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02/04/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0281.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 avril 2015, C.14.0281.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0281.F

MAN TRUCK & BUS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Asse(Kobbegem), chaussee de Bruxelles, 406,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est faitelection de domicile,

contre

CENTRACAR TRUCK SERVICE, societe anonyme dont le siege social est etablià Ans (Alleur), rue de Wallonie, 2,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Geoffroy de

Foestraets, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67,ou...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0281.F

MAN TRUCK & BUS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Asse(Kobbegem), chaussee de Bruxelles, 406,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est faitelection de domicile,

contre

CENTRACAR TRUCK SERVICE, societe anonyme dont le siege social est etablià Ans (Alleur), rue de Wallonie, 2,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 fevrier 2014par la cour d'appel de Liege.

Le 13 fevrier 2015, le premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq adepose des conclusions au greffe.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general

Jean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 634 du Code des societes, modifie par l'article 1er de l'arreteroyal du 13 juillet 2001 ;

- principe general du droit selon lequel nul ne peut abuser de son droit.

Decisions et motifs critiques

L'arret decide que la demanderesse detourne de fac,on abusive l'article634 du Code des societes et que son interet est illegitime, et declare,des lors, son action irrecevable pour les motifs suivants :

« C'est par de justes motifs que la cour [d'appel] fait siens et quen'enervent en rien les moyens developpes en appel par [la demanderesse]que les premiers juges ont rejete sa demande en dissolution de [ladefenderesse]. Le premier juge a rejete la demande de dissolution de ladefenderesse sur la base de l'article 634 du Code des societes, aux motifssuivants :

`Il resulte d'ores et dejà des explications fournies à l'audience par[la defenderesse] que la situation difficile dans laquelle elle se trouveactuellement est propre au dernier exercice qui a ete influence de maniereextremement negative par la resiliation sans preavis des relationscontractuelles, avec les charges qui en ont resulte et les investissementsnouveaux qui ont du etre realises pour assurer la perennite del'entreprise, [la defenderesse] soulignant que, durant le dernierexercice, ses actionnaires ont consenti un effort substantiel en luiavanc,ant un montant extremement important de 700.000 euros, ce quitraduit leur volonte d'assurer cette perennite.

Sur la base des explications fournies, la demande de Man AG et de [lademanderesse] exprime plus un refus d'affronter le litige que la craintede l'insolvabilite de [la defenderesse]'.

L'article 634 du Code des societes dispose que,`lorsque l'actif net estreduit à un montant inferieur à 61.500 euros, tout interesse peutdemander au tribunal la dissolution de la societe. Le tribunal peut, lecas echeant, accorder à la societe un delai en vue de regulariser sasituation'.

Ni les travaux preparatoires ayant precede l'introduction de cettedisposition dans les lois coordonnees sur les societes commerciales (Doc.parl., Ch., 1981-1982, nDEG 210 ; Doc. parl., Sen., 1982-1983, nDEG390/2), ni les articles 104, 140 et 158bis desdites lois, ni les articles333, 432 et 634 du Code des societes n'ont donne de definition des`interesses' titulaires de cette action en dissolution.

S'appuyant sur les exemples donnes lors des travaux preparatoires (Doc. parl., Ch., 1981-1982, nDEG 210/9, p. 66-68), jurisprudence et doctrinereconnaissent la qualite de tiers interesse au ministere public, à unactionnaire (fut-il minoritaire), à un creancier (pour autant qu'ildemontre un interet effectif au-delà de sa simple qualite de creancier,ce qui sera le cas s'il nourrit des craintes raisonnables quant aurecouvrement de sa creance) et meme à un concurrent qui cherche àeliminer un adversaire (notamment parce qu'il ne respecte pas les reglesdu jeu) (De Cordt, Y., `Dissolution des societes pour pertes prononcees ducapital social', RD.C., 2012, 62 et ref. citees ; Deboeck, B., `La notiond'« interesse » au sens des articles 140 et 158bis des lois coordonneessur les societes commerciales', R.D.C., 1999, 54-55).

Un tiers interesse est une personne qui trouve un interet dansl'introduction de cette action ('T Kint, J., `Les modifications apporteesau droit des societes anonymes par la loi du 5 decembre 1984 (et non parla loi du

21 fevrier 1985)', Larcier, Bruxelles, 1985, nDEG 282, p. 153).

L'interet dont question est l'interet à agir, au sens de l'article 17 duCode judiciaire. Il designe `tout avantage materiel ou moral - effectifmais non theorique - que le demandeur peut retirer de la demande qu'ilintente au moment ou il la forme, dussent la reconnaissance du droit,l'analyse ou la gravite du dommage n'etre etablis qu'à la prononciationdu jugement' (Rapport Van Reepinghen, Doc. parl., Senat, sess. ord.1963-1964, nDEG 60,

p. 23).

Cet interet doit non seulement etre concret, mais egalement legitime (voirnotamment : de Leval., G., Droit judiciaire prive. La procedure, ULg,2009-2010, p. 7 ; Cass., 17 octobre 1986, Pas., 1987, nDEG 98 ; Cass.,

19 septembre 1996, Bull., 1996, p. 830 ; Cass., 2 avril 1998, Pas., nDEG188, et R.G.D.C., 1999, 251 ; Cass., 6 juin 2008, Pas., nDEG 351).

Le demandeur doit disposer `d'un interet legitime à obtenir une mesurenecessaire et proportionnee' (De Cordt, Y., op.cit., p. 62).

Le droit d'agir en justice est en effet susceptible d'abus. `En cas d'abusde la procedure, le juge peut limiter l'exercice de l'action en justice ;c'est notamment le cas si le sujet de droit exerce son action en justiceou continue à l'exercer sans interet raisonnable ou suffisant ou d'unemaniere qui excede manifestement les limites d'un exercice normal par unepersonne prudente et diligente' (Cass., 17 octobre 2008, nDEG C.07.0214.N; Derijcke, W., `L'article 104 des lois coordonnees sur les societes ou« ce n'est pas un de mes amis ; je n'ai donc pas de raison d'en dire dumal »', R.P.S., 1998, 464).

Il s'agit d'`empecher le detournement abusif d'une norme juridique ou d'undroit' (Wathelet, M., `Principe de proportionnalite : utilisationdisproportionnee ?', J.T., 2007, 315).

Par consequent, `il ne suffit pas d'invoquer la lesion d'un simple interetd'ordre economique pour obtenir gain de cause devant les tribunaux. Engeneral, ce jugement de valeur sur le recours fait à la justice esteffectue au regard de considerations morales. Ainsi, la demande peut etrejugee irrecevable en raison de la turpitude du demandeur, du blame dont sapretention fait l'objet' (De Boe, C., `Le defaut d'interet ne et actuel',Annales de droit de Louvain, vol. 66, 2006, nDEG 1-2, point 20 et note89, pp. 112 et 113). Ainsi, sera rejetee comme irrecevable la demande enannulation d'une societe irregulierement constituee formee par uncommerc,ant qui trouve dans cette annulation le moyen d'eliminer unconcurrent. Celui-ci n'est pas fonde, en invoquant uniquement le prejudicequ'il subit, à demander la nullite de cette societe ; sans doute ytrouverait-il un interet puisque, de cette maniere, il eliminerait dumarche un concurrent dangereux ; il n'en reste pas moins que, sur ce seulfondement, sa demande est vouee à un echec certain (...) (voy. H. Soluset R. Perrot, Droit judiciaire prive, t. I, Paris, Sirey, 1961, nDEG 228,p. 202 ; P. Rouard, Traite elementaire de droit judiciaire prive, tomepreliminaire, Introduction generale, vol. I, Bruxelles, Bruylant, 1979,nDEG 104, p. 133).

Puisque l'interet du demandeur ne peut etre legitime que si son interet àagir n'est pas abusif et que `l'abus de droit sanctionne un comportementabusif - c'est-à-dire non proportionne' (Wathelet, M., op. cit.), ilconvient d'appliquer à la demande de [la demanderesse] le controle deproportionnalite pour verifier en quoi son interet à solliciter ladissolution de [la defenderesse] est legitime.

Il n'est pas necessaire de soumettre la demande de [la demanderesse] autriple controle qui decoule de l'application du principe deproportionnalite (test d'utilite, de necessite et de proportionnaliteproprement dit), des lors qu'il est patent que les avantages que celle-cipourrait retirer de la mise en liquidation de [la defenderesse] sont sanscommune mesure avec les desagrements que cette derniere devrait subir dece fait.

[La demanderesse] ne manque pas d'audace quand elle pretend se premunir del'insolvabilite de [la defenderesse] en demandant sa dissolution.

Ainsi que le releve à juste titre [la defenderesse], `[la demanderesse]entend aujourd'hui obtenir la liquidation d'une societe dont elle aelle-meme cree les difficultes financieres'.

Il ressort des antecedents proceduraux que [la demanderesse] ne souhaitepas voir le tribunal arbitral trancher le differend qui l'oppose à [ladefenderesse], alors qu'elle soutient pourtant devant cette instanceposseder une creance de 474.142,60 euros envers [la defenderesse].

Au risque de paraphraser la decision des premiers juges, il apparaitclairement, au vu du deroulement des procedures devant le tribunalarbitral et devant le tribunal de commerce, que le seul but que poursuit[la demanderesse] en diligentant cette action est d'ordre strategique. Ils'agit de forcer [la defenderesse] à revoir ses pretentions à la baisse,eventuellement dans le cadre de sa liquidation, voire meme à l'empecherde faire valoir ses droits.

Ce faisant, elle detourne de fac,on abusive l'article 634 du Code dessocietes.

Son interet est illegitime et son action est des lors irrecevable ».

Griefs

Premiere branche

L'article 634 du Code des societes dispose : « Lorsque l'actif net estreduit à un montant inferieur à 61.500 euros, tout interesse peutdemander au tribunal la dissolution de la societe. Le tribunal peut, lecas echeant, accorder à la societe un delai en vue de regulariser sasituation ».

L'article 634 du Code des societes et le mecanisme de sanction qu'ilinstaure soulignent l'importance du capital minimum dont doivent disposerles societes commerciales dans notre systeme juridique.

Le capital social est important à un double titre : d'une part, ilcontribue à la determination des droits des associes au sein de lasociete (droit aux dividendes, puissance de vote au sein des organessociaux, droit au remboursement en cas de solde de liquidation) ; d'autrepart, le capital social offre aux creanciers de la societe une garantieminimale.

Il s'ensuit que le capital social d'une societe est une composante del'ordre public economique belge, en ce que l'ordre public est perturbe enpresence d'une societe dont l'actif net se situe sous le montant minimumà liberer lors de la constitution de la societe.

Le caractere d'ordre public de l'obligation prescrite par l'article 634 duCode des societes confere ainsi ce statut au capital social, à tout lemoins jusqu'à concurrence du montant minimal à liberer lors de laconstitution de la societe. Il y a donc lieu d'operer la distinction, ausein du capital social, entre sa fraction d'ordre public et le surplus,qui ne l'est pas.

Lorsque l'article 634 du Code des societes est souleve devant lui, lecontrole du juge se limite, des lors, à verifier si les conditionsd'application de cet article sont remplies.

Si l'actif net est reduit à un montant inferieur à 61.500 euros, lepouvoir discretionnaire du tribunal se limite, partant, à choisir entrela dissolution de la societe ou l'octroi à celle-ci d'un delai deregularisation.

Une consequence du caractere d'ordre public du capital social est que leministere public peut, au meme titre que tout interesse, soulever saviolation, y compris pour la premiere fois devant la Cour.

Ce caractere d'ordre public a egalement pour consequence que l'interessepar une action en dissolution sur la base de l'article 634 du Code dessocietes ne doit pas demontrer un prejudice direct ou indirect.

L'article 634 du Code des societes invite ainsi quiconque est en contactavec une societe commerciale dont le capital est tombe en dessous ducapital minimum à denoncer cette situation aux tribunaux qui n'ontd'autre choix, des lors que les conditions legales sont remplies, d'enprononcer la dissolution ou d'octroyer à celle-ci un delai deregularisation et d'assainir ce faisant le monde economique des societesau capital insuffisant sans devoir demontrer un quelconque prejudice.

Le juge n'a, partant, pas la faculte d'apprecier le caractere legitime ouabusif de l'action d'un creancier basee sur l'article 634 du Code dessocietes dans la mesure ou il est constant que cette action revet uncaractere d'ordre public.

Dans le cadre d'une telle operation de regulation de la vie economique, lejuge ne peut declarer une action tendant à un tel assainissementirrecevable par manque d'interet legitime suite à un abus de droit, etantdonne que la volonte du legislateur est precisement d'en arriver à ladissolution de la societe sous-capitalisee sans que ceux qui mettent enoeuvre l'action en dissolution ne doivent prouver un quelconque prejudice.

En outre, faire dependre l'intentement d'une action sur la base del'article 634 du Code des societes de la preuve de l'existence d'unquelconque prejudice reviendrait à rendre lettre morte cette dispositionlegale, tout specialement si l'on requiert l'absence de disproportionentre, d'une part, l'interet de l'action et, d'autre part, le desavantagequ'elle procure à autrui. En effet, l'absence de prejudice rendrait, dansla majorite des cas, si pas toujours, la dissolution de la societedisproportionnee.

L'arret enonce que l'interet du tiers interesse « doit non seulement etreconcret, mais egalement legitime », et qu'« il s'agit d'empecher ledetournement abusif d'une norme juridique ou d'un droit ». Il poursuit enexpliquant que, « par consequent, il ne suffit pas d'invoquer la lesiond'un simple interet d'ordre economique pour obtenir gain de cause devantles tribunaux », qu'« en general, ce jugement de valeur sur le recoursfait à la justice est effectue au regard de considerations morales » etqu'« ainsi, la demande peut etre jugee irrecevable en raison de laturpitude du demandeur, du blame dont sa pretention fait l'objet ».

L'arret poursuit en appliquant ces principes au cas d'espece en ces termes: « puisque l'interet du demandeur ne peut etre legitime que si soninteret à agir n'est pas abusif et que l'abus de droit sanctionne uncomportement abusif, c'est-à-dire non proportionne, il convientd'appliquer à la demande de [la demanderesse] le controle deproportionnalite pour verifier en quoi son interet à solliciter ladissolution de [la defenderesse] est legitime ».

L'arret decide donc qu'« il n'est pas necessaire de soumettre la demandede [la demanderesse] au triple controle qui decoule de l'application duprincipe de proportionnalite (test d'utilite, de necessite et deproportionnalite proprement dit), des lors qu'il est patent que lesavantages que celle-ci pourrait retirer de la mise en liquidation de [ladefenderesse] sont sans commune mesure avec les desagrements que cettederniere devrait subir de ce fait ».

Il conclut que la demanderesse « detourne de fac,on abusive l'article 634du Code des societes », que « son interet est illegitime » et que «son action est des lors irrecevable ».

En appreciant le caractere legitime et abusif de l'action du creancieralors que l'article 634 du Code des societes revet un caractere d'ordrepublic et tente de realiser un resultat voulu par le legislateur qui nesouffre pas d'etre neutralise par un abus de droit, l'arret violel'article 634 du Code des societes et le principe general selon lequel nulne peut abuser de son droit.

Seconde branche

Dans l'hypothese ou l'on accepterait la faculte pour le juge d'apprecierle caractere legitime et non abusif du creancier sur la base de l'article634 du Code des societes, le critere le plus large pour apprecier l'abusde droit, à savoir celui de la disproportion entre, d'une part,l'avantage que l'on retire de l'exercice d'un droit et, d'autre part, leprejudice que l'on cause à autrui, ne peut etre invoque dans le cadre del'article 634 du Code des societes, dont le but voulu par le legislateurest precisement que des societes se trouvant dans les conditionsd'application dudit article soient evincees de la vie economique ouregularisent leur situation dans le delai imparti par le juge.

Or, l'utilisation de ce critere de l'abus de droit a pour effet de rendrel'article 634 du Code des societes lettre morte ou vide de sa substancepuisque dans la majorite des cas, si pas toujours, la dissolution de lasociete est disproportionnee par rapport à l'avantage que poursuit lecreancier.

Par ailleurs, le critere de l'utilisation de son droit à d'autres finsqu'à celles auxquelles la loi le destine ne peut - lui non plus - etreapplique, eu egard au but et à la teleologie de l'article 634 du Code dessocietes.

Le seul critere de l'abus de droit pouvant rentrer en compte, à savoirl'usage du droit dans l'intention exclusive de nuire, a ete ecarte parl'arret lui-meme : en estimant que « le seul but que poursuit [lademanderesse] en diligentant cette action est d'ordre strategique »,l'arret constate qu'il existe dans le chef de la demanderesse autre choseque la seule intention de nuire.

En decidant que, « puisque l'interet du demandeur ne peut etre legitimeque si son interet à agir n'est pas abusif et que l'abus de droitsanctionne un comportement abusif, c'est-à-dire non proportionne, ilconvient d'appliquer à la demande de [la demanderesse] le controle deproportionnalite pour verifier en quoi son interet à solliciter ladissolution de [la defenderesse] est legitime » et qu'« il n'est pasnecessaire de soumettre la demande de [la demanderesse] au triple controlequi decoule de l'application du principe de proportionnalite (testd'utilite, de necessite et de proportionnalite proprement dit), des lorsqu'il est patent que les avantages que celle-ci pourrait retirer de lamise en liquidation de [la defenderesse] sont sans commune mesure avec lesdesagrements que cette derniere devrait subir de ce fait », pour conclureque la demanderesse « detourne de fac,on abusive l'article 634 du Codedes societes », alors que l'article 634 du Code des societes revet uncaractere d'ordre public et tente d'atteindre un resultat voulu par lelegislateur qui ne souffre pas d'etre neutralise par un abus de droit quiconsisterait en l'obtention d'un avantage disproportionne par rapport audommage cause par l'exercice de ce droit ou en l'utilisation de ce droità d'autres fins qu'à celles auxquelles la loi le destine, l'arretmeconnait tant le principe general du droit selon lequel nul ne peutabuser de son droit que l'article 634 du Code des societes.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 634, premiere phrase, du Code des societes, lorsquel'actif net d'une societe anonyme est reduit à un montant inferieur à61.500 euros, tout interesse peut en demander la dissolution au tribunal.

Celui qui demande la dissolution d'une societe sur la base de cettedisposition legale doit, conformement aux articles 17 et 18 du Codejudiciaire, justifier d'un interet à formuler une telle demande et sademande ne peut constituer un abus de droit.

Il peut y avoir abus de droit, meme si le droit vise est d'ordre public ouimperatif.

Le moyen, qui, en cette branche, soutient qu'en raison du caractered'ordre public de l'article 634 precite, le juge n'a pas la faculted'apprecier le caractere legitime ou abusif de l'action d'un creancierbasee sur cette disposition legale, manque en droit.

Quant à la seconde branche :

Par adoption des motifs du jugement du premier juge, l'arret considere quel'action « s'inscrit dans le cadre plus large du conflit entre lesparties qui n'est pas tranche - et ne peut temporairement l'etre - enraison de l'absence d'execution de bonne foi par [la demanderesse] de laclause d'arbitrage qui figure dans les conventions qu'elle a soumises à[la defenderesse] et que cette derniere a acceptees », que lademanderesse « n'est pas creanciere - elle ne dispose du moins d'aucunecreance certaine, liquide et exigible ni d'aucun titre - de [ladefenderesse] puisqu'elle se refuse à faire arreter ses pretentions parle tribunal arbitral auquel les parties ont convenu de recourir », que lademanderesse « n'est pas concurrente de [la defenderesse] qui ne peutplus developper son activite depuis l'arret brutal de 2010 » et que« l'action a ainsi, en realite, pour seul objectif de tenter de modifierla position de [la defenderesse] dans le cadre de l'arbitrage : il estpatent que l'espoir de [la demanderesse] est que l'intervention eventuelled'un liquidateur soit de nature à tenter d'obtenir que ce dernier revoie,à la baisse, les pretentions de [la defenderesse] - ce qu'il ne pourraitfaire compte tenu du reglement Debelux sans risquer d'engager saresponsabilite ».

Par motifs propres, il considere egalement que « [la demanderesse] entendaujourd'hui obtenir la liquidation d'une societe dont elle a elle-memecree les difficultes financieres », qu'« il ressort des antecedentsproceduraux que [la demanderesse] ne souhaite pas voir le tribunalarbitral trancher le differend qui l'oppose à [la defenderesse], alorsqu'elle soutient pourtant devant cette instance posseder une creance de474.142,60 euros envers [la defenderesse] » et qu'« il apparaitclairement, au vu du deroulement des procedures devant le tribunalarbitral et devant le tribunal de commerce de Liege, que le seul but quepoursuit [la demanderesse] en diligentant cette action est d'ordrestrategique. Il s'agit de forcer [la defenderesse] à revoir sespretentions à la baisse, eventuellement dans le cadre de sa liquidation,voire à l'empecher de faire valoir ses droits ».

L'arret, qui, sur la base de ces enonciations, considere que, « cefaisant, [la demanderesse] detourne de fac,on abusive l'article 634 duCode des societes », justifie legalement sa decision de rejeter lademande de la demanderesse comme constitutive d'un abus de droit.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent septante-quatre euros septanteet un centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du deux avril deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.

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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
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2 AVRIL 2015 C.14.0281.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0281.F
Date de la décision : 02/04/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 25/04/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-04-02;c.14.0281.f ?
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