La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2017 | BELGIQUE | N°C.16.0020.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mai 2017, C.16.0020.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0020.F

G. E.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,

contre

1. M. P.,

2. M. M.,

defendeurs en cassation.

NDEG C.16.0036.F

G. E.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil

est fait election de domicile,

contre

1. M. P.,

2. M. M.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Les pourv...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0020.F

G. E.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,

contre

1. M. P.,

2. M. M.,

defendeurs en cassation.

NDEG C.16.0036.F

G. E.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,

contre

1. M. P.,

2. M. M.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Les pourvois en cassation sont diriges contre l'arret rendu le 27 mars2014 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par un acte depose au greffe de la Cour le 28 janvier 2016, lademanderesse se desiste du pourvoi inscrit au role general sous le numeroC.16.0020.F.

Le president de section Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

A l'appui du pourvoi inscrit au role general sous le numero C.16.0036.F,la demanderesse presente un moyen dans la requete en cassation jointe aupresent arret en copie certifiee conforme.

III. La decision de la Cour

Les pourvois sont diriges contre le meme arret ; il y a lieu de lesjoindre.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.16.0020.F :

Il y a lieu de decreter le desistement du pourvoi.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.16.0036.F :

Sur le moyen :

Quant aux deux branches reunies :

D'une part, en vertu de l'article 1423, alinea 1er, du Code civil,l'action en nullite formee en application de l'article 1422 de ce code surla base des articles 1417, alinea 2, 1418 et 1419 doit, à peine deforclusion, etre introduite dans l'annee du jour ou l'epoux demandeur a euconnaissance de l'acte accompli par son conjoint et au plus tard avant laliquidation definitive du regime.

La connaissance requise par cette disposition n'exige pas que l'epoux quiagit en nullite dispose des pieces constatant l'acte accompli par sonconjoint.

D'autre part, l'article 1349 du Code civil dispose que les presomptionssont des consequences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu àun fait inconnu.

Aux termes de l'article 1353 du Code civil, les presomptions qui ne sontpas etablies par la loi sont abandonnees aux lumieres et à la prudence dumagistrat.

Dans les cas ou la preuve par presomptions est legalement admise, le jugeapprecie en fait la valeur probante des presomptions sur lesquelles il sefonde.

La Cour se borne à verifier si le juge n'a pas viole la notion depresomption de l'homme et si, notamment, il n'a pas deduit des faitsconstates par lui des consequences qui ne seraient susceptibles, sur leurfondement, d'aucune justification.

L'arret enonce que le premier defendeur deduit la connaissance du pretlitigieux notamment du fait que « le notaire D. a pris des notesmanuscrites lors de la reunion d'installation qui s'est tenue le 21 mai2008 mentionnant l'existence de deux prets dans les termes suivants :- `Dodecinvest : 26.000 euros, 25 novembre 2006 ; - M. : 50.000 euros, 7juillet 2006' ».

Il considere que la demanderesse « a eu connaissance du pret lors de lareunion d'installation du 21 mai 2008 ; [qu']il doit en effet etre accordefoi au courrier du notaire D. [...] des lors que celui-ci indique s'etrebase sur ses notes prises lors de ladite reunion et que s'y trouvaientprecises le montant et la date du pret evoque par [le premierdefendeur] » ; que le notaire « affirme que [l'existence dudit pret] aete evoquee lors de la reunion » ; que la demanderesse « confirmeindirectement les dires du notaire puisqu'elle precise que `[le premierdefendeur] a vaguement evoque des emprunts' », et que « le fait que lespieces justificatives ne furent pas produites au cours de cette reunion etque [le premier defendeur] fut ensuite invite par le notaire à lesfournir importe peu, puisque l'existence du pret avait effectivement eteevoquee en presence de [la demanderesse] et de maniere suffisammentprecise pour que le notaire puisse mentionner les noms des preteurs et ladate des prets ».

L'arret a pu, sans violer les dispositions legales visees au moyen ni lanotion legale de presomption, et sans renverser la charge de la preuve quipese sur les defendeurs, deduire de ces enonciations que la demanderesse aacquis le 21 mai 2008 la connaissance, au sens de l'article 1423 du Codecivil, de l'existence de l'acte litigieux accompli par le premierdefendeur et decider que sa demande, introduite le 15 fevrier 2010, est,des lors, irrecevable.

Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Joint les pourvois inscrits au role general sous les numeros C.16.0020.Fet C.16.0036.F ;

Decrete le desistement du pourvoi inscrit au role general sous le numeroC.16.0020.F ;

Rejette le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.16.0036.F ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes, dans la cause C.16.0020.F, à la somme de mille septcent quatre-vingt-deux euros quatre-vingt-neuf centimes envers la partiedemanderesse et, dans la cause C.16.0036.F, à la somme de millequarante-six euros cinq centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Ariane Jacquemin, et prononce en audience publique du quatremai deux mille dix-sept par le president de section Christian Storck, enpresence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | A. Jacquemin | M. Regout |
|-----------------+--------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+----------------------------------------------+

Requete

Requete en cassation

Pour : G. E.,

demanderesse en cassation,

assistee et representee par Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à 1050 Bruxelles, avenue Louise106, chez qui il est fait election de domicile.

Contre : 1. M. P.,

premier defendeur en cassation,

2. M. M.,

deuxieme defendeur en cassation.

A Messieurs les Premier President et President, Mesdames et Messieurs lesConseillers à la Cour de cassation,

Mesdames,

Messieurs,

La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure l'arret rendu

contradictoirement entre les parties le 27 mars 2014 par la 16eme chambrede la Cour d'appel de Bruxelles (RG 2011/AR/1391).

1.- Les faits de la cause et les antecedents de la procedure tels qu'ilsresultent des pieces auxquelles votre Cour peut avoir egard peuvent seresumer comme suit :

La demanderesse etait mariee avec le premier defendeur sous le regimelegal de droit commun, suivant acte rec,u le 5 juin 2001 par le notaire D.D.

La demanderesse s'est separee de son mari dans le courant du mois de mars2007.

Une citation en divorce a ete lancee le 9 octobre 2007 et le divorce futprononce le 23 novembre 2007.

2.- Le 7 juillet 2006, le premier defendeur a conclu avec le deuxiemedefendeur, un contrat de pret portant sur la somme de 50.000 eurosmoyennant un taux d'interet de 8 %, courant à compter du jour de laconclusion de la convention.

Les fonds pretes ont transite durant une journee sur le compte bancairecommun avant d'etre immediatement reverses au compte de la societe anonyme«Medinbelgium ». Ce compte fut ensuite debite à concurrence de 45.230euros en faveur de la societe «Opportunity to sell ».

Aucun remboursement n'etant intervenu, le premier defendeur fut poursuivipar le deuxieme defendeur en remboursement du pret litigieux. Il futcondamne par jugement du 17 mars 2009 à payer à ce dernier la somme de50.000 euros majoree des interets moratoires aux taux de 8% à dater du 7juillet 2006.

3.- Dans le cadre des operations de liquidation-partage de la communautedes ex-epoux, apres une premiere reunion d'installation du 21 mai 2008, leNotaire D. a ecrit aux conseils de la demanderesse et du premier defendeurainsi qu'au notaire V. D. E. pour demander notamment au conseil du premierdefendeur d'adresser un releve reprenant toutes les dettes à charge de lacommunaute ayant existe entre le premier defendeur et la demanderesse,accompagne des pieces justificatives.

Aucun proces-verbal de la reunion d'installation du 21 mai 2008 ne fut

dresse.

4.- Le 9 avril 2009, le conseil du premier defendeur ecrivit aux notairesqu'il conviendrait de fixer une nouvelle reunion entre les parties,signalant à cette occasion l'existence d'un pret prive ayant servi àfinancer «Medinbelgium» et mentionnant le jugement rendu le 17 mars2009. Le conseil du premier defendeur faisait mention de cette dette commeappartenant aux dettes communes.

Le 1er octobre 2009, la demanderesse fit savoir qu'elle n'avait jamais euconnaissance de ce pret et par courrier du 25 janvier 2010, elle annonc,aqu'elle envisageait une action en annulation de ce pret sur la base del'article 1422 du Code civil.

L'action en annulation du pret litigieux a ete introduite le 15 fevrier2010.

5.- En premiere instance, le juge a decide que la demanderesse avait eteinformee de l'existence du pret litigieux par le courrier du 14 juin 2009qui en faisait etat.

L'action introduite par citation du 15 fevrier 2010 etait des lorsrecevable.

En ce qui concerne le fond, le premier juge a declare fondee l'action ennullite et a, en consequence, dit la convention de pret du 7 juillet 2006nulle et de nul effet à l'egard de la demanderesse.

6.- Un appel a ete interjete par le premier defendeur contre cettedecision.

L'arret attaque dit que l'action originaire est irrecevable, estimant quela demanderesse avait eu connaissance de l'existence du pret à tout lemoins lors de la reunion d'installation du 21 mai 2008, de sorte que ledelai d'un an pour l'introduction de l'action en nullite fondee surl'article 1422 du Code civil etait expire au moment ou l'action futintroduite.

7.- A l'encontre de l'arret attaque, la demanderesse a l'honneur depresenter le moyen unique de cassation qui suit.

Moyen unique de cassation

Dispositions legales dont la violation est invoquee

- Articles 1417, 1418, 1419, 1422 et 1423 du Code civil (l'article 1422tant dans sa version anterieure que posterieure à sa modification par laloi du 30 juillet 2013);

- Article 870 du Code judiciaire;

- Articles 1315, 1349, et 1353 du Code civil.

Partie critiquee de la decision attaquee

L'arret qui dit l'appel du premier defendeur recevable et fonde, etreformant le jugement entrepris dit la demande originaire de lademanderesse irrecevable aux motifs que :

«(...)

3.

Selon le contrat de pret litigieux, « (le deuxieme defendeur) prete (aupremier defendeur) la somme de 50.000 EUR. A cette fin, (le deuxiemedefendeur) transfere la somme de 50.000 EUR par virement bancaire aucredit du compte (du premier defendeur) nDEG ... ». Il n'est pas contesteque le compte bancaire precite etait un compte commun et que celui-ci aete credite du montant emprunte le 10 juillet 2006 ; le meme jour, cecompte a ete debite de la somme de 50.000 EUR au profit du compte de la SAMedinbelgium avec la mention « pret M. P. » ; le compte de cettederniere societe sera à son tour debite de 45.230 EUR au profit de lasociete OTS.

4.

(le premier defendeur) fait grief au jugement a quo d'avoir rejetel'argument de forclusion qu'il soulevait à l'encontre de la demandeformee par (la demanderesse).

Aux termes de l'article 1423 du Code civil, « l'action en nullite doitetre introduite à peine de forclusion dans l'annee du jour ou l'epouxdemandeur a eu connaissance de l'acte accompli par son conjoint et au plustard avant la liquidation du regime ».

5.

(La demanderesse) soutient n'avoir ete avisee de l'existence du pret qu'àla reception de la note recapitulative etablie par le conseil (du premierdefendeur) le 11 septembre 2009, à l'ouverture des operations deliquidation partage du regime matrimonial des parties.

6.

Selon (le premier defendeur), (la demanderesse) a eu connaissance du pretlors de la reunion d'installation qui a eu lieu le 21 mai 2008, voireprecedemment. Il deduit que (la demanderesse) a eu connaissance du pretdes elements suivants :

- (la demanderesse) etait co-titulaire du compte commun ; elle a duconstater que le montant prete avait ete verse sur ce compte et qu'il enavait ete retire avec la mention « pret M. P. » ;

- le notaire D. a pris des notes manuscrites lors de la reuniond'installation qui s'est tenue le 21 mai 2008 mentionnant l'existence dedeux prets dans les termes suivants :

« DODECINVEST : 26.000 EUR, 25.11.2006

- M.: 50.000 EUR, 7.7.2006» a servi au paiement acompte achat maison (vteannulee) ».

7.

« Avoir connaissance signifie en etre informe par quelque moyen que cesoit ; il n'est à cet egard pas requis de disposer de l'acte en tant quetel, pourvu que l'on ait eu connaissance de son existence (Y.H. Leleu,Regimes matrimoniaux, chr. de jur. (1982-1996), R.C.J.B., 1998, p. 181).

8.

Il ressort des extraits du compte commun produits par (le premierdefendeur) relatifs à la periode litigieuse que (la demanderesse) aeffectue des operations regulieres à partir de celui-ci (contrairement àce qu'affirme (la demanderesse), le compte etait regulierement mouvementepar des depenses courantes et meme alimente par une « participationcommune »).

Les trois derniers mouvements effectues à partir du compte avant l'entree(et la sortie) des fonds litigieux sont le fait de (la demanderesse), dememe que les deux mouvements qui l'ont directement suivi. S'il n'endecoule pas la preuve que (la demanderesse) a eu immediatementconnaissance de l'operation litigieuse, un tel usage du compte impliquequ'il y avait un haut degre de vraisemblance qu'elle a consulte lesextraits bancaires et pu constater le virement de 50.000 EUR, dontl'importance ne devait pas manquer de l'alerter (au vu des mouvements demoindre importance habituellement enregistres sur le compte). A cet egard,(la demanderesse) ne demontre pas, comme elle l'affirme, que (le premierdefendeur) se serait empare des extraits de compte, lui otant toutepossibilite de controle.

9.

Il apparait à tout le moins que (la demanderesse) a eu connaissance dupret lors de la reunion d'installation du 21 mai 2008. Il doit en effetetre accorde foi au courrier du notaire D. precite des lors que celui-ciindique s'etre base sur ses notes prises lors de ladite reunion et que s'ytrouvaient precises le montant et la date du pret evoque par (le premierdefendeur). La circonstance que le notaire s'est trompe en indiquant quele pret a servi au « paiement acompte achat maison vte annulee » estsans incidence, des lors que cette precision n'affectait pas l'existencedudit pret, dont il affirme qu'elle a ete evoquee lors de la reunion.

10.

(la demanderesse) confirme indirectement les dires du notaire puisqu'elleprecise que « lorsque (le premier defendeur) a vaguement evoque desemprunts, il n'a pas produit le moindre document et dont avocat del'epoque, Maitre B., s'est meme exclamee « Mais Monsieur P., on ne sortpas comme c,a un emprunt de son chapeau sans apporter le moindre document» (conclusions additionnelles et de synthese, p. 13). Le fait que lespieces justificatives ne furent pas produites au cours de cette reunion etque (le premier defendeur) fut ensuite invite par le notaire à lesfournir importe peu, puisque l'existence du pret avait effectivement eteevoquee en presence de (la demanderesse), et de maniere suffisammentprecise pour que le notaire puisse mentionner les noms des preteurs et ladate des prets.

11.

C'est des lors à tort que (la demanderesse) soutient que cette evocationetait insuffisante au motif que « seule la communication de l'actelitigieux contenant toutes les donnees precises, en ce compris lesconditions du pret, sa destination et surtout les noms et les coordonneesprecises du preteur ainsi que le delai de remboursement permettentd'intenter une action en annulation » (conclusions additionnelles et desynthese, p. 15), ces exigences depassant celles de l'article 1423 du Codecivil.

Les developpements que (la demanderesse) consacre à l'attitude (dudeuxieme defendeur) et à l'existence d'un autre pret sont sans interetpour la solution du litige.

La demande originaire est des lors irrecevable.

Elle n'est pas pour autant temeraire et vexatoire comme le soutient (lepremier defendeur), (la demanderesse) ayant pu legitimement se meprendresur ses droits. (...)» (arret attaque, p. 4 à 7, points 3 à 11).

Griefs

Premiere branche

En application de l'article 1423 du Code civil, l'action en nulliteintroduite en vertu de l'article 1422 du Code civil sur la base de l'undes fondements enumeres par cette disposition, et notamment sur la basedes articles 1417 alinea 2, 1418, et 1419 du Code civil, doit etreintroduite à peine de forclusion dans l'annee du jour ou l'epouxdemandeur a eu connaissance de l'acte accompli par son conjoint et au plustard avant la liquidation definitive du regime.

Le delai stipule par l'article 1423 du Code civil est un delai deforclusion dont il convient en consequence d'apprecier strictement lesconditions d'application.

La connaissance requise par l'article 1423 du Code civil est uneconnaissance effective qui doit etre appreciee concretement.

Il n'y a pas connaissance effective dans le chef de celui qui entend agiren annulation sur la base de l'article 1422 du Code civil si celui-ci nedispose pas de tous les elements necessaires permettant d'introduireutilement une demande en annulation.

Avant d'examiner depuis quelle date la demanderesse avait connaissance dupret litigieux pour determiner si le delai d'un an etait ecoule à la dateà laquelle son action fut introduite, l'arret enonce ce qu'il entend par« connaissance » de l'acte litigieux en considerant que cela signifie«(...) en etre informe par quelque moyen que ce soit ; il n'est à cetegard pas requis de disposer de l'acte en tant que tel, pourvu que l'onait eu connaissance de son existence (Y.H. Leleu, Regimes matrimoniaux,chr. de jur. (1982-1996), R.C.J.B., 1998, p. 181) ».

Il examine ensuite si la demanderesse a acquis une telle connaissance lorsde la reunion d'installation tenue par le Notaire D. le 21 mai 2008, etconclut que tel est bien le cas, des lors que l'existence du pretlitigieux, son montant, la date du pret et les noms des preteurs y furentevoques.

La simple « evocation » de l'existence d'un acte critiquable ne permetcependant pas de conclure que l'epoux qui agit en nullite avaitconnaissance de cet acte des cette date. Une telle « evocation » nepermet pas en effet à l'epoux qui decouvre l'acte en question d'agirutilement en justice tant qu'il ne dispose pas de tous les elementsnecessaires permettant d'introduire sa demande en annulation sur la basede l'article 1422 du Code civil.

L'arret constate certes que le notaire confirme que l'existence du pretavait ete evoquee en presence de la demanderesse mais ne constate pas quela demanderesse disposait en consequence, des cette date, de tous leselements necessaires permettant d'introduire utilement une demande enannulation. L'arret releve d'ailleurs que le demandeur etait invite àproduire les pieces justificatives relatives à ce pret.

En decidant que « l'evocation » du pret lors de la reuniond'installation du 21 mai 2008, sans production des pieces justificativesque le premier defendeur etait d'ailleurs invite à produireulterieurement, suffit à retenir la connaissance de l'acte litigieux descette date dans le chef de la demanderesse lui permettant d'agir ennullite dans le delai d'un an prevu par l'article 1423 du Code civil,l'arret viole la notion legale de « connaissance » au sens de cettedisposition qui exige une connaissance effective, circonstanciee,supposant que le demandeur dispose de tous les elements concretsnecessaires permettant d'introduire utilement sa demande.

L'arret viole en consequence les articles 1422 et 1423 du Code civil quiorganisent les actions en nullite qu'un des epoux peut introduire àl'encontre d'un acte accompli par l'autre epoux, en violation notammentdes articles 1417 alinea 2, 1418, et 1419, et ne justifie pas legalementsa decision. L'arret viole en consequence aussi ces dispositions.

Deuxieme branche

En application de l'article 1423 du Code civil, l'action en nulliteintroduite en vertu de l'article 1422 du Code civil sur la base de l'undes fondements enumeres par cette disposition, et notamment sur la basedes articles 1417 alinea 2, 1418, et 1419 du Code civil, doit etreintroduite à peine de forclusion dans l'annee du jour ou l'epouxdemandeur a eu connaissance de l'acte accompli par son conjoint et au plustard avant la liquidation definitive du regime.

Le delai stipule par l'article 1423 du Code civil est un delai deforclusion dont il convient en consequence d'apprecier strictement lesconditions d'application.

La connaissance requise par l'article 1423 du Code civil est uneconnaissance effective qui doit etre appreciee concretement.

Il n'y a pas connaissance effective dans le chef de celui qui entend agiren annulation sur la base de l'article 1422 du Code civil si celui-ci nedispose pas de tous les elements necessaires permettant d'introduireutilement une demande en annulation.

Conformement aux articles 870 du Code judiciaire et 1315 du Code civil, lacharge de la preuve de la connaissance de l'acte attaque repose sur celuiqui invoque l'expiration du delai prevu à l'article 1423 du Code civil.

L'arret admet qu'il ne decoule pas du fait que la demanderesse avait accesau compte commun et faisait usage de celui-ci durant la periode au coursde laquelle les fonds empruntes y transiterent, que la demanderesse avaiteu immediatement connaissance de l'operation litigieuse.

L'arret decide cependant que la demanderesse avait connaissance de l'actelitigieux des le 21 mai 2008, des lors que le notaire D. a confirme qu'aucours de la reunion d'installation intervenue à cette date l'existence dupret litigieux, son montant, la date du pret et les noms des preteursauraient ete evoques. Il constate neanmoins que le defendeur fut invitepar le Notaire à produire les pieces justificatives relative à ce pret.

De la simple « evocation » de l'existence du pret, de son montant, de sadate et des noms des preteurs, et alors que l'arret constate que lepremier defendeur etait invite à produire ulterieurement les piecesjustificatives de ce pret, il ne pouvait se deduire que la demanderesseavait connaissance au sens de l'article 1423 du Code civil lui permettantd'agir en nullite dans le delai prevu par cette disposition à peine deforclusion, une telle action supposant une connaissance effective etcirconstanciee de l'acte attaque et de tous les elements permettant deformer une telle action en nullite.

Si ce delai commence à courir le lendemain du jour ou le conjoint a eteinforme, par quelque moyen que ce soit, de l'accomplissement de l'acte, ilne peut toutefois debuter avant que l'epoux, demandeur en annulation, aitune connaissance precise et circonstanciee de l'acte attaque.

Une telle connaissance suppose que l'epoux concerne dispose de tous leselements lui permettant d'introduire sa demande en justice et de justifierson action.

Il resulte des articles 1349 et 1353 du Code civil que le juge ne peuttirer des faits constates des consequences qui sont sans rapport avecceux-ci ou qui ne peuvent etre legalement justifies sur cette base.

De la simple « evocation » sans communication ou production de piecesjustificatives de l'existence d'un pret, et des elements constitutifs decelui-ci, il ne se deduit pas une connaissance effective et circonstancieede l'acte litigieux faisant courir le delai pour agir prevu à peine deforclusion par l'article 1423 du Code civil.

En decidant que la demanderesse avait connaissance de l'acte litigieux desla reunion d'installation du 21 mai 2008 puisque cet acte avait ete« evoque » au cours de celle-ci, sans constater que tous les elementsindispensables à l'introduction d'une action en nullite avaient eteprecises, et notamment l'identite complete du cocontractant et sondomicile, alors qu'il constate par ailleurs que les pieces justificativesn'etaient pas produites et qu'elles devaient seulement l'etreulterieurement par le premier defendeur, l'arret viole l'article 1423 duCode civil et la charge de la preuve de la connaissance effective del'acte litigieux incombant aux defendeurs (violation des articles 1315 duCode civil et 870 du Code judiciaire).

En deduisant de la seule constatation de fait de la simple« evocation » de l'acte litigieux, de sa date, de son montant et du nomdes preteurs lors de la reunion du 21 mai 2008, sans piece justificative,que le premier defendeur etait d'ailleurs invite à produireulterieurement, que la demanderesse avait connaissance au sens del'article 1423 du Code civil de l'acte litigieux faisant courir le delaid'un an prevu à peine de forclusion des cette date, l'arret deduit uneconsequence impossible à justifier legalement et viole, des lors, lanotion legale de presomption de fait (violation des articles 1349 et 1353du Code civil).

L'arret n'a des lors pu legalement decider qu'en l'espece, le delai d'unan prevu à peine de forclusion par l'article 1423 du Code civil a priscours le 21 mai 2008 et qu'en consequence l'action en nullite fondee surl'article 1422 du Code civil plus d'un an apres cette date etaitirrecevable. Il viole en consequence les articles 1422 et 1423 du Codecivil.

Developpements

8.- Lorsque l'un des epoux entend obtenir l'annulation d'un acte accomplipar l'autre epoux en violation des articles 1417 alinea 2, 1418, et 1419du Code civil, il doit le faire à peine de forclusion dans un delai d'unan à partir du moment ou il a eu connaissance de l'acte incrimine.

La demande introduite par la demanderesse en annulation d'un empruntcontracte par le premier defendeur en violation des articles 1417, alinea2 et 1418 du Code civil a ete introduite le 15 fevrier 2010.

Le premier defendeur a soutenu que cette action avait ete introduite plusd'un an apres que la demanderesse ait eu connaissance du pret litigieux,et qu'elle etait en consequence irrecevable.

Il estimait en effet que la demanderesse avait eu connaissance de l'actelitigieux lors de la reunion d'installation s'etant deroulee chez leNotaire D. le

21 mai 2008.

Il a ete suivi par la Cour d'appel qui a decide par l'arret attaque quel'evocation au cours de cette reunion de l'existence du pret litigieux, deson montant, de la date du pret et des noms des preteurs suffisait àetablir que la demanderesse disposait depuis cette date de la connaissancel'acte litigieux à partir de laquelle le delai pour agir en nullitecommenc,ait à courir en vertu de l'article 1423 du Code civil.

9.- La question qui se pose des lors est celle de savoir ce qu'il fautentendre par « connaissance » pour l'application de cette disposition.

Le delai pour agir prend cours au moment ou l'epoux demandeur a euconnaissance de l'acte.

Le delai stipule à l'article 1423 du Code civil est un delai deforclusion qui ne peut etre ni interrompu, ni suspendu.

10.- Definir ce qu'il faut entendre par la connaissance de l'actelitigieux suppose qu'un equilibre soit etabli entre les interets tant destiers que des epoux concernes.

Si le legislateur a voulu reduire l'insecurite resultant de l'incertitudeconcernant la validite de l'acte pouvant faire l'objet d'une action ennullite, il faut prendre en consideration le caractere relativement brefdu delai dans lequel l'epoux demandeur en annulation doit agir.

Le point de depart etant la connaissance de l'acte, il faut preciser lanotion legale de « connaissance » au sens de cette disposition.

Doit-on admettre qu'il suffit comme l'arret le retient qu'une« evocation » de l'existence d'un acte critiquable ait eu lieu enpresence de l'epoux demandeur en annulation pour considerer qu'il en a euconnaissance depuis ce moment, ou faut-il admettre comme le soutenait lademanderesse en l'espece que la « connaissance » n'existe qu'à partirdu moment ou l'epoux qui agit en annulation dispose de tous les elementslui permettant d'agir utilement ?

11.- Le moyen de cassation critique l'arret en ce qu'il considere que laconnaissance exigee par cette disposition existe des le moment ou unemention quelconque de l'existence d'un acte annulable est faite meme sicette mention n'est accompagnee d'aucune piece justificative ni ne permetà l'epoux demandeur de disposer des elements necessaires àl'introduction de l'action prevue par les articles 1422 et 1423 du Codecivil.

A l'appui de sa these suivant laquelle, la connaissance de l'actelitigieux à attaquer suppose une connaissance effective impliquant quel'epoux demandeur dispose de tous les elements lui permettant d'agir enannulation, la demanderesse pense pouvoir se referer par analogie, d'unepart au regime applicable aux actions en nullite prevue par l'article 224,S: 2 du Code civil ainsi qu'à la notion de connaissance des conditionsreunies de la responsabilite pour determiner le moment à partir duquelcourt le delai de prescription prevu à l'article 2262 bis du Code civil.

12.- Suivant l'article 224 du Code civil, l'action en annulation ou endommages et interets doit etre introduite dans un delai d'un an à partirdu moment ou l'epoux demandeur a eu connaissance de l'acte incrimine.

Il s'agit comme dans le cas de l'article 1423 du Code civil applicable enl'espece d'un delai de forclusion.

S'agissant d'un delai de forclusion, il faut que la connaissance de l'actesoit precise et effective. Il faut que l'epoux qui agit en annulationdispose des elements necessaires à l'introduction de cette demande.

Ceci suppose la connaissance non seulement de l'existence de l'acte, cequi va de soi, mais egalement du contenu de celui-ci ainsi que de toutesles informations utiles à l'introduction d'une action en justice.

La connaissance doit donc etre effective et circonstanciee.

Le delai de forclusion ne peut commencer à courir avant une telleconnaissance : « Il est en effet difficile d'admettre qu'un delai deforclusion puisse commencer à courir alors que la possibilited'introduire une demande est inexistante » (Y-H Leleu et L. Raucent,Repertoire Notarial, Les regimes matrimoniaux, article 224 du Code civil,p. 442, note 2).

Si la possibilite d'introduire une demande est inexistante tant qu'un acten'est pas accompli, meme si l'epoux demandeur a eu connaissance desnegociations prealables à l'acte litigieux, il en va de meme aussilongtemps que la partie qui agit ne dispose pas des elements permettant deverifier le contenu exact de l'acte et son caractere critiquable, et detous les elements permettant d'agir regulierement en justice en vued'obtenir l'annulation de l'acte.

13.- Une question similaire a suscite un debat comparable au sein de ladoctrine et de la jurisprudence au sujet de la question de la connaissancedes elements constitutifs de la responsabilite qui constitue le point dedepart du delai prevu par l'article 2262 bis du Code civil dans lequell'action en responsabilite quasi-delictuelle doit etre introduite par lavictime.

Depuis l'arret de Votre Cour du 26 avril 2012, il est admis que le pointde depart de la prescription de l'action en responsabilitequasi-delictuelle est le jour ou la personne lesee a eu effectivementconnaissance du dommage et non le jour ou elle doit etre presumee en avoireu connaissance (Cass., 26 avril 2012, RG nDEG C.11.0143.N, Juridat ;R.W., 2012-2013, p. 944, note G. Velghe).

Dans ce cas d'espece, l'arret attaque avait deduit de la transcription del'acte en question au bureau de la conservation des hypotheques, que lavictime de cet acte fautif en avait connaissance des cette transcription,puisqu'à compter de la transcription, les tiers ayant un droit litigieuxsur le bien ne peuvent plus invoquer leur bonne foi.

Il fut casse des lors qu'il ne pouvait etre deduit de cette transcriptionrendant pourtant l'acte opposable aux tiers que la victime avaitconnaissance de l'acte litigieux.

Il faut en conclure que si la connaissance effective et necessaire peutetre etablie par des elements objectifs, ou par un faisceau depresomptions, il faut toutefois pouvoir etablir la connaissance deselements de fait necessaires à l'introduction d'une action en justice(Maxime Marchandise, Principes generaux et prescription liberatoire, DePage, Tome VI, Bruylant, 2014, p. 398).

14.- Ainsi, le degre de certitude que doit avoir la victime suppose quecelle-ci connaisse « les informations permettant d'assigner une personneet, de la sorte d'interrompre la prescription. Une description ne suffiradonc pas pour une personne physique, ni l'identite du dirigeant d'unepersonne morale pour l'action à diriger contre celle-ci (...).

La victime doit avoir connaissance des faits necessaires à l'intentementd'une action en responsabilite(...) » (Maxime Marchandise, Principesgeneraux et prescription liberatoire, De Page, Tome VI, Bruylant, 2014, p.396).

15.- Les memes principes doivent s'appliquer à l'action en nulliteintroduite par l'un des epoux à l'encontre d'un acte accompli par l'autreen violation des articles 1417 alinea 2, 1418 et 1419 du Code civil.

Le delai d'un an prevu à l'article 1423 du Code civil pour agir enannulation sur la base de l'article 1422 du Code civil ne peut commencerà courir avant que l'epoux demandeur ait une connaissance effective etcirconstanciee de l'acte critique, ce qui suppose qu'il ait connaissancedes elements lui permettant d'agir utilement à cette fin.

16.- La premiere branche du moyen critique l'arret dans la mesure ou ilretient que la simple « evocation » de l'existence d'un acte en presencede l'epoux demandeur repond à la notion de legale de « connaissance »de l'acte litigieux au sens de l'article 1423 du Code civil.

La deuxieme branche du moyen reproche à l'arret d'avoir considere que laconnaissance de la demanderesse au sens de l'article 1423 du Code civiletait etablie en l'espece en se fondant sur la simple « evocation » del'existence du pret litigieux alors que de cette simple evocation il nepouvait etre deduit une connaissance permettant d'agir en nullite.

Certes, l'arret indique que l'evocation etait suffisamment precise pourque le notaire puisse mentionner les noms des preteurs et la date desprets mais ces mentions n'etaient pas suffisantes pour permettre à lademanderesse d'agir en justice en nullite.

Comment la demanderesse pouvait-elle en effet lancer citation en justiceen vertu d'un contrat qu'elle ne possede pas, à l'encontre d'un tiersdont elle ne connait que le nom sans aucune indication quant au lieu deson domicile.

Le fait que le premier defendeur etait invite à produire les piecesjustificatives relatives au pret litigieux confirme d'ailleursl'insuffisance de la simple evocation qui eut lieu en l'espece.

L'arret ne pouvait des lors decider que la demanderesse avait, des lareunion d'installation, connaissance de l'acte litigieux lui permettantd'agir en nullite.

La Cour d'appel n'a pas legalement decide en consequence que lademanderesse etait hors delai pour agir.

Par ces considerations,

L'avocat à la Cour de cassation soussigne conclut qu'il vous plaise,Mesdames, Messieurs, casser l'arret attaque, ordonner que mention en soitfaite en marge de l'arret attaque, renvoyer l'affaire devant une autreCour d'appel et statuer comme de droit sur les depens.

Bruxelles, le 15 janvier 2016

Pour Pierre Van Ommeslaghe

Absent à la signature

Isabelle Heenen

Avocat à la Cour de cassation

4 MAI 2017 C.16.0020.F/3

C.16.0036.F

Requete/19


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0020.F
Date de la décision : 04/05/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-05-04;c.16.0020.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award