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12/12/2016 | BELGIQUE | N°S.14.0104.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 décembre 2016, S.14.0104.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0104.F

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, etablissement public dont le siege est etablià Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

L. P.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 septembre2014 par la cour du travail

de Liege, division de Namur.

Le 15 novembre 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0104.F

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, etablissement public dont le siege est etablià Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

L. P.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 septembre2014 par la cour du travail de Liege, division de Namur.

Le 15 novembre 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general JeanMarie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 36, specialement S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royaldu 25 novembre 1991 portant reglementation du chomage, dans sa redactionen vigueur avant sa modification par l'arrete royal du 28 decembre 2011 ;

- articles 10, 11, 33 à 41, 105, 108, 144, 145 et 159 de laConstitution ;

- principe general du droit relatif à la separation des pouvoirs,consacre par les articles 33 à 41, 105, 108, 144 et 145 de laConstitution ;

- article 28 de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle, modifiee par la loi speciale du 21 fevrier 2010.

Decisions et motifs critiques

L'arret decide que la condition liee au lieu des etudes enoncee parl'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25novembre 1991 excede ce qui est necessaire pour atteindre l'objectifqu'elle poursuit et que, par consequent, en application de l'article 159de la Constitution, il ne peut etre fait application de cette condition.

L'arret fonde sa decision sur les motifs qu'il indique sub « V. Ladecision de la Cour », consideres ici comme integralement reproduits, etplus particulierement sur les considerations suivantes :

« Les allocations d'attente, devenues depuis la periode litigieuseallocations d'insertion, sont octroyees à des jeunes qui n'ont nitravaille ni cotise de maniere significative et elles ont pour objectif,non d'indemniser un travailleur qui a ete prive de son travail pour desraisons independantes de sa volonte, mais de faciliter l'acces des jeunesau marche du travail [...].

Puisqu'elles organisent un regime derogatoire à celui del'assurance-chomage, cette derniere etant fondee sur l'ouverture du droitpar une contribution suffisante via le paiement de cotisations, lesdispositions qui concernent ces allocations font regulierement l'objetd'une interpretation stricte [...].

Les conditions d'admissibilite à ces allocations sont precisees àl'article 36 de l'arrete royal du 25 novembre 1991 portant reglementationdu chomage : ne plus etre soumis à l'obligation scolaire, avoir terminecertaines etudes ou formations, avoir mis fin aux obligations imposees parces etudes ou formations, avoir accompli un stage d'attente, etre age demoins de 30 ans au moment de la demande d'allocations et avoir ete disposeau travail pendant la duree du stage [...].

Le paragraphe 1er, alinea 1er, 2DEG, de cette disposition enonce notammentla condition relative à l'achevement d'etudes. Il s'agit de la conditionqui donne lieu au present litige. Elle vise à subordonner l'octroi desallocations au fait d'avoir accompli des etudes qui preparent àl'exercice d'une activite salariee [...] en Belgique et donc notamment às'assurer d'un lien entre le demandeur d'allocations et le marche dutravail belge. [...]

En l'espece, seules les hypotheses visees par les litterae h) et j) de cetarticle 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, de l'arrete royal sont susceptiblesd'avoir ete rencontrees par [le defendeur]. [...]

S'agissant du littera j), il a ete introduit dans la reglementation duchomage par l'arrete royal du 11 fevrier 2003 modifiant l'article 36 del'arrete royal du 25 novembre 1991 portant reglementation du chomage.

Cette modification faisait suite à l'arret de la Cour de justice desCommunautes europeennes du 11 juillet 2002 [...]. Dans cet arret, la Courde justice, apres avoir rappele la finalite des allocations d'attente, ena deduit qu'il etait legitime pour le legislateur national de vouloirs'assurer de l'existence d'un lien reel entre le demandeur desditesallocations et le marche geographique du travail concerne (nDEG 38). Ellea cependant releve immediatement apres qu' `une condition unique relativeau lieu d'obtention du diplome de fin d'etudes secondaires presente uncaractere trop general et exclusif. En effet, elle privilegie indument unelement qui n'est pas necessairement representatif du degre reel eteffectif de rattachement entre le demandeur des allocations d'attente etle marche geographique du travail, à l'exclusion de tout autre elementrepresentatif. Elle va ainsi au-delà de ce qui est necessaire pouratteindre l'objectif poursuivi' (nDEG 39). Elle a par consequent concluque `le droit communautaire s'oppose à ce qu'un Etat membre refuse àl'un de ses ressortissants, etudiant à la recherche d'un premier emploi,l'octroi des allocations d'attente au seul motif que cet etudiant atermine ses etudes secondaires dans un autre Etat membre'.

Le texte adopte a donc vise à ouvrir le droit aux allocations d'attenteaux jeunes travailleurs ayant termine leurs etudes à l'etranger, memeau-delà des frontieres de l'Union [europeenne], pour autant que leurdiplome soit reconnu comme equivalent et qu'une periode significative desetudes primaires et secondaires ait ete realisee en Belgique. Ce faisant,l'auteur du texte visait à conserver la finalite de la conditionreglementaire, à savoir l'accomplissement d'etudes qui preparent àl'exercice d'une activite salariee en Belgique et donc notamment des'assurer d'un lien entre le demandeur d'allocations et le marche dutravail belge.

Il a ete releve par la doctrine que la formulation du texte visaitcependant à se conformer a minima aux exigences de la jurisprudenceeuropeenne [...]. Il a ainsi ete note que la deuxieme condition etaittoujours porteuse de discrimination indirecte, puisque vraisemblablementplus facile à remplir par un jeune Belge que par un ressortissant d'unautre Etat membre de l'Union. Il a encore ete releve que l'exigence queces six annees soient prealables à la delivrance du diplome de fin dusecondaire pouvait egalement etre discutee. En excluant ainsi par exempled'eventuelles etudes superieures realisees en Belgique, le texte paraitbien manquer l'objectif de verification d'un lien reel entre le demandeurdes allocations et le marche geographique du travail concerne [...].

Toujours dans un contexte europeen, la deuxieme condition exprimee parl'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25novembre 1991 a ete mise en cause par l'arret de la Cour de justice del'Union europeenne du 25 octobre 2012 [...].

Cet arret concernait la situation d'une Franc,aise ayant effectue sesetudes secondaires en France et obtenu un baccalaureat professionnel desecretariat, avant d'epouser un Belge et de s'installer avec celui-ci àTournai ou elle a demande les allocations d'attente.

La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi forme par madame P., a pose àla Cour de justice les questions suivantes : [...]

Repondant à la question de la justification de la difference detraitement selon que les jeunes à la recherche d'un premier emploipeuvent ou non justifier avoir effectue au moins six annees d'etudessecondaires dans un etablissement d'enseignement belge, la Cour dejustice, conformement aux conclusions de l'avocat general Cruz Villalon,a :

- releve que cette difference de traitement ne peut etre justifiee que sielle se fonde sur des considerations objectives independantes de lanationalite des personnes concernees et proportionnees à l'objectiflegitimement poursuivi par le droit national (nDEG 32) ;

- rappele, par reference à plusieurs arrets anterieurs dont l'arretD'Hoop, qu'il etait legitime pour le legislateur national de vouloirs'assurer de l'existence d'un lien reel entre le demandeur desditesallocations et le marche geographique du travail en cause (nDEG 33) ;

- rappele qu'une condition unique relative au lieu d'obtention du diplomede fin d'etudes secondaires, telle que celle que comporte l'article 36,S: 1er, alinea 1er, 2DEG, sous a), de l'arrete royal, presente uncaractere trop general et exclusif en ce qu'elle privilegie indument unelement qui n'est pas necessairement representatif du degre reel eteffectif de rattachement entre le demandeur des allocations d'attente etle marche geographique du travail, à l'exclusion de tout autre elementrepresentatif, et qu'elle en avait dejà conclu que ladite condition vaainsi au-delà de ce qui est necessaire pour atteindre l'objectifpoursuivi (nDEG 34) ;

- releve que madame P. n'avait accompli aucune annee d'etudes en Belgique,de sorte que la question qui se posait n'etait pas celle de laproportionnalite de l'exigence de six annees d'etudes (puisque, quelle quesoit la duree exigee, elle ne pouvait etre rencontree), et limite donc sonappreciation à la question de savoir si un constat eventueld'incompatibilite de la reglementation belge avec l'article 39 du Traiteinstituant la Communaute europeenne etait susceptible de decouler de lacirconstance que, en prevoyant une condition afferente à la necessited'avoir suivi des etudes dans un etablissement belge, laditereglementation a pour consequence d'exclure qu'il soit tenu compte decirconstances qui, bien que non liees au lieu ou les etudes ont eteeffectuees, seraient neanmoins egalement representatives de l'existenced'un lien reel entre la personne interessee et le marche geographique dutravail concerne (nDEG 37 à 39) ;

- releve qu'en l'espece, il etait question d'une ressortissante d'un Etatmembre qui reside, depuis environ deux annees, dans l'Etat membred'accueil, par suite de son mariage avec un ressortissant de ce dernierEtat membre et qui est inscrite, depuis seize mois, comme demandeurd'emploi aupres d'un service de l'emploi de ce meme Etat membre, tout enfaisant etat, ainsi qu'il ressort du dossier soumis à la Cour de justice,de demarches actives effectives aux fins d'y trouver un emploi (nDEG 40) ;

- considere qu'il y avait lieu de constater que, sous reserved'appreciations factuelles definitives revenant aux juridictionsnationales, des circonstances telles que celles qui sont decritesparaissent effectivement de nature à permettre d'etablir l'existence d'unlien reel avec le marche du travail de l'Etat membre d'accueil et ce,alors meme que l'interessee n'a pas suivi d'etudes dans un etablissementd'enseignement de ce dernier (nDEG 44) ;

- rappele que l'existence d'un lien reel avec le marche du travail d'unEtat membre peut etre verifiee, notamment, par la constatation que lapersonne en cause a, pendant une periode d'une duree raisonnable,effectivement et reellement cherche un emploi dans l'Etat membre enquestion (nDEG 46) et que des elements ressortant du contexte familialdans lequel se trouve le demandeur d'allocations d'attente sont egalementsusceptibles de contribuer à etablir l'existence d'un lien reel entre ledemandeur et l'Etat membre d'accueil (nDEG 50) ;

- conclu que les circonstances caracterisant ainsi la cause offraient uneillustration concrete de ce que, dans la mesure ou elle fait obstacle àla prise en compte d'autres elements potentiellement representatifs dudegre reel de rattachement du demandeur des allocations d'attente aumarche geographique du travail en cause, une condition telle que celle quiest posee à l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, sous j), de l'arreteroyal excede ce qui est necessaire aux fins d'atteindre l'objectif qu'ellepoursuit (nDEG 51) ;

- repondu enfin que `l'article 39 du Traite instituant la Communauteeuropeenne s'oppose à une disposition nationale telle que celle en causeau principal subordonnant le droit aux allocations d'attente beneficiantaux jeunes à la recherche de leur premier emploi à la condition quel'interesse ait suivi au moins six annees d'etudes dans un etablissementd'enseignement de l'Etat membre d'accueil, dans la mesure ou laditecondition fait obstacle à la prise en compte d'autres elementsrepresentatifs propres à etablir l'existence d'un lien reel entre ledemandeur d'allocations et le marche geographique du travail en cause etexcede, de ce fait, ce qui est necessaire aux fins d'atteindre l'objectifpoursuivi par ladite disposition et visant à garantir l'existence d'untel lien' (nDEG 52).

Compte tenu de ces reponses, la Cour de cassation [...] a, apres avoirreproduit les considerations de la Cour de justice, decide que, `endecidant que, à defaut de satisfaire à la condition prevue à l'article36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), precite, ni la residence de lademanderesse en Belgique avec son epoux belge ni son inscription commedemandeuse d'emploi à un service belge de l'emploi, depuis une date quiprecede de seize mois la demande d'allocations d'attente, ne suffisent àetablir un lien reel avec le marche du travail belge, justifiant l'octroide ces allocations, l'arret attaque viole l'article 39 du Traite'.

[Le defendeur] n'invoque pas [ou pas uniquement] la violation parl'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de dispositions de droiteuropeen. Compte tenu de sa nationalite belge et du fait que lui et sesparents ne se sont deplaces qu'en dehors de l'Union, ces dispositions nelui sont du reste pas applicables.

Il fait valoir, comme le jugement [du premier juge], que la conditionenoncee par cette disposition comporte aussi une discrimination entreBelges, selon qu'ils peuvent ou non se prevaloir de six annees d'etudes enBelgique, dans un etablissement d'enseignement organise, reconnu ousubventionne par une Communaute.

La regle de l'egalite des Belges devant la loi contenue dans l'article 10de la Constitution et celle de la non-discrimination dans la jouissancedes droits et libertes reconnus aux Belges contenue dans l'article 11 dela Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la memesituation soient traites de la meme maniere et n'excluent pas qu'unedistinction soit faite entre differentes categories de personnes pourautant que le critere de distinction soit susceptible de justificationobjective et raisonnable.

L'existence d'une telle justification doit s'apprecier par rapport au butet aux effets de la mesure prise. Le principe d'egalite est violelorsqu'il est etabli qu'il n'existe pas de rapport raisonnable deproportionnalite entre les moyens employes et le but poursuivi [...].

La distinction en cause est celle qui existe entre demandeursd'allocations d'attente (actuellement d'insertion) vises par l'article 36,S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991,c'est-à-dire se prevalant d'un diplome etranger reconnu equivalent à undiplome vise au littera b) ou d'un titre donnant acces à l'enseignementsuperieur, selon qu'ils ont ou non suivi prealablement au moins six anneesd'etudes dans un etablissement d'enseignement organise, reconnu ousubventionne par une communaute.

Cette condition, et la difference de traitement qu'elle etablit entre ceuxqui ne la remplissent pas et ceux qui le font, a pour but de s'assurer del'existence d'un lien reel entre le demandeur de ces allocations et lemarche belge du travail. Ce but a ete confirme de maniere explicite par legouvernement belge au cours de la procedure donnant lieu à l'arret de laCour de justice de l'Union europeenne du 25 octobre 2012 precite (voy. lepoint nDEG 36 de l'arret).

Ce but est legitime. La cour [du travail] fait sienne à cet egardl'opinion de la Cour de justice de l'Union europeenne exprimee en ce sensdans plusieurs arrets (...).

Le critere de distinction utilise par le texte est par ailleurs objectif.

Par contre, ce critere de distinction n'est pas suffisamment pertinentpour s'assurer de l'existence d'un lien reel entre le demandeur de cesallocations et le marche belge du travail.

En effet :

- il pose l'exigence d'une - longue - duree de residence en Belgique (laperiode des etudes) sans consideration aucune pour la proximite qu'elle aavec la demande d'allocations d'attente. Ainsi, par exemple, un demandeurd'allocations n'ayant accompli que cinq annees d'etudes en Belgique mais yresidant au cours de ces cinq dernieres annees ne remplirait pas lacondition prevue par l'arrete royal, tandis qu'un autre demandeur ayantaccompli six annees d'etudes primaires en Belgique puis six anneesd'etudes secondaires à l'etranger, avant de venir solliciter lesallocations d'attente, remplirait cette condition. Il parait pourtantmanifeste que le premier de ces demandeurs d'allocations a un lien plusimportant avec le marche belge de l'emploi ;

- en exigeant que les annees d'etudes prises en compte soient prealablesau diplome de secondaire dont le demandeur a obtenu l'equivalence, cettecondition reglementaire fait abstraction des etudes superieureseventuellement accomplies qui, lorsqu'elles ont ete realisees en Belgique,sont pourtant de nature à assurer un lien etroit avec le marche belge del'emploi ;

- ce critere du lieu d'accomplissement des etudes, par son caractereexclusif, empeche qu'il soit tenu compte d'autres circonstances quipourraient egalement etre representatives de l'existence d'un lien reelentre la personne interessee et le marche belge du travail : duree de laresidence en Belgique, en particulier au cours des annees precedant lademande d'allocations, liens familiaux en Belgique, demarches d'insertionprofessionnelles accomplies en Belgique dans la periode qui a precede lademande d'allocations, etc.

Par consequent, la condition liee au lieu des etudes enoncee par l'article36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991excede ce qui est necessaire pour atteindre l'objectif qu'elle poursuit.Dit autrement encore, il n'existe pas de rapport raisonnable deproportionnalite entre les moyens employes et le but poursuivi.

Il en va en particulier ainsi dans une hypothese comme celle de l'especequi concerne un demandeur d'allocations d'attente belge, ne en Belgique,ayant accompli la majeure partie de ses etudes primaires en Belgique, puisses etudes secondaires à l'etranger ou ses parents travaillaient à lacooperation belge au developpement, avant de revenir s'installer enBelgique avec ses parents, residant sans interruption en Belgique depuispres de dix annees au moment de sa demande d'allocations, ayant accomplien Belgique au cours de ces dix annees pas moins de huit annees d'etudessuperieures (certes sans y decrocher de diplome) et inscrit commedemandeur d'emploi en Belgique depuis quinze mois au meme moment.L'interesse presente en effet, dans ces circonstances, un lien reel avecle marche de l'emploi belge, necessairement bien plus fort que celui qu'ilpeut avoir avec tout autre marche de l'emploi etranger.

La difference de traitement que comporte la disposition en cause ne fait,partant, pas l'objet d'une justification objective et raisonnable auregard des principes d'egalite et de non-discrimination.

Il ne peut par consequent, et en application de l'article 159 de laConstitution, etre fait application de la condition liee au lieu desetudes enoncee par l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arreteroyal du 25 novembre 1991.

Des lors, puisqu'il n'est pas conteste et ressort des pieces du dossier[du defendeur] qu'il s'est vu delivrer un titre etablissant l'equivalenceau certificat vise au littera b) de l'article 36, S: 1er, alinea 1er,2DEG, de l'arrete royal du 25 novembre 1991 et donnant acces àl'enseignement superieur, la condition d'etudes enoncee par l'article 36,S: 1er, alinea 1er, 2DEG, de l'arrete royal du 25 novembre 1991, sous sonlittera j), est remplie.

L'appel (du demandeur) exprimant le point de vue inverse est non fonde ».

Griefs

Premiere branche

1. La regle de l'egalite des Belges devant la loi contenue dans l'article10 de la Constitution et celle de la non-discrimination dans la jouissancedes droits et libertes reconnus aux Belges contenue dans l'article 11 dela Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la memesituation soient traites de la meme maniere mais n'excluent pas qu'unedistinction soit faite entre differentes categories de personnes pourautant que le critere de distinction soit susceptible de justificationobjective et raisonnable. L'existence d'une telle justification doits'apprecier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Leprincipe d'egalite est viole lorsqu'il est etabli qu'il n'existe pas derapport raisonnable de proportionnalite entre les moyens employes et lebut vise.

2. En vertu de l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arreteroyal du 25 novembre 1991, tel qu'il etait applicable au moment des faits,pour etre admis au benefice des allocations d'attente, le jeunetravailleur doit avoir obtenu un titre delivre par une des communaute dela Belgique etablissant l'equivalence au certificat vise sous b) ou untitre donnant acces à l'enseignement superieur ; ce littera n'estd'application qu'à condition d'avoir suivi prealablement au moins sixannees d'etudes dans un etablissement d'enseignement organise, reconnu ousubventionne par une communaute.

3. Cette disposition distingue les demandeurs d'allocations d'attentebelges se prevalant d'un diplome etranger reconnu equivalent à un diplomevise au littera b) ou d'un titre donnant acces à l'enseignementsuperieur, selon qu'ils ont ou non suivi prealablement au moins six anneesd'etudes (primaires ou secondaires) en Belgique.

La condition mise par l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), d'avoir,prealablement à l'obtention du titre etablissant l'equivalence aucertificat vise sous b) ou donnant acces à l'enseignement superieur,suivi six annees d'etudes en Belgique a ete introduite afin d'assurer lelien avec le marche du travail belge.

Cette condition privilegie un element qui est representatif du degre reelet effectif de rattachement entre le demandeur des allocations d'attenteet le marche belge du travail et est ainsi pertinente et proportionnee àl'objectif legitimement poursuivi par les auteurs de cette dispositionreglementaire.

4. En considerant, des lors, que l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG,j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991 est contraire aux articles 10 et11 de la Constitution et ne peut des lors etre applique par application del'article 159 de la Constitution, l'arret :

1DEG viole lesdits articles 10 et 11 de la Constitution en relevant unediscrimination que l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arreteroyal du 25 novembre 1991 ne comporte pas ;

2DEG viole les articles 159 de la Constitution et 36, S: 1er, alinea 1er,2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991 en refusant d'appliquercette disposition reglementaire alors qu'elle n'etait pas contraire à laloi ou à la Constitution.

Seconde branche

1. S'il est tenu de remedier dans toute la mesure du possible à toutelacune de la loi ou d'un texte reglementaire qui viole les articles 10 et11 de la Constitution, le juge ne peut se substituer au legislateur ou àl'auteur de ce texte reglementaire en operant des choix qu'ilappartiendrait au seul legislateur ou titulaire du pouvoir reglementaired'operer (principe general du droit relatif à la separation des pouvoirset articles 10, 11, 33 à 41, 144, 145 de la Constitution et 28 de la loispeciale sur la Cour constitutionnelle).

2. L'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25novembre 1991 tend à reconnaitre un droit aux allocations d'attente à unjeune travailleur qui dispose d'un diplome etranger juge equivalent aucertificat obtenu en Belgique vise au littera b) dudit article 36, S: 1er,alinea 1er, 2DEG, ou d'un titre donnant acces à l'enseignement superieur,à la condition que ce jeune travailleur ait un lien suffisant avec lemarche du travail belge.

Cette disposition forme ainsi un tout indivisible.

3. Dut-on considerer - quod non - que la condition d'avoir suivi au moinssix ans d'etudes primaires ou secondaires en Belgique fut de nature àcreer une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de laConstitution dans le chef de jeunes travailleurs se trouvant dans unesituation analogue à celle du defendeur, en sorte que l'article 36, S:1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991 seraitinconstitutionnel et ne pourrait etre applique, l'arret, qui fait reprocheà cette disposition d'avoir retenu ce nombre d'annees d'etudes enBelgique comme seul critere du lien avec le marche de l'emploi belge, n'apu, sans se substituer au Roi, reconnaitre au defendeur un droit auxallocations d'attente.

Ce faisant, en effet, il comble la lacune resultant du caractere exclusifde la condition litigieuse en admettant que la duree de sa residence enBelgique et des etudes superieures poursuivies sans succes en Belgique parle demandeur constituent des elements suffisant à justifier les liens dudefendeur avec le marche de l'emploi belge, alors qu'il appartient au Roiet au Roi seul de definir les criteres alternatifs permettant d'apprecierces liens du jeune travailleur demandeur d'allocations d'attente avec lemarche belge de l'emploi.

A tout le moins, l'arret se substitue au Roi en considerant qu'un jeunetravailleur disposant du diplome vise à l'article 36, S: 1er, alinea 1er,2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991 doit etre admis auxallocations d'attente sans qu'il doive avoir de liens avec le marche belgede l'emploi, donc en divisant un texte reglementaire qui constituecependant un tout indivisible.

Dans l'un ou l'autre cas, l'arret, qui considere que l'article36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25 novembre 1991est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, devait refuser del'appliquer en sa totalite (article 159 de la Constitution) et, des lors,constater que le defendeur ne repondait pas aux conditions d'obtentiond'allocations d'attente prevues par l'article 36, abstraction etant faitedu littera j) de son paragraphe 1er, alinea 1er, 2DEG.

Il suit de là que l'arret :

1DEG viole le principe general du droit relatif à la separation despouvoirs et les articles 10, 11, 33 à 41, 105, 108, 144, 145 de laConstitution et 28 de la loi speciale sur la Cour constitutionnelle encomblant la lacune de l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, specialementj), de l'arrete royal du 25 novembre 1991 resultant de sa contrariete auxarticles 10 et 11 de la Constitution en operant le choix qu'il appartenaitau Roi seul - ou, le cas echeant, au legislateur - d'operer ;

2DEG viole, à tout le moins, l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j),de l'arrete royal du 25 novembre 1991 en considerant que ce texte estdivisible et pourrait ainsi etre applique partiellement en faisantabstraction de la seule condition d'avoir realise six ans d'etudes enBelgique jugee contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution alorsque l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25novembre 1991 est indivisible ;

3DEG viole des lors, en tous les cas, l'article 159 de la Constitution enrefusant d'appliquer en sa totalite une disposition reglementairecontraire aux articles 10 et 11 de la Constitution,

4DEG et, des lors, reconnait illegalement au defendeur un droit à desallocations d'attente auxquelles il n'a pas droit en vertu de l'article 36de l'arrete royal du 25 novembre 1991 si l'on fait abstraction de ladisposition de son paragraphe 1er, alinea 1er, 2DEG, j) (violation desarticles 36 de l'arrete royal du 25 novembre 1991 et 159 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

La regle de l'egalite des Belges devant la loi, contenue dans l'article 10de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissancedes droits et libertes qui leur sont reconnus, contenue dans l'article 11de la Constitution, implique que tous ceux qui se trouvent dans la memesituation soient traites de la meme maniere mais n'excluent pas qu'unedistinction soit faite entre differentes categories de personnes pourautant que le critere de distinction soit susceptible de justificationobjective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doits'apprecier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ; leprincipe d'egalite est egalement viole lorsqu'il n'existe pas de rapportraisonnable de proportionnalite entre les moyens employes et le but vise.

L'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), de l'arrete royal du 25novembre 1991 portant reglementation du chomage, dans la versionapplicable au litige, prevoit que, pour etre admis au benefice desallocations d'attente, le jeune travailleur qui ne remplit pas lesconditions visees aux litterae a) à h) doit avoir obtenu un titre delivrepar une des communautes de la Belgique etablissant l'equivalence aucertificat d'etudes delivre par une de ces communautes, vise au litterab), ou un titre donnant acces à l'enseignement superieur. La dernierephrase precise que ce littera j) n'est d'application qu'à la conditionque le jeune travailleur ait suivi prealablement au moins six anneesd'etudes dans un etablissement d'enseignement organise, reconnu ousubventionne par l'une des communautes de la Belgique.

L'arret enonce, sans etre critique, que la distinction selon le lieu desetudes prealables, etablie par cette derniere phrase entre les demandeursd'allocations d'attente qui se prevalent du diplome ou du titre vise aulittera j), a pour but « de s'assurer de l'existence d'un lien reel entrele demandeur de ces allocations et le marche belge du travail ».

Il considere que le critere de la distinction « n'est pas suffisammentpertinent pour s'assurer de l'existence d'un [tel] lien », des lors quela disposition en cause exige « une longue duree de residence en Belgique[...] sans consideration [...] pour la proximite [de cette periode] avecla demande d'allocations » ni pour des etudes superieures accomplies enBelgique qui sont « pourtant de nature à assurer un lien etroit avec lemarche belge de l'emploi », et qu'il empeche par son caractere exclusif« qu'il soit tenu compte d'autres circonstances qui pourraient egalementetre representatives de l'existence d'un lien reel entre la personneinteressee et le marche belge du travail, [telles que la] duree de laresidence en Belgique, en particulier au cours des annees precedant lademande d'allocations, [des] liens familiaux avec la Belgique [ou des]demarches d'insertion professionnelle accomplies en Belgique dans laperiode qui a precede la demande d'allocations ».

Par ces enonciations, l'arret justifie legalement sa decision que « lacondition liee au lieu des etudes [prevue par l'article36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, j), en sa derniere phrase], excede ce quiest necessaire pour atteindre l'objectif qu'[elle] poursuit », de sortequ' « il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalite entreles moyens employes et le but poursuivi », partant, que « la differencede traitement que comporte la disposition en cause ne fait [...] pasl'objet d'une justification objective et raisonnable » au regard desregles de l'egalite et de la non-discrimination contenues dans lesarticles 10 et 11 de la Constitution.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la seconde branche :

Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunauxn'appliqueront les arretes et reglements generaux, provinciaux et locaux,qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

Les juridictions contentieuses ont, en vertu de cette disposition, lepouvoir et le devoir de verifier la legalite interne et la legaliteexterne de tout acte administratif sur lequel est fondee une demande, unedefense ou une exception.

Apres les enonciations citees en reponse à la premiere branche du moyen,l'arret constate que le defendeur ne remplit pas les conditions visees auxlitterae a) à h) mais a obtenu un titre delivre par une des communautesde la Belgique etablissant l'equivalence au certificat d'etudes vise aulittera b) de l'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, de l'arrete royal du25 novembre 1991 et qu'il est Belge et ne en Belgique, qu'il a accomplidans ce pays moins de six ans mais la majeure partie de ses etudesprimaires, qu'il a effectue ses etudes secondaires à l'etranger ou sesparents travaillaient à la cooperation belge au developpement, qu'il estrevenu s'installer en Belgique avec ses parents, qu'il a effectue dans cepays huit annees d'etudes superieures et qu'il y residait sansinterruption depuis pres de dix ans et y etait inscrit comme demandeurd'emploi depuis quinze mois au moment ou il a demande les allocationsd'attente.

L'arret deduit de ces constatations que, sans satisfaire à la conditionrelative au lieu des etudes prevue par la derniere phrase du littera j) del'article 36, S: 1er, alinea 1er, 2DEG, precite, le defendeur presentait« un lien reel avec le marche de l'emploi belge, necessairement bien plusfort que celui qu'il [pouvait] avoir avec tout autre marche de l'emploietranger ». Il conclut que la condition prevue par le littera j) estremplie.

L'arret, qui ecarte par ces enonciations la condition relative au lieudes etudes dans la seule mesure ou, par les motifs vainement critiques parla premiere branche du moyen, il la juge contraire aux articles 10 et 11de la Constitution, fait une exacte application de l'article 159 de laConstitution.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de quatre cent treize euros nonante-septcentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillers KoenMestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Eric de Formanoir, etprononce en audience publique du douze decembre deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+--------------------------------------------+
| L. Body | E. de Formanoir | A. Lievens |
|------------+-----------------+-------------|
| M. Delange | K. Mestdagh | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

12 DECEMBRE 2016 S.14.0104.F/18


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.14.0104.F
Date de la décision : 12/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-12-12;s.14.0104.f ?
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