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22/12/2016 | BELGIQUE | N°C.10.0051.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 décembre 2016, C.10.0051.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.10.0051.F

* 1. L. G. et

* 2. N. R.,

* demandeurs en cassation,

* representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine,11, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par

a) le ministre des Affaires sociales et de la Sante publique, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue du Commerce, 78-80,

b) le ministre des Petites et moyennes entreprises, des Independants et dela Polit

ique scientifique, dont le cabinet est etabli à Saint-Gilles,avenue de la Toison d'Or, 87,

* represente par M...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.10.0051.F

* 1. L. G. et

* 2. N. R.,

* demandeurs en cassation,

* representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine,11, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par

a) le ministre des Affaires sociales et de la Sante publique, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue du Commerce, 78-80,

b) le ministre des Petites et moyennes entreprises, des Independants et dela Politique scientifique, dont le cabinet est etabli à Saint-Gilles,avenue de la Toison d'Or, 87,

* represente par Maitre Ludovic De Gryse, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25,ou il est fait election de domicile,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 18 janvier 2007par la cour d'appel de Bruxelles.

Le president de section Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

* II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

* Dispositions legales violees

- articles 14 et 46, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955 ;

- article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, signeà Paris le 20 mars 1952 et approuve par la loi du 13 mai 1955 ;

- article 4 de la Constitution ;

- article 16bis de la loi speciale de reformes institutionnelles du 8aout 1980 ;

- article 7, S: 3, de la loi du 2 aout 1963 sur l'emploi des languesen matiere administrative ;

- articles 3 et 7 des lois sur l'emploi des langues en matiereadministrative, coordonnees le 18 juillet 1966, tels qu'ils ont etemodifies par les articles 1er, 2 et 3 de la loi du 23 decembre 1970 ;

- articles 1382 et 1383 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque dit la demande recevable mais non fondee aux motifsque

« Par leur demande principale, [les demandeurs] entendent qu'il soitfait injonction [au defendeur] de prendre les mesures qu'il jugerautiles pour remedier à la violation de l'article 14 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales etde l'article 2 du Premier Protocole additionnel à cette convention ;

Ils se declarent fondes à demander une reparation en nature quiserait la seule à pouvoir mettre fin à l'illegalite dommageable,leur demande etant, à leurs yeux, possible et non constitutive d'unabus de droit ;

A titre subsidiaire, ils disent en demander la reparation parequivalent. Ceci ne figure cependant pas dans le dispositif de leursconclusions de synthese, la demande de dedommagement d'un prejudicemoral n'ayant evidemment pas pareil objet, qui est d'ordre materiel.Cette partie de la demande est, partant, sans objet ;

Selon la loi du 2 aout 1963, les six communes de la peripherie deBruxelles sont `dotees d'un statut propre' (article 7, S: 3).L'enseignement s'y dispense normalement en neerlandais. Cependant,1'enseignement gardien et primaire - non 1'enseignement secondaire -peut y etre donne en franc,ais à 1'enfant dont cette langue est lalangue maternelle ou usuelle, à condition que le chef de famillehabite dans une de ces communes. La commune doit organiser un telenseignement si au moins seize chefs de famille residant sur sonterritoire le demandent. Dans les ecoles neerlandaises des sixcommunes en question, l'etude du franc,ais est facultative tandis quecelle du neerlandais est obligatoire dans les ecoles franc,aises ;

Dans son arret rendu le 23 juillet 1968, la Cour europeenne des droitsde l'homme a

`1. Dit, par huit voix contre sept, que l'article 7, S: 3, de la loidu 2 aout 1963 n'est pas conforme aux exigences de l'article 14 de laConvention combine avec la premiere phrase de l'article 2 du PremierProtocole, en tant qu'il empeche certains enfants, sur le seulfondement de la residence de leurs parents, d'acceder aux ecoles delangue franc,aise existant dans les six communes de la peripherie deBruxelles dotees d'un statut propre, y compris Kraainem ;

Reserv[e] le droit eventuel, pour les requerants interesses, dedemander une satisfaction equitable quant à ce point particulier ;

2. Dit à 1'unanimite, en ce qui concerne les autres points litigieux,qu'il n'y a eu et qu'il n'y a violation d'aucun des articles de laConvention et du [Premier] Protocole invoques par les requerants' ;

Selon l'article 46 (anciennement 53) de la Convention,

`Force executoire et execution des arrets

1. Les hautes parties contractantes s'engagent à se conformer auxarrets definitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sontparties.

2. L'arret definitif de la Cour est transmis au comite des ministres,qui en surveille 1'execution';

Par un memorandum du 12 avril 1972, le gouvernement belge informa lecomite des ministres des mesures legislatives prises en Belgique, parla revision constitutionnelle de 1970, pour remedier à la violationde la Convention relevee par 1'arret du 23 juillet 1968 (J. Velu, Leseffets des arrets de la Cour europeenne des droits de l'homme, inIntroduire un recours à Strasbourg ?, Nemesis, 1986). Unecommunication à l'Assemblee consultative enonce que `le comite desministres, en execution de ses obligations au titre de l'article 54de la Convention, a pris acte des mesures que, conformement à1'article 53, la Belgique a prises dans le cadre de sa reformeconstitutionnelle, mesures decrites dans le memorandum soumis par legouvernement belge et realisees dans la nouvelle legislationintroduite en Belgique' ;

Ces dispositions legislatives, adoptees lors de la revisionconstitutionnelle de 1970, ont eu pour effet de remedier à laviolation de la Convention relevee par l'arret du 23 juillet 1968 enincorporant les six communes `à facilites' dans la region unilingueneerlandaise ;

Dans le rapport de la discussion generale, il est notamment indique :

`L'article 3ter, dejà adopte par le Senat le 3 juin 1970, traite desregions linguistiques.

Le texte en est libelle comme suit :

« La Belgique comprend quatre regions linguistiques : la region delangue franc,aise, la region de langue neerlandaise, la regionbilingue de Bruxelles-Capitale et la region de langue allemande.

Chaque commune fait partie d'une des regions linguistiques »' ;

Le rapport poursuit, notamment :

`Pour eviter tout malentendu et mettre fin aux controverses sur1'appartenance ou non des six communes peripheriques à la region delangue neerlandaise, une modification limitee de la loi du 2 aout 1963s'impose ; cette modification prevoit la suppression de1'arrondissement special, de sorte qu'il ne subsiste plus de doutequant à 1'appartenance des six communes peripheriques à la region delangue neerlandaise, sans qu'il soit cependant porte atteinte austatut particulier et au regime special qui a ete prevu par la loi du2 aout 1963 pour ces communes. [...] Le gouvernement souhaite que lesfacilites linguistiques soient integralement maintenues dans cescommunes' ;

Un amendement, dont la justification fait reference à 1'arretprononce le 23 juillet 1968 par la Cour europeenne, a ete presente envue de supprimer à 1'article 7, S: 3, littera B, les mots : `et si lechef de famille reside dans une de ces communes', mais il n'a pas etesuivi d'effet ;

La Cour europeenne a deduit des articles 53 et 54 de la Convention`qu'un arret constatant une violation entraine pour 1'Etat defendeurl'obligation juridique au regard de la convention de mettre un termeà la violation et d'en effacer les consequences de maniere àretablir autant que faire se peut la situation anterieure à celle-ci'(Elisabeth Lambert, Les effets des arrets de la Cour europeenne desdroits de 1'homme, 105) ;

La Cour europeenne n'a toutefois aucun pouvoir d'injonction et lelibre choix des moyens est laisse à 1'Etat concerne. Lesmodifications legislatives ont pu etre d'une ampleur considerable ouconcerner le caractere politiquement sensible de la question posee. En1'espece, il ressort des debats à la Chambre des representants du 23octobre 1969 que la solution recherchee `risque de deteriorer leclimat de comprehension indispensable à la realisation de larevision constitutionnelle' (E. Lambert, ibid., p. 133, note 548) etque le gouvernement àccepte 1'arret de Strasbourg ; il estime que lasolution au probleme precis qui decoule de cet arret doit etretrouvee dans le cadre large et complet de la solution de nosproblemes communautaires' (lire aussi les theses en presence sous Ann.C.E.D.H. 1968, 1045 à 1077) ;

Mais 1'autorite de chose jugee de l'arret de la Cour europeenne a pourdestinataire principal le juge national envers qui il a un effetdirect (E. Lambert, ibid., 136) ;

Dans cet arret, la Cour europeenne a considere au sujet des sixcommunes dites `à facilites' :

`La situation est tout autre dans le cas des six communes « àfacilites », qui appartiennent à l'agglomeration entourantBruxelles, capitale d'un Etat bilingue et centre international.D'apres les renseignements fournis à la Cour, lesdites communescomptent un nombre important de familles francophones ; ellesconstituent, jusqu'à un certain point, une zone de caractere« mixte ».

C'est pour repondre à cette donnee de fait que l'article 7 de la loidu 2 aout 1963 a deroge au principe de territorialite, ainsi que laCour l'a note en traitant la troisieme question. Il ressort, en effet,de son paragraphe 1er que les six communes ne relevent plus de laregion unilingue neerlandaise mais forment un « arrondissementadministratif distinct » dote d'un « statut propre ». Le paragraphe2 en tire une premiere serie de consequences : il prevoit en substanceque les six communes dont il s'agit beneficient d'un regime bilingue« en matiere administrative ». Quant au paragraphe 3, dont lesrequerants contestent la compatibilite avec les articles 8 et 14 de laConvention et 2 du [Premier] Protocole, il s'applique « en matierescolaire ». Il dispose que la langue de l'enseignement est leneerlandais dans les six communes ; il prescrit cependantl'organisation, au profit des enfants dont le franc,ais est la languematernelle ou usuelle, d'un enseignement franc,ais, officiel ousubsidie, aux niveaux gardien et primaire, à condition que seizechefs de famille la demandent. Toutefois, ce dernier enseignementn'est pas accessible aux enfants dont les parents resident en dehorsdes communes considerees. Au contraire, les classes neerlandaises desmemes communes accueillent en principe tout enfant, quels que soientsa langue maternelle ou usuelle et le lieu de residence de sesparents. La condition de residence ne jouant donc qu'à l'egard del'un des deux groupes linguistiques, la Cour se trouve appelee àrechercher s'il en resulte une discrimination contraire à l'article14 de la Convention, combine avec la premiere phrase de l'article 2 du[Premier] Protocole ou avec l'article 8 de la Convention.

Une telle mesure ne se justifie pas eu egard aux exigences de laConvention, en tant qu'elle comporte, au detriment de certainsindividus, les elements d'un traitement discriminatoire fonde plusencore sur la langue que sur la residence.

Tout d'abord, cette mesure ne s'applique pas de fac,on uniforme auxfamilles parlant 1'une ou l'autre langue nationale. Les enfantsneerlandophones qui resident dans la region unilingue franc,aise,d'ailleurs toute proche, ont acces aux batiments scolaires de langueneerlandaise existant dans les six communes mais les enfantsfrancophones habitant la region unilingue neerlandaise se voientrefuser 1'acces aux ecoles franc,aises des memes communes. De meme,les classes neerlandaises des six communes sont ouvertes aux enfantsneerlandophones de la region unilingue neerlandaise, alors que lesclasses franc,aises desdites communes sont fermees aux enfantsfrancophones de cette region.

Pareille situation contraste du reste avec celle qui decoule despossibilites d'acces aux ecoles de langue franc,aise del'arrondissement de Bruxelles-Capitale, ouvertes aux enfantsfrancophones independamment du lieu de residence de leurs parents(articles 5 et 17 de la loi du 30 juillet 1963).

Il apparait, des lors, que la condition de residence n'est pas imposeedans 1'interet des etablissements scolaires, pour des raisons d'ordreadministratif ou financier ; elle procede uniquement, dans le cas desrequerants, de considerations tenant à la langue' ;

Dans la meme decision, en reponse à la cinquieme question, relativeà Louvain et Heverlee et aux six communes `à facilites', la Coureuropeenne a releve que, `si les classes franc,aises de Louvain et deHeverlee restent ouvertes aux enfants de familles francophonesresidant en dehors de la region unilingue neerlandaise, c'est parcequ'elles servent de sections didactiques à 1'Universite bilingue deLouvain', et a considere que, `des lors, 1'exclusion des enfants delangue franc,aise habitant la region unilingue neerlandaise et dontles parents ne comptent point parmi les professeurs, les etudiants etles membres du personnel de 1'Universite, ne constitue pas une mesurediscriminatoire eu egard à la legitimite de 1'objectif specifique dulegislateur' ;

Il ressort de 1'arret precite que, dans les deux communes de Louvainet Heverlee, 1'exclusion des enfants de langue franc,aise habitant laregion unilingue neerlandaise et dont les parents ne comptent pointparmi les professeurs, les etudiants et les membres du personnel del'Universite ne constitue pas une mesure discriminatoire eu egard àla legitimite de 1'objectif specifique du legislateur ;

Ainsi, la Cour europeenne a precise en page 45 de 1'arret, en reponseà la deuxieme question : `La Cour a dejà indique, au sujet de lapremiere question, le caractere non arbitraire et, des lors, nondiscriminatoire de mesures qui tendent à assurer, dans les regionsunilingues, que la langue d'enseignement des ecoles officielles ousubventionnees soit exclusivement celle de la region. Ces mesuresn'empechent pas les parents francophones qui le desirent de fairedonner à leurs enfants une instruction en franc,ais, soit dans desecoles privees non subsidiees, soit dans une ecole de la regionunilingue franc,aise ou de Bruxelles-Capitale'. Plus loin, à la memepage, la Cour europeenne a considere : `Or, la Cour a constate que lesdispositions legales visees par la premiere question - quelle qu'ensoit la rigueur - reposent sur des criteres objectifs. Il en va dememe de la mesure dont il s'agit ici. Elle a pour but d'eviter lapossibilite que l'enseignement que 1'Etat ne veut pas subsidier - pourdes raisons qui sont pleinement compatibles avec les articles 2 du[Premier] Protocole et 8 et 14 de la Convention - ne profite, dequelque maniere que ce soit, des subventions obtenues parl'enseignement conforme aux lois linguistiques. Ce but est plausibleen soi et la Cour n'a pas à apprecier s'il est possible de1'atteindre d'une autre maniere' ;

En outre, [...] en reponse à la deuxieme question, elle a decide,relativement au fait que les dispositions legales mentionnees dans lapremiere question rendent impossible, dans la region unilingueneerlandaise, la creation ou le subventionnement par 1'Etat d'ecolesqui dispenseraient un enseignement en franc,ais, que ces dispositionssont donc `un ensemble de textes poursuivant un but commun, la defensede 1'homogeneite linguistique de la region' ; elle en a dit que `nil'article 2 du [Premier] Protocole ni l'article 8 de la Convention nese trouvent violes par les dispositions litigieuses' et que la Cour`ne constate pas non plus de violation de l'article 2 du [Premier]Protocole et de l'article 8 de la Convention, pris conjointement avec1'artile 14', ni d'ailleurs de l'article 8 isolement ;

La demande est faite à titre de reparation d'une faute alleguee, àsavoir la violation de l'article 14 de la Convention et de 1'article2, premiere phrase, du Premier Protocole, dont les [demandeurs]pretendent tirer la demonstration de 1'arret de la Cour europeenne du23 juillet 1968 ;

La Cour europeenne a dejà indique le caractere non arbitraire et, deslors, non discriminatoire de mesures qui tendent à assurer, dans lesregions unilingues, que la langue d'enseignement des ecolesofficielles ou subventionnees soit exclusivement celle de la region.Ces mesures n'empechent pas les parents francophones qui le desirentde faire donner à leurs enfants une instruction en franc,ais, soitdans des ecoles privees non subsidiees, soit dans une ecole de laregion unilingue franc,aise ou de Bruxelles-Capitale ;

Elle a aussi juge, par rapport aux classes francophones de Louvain,que 1'exclusion des enfants de langue franc,aise habitant la regionunilingue neerlandaise et dont les parents ne comptent point parmi lesprofesseurs, les etudiants et les membres du personnel de l'Universitene constitue pas une mesure discriminatoire eu egard à la legitimitede 1'objectif specifique du legislateur ;

La cour [d'appel] constate que la reforme institutionnelle de 1970, enrattachant les six communes à facilites à la region neerlandophone,a modifie une des premisses des elements de fait que la Coureuropeenne a sanctionnes lorsqu'elle a indique que les six communes nerelevent [pas] de la region unilingue neerlandaise mais forment unàrrondissement administratif distinct' dote d'un `statut propre' ;

La Cour europeenne a en effet decide `que l'article 7, S: 3, de la loidu 2 aout 1963 n'est pas conforme aux exigences de 1'article 14 de laConvention combine avec la premiere phrase de l'article 2 du [Premier]Protocole en tant qu'il empeche certains enfants, sur le seulfondement de la residence de leurs parents, d'acceder aux ecoles delangue franc,aise existant dans les six communes de la peripherie deBruxelles dotees d'un statut propre, y compris Kraainem' ;

Cet arret, tel qu'il est formule, ne permet pas de considerer que laviolation des dispositions precitees de la Convention alleguee par[les demandeurs] est etablie ;

Toute demande de reparation en nature ou en equivalent requiert1'existence d'une faute ;

Les demandeurs restent en defaut de demontrer une faute [dudefendeur], dans l'etat actuel de la legislation, de sorte que leurdemande n'est pas fondee ;

Leur demande n'etant pas fondee, il n'y pas interet à examiner lesautres moyens [du defendeur], notamment ceux qui sont tires de larecevabilite et de la prescription ».

Griefs

En vertu de l'article 7, S: 3, de la loi du 2 aout 1963 sur l'emploides langues en matiere administrative, l'enseignement dans les sixcommunes à statut propre de la peripherie bruxelloise visees àl'article 7 des lois sur l'emploi des langues en matiereadministrative, coordonnees le 18 juillet 1966, est dispense auxconditions suivantes :

« A. La langue de l'enseignement est le neerlandais.

B. L'enseignement gardien et primaire peut etre donne aux enfants enfranc,ais si cette langue est la langue maternelle ou usuelle del'enfant et si le chef de famille reside dans une de ces communes.

Cet enseignement ne peut etre organise qu'à la demande de seize chefsde famille residant dans la commune.

La commune qui est saisie de la demande susvisee doit organiser cetenseignement ».

L'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales disposeque toute personne a droit à l'instruction, que l'Etat doit garantir,dans le cadre de l'exercice de ses competences en matiere d'educationet d'enseignement, le droit des parents et qu'il en decoule pourl'Etat l'obligation de veiller à ce que l'education et l'enseignementdispenses à leurs enfants se fassent dans le respect de leursconceptions philosophiques et religieuses.

L'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales dispose que « la jouissance des droits etlibertes reconnus dans la Convention doit etre assuree sansdistinction aucune, fondee notamment sur le sexe, la race, la couleur,la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autresopinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à uneminorite nationale, la fortune, la naissance ou toute autresituation ».

Les deux dispositions combinees obligent les Etats parties à garantirà toute personne relevant de leur juridiction un droit à1'instruction sans discrimination fondee sur la langue.

La Cour europeenne des droits de 1'homme a juge que l'article 7, S: 3,de la loi du 2 aout 1963 sur l'emploi des langues en matiereadministrative viole 1'article 14 de la Convention de sauvegarde desdroits de 1'homme et des libertes fondamentales, combine à l'article2 du Premier Protocole additionnel à cette convention, en tant qu'ilne garantit pas aux enfants dont la langue maternelle ou usuelle estle franc,ais le droit d'acceder aux etablissements scolaires existantdans les six communes à statut propre de la peripherie bruxelloise,dites communes à facilites linguistiques, lorsque le chef de famillene reside pas dans l'une de ces communes (C.E.D.H., 23 juillet 1968,affaire « relative à certains aspects du regime linguistique de1'enseignement en Belgique »).

L'arret attaque decide que « les reformes institutionnelles de 1970,en rattachant les six communes à facilites à la region bruxelloise[lire : de langue neerlandaise], a modifie une des premisses deselements de fait que la Cour europeenne a sanctionnes lorsqu'elle aindique que les six communes ne relevent [pas] de la region unilingueneerlandaise mais forment un àrrondissement administratif distinct'dote d'un `statut propre' ».

En vertu des articles 4 de la Constitution et 3 des lois coordonneesdu 18 juillet 1966, les six communes à statut propre de la peripheriebruxelloise sont rattachees à la region de langue neerlandaise.

Le rattachement des six communes « à facilites linguistiques » nemet toutefois pas fin au « statut propre » de ces six communes de laperipherie bruxelloise. L'article 7 des lois coordonnees du 18 juillet1966, tel qu'il a ete modifie par l'article 2 de la loi du 23 decembre1970, dispose en effet que :

« Sont [...] dotees d'un statut propre, les communes de Drogenbos,Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genese, Wemmel et Wezembeek-Oppem.

En vue de l'application des dispositions suivantes et notamment cellesdu chapitre IV, ces communes sont considerees comme des communes àregime special. Elles sont denommees ci-apres `communesperipheriques' ».

En vertu de l'article 4 de la Constitution, leur statut ne peut etremodifie que par une loi votee à majorite speciale. Par ailleurs,l'article 16bis de la loi de reformes institutionnelles du 8 aout 1980dispose que « les decrets, reglements et actes administratifs nepeuvent porter prejudice aux garanties existantes au moment del'entree en vigueur de la presente disposition dont beneficient lesfrancophones dans les communes citees à l'article 7 des lois surl'emploi des langues en matiere administrative, coordonnees le 18juillet 1966, ainsi qu'à celles dont beneficient les neerlandophones,les francophones et les germanophones dans les communes citees àl'article 8 des memes lois ».

Les enfants dont la langue maternelle ou usuelle est le franc,ais maisdont le chef de famille ne reside pas dans une des communes « àfacilites linguistiques » de la peripherie bruxelloise ne peuventetre inscrits dans un des etablissements scolaires dont 1'enseignementest organise en franc,ais en vertu de l'article 7, S: 3, B, de la loidu 2 aout 1963. Cette restriction ne s'applique pas aux enfants dontla langue maternelle ou usuelle est le neerlandais et qui desirents'inscrire dans un des etablissements scolaires dont 1'enseignementest organise en neerlandais : ces enfants peuvent s'y inscrire quelque soit le lieu de residence du chef de famille.

Il s'en deduit que l'article 7, S: 3, de la loi du 2 aout 1963 negarantit pas un acces à 1'enseignement dans les six communes « àfacilites linguistiques » sans discrimination fondee sur la langue etque l'Etat belge n'a pas mis fin à la violation de l'article 14 de laConvention de sauvegarde des droits de 1'homme et des libertesfondamentales, combine à l'article 2 du Premier Protocole additionnelà cette convention, constatee par la Cour europeenne des droits del'homme en son arret du 23 juillet 1968.

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, la faute dommageablecommise par 1'Etat dans 1'exercice de sa fonction legislative engagedirectement sa responsabilite. L'Etat est, comme les gouvernes, soumisaux regles de droit, et notamment à celles qui regissent lareparation des dommages decoulant des atteintes portees par des fautesaux droits subjectifs et aux interets legitimes des personnes.L'article 46, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de1'homme et des libertes fondamentales dispose que « les hautesparties contractantes s'engagent à se conformer aux arrets definitifsde la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ».

En decidant que les demandeurs « restent en defaut de demontrer unefaute [du defendeur] », 1'arret attaque viole les articles 14 et 46,S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, 2 du Premier Protocole additionnel à cetteconvention, 4 de la Constitution, 16bis de la loi speciale de reformesinstitutionnelles du 8 aout 1980, 3 et 7 des lois sur l'emploi deslangues en matiere administrative, coordonnees le 18 juillet 1966, 7,S: 3, de la loi du 2 aout 1963 sur l'emploi des langues en matiereadministrative et, par voie de consequence, 1382 et 1383 du Codecivil.

III. La decision de la Cour

Aux termes de la premiere phrase de l'article 2 du Premier Protocoleadditionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales, nul ne peut se voir refuser le droit àl'instruction.

L'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales dispose que la jouissance des droits etlibertes reconnus dans cette convention doit etre assuree sansdistinction aucune, fondee notamment sur le sexe, la race, la couleur,la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autresopinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à uneminorite nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Il suit de ces dispositions que la jouissance du droit àl'instruction doit etre assuree à toute personne sans distinctionfondee sur la langue.

L'article 7, S: 3, de la loi du 2 aout 1963 sur l'emploi des languesen matiere administrative prescrit que, dans les communes deDrogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genese, Wemmel etWezembeek-Oppem, la langue de l'enseignement est le neerlandais maisque l'enseignement gardien et primaire peut y etre dispense enfranc,ais aux enfants dont cette langue est la langue maternelle ouusuelle et dont le chef de famille reside dans une de ces communes,que cet enseignement ne peut etre organise qu'à la demande de seizechefs de famille residant dans la commune et que la commune qui estsaisie de pareille demande doit organiser cet enseignement.

Alors que ces communes ne faisaient pas partie de la region de langueneerlandaise mais constituaient un « arrondissement administratifdistinct » dote d'un « statut propre », la Cour europeenne desdroits de l'homme a, par son arret rendu le 23 juillet 1968 enl'affaire « relative à certains aspects du regime linguistique del'enseignement en Belgique », dit pour droit que l'article 7, S: 3,de la loi du 2 aout 1963 n'est pas conforme aux exigences de l'article14 de la Convention, combine avec la premiere phrase de l'article 2 duPremier protocole, en tant qu'il empeche certains enfants, sur le seulfondement de la residence de leurs parents, d'acceder aux ecoles delangue franc,aise existant dans ces six communes.

Depuis que cet arret a ete rendu, lesdites communes font, conformementà l'article 4, alineas 1er et 2, de la Constitution et 3, S: 2, deslois sur l'emploi des langues en matiere administrative, coordonneesle 18 juillet 1966, partie de la region de langue neerlandaise ; ellesn'en sont pas moins, suivant l'article 7, alineas 1er et 2, desditeslois coordonnees, dotees d'un statut propre et considerees, en vue del'application des dispositions suivantes de ces lois, comme descommunes à regime special.

Si les enfants dont la langue maternelle ou usuelle est le franc,aismais dont le chef de famille ne reside pas dans l'une de ces communesne peuvent etre inscrits dans un des etablissements scolaires oul'enseignement y est dispense en franc,ais en vertu de l'article 7, S:3, de la loi du 2 aout 1963, tandis que les enfants de langueneerlandaise, langue de la region, ont, quel que soit le lieu deresidence du chef de famille, acces aux etablissements scolaires desmemes communes ou l'enseignement est dispense en neerlandais, il n'enresulte pas que ledit article 7, S: 3, ne garantit pas la jouissancedu droit à l'instruction sans discrimination fondee sur la langue.

S'agissant des dispositions exprimant le refus de l'Etat de creer oude subventionner dans la region de langue neerlandaise des ecolesdispensant un enseignement en franc,ais, la Cour europeenne des droitsde l'homme a, dans l'arret precite du 23 juillet 1968, considere que« ces dispositions ont pour but de realiser l'unite linguistique àl'interieur des deux grandes regions de la Belgique, dans lesquellesune large majorite de la population ne parle que l'une des deuxlangues nationales ; [qu']on ne saurait considerer une telle mesurecomme arbitraire ; qu'[elle] repose, tout d'abord, sur cet elementobjectif que constitue la region, [et qu']elle s'inspire, en outre,d'un interet public, celui d'assurer que tous les etablissementsscolaires dependant de l'Etat et existant dans une region unilinguedispensent leur enseignement dans la langue qui est, au premier chef,celle de la region ».

La consideration de cet arret que « l'article 7 de la loi du 2 aout1963 a deroge au principe de territorialite » en distrayant les sixcommunes dotees d'un statut propre de la region de langueneerlandaise, qui explique d'ailleurs que la Cour europeenne desdroits de l'homme ait etendu l'examen de la discrimination qu'elle aretenue à la situation prevalant dans l'arrondissement bilingue deBruxelles-Capitale, ne peut, des lors, etre dissociee des autresconsiderations par lesquelles cette juridiction a conclu que lacondition de residence du chef de famille prevue au paragraphe 3 decet article « n'est pas imposee dans l'interet des etablissementsscolaires, pour des raisons d'ordre administratif ou financier »,mais « procede uniquement [...] de considerations tenant à lalangue ».

L'arret attaque constate que les demandeurs, domicilies à Beersel,ont demande de pouvoir inscrire leur fils dans une ecole deRhode-Saint-Genese, ou l'enseignement gardien est dispense enfranc,ais, et que cette inscription leur a ete refusee, en applicationde l'article 7, S: 3, de la loi du 2 aout 1963, parce qu'ils neresidaient pas dans une des six communes dotees d'un statut propre.

En considerant, pour decider que les demandeurs « restent en defautde demontrer une faute [...] de l'Etat belge », que « la reformeinstitutionnelle de 1970, en rattachant les six communes à facilitesà la region neerlandophone, a modifie une des premisses des elementsde fait que la Cour europeenne [des droits de l'homme] a sanctionneslorsqu'elle a indique que les six communes ne relevent pas de laregion unilingue neerlandaise mais forment `un arrondissementadministratif distinct' dote d'`un statut propre' », l'arret attaquene viole aucune des dispositions legales visees au moyen.

Celui-ci ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

* La Cour

* Rejette le pourvoi :

* Condamne les demandeurs aux depens.

* Les depens taxes à la somme de cent trente euros quatorzecentimes envers les parties demanderesses et à la somme de troiscent onze euros vingt-cinq centimes envers la partiedefenderesse.

* Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, àBruxelles, ou siegeaient le president de section ChristianStorck, president, les presidents de section Albert Fettweis etMartine Regout, les conseillers Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du vingt-deux decembre deux milleseize par le president de section Christian Storck, en presencede l'avocat general delegue Philippe de Koster, avec l'assistancedu greffier Patricia De Wadripont.

+---------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+-------------+-------------|
| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
+---------------------------------------------+

22 DECEMBRE 2016 C.10.0051.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0051.F
Date de la décision : 22/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-12-22;c.10.0051.f ?
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