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19/06/2009 | BELGIQUE | N°C.08.0183.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 juin 2009, C.08.0183.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0183.N

B. M. A.,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

STAATLICHE KUNSTSAMMLUNGEN DRESDEN,

Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 3 decembre 2007par la cour d'appel d'Anvers.

Le premier president a fait rapport.

L'avocat general delegue Andre Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente deux moyens libelles dans l

es termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution coordonnee du 17 fevrier 19...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0183.N

B. M. A.,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

STAATLICHE KUNSTSAMMLUNGEN DRESDEN,

Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 3 decembre 2007par la cour d'appel d'Anvers.

Le premier president a fait rapport.

L'avocat general delegue Andre Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution coordonnee du 17 fevrier 1994 ;

- articles 2229 et 2279 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

Dans l'arret attaque du 3 decembre 2007, la cour d'appel d'Anvers declarerecevables l'appel du demandeur et l'appel incident de la StaatlicheKunstsammlungen Dresden, rejette l'appel du demandeur comme etant nonfonde, declare fonde l'appel incident de la Staatliche KunstsammlungenDresden, reforme le jugement entrepris, declare recevable mais non fondeela demande reconventionnelle initiale du demandeur, confirme le jugementpour le surplus dans la mesure ou le demandeur a ete condamne à restituerle tableau litigieux et le condamne aux depens des deux instances. Cettedecision est notamment fondee sur les considerations suivantes :

« 5.4. A propos de la pretendue prescription de l'action de ladefenderesse.

5.4.1. La cour d'appel remarque tout d'abord que des lors que le demandeurne jouit pas en l'espece de la protection de l'article 2279, alinea 1er,du Code civil, (voir ci-dessous sous le nDEG 5.5), l'action enrevendication de la defenderesse n'est pas davantage subordonnee au delaide trois ans vise à l'article 2279, alinea 2, du Code civil.

5.4.2. Le demandeur invoque, en outre, à ce propos l'article 2262 du Codecivil qui prescrit que toutes les actions reelles sont prescrites partrente ans.

5.4.3. L'acquisition de la propriete par prescription suppose unepossession exempte de vices pendant trente ans d'un bien et qui est, deslors, continue, paisible, publique et non equivoque.

5.4.4. Ci-dessous (nDEG 5.5.) il sera precise que la possession dudemandeur est secrete et qu'elle est, des lors, viciee. L'article 2262 duCode civil ne peut donc servir les interets du demandeur.

5.4.5. Dans les circonstances donnees, le demandeur ne peut invoquer laprescription de l'action en revendication de la defenderesse. Il est sansinteret de savoir si le tableau en question releve du domaine prive ou dudomaine public et qu'il est, des lors, susceptible ou non de faire l'objetd'une prescription acquisitive.

5.5. A propos de l'application de l'article 2279, alinea 1er, du Codecivil.

5.5.1. A titre de defense contre l'action en revendication de ladefenderesse, le demandeur invoque la disposition de l'article 2279,alinea 1er, du Code civil, libelle comme suit :

`En fait de meuble, la possession vaut titre'.

5.5.2. La defenderesse fait valoir à tort que le demandeur aurait renonceà l'application de l'article 2279, alinea 1er, du Code civil. Lecontraire ne resulte pas du fait qu, dans sa defense, le demandeur serefere aussi à la donation du tableau qui lui a ete faite par son pere en1983 et à l'achat du tableau par son pere au debut des annees soixante dusiecle precedent.

5.5.3. Pour que le demandeur puisse invoquer la protection de l'article2279, alinea 1er, du Code civil, trois conditions doivent etre remplies :

- sa possession doit etre reelle, utile et de bonne foi.

Il appartient à la defenderesse qui pretend que les conditionsd'application ne sont pas remplies en l'espece, d'en apporter une preuvepertinente.

5.5.4. Il n'est pas conteste que le demandeur peut etre qualifie depossesseur reel du tableau litigieux au sens de l'article 2279, alinea1er, du Code civil. Le contraire ne resulte pas de la circonstance que letableau a ete saisi en 2001 par les autorites competentes. Dans la mesureou les autres conditions d'application sont remplies, celui qui exerce lamaitrise de fait sur la chose au moment de la saisie peut continuer àinvoquer l'application de la disposition legale precitee.

5.5.5. La defenderesse conteste que la possession du demandeur soit utileou exempte de vices. Pour pouvoir jouir de la protection de l'article2279, alinea 1er, du Code civil, la possession doit etre continue,paisible, publique et non equivoque.

Il n'est pas affirme, a fortiori etabli, que la possession du demandeurserait entachee de discontinuite, de violence ou d'ambiguite.

Tout comme la defenderesse, la cour d'appel estime toutefois que lapossession du demandeur est secrete. Cela ressort clairement de ladeclaration qui a ete faite le 5 juillet 2001 par N.V., exploitant de labijouterie Tako Ganochi, Vestingstraat 1, à Anvers (...) :

`(...)

Vous m'informez de votre enquete et je peux vous confirmer que hierapres-midi vers 14 heures, un certain M. (le demandeur) est venu dans monmagasin. Il m'a presente un tableau dont il affirmait qu'il etait de lamain de Breughel. Il a affirme qu'il en avait herite de son pere. Cedernier l'avait achete à un professeur d'une universite en Ukraine. M.m'a aussi raconte que ledit tableau provenait du musee de Dresde ou ilavait ete probablement offert à la Russie à titre de paiement pour larestauration d'un certain nombre d'oeuvres abimees provenant du musee deDresde. Ces oeuvres avaient ete cachees pendant la guerre et avaient eteendommages par l'eau.

Cette histoire m'avait dejà ete racontee il y a environ six mois par unvieil ami portant le nom de J.M. qui habite Los Angeles. J. estvioloniste, luthier et vend des violons. C'est lui qui a introduit M. quiest un collegue violoniste. Il m'a demande si je ne pouvais trouver unacheteur pour ce Breughel.

M. un homme qui travaille au car wash situe plus loin dans la rue, aentendu cette histoire il y a quelques mois et m'a dit quelques semainesplus tard qu'il avait peut-etre trouve quelqu'un qui serait interesse.

Une semaine auparavant, M. est venu ici avec son tableau. Un expert venude Bruxelles et dont je ne connais pas le nom et A. un de mes amis quihabite le quartier, etaient ici aussi. Il ont examine le tableau etl'expert a conclu qu'il etait de la main de Breughel. Cette oeuvre a eterestauree il y a une quinzaine d'annees. Aucun prix n'a ete cite.

Hier, il y a eu une nouvelle rencontre entre M., M. et son acheteurpotentiel qui m'a ete presente sous le nom de L. et que je ne connais pasplus. M. voulait obtenir 500.000 $ pour l'oeuvre.

L. allait encore consulter un expert et les parties se sont separees(...)'.

La mise en vente dudit tableau par les exploitants d'une bijouterie etd'un car wash (et pas par une maison de ventes specialisee ou par unegalerie de tableaux) et pour le prix de 500.000 $, ce qui constitue unprix nettement inferieur à la valeur attribuee par le demandeur autableau (1.250.000,00 euros), ne permet de mettre en doute le caracteresecret de la possession du demandeur. Les differents documents auxquels serefere le demandeur à cet egard (...) n'apportent pas la preuve ducontraire. Il n'y a pas lieu d'auditionner la soeur ( B.) du demandeur entant que temoin, des lors que son objectivite est pour le moins douteuse.

5.5.6. Des lors que la possession du demandeur est secrete et qu'ellen'est des lors pas utile, il n'y a pas lieu d'examiner à ce propos si lapossession du demandeur est ou non de bonne foi (...). Les conditions del'article 2279, alinea 1er, du Code civil ne sont pas remplies enl'espece, de sorte que le demandeur ne peut pas jouir de la protection decette disposition legale'.

(...)

5.8. A propos de la demande reconventionnelle du demandeur.

(...)

5.8.3. Il ressort de ce qui precede que la possession du demandeur est demauvaise foi. Il existe en effet en l'espece des circonstances de natureà eveiller la mefiance du demandeur à propos de la legalite de lapossession de la personne (son pere) qui lui a livre le bien. Le caracteresecret de la possession du demandeur illustre cela parfaitement. Dans sadeclaration du 4 fevrier 2001 faite aux verbalisateurs, le demandeurconfirme expressement (...) :

`(...) Je savais que ce tableau a disparu du musee de Dresde au cours dela deuxieme guerre mondiale (...)'.

En outre, l'ancienne etiquette du musee de Dresde est encore presente audos du tableau (...).

La mauvaise fois prive le demandeur de tout droit à des dommages etinterets, tant sur la base de l'article 2280 du Code civil que sur la basede la loi du 28 octobre 1996 precitee, que sur la base de l'equite.

(...)

5.8.5.Dans les circonstances donnees, la demande reconventionnelleinitiale du demandeur est rejetee comme etant non fondee. L'appel incidentde la defenderesse est accueilli. Le jugement entrepris est reforme sur cepoint ».

Griefs

(...)

Deuxieme branche

En l'espece, il ressort des constatations faites par la cour d'appel quela defenderesse a introduit contre le demandeur une action enrevendication du tableau de Jan Breughel l'Ancien connu sous le nom« Ebene mit Windmu:hle ou Paysage au moulin à vent », qui se trouvaiten possession du demandeur.

Aux termes de l'article 2279 du Code civil, en fait de meubles lapossession vaut titre.

Suivant les constatations de l'arret attaque, la possession invoquee doitetre utile pour pouvoir beneficier de la protection de l'article 2279,alinea 1er, du code civil.

Il ressort de l'article 2229 du Code civil qu'une possession utile supposeune possession continue et non interrompue, paisible, publique, nonequivoque et à titre de proprietaire, etant entendu que la charge de lapreuve de la possession non utile appartient à celui qui revendique lebien.

Une possession non publique ou secrete implique que le possesseurdissimule les actes de possession ou tente de les dissimuler et suppose enoutre un acte intentionnel. Le caractere secret suppose, en d'autretermes, que le possesseur dissimule ses actes de possession par desartifices.

La simple circonstance que la possession n'est pas connue par les tiers,notamment par la personne qui la revendique, ne suffit des lors par pourconclure au caractere secret de la possession, d'autant plus que, eu egardà la nature des biens meubles, leur possession a la plupart du temps uncaractere confidentiel, que conformement à l'article 8 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, toutpersonne a droit à la protection de sa vie privee et familiale et, saufles exceptions prevues par la loi, notamment lors de l'exercice decertains mandats politiques ou de la perception de certaines taxes, nul nepeut etre tenu de reveler ses possessions au monde exterieur.

En l'espece il ressort d'ailleurs des constatations faites par la courd'appel que la possession par le demandeur dudit tableau etait connue parplusieurs personnes, parmi lesquelles la personne qui a fait ladeclaration à la police judiciaire qui est invoquee dans l'arret attaque,le denomme J.M. qui se trouvait à Los Angeles et qui a mis en rapport ledemandeur et le bijoutier, l'expert de Bruxelles qui a examine le tableau,le denomme A., M., l'homme du car wash, et le candidat acheteur, ledenomme L.

Conclusion

A la lumiere des constatations de fait de l'arret attaque, specialement ladeclaration faite par N.V., exploitant de la bijouterie Tako Ganochi,desquelles il ressort que plusieurs personnes savaient que le demandeurpossedait le tableau, la cour d'appel n'a pu decider legalement, sansvioler la notion de «possession publique », que la possession dudemandeur pouvait etre qualifiee de secrete et, des lors non utile(violation des articles 2229 et 2279 du Code civil). A tout le moins, lacour d'appel ne pouvait legalement decider, sur la base des constatationsfaites desquelles il n'apparait pas que le demandeur avait presente letableau par l'intermediaire des exploitants d'une bijouterie et d'un carwash dans l'intention de dissimuler sa possession, que cette possessionavait un caractere secret (violation des articles 2229 et 2279 du Codecivil).

Troisieme branche

Il ressort de l'article 2229 du Code civil qu'une possession utile supposeune possession continue et non interrompue, paisible, publique, nonequivoque et à titre de proprietaire, etant entendu que la charge de lapreuve de la possession non utile appartient à celui qui revendique lebien.

Le secret rend la possession non utile.

Si la cour d'appel constate en l'espece que la possession etait secrete,il ne ressort certes pas des constatations de l'arret attaque que lapossession du demandeur aurait toujours ete secrete.

Il ressort au contraire des constatations de la cour d'appel que ledittableau a ete offert en vente par le demandeur en 2001 à Anvers, fut-cepar l'intermediaire d'un bijoutier qui a confirme avoir appris l'originedu tableau telle que presentee par le demandeur, six mois auparavant de lapart d'un ami se trouvant à Los Angeles. Le tableau a ete examine par unexpert Bruxellois en presence d'un tiers. En outre, apres la saisie dutableau, le demandeur a conserve la maitrise de fait sur celui-ci, au sude la defenderesse.

La defenderesse a reconnu, en outre, dans la citation introductive que letableau a dejà ete offert en vente en 1979 par une galerie d'art deBerlin Ouest et qu'en 1989 il a reapparu aux Etats-Unis.

Conclusion

La cour d'appel n'a pu decider sur la base des constatations faites,desquelles il ne ressort pas que le demandeur aurait toujours garde sapossession secrete, que la possession du demandeur n'etait pas utile(violation des articles 2229 et 2279, alinea 1er, du Code civil).

(...)

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

(...)

Quant à la deuxieme branche :

2. Conformement aux articles 2229 et 2279 du Code civil la possession debonne foi de biens meubles ne fait naitre le droit de propriete que si lapossession est utile, c'est-à-dire qu'elle est continue, non interrompue,paisible, publique et non equivoque et à titre de proprietaire.

3. Pour qu'il soit question d'une possession publique au sens desdispositions legales precitees il est requis que, toute personne y ayantun interet, peut voir et constater la possession et les actes depossession et, le cas echeant, peut prendre les mesures necessaires pours'opposer à la prescription.

Le fait que la possession soit publique pour certains, n'exclut toutefoispas qu'à l'egard d'autres personnes qui ont un interet à voir ou àconstater les actes de possession, elle a un caractere secret.

Il appartient au juge du fond de constater en fait si c'est le cas.

4. Les juges d'appel ont considere que la mise en vente dudit tableau parl'intermediaire d'une bijouterie et de l'exploitant d'un car wash et nonpar une salle de vente specialisee ou par une galerie d'art, pour un prixnotoirement inferieur à la valeur attribuee par le demandeur lui-meme autableau, ne laisse aucun doute quant au caractere secret de la possessiondu demandeur.

5. En decidant que la possession du tableau en question etait secrete dansle chef du demandeur et que celui-ci ne peut invoquer l'article 2279 duCode civil à titre de defense contre l'action en revendication de ladefenderesse, les juges d'appel ont legalement justifie leur decision.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la troisieme branche :

6. La constatation que la possession dans le chef du demandeur du tableaulitigieux a finalement ete connue à la suite de la mise en vente parl'intermediaire d'un bijoutier, n'exclut pas que la possession du tableauest restee secrete à l'egard de la defenderesse.

Le moyen qui, en cette branche, est fonde sur une conception contraire,manque en droit.

(...)

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president Ghislain Londers, les conseillers EricDirix, Eric Stassijns, Beatrijs Deconinck et Geert Jocque, et prononce enaudience publique du dix-neuf juin deux mille neuf par le premierpresident Ghislain Londers, en presence de l'avocat general delegue AndreVan Ingelgem, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du premier president et transcriteavec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le premier president,

19 JUIN 2009 C.08.0183.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0183.N
Date de la décision : 19/06/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2009-06-19;c.08.0183.n ?
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