee.

Or, en vertu des articles 1er et 14 de la Convention et 1er du premierProtocole additionnel à ladite convention, dans l'octroi des allocationsaux personnes handicapees, une distinction entre personnes relevant de lajuridiction de la Belgique, partie contractante à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, ne peutetre fondee sur l'origine nationale qu'à la condition que cettedistinction ne soit pas discriminatoire. Une distinction estdiscriminatoire au sens de l'article 14 de la Convention si elle estdenuee de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle nepoursuit pas un but legitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable deproportionnalite entre les moyens employes et le but vise. Certes, lesEtats contractants jouissent d'une certaine marge d'appreciation pourdeterminer si et dans quelle mesure des differences entre des situationsà d'autres egards analogues justifient des distinctions de traitement.Toutefois, seules des « considerations tres fortes » peuvent justifierune difference de traitement exclusivement fondee sur la nationalite.

De meme, une entorse au principe d'egalite enonce par l'article 26 duPacte ne peut etre admise que sous condition de legitimite et deproportionnalite.

En l'espece, l'arret ne denie pas que les allocations prevues par la loidu 27 fevrier 1987 en faveur des personnes handicapees constituent un« bien » dont le respect est garanti par l'article 1er du premierProtocole additionnel. L'arret considere par les motifs precites quel'article 4, S: 1er, de la loi du 27 fevrier 1987 n'est pasdiscriminatoire au regard de l'article 14 de la Convention.

Toutefois, les motifs precites ne contiennent pas de « considerationstres fortes » susceptibles de justifier une difference de traitementfondee exclusivement sur l'origine nationale. L'arret n'est partant paslegalement justifie (violation des articles 1er et 14 de la Convention et1er du premier Protocole additionnel).

Ces motifs ne sont pas davantage de nature à justifier legalement unediscrimination dans l'octroi des droits prevus par la loi nationale(violation de l'article 26 du Pacte).

Deuxieme branche

En vertu des articles 2 et 3 de la loi precitee du 26 mai 2002, le droità l'integration sociale peut etre accorde, sous la forme d'un revenud'integration (article 2), à la personne qui a sa residence effective enBelgique et qui est inscrite comme etranger au registre de la population(article 3, 1DEG et 3DEG). L'octroi de ce droit est cependant soumis auxconditions suivantes de l'article 3 de ladite loi : « 4DEG ne pasdisposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y pretendre, ni etre enmesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit pard'autres moyens ; 6DEG faire valoir ses droits aux prestations dont ellepeut beneficier en vertu de la legislation sociale belge et etrangere ».Le revenu d'integration sociale constitue donc une allocation subsidiairepar rapport aux allocations aux personnes handicapees prevue par la loiprecitee du 27 fevrier 1987. L'octroi et le maintien du revenud'integration sociale peuvent en outre etre assortis de la condition d'un« projet individualise d'integration sociale », en vertu de l'article13, S: 2, de la loi du 26 mai 2002.

En revanche, l'allocation de remplacement de revenus prevue par l'article1er de la loi du 27 fevrier 1987 relative aux allocations aux personneshandicapees est accordee, sans condition, « à la personne handicapee[...] dont il est etabli que l'etat physique ou psychique a reduit sacapacite de gain à un tiers ou moins de ce qu'une personne valide est enmesure de gagner en exerc,ant une profession sur le marche general dutravail », aux termes de l'article 2, S: 1er, de ladite loi.

Des lors que le revenu d'integration sociale n'est octroye quesubsidiairement aux personnes qui ne peuvent beneficier des allocationsaux personnes handicapees et sous des conditions plus restrictives quecelles prevues par la loi du 27 fevrier 1987, la consideration de l'arretselon laquelle le demandeur peut obtenir le revenu d'insertion sociale nejustifie pas legalement sa decision que l'exclusion de certains etrangersinscrits regulierement au registre de la population du benefice desallocations aux personnes handicapees, prevue par l'article 4, S: 1er, dela loi du 27 fevrier 1987, n'a pas un caractere discriminatoire. L'arretn'est des lors pas legalement justifie (violation des articles 1er, 2, S:1er, de ladite loi du 27 fevrier 1987, 2, 3, 1DEG, 3DEG, 4DEG et 6DEG, 13,S: 2, de la loi du 26 mai 2002, 1er et 14 de la Convention, 1er du premierProtocole additionnel et 26 du Pacte).

Troisieme branche

L'aide sociale, qui peut etre dispensee par le centre public d'actionsociale, en vertu de l'article 57, S: 1er, de la loi du 8 juillet 1976organique des centres publics d'action sociale, n'a aucun caractereautomatique. En vertu de l'article 60, S: 1er, de cette loi,« l'intervention du centre est, s'il est necessaire, precedee d'uneenquete sociale, se terminant par un diagnostic precis sur l'existence etl'etendue du besoin d'aide et proposant les moyens les plus appropries d'yfaire face ». En outre, selon l'article 60, S: 4, de ladite loi, l'aidefinanciere peut etre liee par decision du centre aux conditions enonceesaux articles 3, 6DEG, et 13, S: 2, de la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l'integration sociale, à savoir à la condition que lepretendant à l'aide sociale ait fait valoir ses droits aux prestationsdont il peut beneficier en vertu de la legislation sociale belge etetrangere (condition prevue à l'article 3, 6DEG, de la loi du 26 mai2002) et à la condition eventuelle d'un projet individualised'integration sociale (condition prevue à l'article 13, S: 2, de la loidu 26 mai 2002).

En revanche, l'allocation d'integration prevue par l'article 1er, alinea1er, de la loi du 27 fevrier 1987 est « accordee à la personnehandicapee [...] dont le manque ou la reduction d'autonomie est etabli »,en vertu de l'article 2, S: 2, de ladite loi. Le montant de cetteallocation est fixe par l'article 6, S: 2, de ladite loi en fonction dudegre d'autonomie et selon la categorie à laquelle la personne handicapeeappartient. Selon l'article 5 de l'arrete royal du 6 juillet 1987 relatifà l'allocation de remplacement de revenus et à l'allocationd'integration, « l'autonomie est mesuree à l'aide d'un guide et d'uneechelle medico-sociale, fixee par arrete ministeriel et aux termes delaquelle il est tenu compte des facteurs suivants : possibilite de sedeplacer, etc. ».

Des lors, la consideration de l'arret selon laquelle, « si le demandeurle justifie, il peut lui etre alloue l'equivalent en aide sociale del'allocation dite d'integration » ne justifie pas legalement sa decisionque l'article 4, S: 1er, de la loi du 27 fevrier 1987, en tant qu'ilexclut certains etrangers regulierement inscrits au registre des etrangersdu benefice des allocations aux personnes handicapees, n'a pas uncaractere discriminatoire (violation des articles 1er, alinea 1er, 2, S:2, 6, S: 2, de la loi du 27 fevrier 1987, 5 de l'arrete royal du6 juillet 1987, 57, S: 1er, 60, S:S: 1er et 4, de la loi du 8 juillet1976, 1er, 14 de la Convention, 1er du premier Protocole additionnel et 26du Pacte).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Reformant le jugement entrepris, l'arret rejette comme non fonde lerecours du demandeur contre la decision du defendeur lui refusant lebenefice des allocations prevues pour les handicapes parce qu'il nesatisfait pas aux conditions prescrites à l'article 4, S: 1er, de la loidu 27 fevrier 1987 relative aux allocations aux personnes handicapees, quireserve celles-ci aux Belges et à certaines categories d'etrangers dontne releve pas le demandeur.

L'article 14 de la Convention des droits de l'homme et des libertesfondamentales dispose que la jouissance des droits et libertes reconnusdans cette convention doit etre assuree sans distinction aucune, fondeenotamment sur le sexe, la race, la langue, la religion, les opinionspolitiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale, la fortune, lanaissance ou toute autre situation.

Au sens de cette disposition, une distinction est discriminatoire si ellemanque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle nepoursuit pas un but legitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable deproportionnalite entre les moyens employes et le but vise.

Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appreciation pourdeterminer si et dans quelle mesure les differences entre des situationsà d'autres egards analogues justifient des distinctions de traitement.Toutefois, seules des considerations tres fortes permettent d'estimercompatible avec la convention une difference de traitement exclusivementfondee sur la nationalite.

L'article 14 precite s'applique au droit protege par l'article 1er dupremier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, aux termes duquel toute personnephysique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut etreprive de sa propriete que pour cause d'utilite publique et dans lesconditions prevues par la loi et les principes generaux du droitinternational.

L'arret n'exclut ni que le droit aux allocations litigieuses constitue unbien protege par l'article 1er du premier Protocole ni que le demandeur,qui est, suivant ses constatations, un sujet congolais residant depuis2001 en Belgique ou il est inscrit sur le registre des etrangers, puissese prevaloir de l'article 14 de la Convention.

Apres avoir enonce que « les Etats [contractants] peuvent reservercertaines prestations à des personnes qui presentent un lien suffisantavec le pays concerne, pour autant que cela ne compromette pas le droitfondamental des personnes exclues de ces prestations de mener une vieconforme à la dignite humaine, que cela ne spolie pas ces personnes desdroits constitues sur la base de contributions qu'elles auraient faites auregime de securite sociale et qu'il ne s'agisse pas de prestations qui,telles l'assurance soins de sante, sont un element essentiel de laprotection sociale des residents », l'arret considere, par les motifs quele moyen reproduit, que l'etranger exclu, en raison de son originenationale, des allocations aux handicapes peut obtenir d'autresprestations d'un montant equivalent et que la repartition de la charge deces differentes prestations entre diverses autorites releve d'un choix depolitique budgetaire dans lequel il n'appartient pas aux juges des'immiscer.

L'arret, qui ecarte par ces motifs la violation alleguee de l'article 14de la Convention sans mentionner de consideration tres forte susceptiblede justifier une difference de traitement fondee exclusivement surl'origine nationale, viole des lors ledit article 14.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant aux autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les deuxieme et troisieme branches du moyen,qui ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel et qu'il statuesur les depens ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Vu l'article 1017, alinea 2, du Code judiciaire, condamne le defendeur auxdepens ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Mons.

Les depens taxes à la somme de septante-sept euros quatre-vingt-quatrecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de nonante euroscinquante-sept centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Alain Simon, et prononce en audiencepublique du huit decembre deux mille huit par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Philippe de Koster, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.

8 DECEMBRE 2008 S.07.0114.F/6



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 08/12/2008
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : S.07.0114.F
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-12-08;s.07.0114.f ?
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