La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2015 | BELGIQUE | N°S.13.0128.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mai 2015, S.13.0128.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.13.0128.F

J. V.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

OFFICE NATIONAL DES PENSIONS, etablissement public dont le siege estetabli à Saint-Gilles, Tour du Midi, place Bara, 3,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bra

s, 6, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dir...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.13.0128.F

J. V.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

OFFICE NATIONAL DES PENSIONS, etablissement public dont le siege estetabli à Saint-Gilles, Tour du Midi, place Bara, 3,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 10 septembre2013 par la cour du travail de Liege, section de Namur.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 10, 11, 14, 23 et 159 de la Constitution ;

- article 2 du Code penal ;

- article 6 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernantl'administration penitentiaire ainsi que le statut juridique des detenus ;

- principe general du droit suivant lequel le juge ne peut appliquer unedecision, notamment une norme, qui viole une disposition superieure.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit l'appel du defendeur recevable et fonde. Il reforme lejugement du premier juge qui accueillait le recours du demandeur en cestermes : « ecarte l'article 70 de l'arrete royal du 21 decembre 1967 enapplication de l'article 159 de la Constitution ; dit en toute hypotheseque cet article [70] viole les articles 10 et 11 de la Constitution ;condamne en consequence [le defendeur] au paiement de la pension deretraite [du demandeur] suspendu à partir de sa prise de cours le 1erjanvier 2010, outre les interets au taux legal sur les sommes dues àpartir de leur exigibilite ; condamne [le defendeur] aux frais et depensde l'instance liquides à la somme de 240,50 euros, etant l'indemnite deprocedure ». Il dit en consequence le recours du demandeur non fonde etl'en deboute.

L'arret fonde sa decision sur les motifs qu'il enonce sous le point 6,« Fondement », tenus ici pour integralement reproduits, et specialementsur les considerations suivantes :

« 6.2.1. La portee de la loi [de principes] du 12 janvier 2005[concernant l'administration penitentiaire ainsi que le statut juridiquedes detenus]

La loi du 12 janvier 2005 poursuit l'objectif suivant : `Cette propositionde loi vise à instaurer un cadre legal moderne pour regler le statutjuridique interne (c'est-à-dire le statut juridique au cours de laprivation de liberte « dans l'enceinte » de la prison) des detenuscondamnes et des detenus inculpes, prevenus et accuses. Elle definitegalement les principes de fonctionnement qui en decoulent pourl'administration penitentiaire'. [...]

De ces extraits des travaux preparatoires, il peut etre deduit que la loin'entend pas, nonobstant son article 6, modifier les dispositionsexistantes dans les divers secteurs de la securite sociale, dispositionsqui limitent les droits des detenus à la securite sociale.

Le legislateur n'ignorait cependant pas, lorsqu'il a adopte la loi du 12janvier 2005, que le detenu ne jouit pas des droits issus de la securitesociale au meme titre qu'un assure social qui n'est pas prive de saliberte. Il ne s'est cependant pas penche plus avant sur cetteproblematique bien que la representante de l'Observatoire internationaldes prisons ait souligne combien une reforme fondamentale du statut desdetenus à l'egard de la securite sociale, dans l'esprit du principe denormalisation, constitue une tache necessaire. Au demeurant, deuxpropositions de loi (Doc. 53 1911/001 et Doc 53 1911/001) ont eterecemment deposees.

Des lors, il ne peut etre deduit de l'article 6 de la loi du 12 janvier2005 et des principes qu'elle contient que le detenu est en droit depretendre en matiere de securite sociale aux memes droits que tout autreassure social.

Par consequent, il faut s'en tenir à la reglementation en matiere depension et examiner si elle contient une discrimination.

6.2.2. La nature de la legislation specifique en matiere de pension

L'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50 mis en oeuvre par l'article70 de l'arrete royal du 21 decembre 1967, comme l'article 31, 5DEG, del'arrete royal nDEG 72 du 10 novembre 1967 mis en oeuvre par les articles147 et 185 de l'arrete royal du 22 decembre 1967 en matiere de pensiondans le secteur independant, prevoit que le Roi peut determiner les casdans lesquels les prestations sont suspendues notamment en cas dedetention.

Ces deux articles 31, 5DEG, figurent tous deux dans un arrete royal prisen vertu de pouvoirs speciaux et constituent des lois dont laconstitutionnalite peut, pour autant que l'arrete ait ete confirme par uneloi, etre examinee par la Cour constitutionnelle conformement à la loi du6 janvier 1989 (Fr. Rigaux, `La jurisprudence de la Cour d'arbitrage enmatiere de droit social', J.T.T., 1999, p. 161, spec. p. 162, sous I. 1. ;C.A., 3 decembre 1998, J.T.T., 1999, p. 166).

Ces dispositions figuraient dejà dans les arretes nDEG 50 et nDEG 72avant leur modification par la loi du 25 janvier 1999.

Des modifications apportees à un arrete de pouvoirs speciaux par un autrearrete pris en vertu d'une loi qui habilite le Roi à modifier, completeret eventuellement abroger des dispositions legislatives constituent unacte reglementaire des lors qu'il n'a pas ete confirme lui-meme par uneloi. La modification ulterieure de ce texte reglementaire par une loi nelui fait pas perdre son caractere de texte reglementaire s'il s'agit d'unesimple mise en concordance de textes (C.A., 5 decembre 2002, J.T.T., 2004,p. 183). Il en va de meme si l'arrete de base n'a pas ete ulterieurementconfirme comme il se doit.

Or, en l'espece, l'article 31, 5DEG, des deux arretes royaux pris dans lecadre des pouvoirs speciaux n'a pas ete, comme l'integralite de cesarretes, approuve par une loi de confirmation (C.A., 15 juillet 1993, nDEG437/93, J.T.T., 1994, p. 153). La modification de pure forme intervenuepar la loi du 25 janvier 1999 n'ote pas à la disposition querellee savaleur reglementaire.

Par consequent, c'est à juste titre que le premier juge a examine lacompatibilite du texte incrimine avec l'article 159 de la Constitution,etant entendu que l'examen de compatibilite doit cependant porter tant surl'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50 que sur l'article 70 del'arrete royal portant reglement general, qui met en oeuvre [cette]disposition.

6.2.3. L'existence potentielle d'une discrimination

Si le droit à la pension n'est pas influence par le fait que l'assuresocial soit detenu, la detention entraine, sur la base des dispositionsvisees ci-dessus, une suspension du paiement apres une periode d'un an dedetention ininterrompue et ce, que le detenu atteigne l'age de la pensionavant ou pendant sa detention (V. Van der Plancke et G. Van Limbergen, Lasecurite sociale des (ex-)detenus et de leurs proches, La Charte, 2008,pp. 335 et ss.).

La justification est à trouver dans le fait que l'Etat intervient dans lefinancement des pensions et qu'il n'est pas justifie que les detenuspuissent encore pretendre à une intervention de l'Etat sous forme d'unepension alors qu'ils sont dejà à charge des pouvoirs publics du fait deleur emprisonnement (memes auteurs, p. 339).

Il est un fait que l'Office national de securite sociale transmet [audefendeur] les moyens qui lui sont necessaires pour payer les pensions etque si cet office est principalement alimente par les cotisations, ycompris celles des travailleurs, l'Etat doit completer les recettes par leversement de subventions (cf. rapport annuel de l'Office de 2012).

V. Van der Plancke et G. Van Limbergen ecrivent, non sans pertinence, qu'« il appartient finalement au legislateur de definir les motifs desuspension d'une allocation de securite sociale, jouissant d'ailleurs enla matiere d'une tres grande liberte d'appreciation. Nous pouvons admettreque le legislateur peut suspendre le paiement d'allocations, au motif etpour autant qu'une autorite publique soit responsable de la subsistancedes detenus, meme si le risque social assure continue d'exister en tantque tel pendant la periode de detention. [...] Le legislateur peutegalement tenir compte qu'il n'est pas habituel d'exiger des detenus unecontribution à la subsistance. La suspension d'une pension pour cesmotifs ne meconnait ni le principe d'egalite ni l'interdiction desatteintes illegitimes à des droits de propriete. Les mesures legales enla matiere doivent bien entendu faire preuve de coherence et lelegislateur doit aussi eviter, au risque de violer le principe deproportionnalite, d'imposer des charges disproportionnees à desjusticiables individuels. Il resulte en l'espece de la suspension de lapension que les detenus ayant droit à la pension et les detenus quiperdent [du fait de la detention] leurs revenus du travail sont traitesplus equitablement. La periode de detention est consideree, d'une certainefac,on, comme une periode neutralisee. Lorsque les modalites d'executionde la peine autorisent le detenu à exercer un travail professionnel ous'il continue à beneficier d'une autre maniere de revenus professionnels,le principe d'equite [n'] est preserve que dans la mesure ou il seraitdemande à la personne concernee de contribuer aux frais de sa subsistanceen prison : c'est le cas lorsque le detenu beneficie d'une mesure dedetention limitee et qu'il perc,oit un salaire ». Les memes auteurssoulignent que, si le paiement de la pension pendant la premiere annee dedetention fragilise la logique du systeme, il s'agit cependant d'uneexception qui ameliore l'execution pratique des mesures legales (notammenten cas de detention injustifiee) et qui, au surplus, respecte au mieux leprincipe de proportionnalite compte tenu de la periode transitoireconcernee, le legislateur etant libre d'apprecier si le delai doit etreplus court ou plus long. Par contre, ils s'interrogent sur le respect duprincipe de proportionnalite lorsque le montant retenu depasse les fraisd'entretien ou la contribution du detenu à ceux-ci.

Pour ces auteurs, c'est au legislateur de determiner l'instrument le plusapproprie et, en Belgique, le service public federal de la Justice a rec,ula mission de prendre en charge les detenus. Ils pronent le prelevementd'une contribution pour les frais d'entretien et d'hebergement encompensation de la poursuite du paiement des prestations sociales(lesquelles ? des lors que la poursuite du paiement de certaines d'entreelles, comme les allocations de chomage, ne se conc,oit pas). Les auteursconcluent qu' `il appartient finalement au legislateur de soupeser lesavantages et les inconvenients des differentes options politiques'.

A supposer que le texte de l'arrete soit considere comme discriminatoire,quelle decision peut prendre le juge qui l'ecarte ? [...]

[Il] ne suffit pas d'ecarter un texte pour allouer necessairement un droitsans se preoccuper des dispositions ainsi ecartees. Le juge doit appreciers'il peut combler la lacune creee par l'ecartement de la norme.

6.3. Leur application en l'espece

Il convient des l'abord de relever que, dans les branches de la securitesociale sensu stricto (risques professionnels exclus), y compris lesregimes residuaires comme les allocations aux personnes handicapees et lerevenu d'integration, des dispositions similaires à celles qui sont envigueur [en matiere] de pension sont prises en vue de suspendre totalementou de limiter le droit durant la detention.

Tous les detenus ont par ailleurs droit à une aide sociale octroyee encas de besoin aux detenus indigents.

Il n'y a pas de difference de traitement injustifiee entre les assuressociaux selon qu'ils beneficiaient ou sont en droit de pretendre à uneprestation sociale dont le financement est assure, fut-ce partiellement,par l'Etat.

L'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50 etablit une difference detraitement entre les pensionnes detenus et les autres puisque les detenusne peuvent percevoir leur pension que dans certains cas et pour une dureelimitee.

Cette difference de traitement est-elle justifiee objectivement etraisonnablement ?

Le fait que les detenus soient durant leur detention pris en charge parl'Etat, sans qu'il soit à cet egard pertinent d'operer une distinctionbudgetaire selon le service public federal qui intervient, est unejustification objective. La question du caractere raisonnable de cettedifference de traitement est une question d'ordre politique qui aura unereponse positive ou negative selon les appreciations subjectives des unset des autres.

Il n'appartient pas au juge de se positionner à cet egard des lors que ladifference de traitement n'est pas manifestement deraisonnable nidepourvue de toute justification. Il incombe au legislateur de sepositionner s'il entend modifier les dispositions legales qui actuellementpermettent l'octroi de certaines prestations sociales et pas d'autres. Ils'agit d'un choix de nature politique.

L'article 70 de l'arrete royal prevoit que le pensionne conserve le droità la pension pendant la premiere annee de detention.

Ainsi que le relevent les auteurs cites ci-dessus, le maintien d'un droitpendant douze mois est une mesure de faveur qui donne au pensionne letemps de s'adapter à son entree dans le milieu carceral. L'extension decette mesure aux autres pensionnes ne se justifie pas raisonnablementcompte tenu du fait que le detenu est pris en charge par l'Etat et quecette detention represente un cout important pour la societe.

Au demeurant, le detenu prive de travail du fait de la detention et celuiqui est prive d'allocations de chomage du fait de sa non-disponibilite,pour ne retenir que ces exemples, seraient discrimines par rapport auxdetenus pensionnes si la pension continuait à leur etre versee. Ladetention est ainsi consideree pour tous `comme une periode neutralisee'du fait que le detenu est pris en charge par l'Etat.

Certes, l'ideal serait le maintien du droit à la pension assorti de lapossibilite pour l'administration penitentiaire d'obtenir le paiement detout ou partie des frais lies à la detention mais, comme le soulignentles deux auteurs cites, une intervention des detenus dans les fraisd'hebergement n'est pas la regle en Belgique. Et à supposer que lalegislation evolue en ce sens, ce qui ne semble pas etre le cas au vu despropositions de loi deposees, c'est au legislateur, et non au juge quistatue au cas par cas, de decider des modalites de l'importance de cetteintervention de fac,on à harmoniser les regles ainsi qu'à eviter touteforme de traitement inegal entre detenus.

La question de la discrimination est assurement delicate à regler maisforce est de constater que le detenu indigent n'est pas sans revenu aucunpuisqu'il peut obtenir une aide du service social de la prison (via lacaisse d'entraide des detenus) et meme une aide complementaire du centrepublic d'action sociale en cas de besoin. Or, l'octroi potentiel de cetteaide sociale, dernier filet protecteur en matiere de securite sociale, aete à maintes reprises considere par la Cour constitutionnelle commesuffisant pour valider une difference de traitement.

[Le demandeur] n'etablit pas que les dispositions incriminees etablissentune difference de traitement non raisonnablement justifiee et nonproportionnee.

L'appel est fonde ».

Griefs

Il suit tant de l'article 159 de la Constitution que du principe generaldu droit vise au moyen que le juge ne peut appliquer un textereglementaire - notamment un arrete royal - qui est contraire à la loi ouà la Constitution.

Ce principe ne rec,oit aucune exception ; il n'y a pas lieu à cet egardde s'interroger sur le point de savoir si l'ecartement de ce textereglementaire ferait naitre ou non une lacune que le juge peut combler.

L'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 relatifà la pension de retraite et de survie des travailleurs salaries permet auRoi de determiner les cas dans lesquels les prestations de cet arrete sontsuspendues à l'egard des beneficiaires detenus dans les prisons ouinternes dans les etablissements de defense sociale, ainsi que la duree desuspension.

L'article 70 de l'arrete royal du 21 decembre 1967 portant reglementgeneral du regime de pension de retraite et de survie des travailleurssalaries dispose à cet egard que :

« S: 1er. Les pensions de retraite et de survie sont suspendues pour laduree de leur incarceration à l'egard des beneficiaires detenus dans lesprisons ou des beneficiaires internes dans les etablissements de defensesociale ou des depots de mendicite.

S: 2. La jouissance de leur pension peut cependant leur etre maintenueaussi longtemps qu'ils n'ont pas subi de fac,on continue douze moisd'incarceration.

S: 3. Les beneficiaires pourront pretendre à leur pension pour la dureede leur detention preventive, à condition pour eux d'etablir qu'ils ontete acquittes par une decision de justice passee en force de chose jugeedu chef de l'infraction qui a donne lieu à cette detention.

Il en est de meme dans les cas de non-lieu ou de mise hors de cause ».

Premiere branche

Aux termes de l'article 14 de la Constitution, nulle peine ne peut etreetablie ou appliquee qu'en vertu d'une loi.

L'article 6 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernantl'administration penitentiaire ainsi que le statut juridique des detenusenonce quant à lui :

« S: 1er. Le detenu n'est soumis à aucune limitation de ses droitspolitiques, civils, sociaux, economiques ou culturels autre que leslimitations qui decoulent de sa condamnation penale ou de la mesureprivative de liberte, celles qui sont indissociables de la privation deliberte et celles qui sont determinees par ou en vertu de la loi.

S: 2. Durant l'execution de la peine ou mesure privative de liberte, ilconvient d'empecher les effets prejudiciables evitables de ladetention ».

Ce texte clair vise tous les droits politiques, civils, sociaux,economiques ou culturels, parmi lesquels notamment le droit à la securitesociale vise par l'article 23, specialement alinea 3, 2DEG, de laConstitution. Il ne comporte en effet aucune reserve en cette matiere.

Il s'explique par la volonte du legislateur de se soumettre à l'article14 de la Constitution, dont l'article 2 du Code penal fait uneapplication, en excluant que soit ajoute un « element punitif » qui neserait « dejà contenu dans la privation de la liberte d'aller et devenir », la peine « imposee au detenu [etant] exclusivement la privationde liberte de mouvement - sous reserve des peines accessoireseventuelles » (voy. expose du ministre de la Justice, Rapport fait au nomde la commission de la Justice de la Chambre des representants parMonsieur Andre Perpete, Doc. parl., Ch. repr., session 2003-2004, doc. 51nDEG 0231/015, p. 14).

Par ailleurs, en l'espece, d'une part, la suspension du paiement despensions de retraite et de survie aux detenus ne decoule pas d'un textelegal, mais d'un texte reglementaire - l'article 70 de l'arrete royal du21 decembre 1967 precite - pris de surcroit de l'execution d'un autretexte dont l'arret reconnait le caractere reglementaire en depit de samodification de « pure forme » par la loi du 25 janvier 1999 - l'article31 de l'arrete royal nDEG 50 vise au moyen.

D'autre part, cette suspension ne constitue pas une suite indissociable dela condamnation penale du detenu ou d'une mesure privative de liberte. Laprestation sociale que constitue la pension de retraite et de survie,contrepartie de cotisations du travailleur et de son employeur pendant uneperiode determinee, n'est en effet pas privee d'objet par la detention.Pareille detention ne prive par ailleurs pas le detenu de ses biens ni deses revenus eventuels qu'il est en droit de percevoir.

Il s'ensuit que l'arret n'a pu legalement decider que l'article 70 del'arrete royal du 21 decembre 1967 etait legal et applicable en l'especeau motif que l'article 6 de la loi du 12 janvier 2005 n'avait pas eu pourobjet de remettre en cause la reglementation existante dans les diverssecteurs de la securite sociale et, notamment, en matiere de pension.

En effet, ce faisant, l'arret :

1DEG meconnait la portee generale de l'article 6 de la loi du 12 janvier2005 qui, tendant à assurer le respect de l'article 14 de laConstitution, ne comporte aucune reserve en matiere de securite sociale(violation des articles 6 de la loi de principes du 12 janvier 2005concernant l'administration penitentiaire ainsi que le statut juridiquedes detenus et 14 de la Constitution et, en tant que de besoin, 2 du Codepenal) et viole, par suite, l'article 23 de la Constitution en refusant decompter parmi les droits sociaux du detenu le droit à la securitesociale ;

2DEG viole les articles 6 de la loi de principes du 12 janvier 2005concernant l'administration penitentiaire ainsi que le statut juridiquedes detenus, 14 de la Constitution et 2 du Code penal en admettant unederogation au principe enonce à l'article 6, S: 1er, de ladite loi du 12janvier 2005, qui ne resulte pas d'un texte legal et qui ne constitue pasune suite indissociable de la privation de liberte ;

3DEG viole des lors l'article 159 de la Constitution et le principegeneral du droit vise au moyen en appliquant un texte reglementairecontraire à la loi et à la Constitution.

Seconde branche

La regle de l'egalite des Belges devant la loi, contenue dans l'article 10de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissancedes droits et libertes qui leur sont reconnus, contenue dans l'article 11de celle-ci, impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la memesituation soient traites de la meme maniere mais n'excluent pas qu'unedistinction soit faite entre differentes categories de personnes pourautant que le critere de distinction soit susceptible de justificationobjective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doits'apprecier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ; leprincipe de l'egalite est viole lorsqu'il est etabli qu'il n'existe pas derapport raisonnable de proportionnalite entre les moyens employes et lebut vise.

Premier rameau

L'article 70, S: 1er, de l'arrete royal du 21 decembre 2010 portantreglementation generale du regime de pension de retraite et de survie destravailleurs salaries, qui suspend le paiement de la pension de retraiteet de survie pendant la duree de sa detention, prive le detenu ayant droità pareille pension de cette source de revenu alors [que] les detenus nonpensionnes en vertu d'un regime de securite sociale belge peuventcontinuer à percevoir l'integralite des revenus dont ils disposent, ycompris les pensions qu'ils percevaient en vertu de regimes de securitesociale etrangers.

S'il est vrai que la distinction entre detenus disposant d'une pension deretraite due en vertu d'un regime de securite sociale belge et les detenusne repondant pas à cette condition repose sur un critere objectif, cettedistinction ne repose sur aucune justification objective et raisonnable.

En effet, d'une part, elle ne se justifie pas raisonnablement au regard dela nature du droit à la pension qui trouve sa cause dans une carriereprofessionnelle ecoulee et les cotisations sociales qui ont ete preleveesdurant celle-ci - ce qui exclut que l'on puisse comparer un detenupensionne et un detenu prive par l'effet de sa detention de revenusprofessionnels, contrairement à ce que considere l'arret.

D'autre part, elle ne peut raisonnablement etre justifiee par la prise encharge par l'Etat des frais d'entretien du detenu pensionne des lors queles detenus non pensionnes ou pensionnes en vertu de regimes de securitesociale etrangers ne sont en rien appeles à contribuer à leurs fraisd'entretien, meme s'ils disposent de revenus importants - ce que l'arretreconnait du reste.

En toute hypothese, cette difference de traitement ne presente pas derapport de proportionnalite par rapport à ce dernier but des lors quec'est l'integralite du montant de la pension dont le paiement est suspendusans avoir egard au cout de la journee d'entretien du detenu.

Il s'ensuit qu'en considerant que l'article 70, S: 1er, de l'arrete royaldu 21 decembre 2007 ne meconnait pas les articles 10 et 11 de laConstitution, l'arret viole ces dispositions constitutionnelles et, parsuite, l'article 159 de la Constitution et le principe general du droitvise au moyen en faisant application de l'article 70, S: 1er, de l'arreteroyal du 21 decembre 1967 alors qu'il est inconstitutionnel.

Deuxieme rameau

Il suit de l'article 70, S: 2, de l'arrete royal du 21 decembre 1967portant reglementation generale du regime de pension de retraite et desurvie des travailleurs salaries que celui-ci permet le maintien du droitdu detenu à la pension aussi longtemps qu'il n'a pas subi de fac,oncontinue douze mois d'incarceration.

Le detenu qui disposait dejà d'une pension de retraite avant sonincarceration voit donc ses droits maintenus pendant un an. Le detenu dontle droit à la pension est ne au cours de sa premiere anneed'incarceration aura de meme droit au paiement de sa pension jusqu'auterme de cette premiere annee. En revanche, le detenu qui, comme ledemandeur, acquiert le droit à la pension apres un an d'incarceration estprive totalement de celle-ci.

Si les distinctions operees ainsi par l'article 70, S: 2, de l'arreteroyal du 21 decembre 1967 reposent sur des criteres objectifs (la duree del'incarceration), ces distinctions ne reposent sur aucune justificationraisonnable et objective.

En effet, d'une part, ainsi qu'il a ete souligne au premier rameau, cettedistinction ne peut etre justifiee par la prise en charge des fraisd'entretien du detenu par l'Etat. D'autre part, s'il s'agit de donner audetenu le temps de s'adapter à son entree dans le milieu carceral, onn'aperc,oit pas le motif qui conduit à permettre le versement d'un an depension au detenu dont le droit s'ouvre le jour de son incarceration et dereduire ce versement du au detenu dont le droit s'ouvre dans l'annee deson incarceration. Enfin, il n'existe pas de justification raisonnable àfaciliter l'adaptation du detenu à la vie carcerale en lui versantjusqu'à un an de pension de retraite et à ne pas faciliter l'adaptationdu detenu à son retour à la liberte en ne lui versant pas pareilsmontants qui pourraient cependant aider à sa reinsertion dans la societe.

En toute hypothese, ces differences de traitement ne presentent pas, pources memes motifs, de rapport de proportionnalite au regard de leur butsuppose.

Il s'ensuit qu'en considerant que l'article 70, S:S: 1er et 2, de l'arreteroyal du 21 decembre 2007 ne meconnait pas les articles 10 et 11 de laConstitution, l'arret viole ces dispositions constitutionnelles et, parsuite, l'article 159 de la Constitution et le principe general du droitvise au moyen en faisant application de l'article 70 de l'arrete royal du21 decembre 1967 alors qu'il est inconstitutionnel.

Troisieme rameau

S'il fallait considerer, quod non, que l'arret entend considerer quel'article 70 de l'arrete royal du 21 decembre 2007 vise au moyen estgenerateur d'une discrimination prohibee par les articles 10 et 11 de laConstitution mais qu'il conviendrait neanmoins de l'appliquer, ladiscrimination relevee resultant d'une « lacune extrinseque » de lareglementation que seul le Roi ou le legislateur pourraient combler,l'arret viole l'article 159 de la Constitution et le principe general dudroit vise au moyen qui interdisent dans tous les cas au juge d'appliquerune disposition reglementaire contraire à la loi ou à la Constitution.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'article 6, S: 1er, de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernantl'administration penitentiaire ainsi que le statut juridique des detenusdispose que le detenu n'est soumis à aucune limitation de ses droitspolitiques, civils, sociaux, economiques ou culturels autre que leslimitations qui decoulent de sa condamnation penale ou de la mesureprivative de liberte, celles qui sont indissociables de la privation deliberte et celles qui sont determinees par ou en vertu de la loi.

Aux termes de l'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurssalaries, le Roi determine les cas dans lesquels les prestations duditarrete sont suspendues à l'egard des beneficiaires detenus dans lesprisons ou internes dans les etablissements de defense sociale, ainsi quela duree de la suspension.

L'article 215 de la loi du 25 janvier 1999 portant des dispositionssociales ayant remplace en ces termes la disposition contenue à l'originedans l'article 31, 5DEG, de l'arrete royal nDEG 50, celui-ci constituedesormais une norme legislative.

L'article 70 de l'arrete royal du 21 decembre 1967 portant reglementgeneral du regime de pension de retraite et de survie des travailleurssalaries dispose, en son paragraphe 1er, que les pensions de retraite etde survie sont suspendues pour la duree de leur incarceration à l'egarddes beneficiaires detenus dans les prisons ou des beneficiaires internesdans les etablissements de defense sociale ou des depots de mendicite et,en son paragraphe 2, que la jouissance de leur pension peut cependant leuretre maintenue aussi longtemps qu'ils n'ont pas subi de fac,on continuedouze mois d'incarceration.

Cette disposition est prise en execution de l'article 31, 5DEG, del'arrete royal nDEG 50 precite.

Il s'ensuit que la suspension de la pension de retraite et de survie estimposee aux detenus en vertu d'une norme legislative, conformement àl'article 6, S: 1er, de la loi du 12 janvier 2005.

Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutenement que cettesuspension trouve son origine dans une disposition reglementaire, manqueen droit.

Quant à la seconde branche :

Les differences de traitement denoncees par le moyen, en cette branche,trouvent leur origine, non comme il le soutient dans l'article 70, S: 1er,de l'arrete royal du 21 decembre 1967, mais dans l'article 31, 5DEG, del'arrete royal nDEG 50.

Le moyen, en cette branche, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Vu l'article 1017, alinea 2, du Code judiciaire, condamne le defendeur auxdepens.

Les depens taxes à la somme de cent vingt-trois euros soixante-troiscentimes en debet envers la partie demanderesse et à la somme de centvingt-quatre euros soixante et un centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du quatre mai deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+-------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|------------+----------------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
+-------------------------------------------+

4 MAI 2015 S.13.0128.F/17


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.13.0128.F
Date de la décision : 04/05/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-05-04;s.13.0128.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award