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06/10/2014 | BELGIQUE | N°S.11.0048.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 octobre 2014, S.11.0048.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.11.0048.F.

M. V.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

FACULTES UNIVERSITAIRES SAINT-LOUIS, association sans but lucratif dont lesiege est etabli à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 43,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est eta

bli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.11.0048.F.

M. V.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

FACULTES UNIVERSITAIRES SAINT-LOUIS, association sans but lucratif dont lesiege est etabli à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 43,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 septembre2010 par la cour du travail de Bruxelles.

Le president de section Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente quatre moyens, dont le troisieme et le quatriemesont libelles dans les termes suivants :

Troisieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 1146 à 1151, 1382 et 1383 du Code civil ;

- articles 5, 578, 1DEG, 774 et 1042 du Code judiciaire ;

- article 1er de la loi generale du 21 juillet 1844 sur les pensionsciviles et ecclesiastiques ;

- articles 1er, 59, 60 et 61 de la loi du 15 mai 1984 portant mesuresd'harmonisation dans les regimes de pensions ;

- articles 1er, 5bis et 5quater de la loi du 30 juillet 1879 relative àl'emeritat pour les professeurs de l'enseignement superieur, ces deuxdernieres dispositions inserees dans cette loi par la loi du 27 juillet1971 sur le financement et le controle des institutions universitaires,avant l'abrogation de la loi du 30 juillet 1879 par la loi du 4 aout1986 ;

- articles 1er et 4 de la loi du 4 aout 1986 reglant la mise à laretraite des membres du personnel enseignant de l'enseignementuniversitaire et modifiant d'autres dispositions de la legislation del'enseignement ;

- article 34 de la loi du 28 avril 1953 sur l'organisation del'enseignement universitaire par l'Etat ;

- principe general du droit en vertu duquel le juge est tenu, tout enrespectant les droits de la defense, de determiner la norme juridiqueapplicable aux faits invoques et à la demande portee devant lui etd'appliquer cette norme.

Decisions et motifs critiques

L'arret, apres avoir constate que la demanderesse imputait à faute à ladefenderesse d'avoir entretenu « l'apparence trompeuse qu'elle pourraiteffectivement pretendre à une pension à charge du Tresor [...] en raisondu paiement de 1973 à 1992 de cotisations de securite socialeexclusivement destinees au secteur public » et avoir admis que « laquestion si [la defenderesse] a ou non adopte un comportement fautif ouerrone suppose d'abord que l'on puisse savoir si le versement decotisations dans le regime public n'etait pas justifie en droit », decidequ'il ne peut trancher cette question faute pour la demanderesse d'avoirforme un recours contre la decision de l'administration du Tresor et endeduit que « la faute reprochee à [la defenderesse] n'est ni justifieeni partant etablie », par tous ses motifs consideres ici commeintegralement reproduits et plus particulierement aux motifs que :

« [La defenderesse] a certes soumis la remuneration de [la demanderesse]au regime `public' de la securite sociale ;

Comme le souligne [la defenderesse], `de 1973 à 1992, [la demanderesse] aete payee comme un charge de cours. Personne ne s'est pose la questionquel devait etre le regime de securite sociale applicable à cetteremuneration, le regime « public » ou celui des salaries ; c'est doncnaturellement que le regime public a ete applique' ;

Verser des cotisations à la Caisse des veuves et orphelins etait, ainsique le fait justement observer [la demanderesse], moins onereux que payerdes cotisations à l'Office national de securite sociale ;

Comme le souligne toutefois [la defenderesse], la preuve n'est pasapportee que ce soit la raison qui l'ait motivee à agir de la sorte,d'autant qu'elle ne poursuit aucun but de lucre et que les remunerationssont subventionnees ;

[La defenderesse] a-t-elle commis une `faute' en soumettant laremuneration de [la demanderesse] au regime `public' de securite sociale ?

Il sied de rappeler que la faute civile `s'apprecie par reference àl'homme normalement prudent et diligent place dans les memes circonstancesque l'auteur du dommage' ;

Cette appreciation doit se faire egalement en tenant `compte [...] descirconstances' ;

La cour [du travail] considere que la question si [la defenderesse] a ounon adopte un comportement fautif ou errone suppose d'abord que l'onpuisse savoir si le versement de cotisations dans le regime public n'etaitpas justifie en droit ;

Or, comme le fait pertinemment observer [la defenderesse], `on ne saurajamais si c'etait, ou non, effectivement une erreur puisque [lademanderesse] n'a fait aucun recours contre la decision del'administration du Tresor, alors que ces possibilites de recours, lesdelais, la juridiction competente etaient evoques dans la lettre del'administration du 29 octobre 2004' ;

La cour [du travail] considere par ailleurs que c'est à tort que lepremier juge a considere qu' `il n'est en l'espece ni contestable niconteste que [la demanderesse] ne peut pretendre à une pension à chargedu Tresor, faute d'avoir ete nommee au grade de charge de cours' ;

En considerant que le refus par l'administration du Tresor de reconnaitreet partant d'octroyer à [la demanderesse] une pension n'etait pas`contestable', le premier juge a non seulement adopte un postulat ou unpresuppose determinant, de nature à biaiser tout examen ulterieur de laresponsabilite virtuelle de l'une ou l'autre partie, mais a aussi statuesur une question dont il n'etait pas saisi, [la demanderesse] n'ayantprecisement forme aucun recours contre la decision de l'administration duTresor ;

La non-reconnaissance du droit à une pension à charge du Tresor devaitapparaitre d'autant plus `contestable' que la soumission de laremuneration de [la demanderesse] au regime `public' de la securitesociale n'a, pendant plus de vingt ans, fait l'objet d'aucune observation,particulierement du delegue du gouvernement, lequel n'avait certes pas depouvoir de decision mais avait toutefois un pouvoir de controle desdecisions de l'institution universitaire, lui permettant d'exercer unrecours aupres du gouvernement si celles-ci lui paraissaient contrairesaux lois, decrets, arretes et reglements ;

On relevera, de surcroit, que c'est precisement le delegue du gouvernementqui a introduit la demande de pension à l'administration du Tresor pourla periode de 1973 à 1992 ;

C'est non sans pertinence que [la defenderesse] souligne à ce proposqu'`il ne l'aurait pas fait s'il avait eu la conviction que c'etait unedemarche inutile' ;

On rappellera enfin que l'administration elle-meme a, dans un premiertemps, accueilli la demande de [la demanderesse], ce qui permet de penserqu'elle n'etait pas tout à fait depourvue de fondement ;

Des lors qu'en l'absence de recours de [la demanderesse] contre ladecision qui lui a ete notifiee par l'administration le 29 octobre 2004,il n'est pas possible de savoir si l'attitude adoptee par [ladefenderesse] pendant plus de vingt ans etait adequate et conforme auxdispositions legales et reglementaires applicables, aucune faute ne peutetre imputee à celle-ci, et cela d'autant que cette attitude n'a faitl'objet d'aucune observation du delegue du gouvernement durant cetteperiode, comme cela fut releve ci-avant ;

La cour [du travail] entend preciser, pour autant que de besoin, qu'àsupposer meme qu'une erreur ou une faute eut pu etre epinglee à ce proposdans le chef de [la defenderesse], quod non eu egard à ce qui precede, laquestion de leur imputabilite n'eut pu etre tranchee sans considererl'attitude du delegue du gouvernement et de [la demanderesse] elle-meme,ainsi que le contexte dans lequel la faute ou l'erreur auraient etecommises ;

En effet, il sied de rappeler que [la defenderesse] s'est trouveeconfrontee à une situation tout à fait inedite consistant à devoirintegrer les maitres de conference dans les structures des universitesd'Etat ;

Comme cela fut rappele ci-avant, pendant plus de vingt ans la situationn'a fait l'objet d'aucune contestation, particulierement de la part dudelegue du gouvernement dont l'exercice d'une mission de controle pouvaitlegitimement laisser croire à [la defenderesse] que ses decisions etaientconformes aux lois, arretes, decrets et reglements applicables ;

La cour [du travail] entend preciser à ce propos, toujours pour autantque de besoin, que le fait que le delegue du gouvernement ne participe pasaux prises de decisions ne l'exonere pas de la responsabilite afferenteprecisement à la mission de controle qu'il doit exercer ;

Il convient enfin de relever que, [quand] [la defenderesse] futconfrontee à la question de la securite sociale, fin 1992, debut 1993,elle a adopte une attitude prudente et adequate, sans aucune ambiguite ;

Elle a immediatement cesse, en janvier 1993, de soumettre la remunerationde [la demanderesse] au regime `public' de securite sociale et en ainforme celle-ci par une lettre qui lui a ete adressee le 25 janvier1993 ;

Dans cette lettre, [la defenderesse] n'a pris aucun engagement pour lepasse. Ses termes ne permettent aucune interpretation qui aurait pulaisser croire à [la demanderesse] qu'elle conservait ses droits àcharge du Tresor pour la periode de 1973 à 1992 ;

[La defenderesse] a au contraire laisse la porte ouverte pour touteinterpretation future ;

[La defenderesse] a, par ailleurs, par la voie de son recteur, monsieurJ.-P. L., pris la defense des interets de [la demanderesse] en adressantà l'administration des pensions une lettre invitant celle-ci àreexaminer le dossier de [la demanderesse] et à revoir sa position ;

Certes, il ne sera jamais possible de connaitre la pertinence desarguments developpes dans la lettre precitee, puisque ceux-ci n'ont ete etne pourront etre soumis à l'examen des instances judiciaires, [lademanderesse] ayant volontairement renonce au droit de recours qui luietait expressement offert aux termes de la decision administrative qui luifut notifiee le 29 octobre 2004 ;

Il resulte de ce qui precede que la faute reprochee à [la defenderesse]n'est ni justifiee ni partant etablie ».

Griefs

Premiere branche

En vertu des articles 5, 774 et 1042 du Code judiciaire, ainsi que duprincipe general du droit en vertu duquel le juge est tenu, tout enrespectant les droits de la defense, de determiner la norme juridiqueapplicable au fait invoque et à la demande portee devant lui etd'appliquer cette norme, il appartenait à la cour du travail, à qui ladefenderesse soumettait, sur la base de l'article 578, 1DEG, du Codejudiciaire, une action en dommages et interets fondee sur une fautequ'elle imputait à la defenderesse dans l'execution du contrat detravail, faute consistant à avoir applique à sa remuneration le regimede securite sociale du secteur public, et ainsi cree dans son chefl'apparence trompeuse d'un droit à une pension à charge du Tresor, deverifier si ce regime de securite sociale etait applicable, en d'autrestermes si la demanderesse pouvait pretendre à une pension à charge duTresor, en sorte que la decision de l'administration etait illegale etaurait ete reformee par les juridictions du travail. Ce n'est en effet quedans cette hypothese que l'absence de recours de la demanderesse contre ladecision de l'administration du Tresor pouvait - en vertu des articles1146, 1382 et 1383 du Code civil - avoir une incidence sur la fautealleguee par la demanderesse et son lien causal avec le dommage dont ellepoursuivait reparation.

En se fondant sur l'absence de recours de la demanderesse contre ladecision de l'administration du Tresor pour en deduire qu' « il n'est paspossible de savoir si l'attitude adoptee par [la defenderesse] pendantplus de vingt ans etait adequate et conforme aux dispositions legales etreglementaires applicables », l'arret refuse de juger la contestation quilui etait soumise, commettant ainsi un deni de justice (violation desarticles 5, 578, 1DEG, 774, 1042 du Code judiciaire et du principe generaldu droit vise au moyen), et viole la notion de faute en lien causal avecle dommage (violation des articles 1146 à 1151, 1382 et 1383 du Codecivil, qui regissent respectivement la faute contractuelle et la fautequasi-delictuelle).

Seconde branche

En vertu de l'article 1er de la loi du 21 juillet 1844, le regime depension de l'Etat est reserve aux agents nommes à titre definitif. Envertu des articles 1er, 5bis et 5quater de la loi du 30 juillet 1879relative à l'emeritat et de l'article 4 de la loi du 4 aout 1986 reglantla mise à la retraite des membres du personnel enseignant del'enseignement universitaire - loi applicable à la defenderesse en vertude son article 1er -, le regime de pension des fonctionnaires del'administration generale de l'Etat ne s'applique au personnel del'enseignement universitaire qu'à la condition qu'il soit titulaire d'unenomination à titre definitif.

En vertu de l'article 34 de la loi du 28 avril 1953 sur l'organisation del'enseignement universitaire par l'Etat, la fonction de maitre deconferences ne place pas celui-ci dans la situation du personnelenseignant definitif.

En vertu de l'article 1er de la loi du 15 mai 1984, les cotisationsretenues sur le traitement des agents sont destinees à financer lesprestations dues aux ayants droit des personnes assujetties à un regimede pension de retraite dont la charge est assumee par le Tresor public ;en vertu de l'article 59 de la meme loi, seules les personnes appelees àbeneficier d'une pension de retraite à charge du Tresor publiccontribuent personnellement au financement des pensions de survie ; envertu de son article 60, seuls les traitements et autres elements de laremuneration qui interviennent pour le calcul de la pension de retraiteallouee aux personnes visees à l'article 59 sont soumises à la retenueobligatoire qui est, en vertu de l'article 61 de la meme loi, versee auTresor public pour etre affectee au financement des pensions des ayantsdroit des personnes appelees à beneficier d'une pension de retraite àcharge du Tresor public.

S'il doit etre interprete en ce sens que, en qualifiant de« contestable » la decision de l'administration des pensions, il decideque, si la demanderesse avait introduit un recours contre cette decision,elle se serait vu reconnaitre le droit à la pension du secteur public etn'aurait pas subi le dommage dont elle demandait reparation, l'arret, quine constate pas que la demanderesse etait titulaire d'une nomination àtitre definitif mais admet au contraire qu'elle ne remplissait pas lesconditions pour etre nommee, viole, par voie de consequence, les articles1er, 5bis et 5quater de la loi du 30 juillet 1879, 1er et 4 de la loi du 4aout 1986, 34 de la loi du 28 avril 1953, 1er de la loi du 21 juillet1844, 1er, 59, 60 et 61 de la loi du 15 mai 1984.

Quatrieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 1146 à 1148, 1382 et 1383 du Code civil ;

- article 71 du Code penal ;

- articles 5, 578, 1DEG, 774 et 1042 du Code judiciaire ;

- articles 1er, 59, 60 et 61 de la loi du 15 mai 1984 portant mesuresd'harmonisation dans les regimes de pensions ;

- articles 1er, 14, 21 à 27 et 35, S: 1er, de la loi du 27 juin 1969revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securite socialedes travailleurs ;

- articles 1er, 2, 23 et 38 de la loi du 29 juin 1981 etablissant lesprincipes generaux de la securite sociale des travailleurs salaries ;

- article 41 de la loi du 27 juillet 1971 sur le financement et lecontrole des institutions universitaires ;

- article 149 de la Constitution ;

- principe general du droit, consacre notamment par les articles 1147 et1148 du Code civil et 71 du Code penal, selon lequel l'erreur invinciblede droit constitue une cause de justification.

Decisions et motifs critiques

L'arret, apres avoir constate que la demanderesse imputait à faute à ladefenderesse d'avoir entretenu « l'apparence trompeuse de ce qu'ellepourrait effectivement pretendre à une pension à charge du Tresor [...]en raison du paiement, de 1973 à 1992, de cotisations de securite socialeexclusivement destinees au secteur public » et admis que, « comme lesouligne [la defenderesse], [...] de 1973 à 1992, [la demanderesse] aete payee comme un charge de cours. Personne ne s'est pose la question desavoir quel etait le regime de securite sociale applicable à [la] remuneration [de la demanderesse, payee comme chargee de cours], le regimepublic, ou celui des salaries, c'est donc naturellement que le regimepublic a ete applique », decide qu'à supposer meme que la defenderesseait commis une erreur ou une faute dans le regime de securite socialeapplicable à la demanderesse entre 1973 et 1992, cette faute ne lui estpas imputable, par tous ses motifs consideres ici comme integralementreproduits et plus particulierement aux motifs que

« La cour [du travail] entend preciser, pour autant que de besoin, qu'àsupposer meme qu'une erreur ou une faute eut pu etre epinglee à ce proposdans le chef de [la defenderesse], quod non eu egard à ce qui precede, laquestion de leur imputabilite n'eut pu etre tranchee sans considererl'attitude du delegue du gouvernement et de [la demanderesse] elle-meme,ainsi que le contexte dans lequel la faute ou l'erreur auraient etecommises ;

En effet, il sied de rappeler que [la defenderesse] s'est trouveeconfrontee à une situation tout à fait inedite consistant à devoirintegrer les maitres de conference dans les structures des universitesd'Etat ;

Comme cela fut rappele ci-avant, pendant plus de vingt ans la situationn'a fait l'objet d'aucune contestation, particulierement de la part dudelegue du gouvernement dont l'exercice d'une mission de controle pouvaitlegitimement laisser croire à [la defenderesse] que ses decisions etaientconformes aux lois, arretes, decrets et reglements applicables ;

La cour [du travail] entend preciser à ce propos, toujours pour autantque de besoin, que le fait que le delegue du gouvernement ne participe pasaux prises de decisions ne l'exonere pas de la responsabilite afferenteprecisement à la mission de controle qu'il doit exercer ;

Il convient enfin de relever que, [quand] [la defenderesse] futconfrontee à la question de la securite sociale, fin 1992, debut 1993,elle a adopte une attitude prudente et adequate, sans aucune ambiguite ;

Elle a immediatement cesse, en janvier 1993, de soumettre la remunerationde [la demanderesse] au regime `public' de securite sociale et en ainforme celle-ci par une lettre qui lui a ete adressee le 25 janvier1993 ;

Dans cette lettre, [la defenderesse] n'a pris aucun engagement pour lepasse. Ses termes ne permettent aucune interpretation qui aurait pulaisser croire à [la demanderesse] qu'elle conservait ses droits àcharge du Tresor pour la periode de 1973 à 1992 ;

[La defenderesse] a au contraire laisse la porte ouverte pour touteinterpretation future ;

[La defenderesse] a, par ailleurs, par la voie de son recteur, monsieurJ.-P. L., pris la defense des interets de [la demanderesse] en adressantà l'administration des pensions une lettre invitant celle-ci àreexaminer le dossier de [la demanderesse] et à revoir sa position ;

Certes, il ne sera jamais possible de connaitre la pertinence desarguments developpes dans la lettre precitee, puisque ceux-ci n'ont ete etne pourront etre soumis à l'examen des instances judiciaires, [lademanderesse] ayant volontairement renonce au droit de recours qui luietait expressement offert aux termes de la decision administrative qui luifut notifiee le 29 octobre 2004 ;

Il resulte de ce qui precede que la faute reprochee à [la defenderesse]n'est ni justifiee ni partant etablie ».

Griefs

Dans sa requete d'appel, la defenderesse a admis que, si elle « acontinue à payer les cotisations de securite sociale [du secteur public]c'est, non parce qu'elle considerait que ce systeme etait juridiquementapplicable, mais parce qu'elle esperait qu'il puisse l'etre. C'est ce quiresulte clairement de la lettre du 25 janvier 1993 de [la defenderesse] à[la demanderesse] [...]. C'est donc l'espoir d'une valorisation - et,sans doute aussi, la force de l'habitude - qui ont fait que [ladefenderesse] a continue à payer les cotisations reduites ».

Dans ses conclusions sur reouverture des debats, la defenderesse a admisque :

« de 1973 à 1992,

- il n'est plus conteste que [la demanderesse] ne remplissait pas lesconditions legales pour etre nommee à titre definitif ;

- l'entree en vigueur de la loi du 27 juillet 1971 sur le financement desuniversites a impose l'equivalence des conditions de traitement dupersonnel des universites d'Etat et des universites libres ;

Mais pour determiner cette equivalence de traitement, il fallait que lessituations puissent etre comparees ;

Or, [chez la defenderesse], il existait des `maitres de conference', titreinexistant dans les universites d'Etat ; le premier titre academique chezcelles-ci etait celui de `charge de cours' ;

Le 12 aout 1975, la Cour des comptes a attire l'attention [de ladefenderesse] sur cette situation ;

Pour contourner la difficulte, [la defenderesse a] imagine la solution enconsiderant que, sur le plan pecuniaire, les maitres de conferenceseraient remuneres comme des charges de cours ;

Cette assimilation - charge de cours et maitre de conference - concernait(et ne concernait que) le statut pecuniaire ;

Mais, forcement, le statut pecuniaire - finance par lessubventions-traitements - concernait non seulement ce qui etait paye à lafin de chaque mois mais encore le regime de securite sociale ;

- c'est ainsi que, de 1973 à 1992, [la demanderesse] a ete payee commeun charge de cours ;

Personne ne s'est pose la question quel devait etre le regime de securitesociale applicable à cette remuneration, le regime `public' ou celui dessalaries ; c'est donc naturellement que le regime public a eteapplique ».

Premiere branche

En vertu de l'article 1er de la loi du 21 juillet 1844, le regime depension du secteur public est reserve aux agents nommes à titredefinitif ; en vertu de l'article 1er de la loi du 15 mai 1984, lescotisations retenues sur le traitement des agents sont destinees àfinancer les prestations dues aux ayants droit des personnes assujettiesà un regime de pensions de retraite dont la charge est assumee par leTresor public ; en vertu de l'article 59 de la meme loi, seules lespersonnes appelees à beneficier d'une pension de retraite à charge duTresor public contribuent personnellement au financement des pensions desurvie ; en vertu de son article 60, seuls les traitements et autreselements de la remuneration qui interviennent pour le calcul de la pensionde retraite allouee aux personnes visees à l'article 59 sont soumises àla retenue obligatoire qui, en vertu de l'article 61 de la meme loi, estversee au Tresor public et affectee au financement des pensions des ayantsdroit des personnes appelees à beneficier d'une pension de retraite àcharge du Tresor public.

En vertu des articles 1er de la loi du 27 juin 1969, 1er et 2 de la loi du29 juin 1981, les obligations que ces lois edictent sont applicables auxtravailleurs et aux employeurs lies par un contrat de travail. En vertudes articles 21 à 27 de la loi du 27 juin 1969, il appartient àl'employeur de declarer à l'Office national de securite sociale, deretenir sur la remuneration du travailleur contractuel et de payer lescotisations de securite sociale telles qu'elles sont etablies notammentpar l'article 14 de cette loi et par les articles 23 à 38 de la loi du 29juillet 1981 ainsi que par les arretes d'execution de ces lois. En vertude l'article 35, S: 1er, de la loi du 27 juin 1969, l'employeur qui ne seconforme pas aux obligations prescrites par celle-ci et par ses arretesd'execution est passible de sanctions penales. Il s'en deduit qu'unemployeur ne peut s'abstenir de se poser la question du regime de securitesociale applicable à un travailleur contractuel.

Les circonstances qu'en execution de l'article 41 de la loi du 27 juillet1971, la defenderesse ait du fixer pour son personnel un statut equivalentà celui des universites de l'Etat et que la demanderesse et le delegue dugouvernement - sur qui ne pese aucune obligation de declaration et deretenue des cotisations - n'ont pas conteste la maniere dont ladefenderesse a respecte ses obligations en matiere de securite sociale nedegageaient pas celle-ci de ses obligations en la matiere et ne peuventdonc constituer dans son chef une erreur invincible au sens des articles1147, 1148 du Code civil et 71 du Code penal.

L'arret, qui admet que la defenderesse ne s'est pas pose la question duregime de securite sociale applicable et a tout naturellement applique leregime du secteur public, et qui deduit une cause de justification desseules circonstances que la defenderesse s'est trouvee confrontee « àune situation tout à fait inedite consistant à devoir integrer lesmaitres de conference dans les structures des universites d'Etat » et queni la demanderesse ni le delegue du gouvernement dans l'exercice de samission de controle n'ont emis d'observation à cet egard, pour conclureque la faute de la defenderesse n'est « ni justifiee ni, partant,etablie », viole, partant, les dispositions legales qui imposent àl'employeur d'appliquer le regime de securite sociale legalementapplicable (violation des articles 1er, 59, 60 et 61 de la loi du 21juillet 1844, 1er, 14, 21 à 27 et 35, S: 1er, de la loi du 27 juin 1969,1er, 2, 23 et 38 de la loi du 29 juin 1981) et la notion legale d'erreurinvincible (violation des articles 1147, 1148 du Code civil, 71 du Codepenal et du principe general du droit vise au moyen). Il viole, par voiede consequence, la notion de faute engageant la responsabilite de sonauteur au sens des articles 1146 à 1151, 1382 et 1383 du Code civil, quiregissent respectivement la faute contractuelle et la fautequasi-delictuelle.

Deuxieme branche

En vertu des articles 1147 et 1148 du Code civil, 71 du Code penal et duprincipe general du droit vise au moyen, l'erreur invincible ne constitueune cause d'exoneration de responsabilite qu'à la condition que le jugeconstate que la personne qui l'invoque a commis cette erreur commel'aurait fait toute autre personne raisonnable et prudente placee dans lameme situation.

L'arret, qui se borne à examiner le comportement de la defenderesse quantaux cotisations de securite sociale au regard de sa situation inedite etde l'attitude du delegue du gouvernement charge de la controler et de lademanderesse, ne constate pas que tout employeur place dans la memesituation aurait agi de la meme maniere en ne se posant pas la question duregime de securite sociale applicable et en appliquant « naturellement »à un travailleur ne remplissant pas les conditions pour etre nomme leregime de securite sociale applicable à un travailleur remplissant cesconditions. Il viole, partant, les articles 1147, 1148 du Code civil, 71du Code penal et le principe general du droit vise au moyen et, par voiede consequence, en decidant que la faute de la defenderesse « n'est nijustifiee ni, partant, etablie », les articles 1146 à 1151, 1382 et 1383du Code civil, qui regissent respectivement la faute contractuelle et lafaute quasi-delictuelle.

Troisieme branche

Dans ses conclusions apres reouverture des debats, la demanderessesoutenait que :

« Dans le proces-verbal de la reunion du vendredi 11 decembre 1992, à 14heures 30, on peut lire au point C. `Personnel academique temporaire : Lerecteur informe le conseil qu'il convient d'appliquer aux membres dupersonnel academique temporaire le regime « ordinaire » de cotisationsde securite sociale, dans la mesure ou il apparait que les cotisations àla Caisse des veuves et orphelins versees jusqu'ici pour ce type depersonnel ne seront pas prises en compte (ces cotisations devront etretransferees à l'Office national de securite sociale).

Le cout supplementaire annuel pour [la defenderesse] serait de l'ordre de700.000 à 800.000 francs.

Une question se pose concernant les modalites à appliquer pour lesarrieres.

Le conseil charge le recteur de la mise en oeuvre de cette decision'.

Ce proces-verbal revele que, des la fin 1992, [la defenderesse] avaitconnaissance de ce que les cotisations à la Caisse des veuves etorphelins versees pour les annees anterieures devraient etre transfereesà l'Office national de securite sociale.

On observera que, selon ce proces-verbal, la modification apportee nedevait [concerner] que les academiques `temporaires'. Or, [lademanderesse] ne faisait pas partie du personnel academique temporaire.

Dans la lettre qu'il adressera à [la demanderesse] le 25 janvier 1993, lerecteur s'exprime de maniere telle que [la demanderesse] etait en droit deconsiderer que la decision prise valait pour l'avenir : `Aussi le conseild'administration a-t-il decide que les maitres de conferences seraientsoumis au regime de securite sociale « ordinaire », seul susceptibled'ouvrir un droit à une pension (secteur prive). Pour ce qui vousconcerne, la difference sera, à partir de ce mois de janvier 1993, de 567francs'.

Le recteur ne lui indique nullement que cette decision pourrait avoir uneffet retroactif. Il ne lui signale pas que les cotisations à la Caissedes veuves et orphelins versees pour les annees anterieures devraientetre transferees à l'Office national de securite sociale.

En 2004 encore, [la defenderesse] presentait la situation comme si ladecision de decembre 1992 ne valait que pour l'avenir et n'avait pasd'effet retroactif. Dans sa lettre du 10 novembre 2004 à l'administrationdes pensions, le recteur L. ecrit notamment ce qui suit : `Ce n'est qu'en fin 1992 que [le delegue du gouvernement] a fait savoir à notre recteur,monsieur J. D., qu'il recommandait que, pour les annees suivantes, [lademanderesse] soit dorenavant soumise au regime ordinaire de la securitesociale des travailleurs salaries' ».

La demanderesse faisait ainsi grief à la defenderesse, dont ellearticulait qu'elle savait que les cotisations versees à la Caisse desveuves et orphelins pour le personnel non nomme ne seraient pas prises encompte dans le secteur public, de s'etre abstenue de preciser quel serait,pour le passe, le sort desdites cotisations, en d'autres termes d'avoirmanque à son obligation positive de l'informer de ce qu'elle avait retenuà tort sur son salaire une contribution personnelle au financement despensions des ayants droit des travailleurs nommes prevue par les articles60 et 61 de la loi du 15 mai 1984.

L'arret, qui decide que la defenderesse n'a, dans la lettre du 25 janvier1993, « pris aucun engagement pour le passe » ni « laiss[e] croire à[la demanderesse] qu'elle conservait ses droits à charge du Tresor pourla periode de 1973 à 1992 » mais a « au contraire laisse la porteouverte pour toute interpretation future », ne rencontre pas cettedefense ; il n'est, par consequent, pas regulierement motive (violationde l'article 149 de la Constitution) et ne permet pas à la Cour d'exercerson controle sur la legalite de la decision au regard des articles 1146,1382 et 1383 du Code civil (violation de l'article 149 de la Constitutionet, par voie de consequence, des articles 1146, 1382 et 1383 du Codecivil).

En outre, des lors qu'il appartient à l'employeur, en vertu desdispositions visees au moyen des lois des 21 juillet 1984 et 27 juin 1969,d'appliquer le regime de securite sociale legalement applicable, l'arretn'a pu, sans violer tant ces dispositions des lois des 21 juillet 1984 et27 juin 1969 que les notions de faute au sens des articles 1146, 1382 et1383 du Code civil, decider qu'en laissant « la porte ouverte pour touteinterpretation future » quant aux effets du regime « public » desecurite sociale qu'il a applique à tort pour le passe et qu'il cessed'appliquer pour l'avenir à un membre de son personnel, cet employeur a« adopte une attitude prudente et adequate, sans aucune ambiguite », etn'a, partant, pas commis de faute (violation des articles 1er, 59, 60 et61 de la loi du 21 juillet 1844, 21 à 27 et 35, S: 1er, de la loi du 27juin 1969, 1146 à 1151, 1382 et 1383 du Code civil).

III. La decision de la Cour

Sur le troisieme moyen :

Quant à la premiere branche :

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche, par ladefenderesse et deduite de ce que la violation qu'il allegue des articles1146 à 1151, 1382 et 1383 du Code civil est tout entiere deduite decelle, qui serait vainement invoquee, de l'article 5 du Code judiciaire :

Le grief fonde par le moyen, en cette branche, sur les dispositions qu'ilcite du Code civil n'est pas deduit du deni de justice qu'il imputed'ailleurs à l'arret mais est presente de maniere autonome.

La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

L'arret constate que, selon la demanderesse, « la faute qui sous-tend sademande de dommages et interets [...] `consiste à avoir entretenul'apparence trompeuse [...] qu'elle pourrait effectivement pretendre àune pension à charge du Tresor [...] en raison du paiement, de 1973 à1992, de cotisations de securite sociale exclusivement destinees ausecteur public' ».

Examinant si la defenderesse a « commis une `faute' en soumettant laremuneration de [la demanderesse] au regime `public' de securitesociale », l'arret considere que cette « question [...] suppose d'abordque l'on puisse savoir si le versement de cotisations dans le regimepublic n'etait pas justifie en droit ».

Des lors que l'appreciation de la faute reprochee à la defenderesserequerait de verifier si le regime de securite sociale applique parcelle-ci etait applicable, l'arret, qui se dispense de cette verificationau motif « qu'en l'absence de recours de [la demanderesse] contre ladecision de l'administration [du] 29 octobre 2004 [lui refusant la pensiondu secteur public], il n'est pas possible de savoir si l'attitude adopteepar [la defenderesse] pendant plus de vingt ans etait adequate et conformeaux dispositions legales et reglementaires applicables », ne justifie paslegalement sa decision « qu'aucune faute ne peut etre imputee àcelle-ci ».

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur le quatrieme moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen et deduite du defaut d'interet:

L'accueil de la premiere branche du troisieme moyen ote aux motifs quecritique le moyen tout caractere surabondant.

La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.

Quant à la deuxieme branche :

L'erreur de droit peut, en raison de certaines circonstances, etreconsideree par le juge comme invincible à la condition que, de cescirconstances, il puisse se deduire que la personne qui y a verse a agicomme l'aurait fait toute personne raisonnable et prudente.

Si le juge constate souverainement les circonstances sur lesquelles ilfonde sa decision, la Cour controle s'il a pu legalement deduire decelles-ci l'existence d'une cause de justification.

Ni de ce que la defenderesse « s'est trouvee confrontee à une situationtout à fait inedite » ni de l'attitude du delegue du gouvernement qu'ilrelate, l'arret n'a pu legalement conclure à l'existence d'une erreurinvincible ; il ne justifie partant pas sa decision que « la fautereprochee à [la defenderesse] n'est ni justifiee ni, partant, etablie ».

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour du travail de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, le president de section Albert Fettweis, les conseillers MireilleDelange et Sabine Geubel, et prononce en audience publique du six octobredeux mille quatorze par le president de section Christian Storck, enpresence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avec l'assistance dugreffier Lutgarde Body.

+----------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M. Delange |
|-------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+----------------------------------------+

6 OCTOBRE 2014 S.11.0048.F/20


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.11.0048.F
Date de la décision : 06/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-10-06;s.11.0048.f ?
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