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26/06/2009 | BELGIQUE | N°C.07.0548.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 juin 2009, C.07.0548.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.07.0548.N

Union nationale des mutualites socialistes,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

1. V. V.,

2. D. G.,

3. OPENBAAR CENTRUM VOOR MAATSCHAPPELIJK WELZIJN ANTWERPEN,

4. ETHIAS DROIT COMMUN,

Me Bruno Maes, avocat de la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 juin 2007par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Robert Boes a fait rapport.

L'avocat g

eneral Guy Dubrulle a conclu.

II. Les faits

Depuis le mois d'aout 1998, Madame N. souffrait de douleurs à la nuque,irradiant et ca...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.07.0548.N

Union nationale des mutualites socialistes,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

1. V. V.,

2. D. G.,

3. OPENBAAR CENTRUM VOOR MAATSCHAPPELIJK WELZIJN ANTWERPEN,

4. ETHIAS DROIT COMMUN,

Me Bruno Maes, avocat de la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 juin 2007par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Robert Boes a fait rapport.

L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.

II. Les faits

Depuis le mois d'aout 1998, Madame N. souffrait de douleurs à la nuque,irradiant et causant des troubles de la sensation au niveau del'auriculaire et de l'annulaire gauches. Apres un traitement initial, sonmedecin traitant l'a renvoyee au docteur A. Ce neurologue a fait effectuerun EMG (electromyogramme), qui faisait apparaitre qu'un nerf etait coinceet il a renvoye Madame N. à un neurochirurgien, le docteur D.

Le docteur D. a propose à Madame N. de faire une myelographielaterocervicale. Il lui a fait savoir que, pour cet examen, elle devraitsubir une piqure à la nuque, qu'elle ne pourrait pas parler et qu'elleserait hospitalisee pour une duree de deux à trois jours.

Le 19 novembre 1998, l'examen a ete effectue dans l'hopital du centrepublic d'action sociale Middelheim à Anvers. Le docteur V. a injecte leliquide de contraste dans le haut de la nuque de Madame N. Ce faisant,elle a blesse la moelle epiniere de Madame N. en la touchant avecl'aiguille et en y injectant le liquide de contraste. Madame N. ainstantanement ressenti une « explosion » du cote droit de sa tete et afait un mouvement saccade du pied, incitant le docteur V. à retirerl'aiguille. Le radiologue a ensuite effectue la myelographie et Madame N.a pu quitter l'hopital le lendemain.

Un jour apres avoir quitte l'hopital, Madame N. a, toutefois, ete ànouveau admise aux urgences en raison de douleurs insoutenables. Uneimagerie par resonance magnetique (IRM) a permis de constater unehemorragie de la moelle epiniere.

Depuis le moment ou l'aiguille a touche la moelle epiniere lors de lamyelographie du 19 novembre 1998, Madame N. subit des troubles sensitifspermanents et severes et ressent une douleur lancinante et irradiante dansla nuque, la tete et les bras, l'empechant d'exercer sa professiond'enseignante dans l'enseignement secondaire.

Madame N. a cite en justice les docteurs V. et D., le centre publicd'action sociale d'Anvers et leur assureur Ethias devant le tribunal depremiere instance d'Anvers en vue d'obtenir une indemnite pour le dommagequ'elle a subi à l'occasion de la myelographie effectuee.

III. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 23 de la Constitution ;

- articles 1108 à 1117 inclus, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151, 1382, 1383et 1384 du Code civil ;

- article 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel des defendeurs recevable et fonde, reforme lejugement dont appel et declare la demande incidente initiale de lademanderesse tendant à entendre condamner les defendeurs au remboursementdes montants que la demanderesse a accordes à son assuree, Madame N.,relativement aux soins de sante et aux indemnites d'incapacite de travail,recevable mais non fondee.

L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :

« 5.2 Quant à la demande de (Madame N. et la demanderesse).

5.2.1. A la suite des faits exposes ci-dessus, (Madame N. et lademanderesse) reclament une indemnisation aux (trois premiers defendeurs),tant sur une base contractuelle (articles 1146 et suivants du Code civil)que sur une base quasi-delictuelle (articles 1382, 1383 et, en ce quiconcerne le (troisieme defendeur), 1384, alinea 3, du Code civil et17novies de la loi sur les hopitaux, coordonnee par l'arrete royal du 7aout 1987), ainsi qu'à la (quatrieme defenderesse) en qualite d'assureurde la responsabilite civile des (trois premiers defendeurs) (article 86 dela loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre).

5.2.2. En premier lieu, l'arret constate que les (defendeurs) necontestent pas que (Madame N. et le demandeur) pouvaient en principe seretourner contre eux sur la base de tous les fondements precites. Lelitige se limite à la question de savoir si, en l'espece, les conditionsd'application de la responsabilite contractuelle ou quasi delictuelle sontremplies. (Madame N. et la demanderesse) soutiennent qu'elles le sont, les(defendeurs) sont d'un avis contraire.

5.2.3. Un medecin (specialiste) ne s'engage, en principe, pas à uneobligation de resultat, mais seulement à une obligation de moyen. Eneffet, il ne promet pas que le resultat du traitement sera la guerison dupatient. Il ne s'engage, en tant que medecin diligent et consciencieux,qu'à employer les moyens que la science medicale actuelle lui fournitafin de realiser le resultat espere ou souhaite (la guerison oul'amelioration de l'etat de sante du patient).

Il s'ensuit que la responsabilite d'un medecin (specialiste) n'est engageeque lorsque la victime rapporte la preuve d'un defaut de prevoyancespecifique dans le chef de ce medecin (specialiste). Le critered'appreciation de la responsabilite du medecin (specialiste) est, deslors, la comparaison (in abstracto) entre le comportement du medecin(specialiste) et le comportement suppose d'un medecin (specialiste)normalement diligent et prudent (le bon pere de famille) place dans lesmemes circonstances externes concretes. Il y a faute des qu'il y a unmanquement par rapport au comportement suppose etre celui du bon pere defamille.

Tout cela vaut aussi bien en matiere contractuelle (articles 1146 etsuivants du Code civil) qu'en matiere quasi-delictuelle (articles1382-1383 du Code civil) envers les manquements, fautes ou negligencespropres du medecin (specialiste).

5.2.4. Celui qui reclame des dommages-interets en application des articles1146 et suivants du Code civil ou des articles 1382-1383 du Code civildoit prouver que celui qu'il considere comme responsable a commis unmanquement, une faute ou une negligence presentant un lien causal avec ledommage dont il reclame la reparation. (Madame N. et la demanderesse)supportent, des lors, la charge de la preuve. S'agissant en l'espece de lapreuve de faits juridiques, (Madame N. et la demanderesse) peuventsatisfaire à cette charge de la preuve par toutes voies de droit, ycompris les temoignages et les presomptions.

5.2.5. En ce qui concerne le manquement, la faute ou la negligenceallegues dans le chef des (trois premiers defendeurs).

5.2.5.1. (Madame N. et la demanderesse) font valoir que (les troispremiers defendeurs) ont commis un manquement, une faute ou une negligenceaussi bien lors de l'indication de l'examen que lors de l'information de(Madame N.) et de l'execution du traitement et du suivi de celui-ci.

A cet egard, la cour d'appel constate que les divers aspects du litige ontspecifiquement ete pris en compte dans le cadre de l'expertise,specialement lors de la troisieme reunion d'expertise qui a eu lieu le 8novembre 2000 à l'hopital universitaire d'Anvers.

(...)

5.2.5.4. L'observation du devoir d'information.

A ce propos, le college d'experts a note à la page 7 de son rapport, auxconsiderants 2 et 3 :

`En ce qui concerne l'information qui a ete fournie au prealable à MadameN. relativement à l'examen, à la technique utilisee et aux risques qui yetaient lies. Le docteur D. repond que Madame N. avait ete informee auprealable qu'elle recevrait une piqure dans la nuque et qu'elle devraitetre hospitalisee durant deux à trois jours. Le risque de toucher lamoelle epiniere avec l'aiguille n'a pas ete mentionne vu qu'il s'agitd'une complication extremement rare.

Sur ce point aussi, le college confirme que la pratique medicale couranteau moment des faits etait de ne pas mentionner des complicationsextremement rares au prealable au patient, afin d'eviter une dissuasioninutile.

En ce qui concerne la personne qui determine quelle technique serautilisee pour injecter le liquide de contraste, à savoir en haut de lanuque ou par voie lombaire. Les docteurs D. et V. ont repondu que celadepend des habitudes suivies au sein du service dans lequel l'ontravaille. Le college ajoute que les deux techniques sont considereescomme equivalentes. L'injection en haut de la nuque donne une meilleurequalite d'images tout en administrant moins de produit, mais demande uneplus grande experience de la personne qui effectue l'injection. Depuisplusieurs annees, une centaine d'examens en moyenne par an sont effectuesde cette maniere à l'hopital Middelheim'.

Dans la `discussion generale' (...), le college d'experts repete `queMadame N. a ete suffisamment informee. Le fait de ne pas mentionnerexplicitement au prealable une complication extremement rare est unepratique medicale courante et n'est pas considere comme un defautd'information'.

Apres la communication, faite le 10 juillet 2002, du rapport en lecture,le college d'experts a clarifie comme suit son point de vue en reponse àune reaction du conseil de (Madame N.) :

`Dans la lettre du 18 decembre 2002, Monsieur V. P. demande une reponse àla question suivante : `Pourquoi la ponction cervicale (l'injection duliquide de contraste dans la nuque) presente-t-elle un risque accru parrapport à la technique lombaire (injection dans le dos) ?'

Ce point a dejà ete amplement discute durant les reunions d'expertise ;nous nous referons notamment aux reponses donnees aux questions soumisespar le docteur D. M. lors de la troisieme audience du 8 novembre 2000.

Dans un souci de clarte, nous repetons que le risque principal d'unemyelographie par ponction cervicale consiste dans le fait de toucher lamoelle epiniere avec l'aiguille, tant en cas de ponction en hauteur dansl'axe entre le crane et la premiere cervicale (la ponction suboccipitale)qu'en cas de ponction laterale (la ponction laterocervicale) entre lapremiere et la deuxieme cervicale. Cela peut endommager la moelleepiniere, moins par le fait de l'aiguille meme qu'en raison del'apparition d'une hemorragie due au fait qu'un vaisseau sanguin a etetouche ou à l'injection du liquide de contraste. Dans les deux cas,l'accumulation de sang ou de liquide de contraste cree une pression sur lamoelle epiniere, endommageant les fibres ou vaisseaux. Heureusement, cettecomplication est extremement rare lorsque l'examen est effectue par unpraticien experimente. Lorsque la moelle epiniere est tout de memetouchee, les consequences sont le plus souvent un amoindrissement de laforce musculaire ou des sensations dans une certaine partie du corps ;extremement rarement, il est possible, comme dans le cas Madame N., qu'unehypersensibilite apparaisse si l'aiguille touche le noyau du nerf cranien.

La technique alternative de l'injection lombaire ne presente pas le risquede toucher la moelle epiniere avec l'aiguille, des lors que l'injection sesitue en bas du dos, plus bas que la partie inferieure de la moelleepiniere. Elle presente, toutefois, le risque de toucher les fibresnerveuses de la queue de cheval qui relient la moelle epiniere aux membresinferieurs. Avec les fines aiguilles actuelles, ces fibres sont toutefoisplutot ecartees que touchees. Des lesions residuaires permanentes à lasuite d'une myelographie lombaire sont extremement rares.

L'imagerie de la moelle epiniere au niveau de la nuque ou la myelographiecervicale fournit, apres l'injection du liquide de contraste dans le basdu dos, des images d'une moindre qualite que celles realisees apresinjection du liquide de contraste en haut de la nuque, l'utilisation decette derniere technique diluant moins le liquide de contraste dans leliquide cerebro-spinal'.

Tout comme le college d'experts, la cour d'appel considere ne pas devoiradmettre de manquement, de faute ou de negligence sous ce rapport dans lechef (des trois premiers defendeurs).

C'est à juste titre que (Madame N.) affirme que le droit à l'integritephysique et le droit à l'autodetermination du patient exigent l'obtentionprealable de son consentement à une intervention ou un examen et que ceconsentement doit etre `eclaire'. Tous les renseignements pertinentsdoivent etre communiques au patient.

Il est vrai que le medecin doit obtenir le consentement libre et eclairedu patient avant d'effectuer un examen qui comporte des risques.Toutefois, la portee de ce devoir d'information doit etre appreciee aumoyen de differents criteres dont celui de la frequence du risque, lagravite du risque, la personne du patient, la nature et le but de l'examenou intervention et les risques en cas de non-intervention.

En l'espece, il est etabli que :

- le risque de toucher la moelle epiniere avec l'aiguille est unecomplication extremement rare de la myelographie par ponction cervicale,qui est une technique courante : le contraire ne ressort pas des diversesetudes produites actuellement par (Madame N.) ;

- ce risque, s'il se produit, a, en regle, des consequences plutot infimes(une diminution de la force musculaire ou de la sensation dans une partiedeterminee du corps) ;

- l'apparition d'une hypersensibilite, comme dans le cas de (Madame N.),est extremement rare ; lorsque la moelle epiniere est touchee parl'aiguille.

Dans les circonstances de l'espece, il ne peut etre reproche aux (deuxpremiers defendeurs) de ne pas avoir informe (Madame N.), prealablement àl'execution de l'examen, du risque extremement rare de toucher la moelleepiniere avec l'aiguille et de sa consequence extremement rare consistanten l'apparition d'une hypersensibilite.

Il ne peut davantage etre reproche aux (deux premiers defendeurs) den'avoir pas informe au prealable (Madame N.) de l'existence de lapossibilite alternative de l'injection lombaire. Il est vrai que cettetechnique presente (encore) moins de risques, mais effectuer unemyelographie par ponction cervicale etait objectivement justifie en raisond'un meilleur resultat probable (meilleure qualite d'images).

Tout cela vaut d'autant plus que les symptomes de (Madame N.) etaientimportants et que les techniques d'examen classiques n'avaient pas fournile resultat desire (...).

Dans ces circonstances, la cour d'appel considere, tout comme le colleged'experts, que le medecin (specialiste) normalement prudent et diligent,place dans les memes circonstances externes concretes, n'aurait pasinforme (Madame N.) au prealable et de maniere explicite de ces elements.

(...)

5.2.6. A defaut de preuve apportee par (Madame N. et la demanderesse) d'unmanquement, d'une faute ou d'une negligence des (trois premierdefendeurs), il ne peut etre question, en l'espece, de responsabilitecontractuelle ou quasi-delictuelle. Il n'y a, des lors, pas lieud'examiner les autres conditions d'application, plus specifiquement lesexigences d'un dommage et d'un lien causal.

5.2.7. A defaut d'un manquement, d'une faute ou d'une negligence des (deuxpremier defendeurs), la responsabilite quasi-delictuelle du (troisiemedefendeur) est egalement exclue en l'espece, tant sur la base des articles1382 et 1383 du Code civil (theorie de l'organe) qu'en application del'article 1384, alinea 3, du Code civil (commission) et de l'article17novies de la loi sur les hopitaux, coordonnee par l'arrete royal du 7aout 1987. Le college d'experts confirme à la page 8 de son rapport`qu'il estime qu'aucune faute medicale ne peut etre reprochee, ni auradiologue, ni davantage au neurochirurgien', et que `l'intervention deparamedicaux n'est pas pertinente en l'espece'.

5.2.8. (Madame N. et la demanderesse) ne disposent pas du droit vise àl'article 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre à l'egard de la (quatrieme defenderesse), à defaut deresponsabilite des (premier, deuxieme ou troisieme defendeurs), sesassures.

5.2.9. Il suit de ce qui precede que l'appel des (defendeurs) est fonde.Cela implique que la demande etendue de (Madame N.) contre les(defendeurs) en reparation du chef d'appel vexatoire ou temeraire estrejetee comme etant non fondee » (...).

Griefs

1. L'article 23 de la Constitution garantit à chacun le droit de menerune vie conforme à la dignite humaine.

Il suit des articles 1108 à 1117 du Code civil qu'une convention ne peutetre valablement conclue qu'avec le consentement valable de la partie quis'oblige.

La convention entre le medecin et le patient relative à un examen medicalà effectuer ou au traitement medical, requiert aussi un consentementvalable du patient.

Un medecin ne peut effectuer un examen ou traitement medical qui impliqueune atteinte à l'integrite physique ou psychique du patient que si lepatient y consent.

Le patient ne peut consentir valablement à un examen ou à uneintervention que s'il a ete prealablement informe à leur sujet. Des lors,sauf en cas d'urgence ou d'impossibilite, ou lorsque le patient refused'etre informe, le medecin a le devoir d'informer le patient au prealablequant au diagnostic, à la nature, à la necessite et à l'efficacite del'examen ou de l'intervention proposes, à leurs frais et effetsdommageables, ainsi qu'aux risques qui y sont lies.

La meconnaissance de ce devoir d'information du medecin - decoulantnotamment de l'article 23 de la Constitution et des articles 1108 à 1117du Code civil - entrainera sa responsabilite du chef du dommage qui enresulte en vertu des articles 1146, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Codecivil, à tout le moins, en vertu des articles 1382 et 1383 de ce code.

Dans cette hypothese, le commettant du medecin sera responsable du dommageen vertu de l'article 1384, alinea 3, du Code civil. En vertu de l'article86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, lavictime pourra exercer une action directe en reparation contre l'assureurde la responsabilite du medecin et son commettant.

2. Lors de l'appreciation des risques lies à un examen ou traitementpropose devant etre communiques prealablement par le medecin au patient,il ne faut pas seulement tenir compte de la frequence du risque, maisaussi de la gravite des consequences possibles de la realisation durisque, ainsi que de la personne du patient.

Des lors - sauf en cas d'urgence, d'impossibilite d'informer ou lorsque lepatient refuse d'etre informe -, le medecin a le devoir de fournir aupatient des renseignements honnetes, clairs et adaptes quant aux risquesserieux lies aux examens et traitements proposes. Le simple fait que cesrisques ne se realisent que rarement, ne dispense pas le medecin de sondevoir d'information.

3. Dans leurs conclusions deposees devant la cour d'appel, la demanderesseet Madame N. alleguaient que :

- le medecin est tenu de communiquer les consequences prejudiciables oules risques d'une intervention ou d'un examen au patient ; le medecin doitinformer le patient des risques frequents et des risques rares maispouvant avoir de graves consequences. Un risque peu frequent qui peutavoir de graves consequences doit donc etre communique au patient (...) ;

- le docteur D. a lui-meme declare au college des experts qu'il avaitcommunique à la patiente N. qu'elle recevrait une piqure dans la nuque etqu'elle devrait etre hospitalisee pendant 2 à 3 jours, mais que le risquede toucher le moelle epiniere avec l'aiguille n'a pas etementionne (...) ;

- bien que peu frequent, le fait de toucher la moelle epiniere avecl'aiguille constitue un risque, connu et inherent à la myelographie parponction cervicale, qui peut entrainer des complications tres graves,telles que l'invalidite et meme la mort (...) ;

- le medecin ne peut pas etre exempte de son devoir d'informer le patienten raison du fait seul qu'un risque serieux ne survient que rarement(...) ;

- le risque, qui s'est realise, devait, des lors, etre communique àMadame N. et le defaut d'information prealable adequate fournie à MadameN. constitue un acte medical fautif, de sorte que les defendeurs sontresponsables du dommage cause par cette faute (...).

4. L'arret attaque decide qu'il ne peut etre reproche aux deux premiersdefendeurs de ne pas avoir informe Madame N. prealablement à l'exameneffectue quant au risque qui y etait lie et qui s'est ensuite realise, deslors que :

- la myelographie par ponction cervicale est une technique courante,

- le risque de toucher la moelle epiniere avec l'aiguille est unecomplication extremement rare,

- les consequences en cas de realisation du risque sont plutot reduites,

- l'apparition d'une hypersensibilite, comme dans le cas de Madame N. -dont la cour d'appel ne dement pas qu'il s'agit d'une consequence tresgrave -, est extremement rare.

Un medecin (specialiste) normalement prudent et diligent, place dans lesmemes circonstances externes concretes, n'aurait pas, selon la courd'appel, explicitement et prealablement informe Madame N. de ces elements.

Sur la base de la simple constatation que le risque survenu constitue unecomplication rare de l'examen effectue et que la lesion encourue (unehypersensibilite), dont il n'est pas conteste qu'il s'agit d'une lesiongrave, se presente rarement dans ce cas, la cour d'appel n'a pu legalementdecider qu'il ne peut etre reproche aux deux premiers defendeurs den'avoir pas informe Madame N. à ce sujet prealablement à l'execution del'examen et qu'en ne communiquant pas cette information, ils ont agi commeun medecin (specialiste) normalement prudent et diligent place dans lesmemes circonstances externes concretes.

Les circonstances que les symptomes de Madame N. etaient importants et queles techniques d'examen classiques n'avaient pas fourni le resultatsouhaite, n'affectent pas l'illegalite de la decision de la cour d'appel.

En decidant qu'aucun manquement au niveau de leur devoir d'information nepeut etre reproche aux deux premiers defendeurs et en deboutant, sur cettebase, la demanderesse de sa demande en reparation contre les defendeurs,l'arret viole les dispositions legales et constitutionnelles indiquees entete du moyen.

IV. La decision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir :

1. Les defendeurs opposent une premiere fin de non-recevoir au moyen,deduite de l'imprecision du moyen.

Le moyen indique avec suffisamment de precision en quoi l'arret viole lesdispositions legales mentionnees comme ayant ete violees.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir.

2. Les defendeurs opposent une seconde fin de non-recevoir au moyendeduite de ce que le moyen s'erige contre une appreciation qui git enfait.

Le moyen ne critique pas une appreciation qui git en fait, mais allegueque l'arret n'a pu decider que les medecins concernes n'ont pas manque àleur devoir d'information sur la base du fait que la complication visee dutraitement applique ne survient que tres rarement.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir.

Sur le moyen :

3. Sauf en cas d'urgence, d'impossibilite d'informer ou de refus d'etreinforme, un medecin diligent fournit au patient de maniere prealable etclaire les renseignements requis pour pouvoir consentir de maniereeclairee à l'intervention medicale prevue.

Ces renseignements ont trait à l'objectif, la nature, le degre d'urgence,la duree, la frequence, les contre-indications pertinentes pour lepatient, les effets secondaires et les risques lies à l'intervention, lapostcure, les possibilites de substitution et les consequencesfinancieres. Ils ont, en outre, trait aux consequences potentielles en casde refus ou de retrait du consentement et aux autres clarificationsconsiderees comme pertinentes par le patient ou le praticien.

La circonstance qu'un risque important et connu par un medecin normalementprudent et diligent lie à l'intervention ne se realise que dans des casexceptionnels ne dispense pas le medecin diligent du devoir de porter cerisque à la connaissance du patient.

Ni l'importance des symptomes du patient ni la circonstance que d'autresinterventions effectuees anterieurement n'avaient pas engendre de resultatne dispensent le medecin diligent de son devoir d'information.

4. Les juges d'appel ont constate que :

- selon les experts judiciaires, le fait de toucher la moelle epiniereavec l'aiguille constitue un risque connu de la myelographie par injectioncervicale du liquide de contraste et que, pour cette raison, dans beaucoupde centres, ce liquide de contraste est injecte dans le bas du dos, ou iln'est pas possible d'endommager la moelle epiniere, ce qui entraine,toutefois, une imagerie medicale de moindre qualite ;

- le risque de toucher la moelle epiniere avec l'aiguille est unecomplication extremement rare de la myelographie par ponction cervicale ;

- lorsqu'il survient, ce risque a, en regle, des consequences minimes ;

- l'apparition d'une hypersensibilite est extremement rare en tant queconsequence du fait de toucher un nerf cranien avec l'aiguille.

5. Ils ont considere que, dans ces circonstances, il ne peut etre reprocheaux deux premiers defendeurs de n'avoir pas informe le patient de cerisque extremement rare, d'autant plus que les symptomes du patientetaient importants et que les autres techniques d'examen, à savoir unscanner et une imagerie par resonance magnetique (IRM), n'avaient paspermis d'obtenir le resultat souhaite.

Ainsi, les juges d'appel ont fonde leur decision sur le fait que lesrisques ne se produisent que rarement.

En statuant ainsi, les juges d'appel n'ont pas legalement justifie leurdecision.

Le moyen est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable etqu'il statue sur la demande de la Communaute flamande ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Bruxelles.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section RobertBoes, les conseillers Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns et Geert Jocque,et prononce en audience publique du vingt-six juin deux mille neuf par lepresident Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat general GuyDubrulle, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le president,

26 JUIN 2009 C.07.0548.F/1



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 26/06/2009
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : C.07.0548.N
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2009-06-26;c.07.0548.n ?
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