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30/04/2015 | BELGIQUE | N°C.12.0637.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 avril 2015, C.12.0637.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0637.F

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES, dont le siege est etabli à Bruxelles,avenue Franklin D. Roosevelt, 50,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

1. W. S.,

defendeur en cassation,

2. ETAT BELGE, represente par le ministre des Entreprises publiques, de laPolitique scientifique et de la Cooperation au developpement, dont

lecabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

defendeur en cassation,

represente par Ma...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0637.F

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES, dont le siege est etabli à Bruxelles,avenue Franklin D. Roosevelt, 50,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

1. W. S.,

defendeur en cassation,

2. ETAT BELGE, represente par le ministre des Entreprises publiques, de laPolitique scientifique et de la Cooperation au developpement, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile,

3. COMMUNAUTE FRANC,AISE, representee par son gouvernement, en la personnedu ministre-president, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, placeSurlet de Chokier, 15-17, poursuites et diligences du ministre del'Enseignement superieur, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenueLouise, 65/9,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 mars 2012par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 14 avril 2015, l'avocat general Thierry Werquin a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport et l'avocat general ThierryWerquin a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1382, 1383 et 2244 du Code civil ;

- article 61, specialement S: 1er, alinea 6, de la loi speciale du

16 janvier 1989 relative au financement des communautes et regions ;

- articles 1er et 2 de la loi du 6 fevrier 1970 relative à laprescription des creances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces ;

- articles 100 et 101 de l'arrete royal du 17 juillet 1991 portantcoordination des lois sur la comptabilite de l'Etat ;

- article 7 du Traite instituant la Communaute economique europeenne,signe à Rome le 25 mars 1957, devenu l'article 12 du Traite instituant la Communaute europeenne, version consolidee en vertu du Traite d'Amsterdam signe le 2 octobre 1997, approuve par la loi du 10 aout 1998, et puis l'article 18 du Traite sur le fonctionnement de l'Union europeenne, version consolidee apres le Traite de Lisbonne, approuve parla loi du 19 juin 2008, et, en tant que de besoin, l'ensemble de ces dispositions.

Decisions et motifs critiques

1. L'arret dit que « [le deuxieme defendeur] doit etre mis hors de causeet que son appel principal est fonde », et que l'action de [lademanderesse] contre [la defenderesse] est prescrite. L'arret « confirmeles jugements entrepris des [6] avril et 8 septembre 2006 en tant qu'ils rec,oivent la demande originaire [du premier defendeur], condamnant [lademanderesse] à [lui] payer la somme de 7.461,60 euros en principal,allouent des interets moratoires aux taux legaux sur ce montant depuis lacitation en ordonnant leur capitalisation les 27 decembre 2000 et 30 aout2005, et accordent les interets judiciaires jusqu'au parfait payement, etstatuant à nouveau pour le surplus :

- condamne [la demanderesse] à payer en outre [au premier defendeur] lasomme de 4.065,47 euros en principal ;

- la condamne aux interets moratoires sur ce montant, echus aux tauxlegaux depuis la citation originaire, et ordonne la capitalisation de cesinterets les 27 decembre 2000, 30 aout 2005, 18 janvier 2008 et 19decembre 2011 ;

- ordonne la capitalisation des interets moratoires alloues par le premierjuge les 18 janvier 2008 et 19 decembre 2011 ;

- ordonne enfin la capitalisation des interets echus en vertu desjugements entrepris à la date du 19 decembre 2011 ;

- condamne [la demanderesse] envers [le premier defendeur] aux depens liquides à 373,19 euros pour la premiere instance et à 1.500 euros pourl'appel ;

- dit pour droit que l'appel en intervention et garantie de [lademanderesse] n'est pas recevable contre [le deuxieme defendeur] ;

- dit pour droit que cette demande en garantie est prescrite contre [ladefenderesse] ».

2. L'arret se fonde sur les motifs suivants :

« [La demanderesse] [demande] la condamnation [du deuxieme defendeur] etde la [defenderesse] à la garantir des condamnations prononcees contreelle en faveur [du premier defendeur]. Elle expose dans ses conclusionsdu 19 novembre 2007 que ni [le deuxieme defendeur] ni la [defenderesse]ne contestent que la reglementation imposant aux etudiants ressortissantsd'un Etat membre de la Communaute europeenne le paiement d'un droit complementaire d'inscription s'est faite en infraction avec le principe denon-discrimination prevu à l'epoque par l'(ancien) article 7 du Traite,de sorte qu'en tant qu'auteur de la violation du Traite ou successeur del'auteur ayant commis la violation, ils sont tenus de la garantirsolidairement et de lui rembourser les frais et depens de son action enintervention et garantie.

Il resulte du rapprochement des articles 59bis, S:S: 2, alinea 1er, 2DEG,6, alinea 1er, et 8, alinea 2, de la Constitution, 61, S: 1er alinea1er, de la loi de financement du 16 janvier 1989 et 91bis de la loispeciale du 8 aout 1980 de reformes institutionnelles qu'à partir du 1er janvier 1989, les communautes succedent aux droits et obligations del'Etat relatifs aux competences en matiere d'enseignement qui leur sonttransferees par la Constitution, y compris les droits et obligationsresultant de procedures judiciaires en cours et à venir.

Toutefois, le paragraphe 1er, alinea 6, de l'article 61 de la loi definancement precitee dispose que, `pour ce qui concerne les depensesautres que celles qui sont visees aux alineas 2, 3 et 4, l'Etat resteegalement tenu par les obligations existantes au 31 decembre 1998 : soitlorsque leur paiement est du à cette date, s'il s'agit de depenses fixesou de depenses pour lesquelles une declaration de creance ne doit pasetre produite ; soit, pour les autres dettes, lorsqu'elles sont certaineset que leur paiement a ete regulierement reclame à cette meme dateconformement aux lois et reglements en vigueur'.

Il n'est pas discute entre [le deuxieme defendeur] et la [defenderesse]que la creance indemnitaire invoquee par [la demanderesse] à l'appui deson appel en intervention et garantie est une depense qui devait etreproduite au sens des lois coordonnees sur la comptabilite de l'Etatauxquelles l'article 61 de la loi de financement precitee se refere(Cass., 2 novembre 1995, C.94.0186, www.juridat.be).

Cette creance ne pourrait des lors etre demeuree à charge [du deuxiemedefendeur] que si elle etait certaine et si son payement avait eteregulierement reclame avant le 1er janvier 1989.

Tel n'est pas le cas. En effet, la creance n'est pas certaine, fut-ce dansson principe, des lors que, pour en constater le bien-fonde, la cour[d'appel] doit verifier si les elements constitutifs de la responsabilitecivile de l'Etat belge sont reunis et justifient l'appel en interventionet garantie de [la demanderesse].

Contrairement à ce que [la demanderesse] et la [defenderesse] paraissentsoutenir, ces elements constitutifs - qui sont la faute, le dommage et lelien causal - ne resultent pas du seul constat que les droitsd'inscription litigieux ont ete declares contraires au Traite par la Courde justice.

Tant l'article 1382 du Code civil que la jurisprudence europeennecommandent de verifier si [le deuxieme defendeur] a commis une faute,soit qu'il n'aurait pas agi comme l'aurait fait un legislateurnormalement prudent et diligent, soit qu'il aurait meconnu une obligationde resultat que lui imposait le Traite sans pouvoir exciper d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, soit encore que lareglementation litigieuse constituerait, selon la jurisprudenceeuropeenne, une violation `suffisamment caracterisee' du Traite,questions que les parties n'abordent pas dans leurs conclusions d'appel.

La creance de [la demanderesse] est donc incertaine à ce jour (...).

[Le deuxieme defendeur] doit donc etre mis hors de cause et son appelprincipal est fonde.

La [defenderesse] excipe de la prescription du droit d'agir et de lacreance de [la demanderesse] à son encontre.

Il sera repondu à cette exception sans prejuger du bien-fonde de cettecreance.

Selon l'article 1er, a), de la loi du 6 fevrier 1970 relative à laprescription des creances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces et l'article 100, alinea 1er, 1DEG, de l'arrete royal du 17juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilite de l'Etat,sont prescrites et definitivement eteintes au profit de l'Etat lescreances qui, devant etre produites, ne l'ont pas ete dans le delai decinq ans à partir du premier janvier de l'annee budgetaire au cours delaquelle elles sont nees.

Jusqu'à l'entree en vigueur de la loi du 16 mai 2003 fixant lesdispositions generales applicables aux budgets, au controle dessubventions et à la comptabilite des communautes et des regions, ainsiqu'à l'organisation de la Cour des comptes, ces dispositions etaientegalement applicables aux communautes et aux regions en vertu del'article 71, S: 1er, de la loi de financement du 16 janvier 1989 (en cesens, voir : Cass., 7 juin 1996, Pas., 1996, I, 602) ; elles sont doncd'application au present litige.

Le delai de prescription de cinq ans vaut pour toutes les creances àcharge de l'Etat, sauf dispositions legales contraires, et il prend coursau moment de la naissance de la creance.

La creance nait, en regle, au moment auquel le dommage survient ou auquelsa realisation future est etablie selon des previsions raisonnables, sansqu'il soit exige qu'à ce moment l'ampleur du dommage puisse dejà etredeterminee avec precision (en ce sens, voir Cass., 29 septembre 2005,C.03.0317, www.juridat.be).

Le delai de prescription quinquennal n'est toutefois admissible au regarddes articles 10 et 11 de la Constitution que pour autant que le dommageet l'identite du responsable puissent etre constates par le prejudicieavant l'expiration du delai de prescription (Cour constitutionnelle,arret nDEG 17/2008 du 14 fevrier 2008).

En l'espece, la violation du Traite CEE remonte, comme on l'a vu, à desdispositions legales adoptees en 1976 et en 1986 mais leurs consequencesdommageables pour [la demanderesse] resultent de l'arret Blaizot du 2fevrier 1988 qui, ayant constate la violation du Traite CEE par lesdispositions legales litigieuses, indiquait quels droits payes seraientsusceptibles de restitution.

La prescription quinquennale de la creance indemnitaire de [lademanderesse] contre [le deuxieme defendeur] a donc pris cours le 1erjanvier 1988.

[Le deuxieme defendeur] ayant ete cite en intervention par [lademanderesse] avant cette date, cette prescription n'a pas commence àcourir contre lui.

La succession de la [defenderesse] [au deuxieme defendeur] s'analysecomme une novation par changement de debiteur (...).

Il s'ensuit que, le 1er janvier 1989, l'obligation litigieuse d'indemniser[la demanderesse] s'est eteinte dans le chef [du deuxieme defendeur]pour faire place à une obligation nouvelle dans le chef de la[defenderesse].

Un nouveau delai de prescription a donc pris cours contre la[defenderesse] à partir du 1er janvier 1989.

Les articles 68 et 100 de l'arrete royal du 10 decembre 1968 sur lereglement general de la comptabilite de l'Etat imposent en regle deproduire une creance indemnitaire par un etat de declaration ou decompte. Il est cependant admis qu'une citation en justice interromptvalablement la prescription.

Cependant, la [defenderesse], etant partie au litige en sa qualite desuccesseur [du deuxieme defendeur], ne devait pas etre citee ; il resteque [la demanderesse] n'a dirige son appel en garantie contre la[defenderesse] que par conclusions du 29 juin 2005, alors que son actionet sa creance eventuelle contre la [defenderesse] etaient prescrites.

Les depens

[La demanderesse] doit etre condamnee, envers [le premier defendeur], auxdepens de la premiere instance non liquides par le premier juge etliquides par [ce defendeur] à 373,19 euros et aux depens de l'appelliquides à 1.500 euros ».

Griefs

Premiere branche

1. Il est constant que la responsabilite de l'Etat peut etre engagee, entant que pouvoir legislatif, pour les fautes qu'il commet dans ce cadreet que le constat d'illiceite d'une disposition legislative avec unedisposition supranationale constitue necessairement une faute dans lechef de l'Etat belge en tant que pouvoir legislatif. Toutefois, ce constat d'illiceite ne dispense pas le juge de constater l'existence desautres elements constitutifs de la responsabilite au sens des articles1382 et 1383 du Code civil.

En effet, ces articles requierent l'existence d'une faute, d'un dommage etd'un lien causal entre les deux. La faute extracontractuelle peut sepresenter sous deux aspects : ou bien, c'est un acte ou une abstentionqui meconnait une norme de droit international ayant des effets directsdans l'ordre juridique national ou une norme de droit interne imposant àdes sujets de droit de s'abstenir ou d'agir de maniere determinee ; oubien, il s'agit d'un acte ou d'une abstention qui, sans constituer unmanquement à de telles normes, s'analyse en une erreur de conduite,laquelle doit etre appreciee suivant le critere d'une personnenormalement prudente et diligente placee dans les memes conditions.

2. L'arret commence par relever que la Cour de justice avait, par sesarrets du 13 fevrier 1985 (dit Gravier) et du 2 fevrier 1988 (dit Barra), considere que les conditions d'acces à la formation professionnellerelevaient du domaine d'application du Traite instituant la Communauteeuropeenne de sorte que l'imposition d'une redevance, d'un droitd'inscription ou d'un minerval aux etudiants ressortissants des autresEtats membres alors qu'une meme charge n'etait pas imposee aux etudiantsnationaux constituait une discrimination en raison de la nationalite prohibee par les dispositions de droit communautaire visees au moyen.

L'arret poursuit en mettant en evidence que, par ses arrets du 2 fevrier1988 (dit Blaisot) et du 3 mai 1994, la Cour de justice a enonce que lesetudes universitaires relevaient de la notion de « formationprofessionnelle » et qu'en consequence, en adoptant la loi du 27 juillet1971 relative au financement et au controle des institutionsuniversitaires, [le deuxieme defendeur] avait manque aux obligations qui lui incombaient en vertu des dispositions de droit communautaire visees aumoyen.

L'arret constate ensuite que [le premier defendeur] s'est acquitte dupayement des droits d'inscription litigieux, que « ce payement estillicite [...] en raison d'une legislation declaree contraire au Traite» et que ce payement l'a, en consequence, « prive d'une partie de [sa]bourse d'etude », de sorte que « [la demanderesse] doit donc [lui]restituer 4.065,47 euros, venant s'ajouter aux 7.461,60 euros alloues parle premier juge ».

L'arret refuse toutefois de faire droit à la demande en intervention etgarantie formee par [la demanderesse] contre [le deuxieme defendeur],aux motifs que i) l'article 61, S: 1er, alinea 6, de la loi speciale du16 janvier 1989 ne prevoit le maintien des dettes devant etre produites àcharge [du deuxieme defendeur] que si elles sont certaines et ont eteregulierement reclamees avant le 31 decembre 1988 ; ii) « il n'est pasconteste que [...] la creance indemnitaire invoquee par [la demanderesse]à l'appui de son appel en intervention et garantie est une depense quidevait etre produite » ; iii) « la creance n'est pas certaine, fut-cedans son principe, des lors que, pour en constater le bien-fonde, la cour[d'appel] doit verifier si les elements constitutifs de la responsabilitecivile [du deuxieme defendeur] sont reunis », et que iv) « ces elementsconstitutifs - qui sont la faute, le dommage et le lien causal - neresultent pas du seul constat que les droits d'inscription litigieux ont ete declares contraires au Traite par la Cour de justice ».

Or, par ses considerations precitees, l'arret admet, en realite, i)l'existence de la violation, par [le deuxieme defendeur], desdispositions de droit communautaire visees au moyen ; ii) l'existenced'un dommage par repercussion, sous la forme « d'une depense » de [lademanderesse] correspondant au montant, augmente des interets moratoires, qu'elle doit restituer [au premier defendeur] à la suite dupayement illicite qu'elle lui a reclame ; iii) la circonstance que cepayement et le dommage qui en resulte sont les consequences del'adoption, par [le deuxieme defendeur], des dispositions incriminees dela loi litigieuse.

Ce faisant, l'arret constate l'existence d'une faute, d'un dommage et d'unlien de causalite entre les deux et, partant, de tous les elementsconstitutifs de la responsabilite [du deuxieme defendeur], agissant dansle cadre de son pouvoir legislatif. Neanmoins, l'arret rejette la demandeen intervention et en garantie formee par [la demanderesse] àl'encontre [du deuxieme defendeur] au motif que la creance de cettederniere n'est pas certaine puisque, « pour en constater le bien-fonde,la cour [d'appel] doit verifier si les elements constitutifs de laresponsabilite civile [du deuxieme defendeur] sont reunis ». L'arret n'apu legalement proceder à cette deduction sur la base de ses constatationsprecitees.

3. En consequence, en decidant, sur la base de ses constatations, que« la creance de [la demanderesse] n'est pas certaine, fut-ce dans sonprincipe » avant le 1er janvier 1989, de sorte que [le deuxiemedefendeur] doit etre mis hors de cause, l'arret viole les articles 1382 et 1383 du Code civil, l'article 61, specialement S: 1er, alinea 6, de laloi speciale du 16 janvier 1989, ainsi que les dispositions de droitcommunautaire visees au moyen.

Seconde branche

1. Il est constant qu'aux termes de l'article 61, S: 1er, alinea 1er, dela loi du 16 janvier 1989, les communautes et les regions succedent auxdroits et obligations de l'Etat relatifs aux competences qui leur sontattribuees par la loi du 8 aout 1988 modifiant la loi speciale du 8 aout1980 de reformes institutionnelles, y compris les droits et obligationsresultant de procedures judiciaires en cours et à venir.

Or, en regle, aux termes de l'article 1er de la loi du 6 fevrier 1970 etde l'article 100 de l'arrete royal du 17 juillet 1991, sont prescrites etdefinitivement eteintes au profit de l'Etat, les creances qui doiventetre produites, selon les modalites fixees par la loi ou le reglement, etqui ne l'ont pas ete dans un delai de cinq ans à partir du premierjanvier de l'annee budgetaire au cours de laquelle elles sont nees.

Il resulte par ailleurs des articles 2 de la loi du 6 fevrier 1970, 100 et101 de l'arrete royal du 17 juillet 1991 et 2244 du Code civil qu'unecitation en justice a pour effet d'interrompre la prescription jusqu'àla prononciation d'une decision definitive.

Au demeurant, par son arret du 1er juin 2005, la Cour constitutionnelle adit pour droit que les articles 100 et 101 de l'arrete royal du 17juillet 1991 violent les articles 10 et 11 de la Constitution en cequ'ils ne permettent pas au creancier qui agit en justice contre l'Etatd'interrompre la prescription prevue par ces dispositions s'il ne produitpas prealablement de creance conformement aux modalites visees par cesmemes dispositions.

2. L'arret admet, en substance, que la [defenderesse] a succede [audeuxieme defendeur] à dater du 1er janvier 1989, soit au cours de laprocedure litigieuse.

Toutefois, il estime que la creance de [la demanderesse] à charge de la[defenderesse] est eteinte aux motifs que i) un nouveau delai deprescription quinquennale a pris cours contre [cette defenderesse] àpartir du premier janvier 1989, soit au jour de la succession ; ii) la[defenderesse] a succede [au deuxieme defendeur] sans avoir ete citee à la procedure ; iii) ce n'est qu'en 2005 que [la demanderesse] a dirigeson appel en garantie contre la [defenderesse].

L'arret constate par ailleurs que « la prescription quinquennale de lacreance indemnitaire de [la demanderesse] contre [le deuxieme defendeur]a [...] pris cours le 1er janvier 1988 » et que « [le deuxiemedefendeur] ayant ete cite en intervention par [la demanderesse] avantcette date, cette prescription n'a pas commence à courir contre lui ».

Or, des lors que la [defenderesse] succede « aux droits et obligations[du deuxieme defendeur] [...], y compris les droits et obligationsresultant de procedures judiciaires en cours ou à venir », et que laprescription de l'action de [la demanderesse] contre [le deuxiemedefendeur] a ete interrompue par la citation du 6 juillet 1987 à chargede ce dernier, l'interruption de la prescription s'impose necessairement,par l'effet de cette succession, à la [defenderesse]. La prescription n'ades lors commence à courir au profit de cette derniere qu'à dater dujugement definitif rendu le 8 septembre 2006 et apres avoir ete une nouvelle fois interrompue par l'appel incident introduit par [lademanderesse] contre la [defenderesse].

3. En consequence, en decidant, sur la base de ses constatations, que« [l'] action [de la demanderesse] et sa creance eventuelle contre la[defenderesse] etaient prescrites », l'arret viole les articles 1er et 2de la loi du 6 fevrier 1970, 100 et 101 de l'arrete royal du 17 juillet1991 et 2244 du Code civil ainsi que l'article 61, specialement S: 1er,alinea 1er, de la loi speciale du 16 janvier 1989.

III. La decision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposee d'office au pourvoi par le ministerepublic conformement à l'article 1097 du Code judiciaire en tant qu'il estdirige contre le premier defendeur :

Le moyen ne critique pas la decision de la cour d'appel, statuant sur lademande du premier defendeur dirigee contre la demanderesse, qui condamnecelle-ci à lui payer diverses sommes.

La fin de non-recevoir est fondee.

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

Pour decider que le deuxieme defendeur doit etre mis hors de cause,l'arret considere que « la creance indemnitaire invoquee par [lademanderesse] à l'appui de son appel en intervention et garantie [contrece defendeur] [...] ne pourrait etre demeuree à charge de [celui-ci] quesi elle etait certaine » au sens de l'article 61, S: 1er, alinea 6, de laloi speciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautes etdes regions et que « tel n'est pas le cas » des lors que « les elementsconstitutifs de la responsabilite civile » dudit defendeur ne sont pasreunis.

L'article 1382 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme,qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il estarrive à le reparer.

Sous reserve de l'existence d'une erreur invincible ou d'une autre caused'exoneration de la responsabilite, le legislateur commet une fautelorsqu'il prend une reglementation qui meconnait une norme de droitcommunautaire lui imposant de s'abstenir d'agir de maniere determinee, desorte qu'il engage sa responsabilite civile si cette faute est cause d'undommage.

L'arret constate que « les droits d'inscription litigieux ont etedeclares contraires au Traite par la Cour de justice ».

En considerant que « [les] elements constitutifs [de la responsabilitecivile du deuxieme defendeur] ne resultent pas [de ce] seul constat » etque « tant l'article 1382 du Code civil que la jurisprudence europeennecommandent de verifier si [ce defendeur] a commis une faute [...] [en]meconn[aissant] une obligation de resultat que lui imposait le Traite sanspouvoir exciper d'une erreur invincible ou d'une autre cause dejustification », l'arret, qui ne constate pas, ainsi, l'existence d'unefaute engageant la responsabilite civile dudit defendeur, justifielegalement sa decision que « la creance de [la demanderesse] est encoreincertaine à ce jour ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la seconde branche :

L'article 61, S: 1er, alinea 1er, de la loi speciale du 16 janvier 1989consacre la succession des regions et des communautes à l'Etat dans lesprocedures judiciaires en cours.

Cette novation legale par changement de debiteur a pour effet de fairedisparaitre l'obligation ancienne et d'y substituer une obligationnouvelle.

La prescription est, des lors, reglee suivant les principes applicables àla nouvelle obligation.

L'arret constate qu'« à partir du 1er janvier 1989, lescommunautes succedent aux droits et obligations de l'Etat relatifs auxcompetences en matiere d'enseignement qui leur sont transferees par laConstitution », que « [la defenderesse] [etait] partie au litige en saqualite de successeur [du deuxieme defendeur] » et que la demanderesse« a dirige son appel en garantie contre la defenderesse [...] parconclusions du 29 juin 2005 ».

L'arret releve que « le delai de prescription [est] de cinq ans » et que« la prescription [...] de la creance indemnitaire de [la demanderesse]contre [le deuxieme defendeur] a [...] pris cours le 1er janvier 1988 ».

L'arret considere que « la succession de la [defenderesse] au [deuxiemedefendeur] s'analyse comme une novation par changement de debiteur »,que, des lors, « le 1er janvier 1989, l'obligation d'indemniser [lademanderesse] s'est eteinte dans le chef [du deuxieme defendeur] pourfaire place à une obligation nouvelle dans le chef de la[defenderesse] » et qu'« un nouveau delai de prescription quinquennale apris cours contre [la defenderesse] à partir du

1er janvier 1989 ».

Par ces enonciations, l'arret justifie legalement sa decision que

« [l'] action [de la demanderesse] contre la [defenderesse] etaitprescrite ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de mille septante et un euros quarante-huitcentimes envers la partie demanderesse, à la somme de cent trente-quatreeuros quatre centimes envers la deuxieme partie defenderesse et à lasomme de quatre cent cinq euros quarante centimes envers la troisiemepartie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du trente avril deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

30 AVRIL 2015 C.12.0637.F/16


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0637.F
Date de la décision : 30/04/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-04-30;c.12.0637.f ?
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