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25/06/2010 | BELGIQUE | N°C.08.0519.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 juin 2010, C.08.0519.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

7422



NDEG C.08.0519.F

M. M.-Ch.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,

contre

F. J.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 mai 2007 parla cour d'appel de Mons.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general delegue P

hilippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Disposi...

Cour de cassation de Belgique

Arret

7422

NDEG C.08.0519.F

M. M.-Ch.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,

contre

F. J.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 mai 2007 parla cour d'appel de Mons.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1134, 1315 (specialement alinea 2), 1319, 1320 et 1322 du Codecivil ;

- articles 702, 3DEG, 774, alineas 1er et 2, 807, 870, 1068 et 1138, 2DEG,et 4DEG, du Code judiciaire ;

- principe general du droit, dit principe dispositif, suivant lequel lesparties sont, en matiere civile, seules maitresses du proces ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret, reformant le jugement entrepris,

« Condamne [la demanderesse] à payer [au defendeur] la somme de 1.487,36euros avec les interets moratoires depuis le 25 novembre 2005, date de lacitation, ainsi que les depens des deux instances liquides en totalite àla somme de 1.057, 81 euros »

et fonde ces decisions sur ce que

« le litige est relatif à une creance d'interets dont se pretendtitulaire [le defendeur] en se fondant sur un engagement pris entreparties le 5 juin 1998 en ces termes :

`Je soussignee, Ch. M. [la demanderesse], habitant ... declare par lapresente avoir rec,u la somme de 400.000 francs belges de Monsieur J. F.[le defendeur], habitant ..., en vue d'installer le chauffage centralainsi que le carrelage de ma maison ...

Cette somme, je m'engage à la rembourser mensuellement pendant 10 ans, lemontant de la mensualite etant de 5.000 francs belges.

Le premier versement etant prevu le premier septembre 1998 et le dernier,le 1er aout 2007 et ce, sans aucune interruption de ma part...'

[la demanderesse] a interrompu ses remboursements en avril 2005,considerant avoir à cette date rembourse l'integralite de sa dette enprincipal et contestant la debition d'interets sur celle-ci, la conventionetant, selon elle, muette sur ce point ;

le premier juge lui a donne raison sur la base du prescrit de l'article1162 du Code civil, regissant l'interpretation d'une convention douteuse ;

la convention est entachee d'erreurs mathematiques : rembourser durant 10annees suppose que la date d'echeance soit le 31 aout 2008 et non le 1eraout 2007 ; un remboursement de 5.000 francs belges du 1er septembre 1999au 1er aout 2007 soit 95 mois signifie le paiement total d'une somme de475.000 francs belges ; en remboursant jusqu'au 1er mai 2005, [lademanderesse] s'est acquittee de 340.000 francs belges en faveur [dudefendeur] et non de l'integralite du montant du pret ... ;

force est de constater que ces anomalies et inexactitudes constituentautant d'elements douteux quant au sens et à la portee exacte desengagements contractes le 5 juin 1998 ;

[la demanderesse] ne fournit toutefois pas pour sa part la preuve d'avoireffectivement rembourse le solde de la dette en principal, se retranchantderriere la lettre de mise en demeure du 21 juin 2005 que lui a adresseele conseil [du defendeur], exposant que les mensualites payees ayant ete« stoppees » en avril 2005, « de ce fait, le capital a ete rembourse »;

l'aveu extrajudiciaire est un acte unilateral dont une preuve peut etrededuite et qui doit etre fait par la partie à laquelle il est oppose, ilconcerne un fait et non une question de droit (Cass. 7 fevrier 1997,Larcier Cass., nDEG 1167) ;

à supposer que le courrier susvise soit susceptible de constituer un aveuextrajudiciaire au sens de l'article 1354 du Code civil alors qu'iln'emane pas de la partie elle-meme et à defaut d'un mandat special,encore faudrait-il observer qu'il est entache d'erreurs de fait,concernant le point de depart des versements prevus (septembre 1998 et nonseptembre 1999 comme stipule dans l'acte litigieux) et d'erreurs decalcul, qui le vicient ;

il serait aise pour [la demanderesse] de prouver qu'elle a verse plus queles 5.000 francs belges mensuels, prevus à l'acte de pret, depuis le 1erseptembre 1999 jusqu'au 1er mai 2005, ce qu'elle ne fait pas ;

il convient par consequent de constater que la dette, en principal,demeure impayee à concurrence de 60.000 francs belges soit, 1.487,36euros avec les interets à dater des echeances respectives ».

Griefs

Dans sa lettre du 23 juin 2005, l'avocat du defendeur reconnaissait que lecapital du pret avait ete rembourse et mettait la demanderesse en demeurede reprendre et regulariser le remboursement des mensualites afin derembourser les interets restant dus.

Dans ses conclusions prises devant le premier juge, la demanderessesoulignait que « le capital a ete totalement rembourse ».

Le defendeur l'admettait dans ses conclusions d'instance en relevant

« que dans mon courrier du 23 juin 2005 adresse à la [demanderesse], ilest mentionne que le capital a ete rembourse mais restent dus les interets;

que la [demanderesse] estime qu'il s'agit d'un aveu extrajudiciaire ;

si dans son courrier du 23 juin dernier il est stipule que le capital estrembourse mais que restent dus les interets, c'est que d'apres lescalculs, la [demanderesse] a stoppe les mensualites depuis avril 2005 etqu'il a ete constate que seul le montant du capital a ete rembourse ».

et

« que l'engagement de la [demanderesse] ne se limite pas au remboursementde la somme de 400.000 francs belges mais bien à la convention tellequ'elle a ete signee le 5 juin 1998 ».

Le litige dont le premier juge etait ainsi saisi ne portait donc que surle remboursement des interets restant pretendument dus sur un capital quiavait ete rembourse.

Dans son jugement du 19 avril 2006, le premier juge declara la demande nonfondee en relevant que la demanderesse soutenait avoir rembourseintegralement la somme de 400.000 francs belges qu'elle avait rec,ue enpret, en constatant que ce remboursement avait ete effectue par desversements ininterrompus de 5.000 francs belges par mois du 1er septembre1998 au 1er avril 2005, et en decidant que la convention des parties neprevoyait pas [le paiement] d'interets.

Il apparait ainsi que, devant le premier juge, la seule questionlitigieuse entre les parties avait trait [au paiement] d'interets,laquelle etait contestee.

La requete d'appel du defendeur fait grief au jugement dont appel du 19avril 2006 d'avoir, à tort, declare non fondee sa demande, c'est-à-diresa demande tendant au paiement des interets restant dus.

La requete d'appel se borne en effet à faire grief au jugement dont appelde ne pas avoir condamne la demanderesse à effectuer ses paiementsmensuels « à partir du mois de mai 2005 jusqu'au 1er aout 2008 ».

L'arret constate « que le litige est relatif à une creance d'interetsdont se pretend titulaire [le defendeur] en se fondant sur un engagementpris entre parties le 5 juin 1998 ... » et decide

« que c'est (...) à bon droit que le premier juge deboute [le defendeur]de son action en ce qu'elle tend à l'obtention d'interets sur le pretqu'il a consenti ».

L'arret decide neanmoins que :

« en remboursant jusqu'au 1er mai 2005, [la demanderesse] s'est acquitteede 340.000 francs belges en faveur [du defendeur] et non de l'integralitedu montant du pret »

et

« qu'il convient par consequent de constater que la dette, en principal,demeure impayee à concurrence de 60.000 francs belges, soit 1.487,36euros avec les interets à dater des echeances respectives »

et condamne des lors la demanderesse en cassation à payer à l'actueldefendeur « la somme de 1.487,36 euros avec les interets moratoiresdepuis le 25 novembre 2005, date de la citation ».

Premiere branche

Le premier juge n'avait pas statue sur la question, dont il n'etait passaisi, de savoir si un solde restait du sur le capital emprunte de 400.000francs belges.

Ainsi que le releve l'arret, le litige, dont la cour d'appel etait saisie,etait « relatif à une creance d'interets ».

Il ne resulte en effet d'aucune piece à laquelle la Cour puisse avoiregard que le defendeur aurait forme devant la cour d'appel une demandenouvelle tendant au paiement d'un solde restant du sur le capital.

Il suit de là que, en faisant droit à une demande de remboursement dusolde du capital du pret alors qu'il n'en etait pas saisi par ledefendeur, l'arret a :

1DEG meconnu les limites de l'appel forme par l'actuel defendeur(violation de l'article 1068, alinea 1er, du Code judiciaire) ;

2DEG eleve d'office une contestation, etrangere à l'ordre public, dontles parties avaient exclu l'existence (violation du principe general dudroit, dit principe dispositif vise au moyen et de l'article 1138, 2DEG,du Code judiciaire) ;

3DEG modifie d'office l'objet de la demande qui tendait uniquement aupayement d'interets sur le pret et non au remboursement du solde ducapital de ce pret (violation du principe general du droit dit principedispositif, de l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et, en tant que debesoin, des articles 702, 3DEG, et 807 du Code judiciaire), modified'office la cause de la demande, en se fondant sur le fait, non invoquepar l'actuel defendeur, que le solde du capital du pret n'avait pas eterembourse (violation du principe general du droit, dit principedispositif, de l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et, en tant que debesoin des articles 702, 3DEG, et 807 du Code judiciaire) et, en tout cas,prononce ainsi sur la chose non demandee (violation de l'article 1138,2DEG, du Code judiciaire) ;

4DEG meconnu le droit de defense de la demanderesse en la condamnantd'office au paiement d'un solde en principal de 1.487,36 euros, sansavoir, ainsi qu'il pouvait le faire (article 774 du Code judiciaire),ordonne la reouverture des debats aux fins de lui permettre de produireles justificatifs des paiements, au demeurant non contestes, qu'elle avaiteffectues du 1er septembre 1998 au 1er avril 2005 inclus, justificatifsdont elle disposait et qu'elle eut pu aisement produire s'ils lui avaientete demandes (violation du principe general du droit relatif au respectdes droits de la defense et, en tant que de besoin, de l'article 774 duCode judiciaire).

Deuxieme branche

Pour condamner la demanderesse au paiement d'un solde en principal de1.487,36 euros qui restait du sur sa dette, l'arret se fonde sur ce «qu'il serait aise pour [la demanderesse] de prouver qu'elle a verse plusque les 5.000 francs belges mensuels, prevus à l'acte de pret, depuis le1er septembre 1999 jusqu'au 1er mai 2005, ce qu'elle ne fait pas ».

Le remboursement de la totalite du principal du pret n'etait toutefois pasconteste par le defendeur.

Or, on ne doit prouver que les faits contestes.

En fondant la condamnation de la demanderesse sur ce qu'elle ne faisaitpas la preuve du fait, non conteste, qu'elle avait rembourse l'integralitedu capital du pret, l'arret meconnait des lors les regles relatives à lacharge de la preuve (violation de l'article 1315, alinea 2, du Code civilet de l'article 870 du Code judiciaire).

Troisieme branche

La convention de pret conclue entre parties le 5 juin 1998 et reproduitepar l'arret enonce que la demanderesse s'engage à rembourser la somme de400.000 francs belges empruntee par elle

« mensuellement pendant 10 ans, le montant de la mensualite etant de5.000 francs belges.

Le premier versement etant prevu le premier septembre 1998 et le dernier,le 1er aout 2007 et ce, sans aucune interruption de ma part ».

La convention des parties relevait ainsi expressement que le premierversement mensuel à effectuer par la demanderesse en cassation devaitl'etre le 1er septembre 1998.

Or, l'arret en se referant à « un remboursement de 5.000 francs belgesdu 1er septembre 1999 au 1er aout 2007 » et en relevant que le point dedepart des versements prevus est « septembre 1999 comme stipule dansl'acte litigieux » et « que les 5.000 francs belges mensuels (etaient)prevus à l'acte de pret depuis le 1er septembre 1999 » decide que lepremier versement mensuel prevu à l'acte de pret l'est au 1er septembre1999.

L'arret decide ainsi que l'acte qu'il interprete contient la date de 1999qui ne s'y trouve pas et ne contient pas la date de 1998 qui y figure.

L'arret donne ainsi à la convention des parties une interpretationinconciliable avec ses termes et viole, partant, la foi qui lui est due(violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Par voie de consequence, il meconnait la force obligatoire de cetteconvention (violation de l'article 1134 du Code civil).

L'erreur commise par l'arret quant au point de depart des remboursementscorrespond en effet à douze remboursements mensuels de 5.000 francsbelges, soit les 60.000 francs belges ou 1.487,36 euros au paiementdesquels il condamne erronement la demanderesse.

Quatrieme branche

L'arret decide dans ses motifs « que la dette, en principal, demeureimpayee à concurrence de 60.000 francs belges, soit 1.487,36 euros avecles interets à dater des echeances respectives » et, dans sondispositif, condamne la demanderesse aux « interets moratoires depuis le25 novembre 2005, date de la citation ».

Il est contradictoire de decider que les interets sont dus à leursecheances respectives et de condamner la debitrice pretendue à cesinterets depuis une date unique etant celle de la citation.

Contenant des dispositions contradictoires, l'arret viole l'article 1138,4DEG, du Code judiciaire.

A tout le moins il n'est pas regulierement motive en raison de lacontradiction qui existe entre son dispositif et le motif figurant audernier alinea de sa page 3 (violation de l'article 149 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'arret enonce que le litige concerne une creance d'interets et il neressort d'aucune piece à laquelle la Cour peut avoir egard que ledefendeur aurait forme devant la cour d'appel une demande nouvelle tendantau paiement d'un solde restant du sur le capital.

En condamnant la demanderesse à payer au defendeur une somme au titre deremboursement du capital du pret alors que les juges d'appel n'etaient passaisis d'une demande de remboursement de la dette en principal, l'arretprononce sur chose non demandee et viole, partant, l'article 1138, 2DEG,du Code judiciaire.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.

Sur le renvoi :

A la suite de la cassation à prononcer ci-apres, la Cour constate qu'ilne reste rien à juger à l'exception des depens des instances au fond.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse à payer audefendeur la somme de 1.487,36 euros majoree d'interets moratoires et lesdepens des deux instances ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Condamne le defendeur aux depens de l'instance en cassation ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi qu'en ce qui concerne les depens desinstances au fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Les depens taxes en cassation à la somme de quatre cent soixante-sixeuros soixante-deux centimes en debet envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Paul Mathieu, les conseillers DidierBatsele, Albert Fettweis, Christine Matray et Mireille Delange, etprononce en audience publique du vingt-cinq juin deux mille dix par lepresident de section Paul Mathieu, en presence de l'avocat general deleguePhilippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | Chr. Matray |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | P. Mathieu |
+--------------------------------------------+

25 JUIN 2010 C.08.0519.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0519.F
Date de la décision : 25/06/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2010-06-25;c.08.0519.f ?
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