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29/05/2017 | BELGIQUE | N°S.15.0079.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 mai 2017, S.15.0079.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° S.15.0079.F

N. S.,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Patricia Vanlersberghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6,où il est fait élection de domicile,

contre

SAINT-GOBAIN SEKURIT BENELUX, société anonyme dont le siège social estétabli à Bastogne, chaussée Romaine, 60,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Anvers, Amerik

alei, 187/302, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contr...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° S.15.0079.F

N. S.,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Patricia Vanlersberghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6,où il est fait élection de domicile,

contre

SAINT-GOBAIN SEKURIT BENELUX, société anonyme dont le siège social estétabli à Bastogne, chaussée Romaine, 60,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 décembre2014 par la cour du travail de Liège.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.

L'avocat général Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 10, 11, 149 et 159 de la Constitution ;

- article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle ;

- articles 33, § 1^er, avant sa modification par la loi du 28 février2014, 42, alinéa 1^er, et 43 de la loi du 4 août 1996 relative aubien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail ;

- articles 2, alinéas 1^er et 2, 2°, a), 3, 4, 3°, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 dela loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers enprévention ;

- article 62, 5°, de la loi du 13 février 1998 portant des dispositions enfaveur de l'emploi ;

- principe d'égalité et de non-discrimination.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt, donnant acte aux parties de leurs dires, dénégations ou réserveset rejetant comme non fondées toutes conclusions autres, plus amples oucontraires, déclare l'appel du demandeur non fondé, confirme le jugementdu premier juge en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne lacondamnation aux dépens de 7.700 euros, partant, rejette la demande dudemandeur tendant à la condamnation de la défenderesse à lui payer lasomme provisionnelle de 273.910,02 euros au titre de l'indemnité deprotection prévue par l'article 10 de la loi du 20 décembre 2002 portantprotection des conseillers en prévention et, à défaut, de dommages etintérêts, réduit l'indemnité de procédure de première instance à la sommede 1.100 euros et condamne le demandeur à rembourser les frais designification de 258,65 euros et à payer les indemnités de procédure depremière instance de 1.100 euros et d'appel de 1.100 euros, notamment parles motifs suivants :

« Contrairement à ce que prétend (le demandeur), la procédured'information et de consultation prévue par la loi du 13 février 1998 enmatière de licenciement collectif a été respectée, ce qui a été confirmépar [le] service public fédéral de l'Emploi, du Travail et de laConcertation sociale ;

La cour [du travail] reprend certains passages dans le procès-verbal ducomité pour la prévention et la protection au travail extraordinaire du 8octobre 2009 (…) ;

La cour [du travail] relève que (le demandeur) a signé le procès-verbal dela réunion ainsi que messieurs D. et M. ;

Le 20 octobre 2009, une réunion du comité pour la prévention et laprotection au travail s'est tenue et (le demandeur) a lu le procès-verbaldu comité extraordinaire du 8 octobre 2009, qui précise : `suite à cela,il n'y a plus de remarque, le rapport est donc approuvé' ;

Le 12 novembre 2009, [la défenderesse] a informé le service public fédéralde l'Emploi, du Travail et de la Concertation sociale de toute laprocédure mise en route dans le cadre du licenciement collectif depuis le9 février 2009 et sollicité son intervention conformément à l'article 7, §2, de la loi du 20 décembre 2002 précitée ;

Le 25 novembre 2009, le service public fédéral de l'Emploi, du Travail etde la Concertation sociale répondit en ces termes : ` Des documents quevous m'avez transmis à l'appui de votre demande, il s'avère que lelicenciement en question a lieu dans le cadre d'un licenciement collectifauquel s'appliquent les procédures fixées au chapitre VII de la loi du 13février 1998, ceci m'ayant été confirmé ce jour par le Forem. Dès lors, enapplication de l'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002, lesprocédures déterminées par cette loi ne sont pas d'application et donc iln'y a pas lieu de faire appel à la procédure définie à l'article 7' ;

Le 22 décembre 2009, (le demandeur) fut licencié ; (…)

La cour [du travail] relève que (le demandeur) a fait acter dans unprocès-verbal du 8 octobre 2009 qu'il n'a plus de protection ;

Le 20 octobre 2009, le procès-verbal du 8 octobre 2009 signé par (ledemandeur) a été approuvé ;

Le service public fédéral de l'Emploi, du Travail et de la Concertationsociale a confirmé que les procédures déterminées par la loi du 20décembre 2002 précitée ne sont pas d'application ;

La cour [du travail] considère que [la défenderesse] ne devait pasrespecter dans le cadre du licenciement (du demandeur) les procéduresprévues par la loi et n'a pas violé le contenu de l'article 9 de la loiprécitée ;

[La défenderesse] n'a jamais mis en doute les compétences etl'indépendance (du demandeur) ;

Dans ces conditions, [la défenderesse] n'est pas redevable de l'indemnitéde protection prévue à l'article 10 de la loi du 20 décembre 2002 précitée;

Il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Courconstitutionnelle sur une éventuelle discrimination ou violation duprincipe d'égalité puisque, non seulement, [la défenderesse] a respecté laprocédure légale de licenciement collectif, mais, encore, [elle] a bienprévenu en temps et heures qu'un poste d'employé au sein du département`prévention et sécurité au travail' serait supprimé ; (…)

Sur la base de toutes ces considérations, l'appel n'est pas fondé ».

Griefs

Première branche

1. Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunauxn'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locauxqu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

De même, il ne leur appartient pas de faire application d'une loiqualifiée d'inconstitutionnelle.

Aux termes de l'article 10 de la Constitution, les Belges sont égauxdevant la loi. L'article 11 de la Constitution dispose que la jouissancedes droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sansdiscrimination.

Si ces règles constitutionnelles ne font pas obstacle à ce qu'untraitement différent soit établi à l'égard de certaines catégories depersonnes, un tel traitement distinct ne se justifie toutefois que pourautant que cette différence soit objectivement et raisonnablementjustifiée.

De même, le fait de traiter de façon identique des personnes se trouvantdans des situations distinctes peut s'avérer contraire aux principesd'égalité et de non-discrimination.

2. L'article 33, § 1^er, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-êtredes travailleurs lors de l'exécution de leur travail, tel qu'il estd'application avant sa modification par la loi du 28 février 2014, disposeque :

« Chaque employeur a l'obligation de créer un service interne deprévention et de protection au travail.

À cet effet, chaque employeur dispose d'au moins un conseiller enprévention.

Dans les entreprises de moins de vingt travailleurs, l'employeur peutremplir lui-même la fonction de conseiller en prévention.

Ce service assiste l'employeur et les travailleurs lors de l'applicationdes mesures visées aux articles 4 à 32 en ce qu'elles ont trait aubien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail ».

Aux termes de l'article 42, alinéa 1^er, de la loi précitée, lesconseillers en prévention d'un service interne de prévention et deprotection au travail font partie du personnel de l'employeur, sauf dansle cas visé à l'article 33, § 1^er, alinéa 3.

Aux termes de l'article 43 de ladite loi, les conseillers en préventionremplissent leur mission en toute indépendance vis-à-vis de l'employeur etdes travailleurs. Ils ne peuvent subir de préjudice en raison de leursactivités en tant que conseiller en prévention.

Il s'ensuit que la présence d'un conseiller en prévention en serviceinterne est obligatoire dès que l'employeur occupe plus de vingtpersonnes.

3. La loi du 20 décembre 2002 instaure un régime de protection desconseillers en prévention contre tout licenciement.

L'article 2, alinéa 1^er, de la loi du 20 décembre 2002 portant protectiondes conseillers en prévention précise que la loi s'applique aux employeurset aux conseillers en prévention.

Selon l'article 2, alinéa 2, 2°, a), de ladite loi, pour l'application decelle-ci, il faut entendre par « le conseiller en prévention » toutepersonne physique, membre d'un service interne pour la prévention et laprotection au travail, avec laquelle l'employeur a conclu un contrat detravail ou qui est liée à l'employeur en application d'un statut auxtermes duquel sa situation juridique est réglée unilatéralement parl'autorité publique, qui est effectivement occupée par cet employeur etremplit les missions fixées en vertu de l'article 33, §§ 1^er, alinéa 4,et 3, de la loi du 4 août 1996 précitée.

L'article 3 de la loi du 20 décembre 2002 dispose notamment quel'employeur ne peut rompre le contrat du conseiller en prévention, mettrefin à l'occupation statutaire du conseiller en prévention ou l'écarter desa fonction que pour des motifs qui sont étrangers à son indépendance oupour des motifs qui démontrent qu'il est incompétent à exercer sesmissions et pour autant que les procédures visées par cette loi soientrespectées. 

Cette disposition a pour objectif d'assurer l'indépendance du conseilleren prévention et de le mettre à l'abri d'éventuelles mesures dereprésailles de son employeur.

4. L'article 5 de la loi du 20 décembre 2002 dispose notamment que :

« L'employeur qui envisage de rompre le contrat d'un conseiller enprévention est tenu, simultanément :

1° de communiquer au conseiller en prévention concerné, par lettrerecommandée, les motifs pour lesquels il veut mettre fin au contrat ainsique la preuve de ces motifs ;

2° de demander par lettre recommandée aux membres du comité ou des comitésdont l'accord préalable sur la désignation doit être demandé leur accordpréalable quant à la résiliation du contrat et de leur communiquer unecopie de la lettre qui a été envoyée au conseiller en prévention concerné».

Ensuite s'ouvrent deux voies :

- en cas d'accord du comité, l'employeur peut mettre fin au contrat duconseiller en prévention pour autant qu'il respecte, le cas échéant, lesdispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.Si le conseiller en prévention ne marque pas son accord sur la rupture deson contrat, il peut saisir le tribunal du travail compétent aux fins defaire établir qu'il y a eu atteinte à son indépendance ou que les motifsinvoqués en ce qui concerne l'incompétence à exercer ses missions ne sontpas prouvés (article 6) ; 

- en cas de désaccord du comité ou si le comité ne s'est pas prononcé dansun délai raisonnable, l'employeur ne peut pas mettre fin au contrat. Si,néanmoins, l'employeur persiste dans son intention de mettre fin aucontrat, il applique la procédure visée au paragraphe 2 avant de saisir letribunal du travail (article 7, § 1^er). L'employeur devra notammentdemander d'abord l'avis du fonctionnaire chargé de la surveillance enapplication de l'article 80 de la loi du 4 août 1996 précitée, lequelentendra les parties concernées et tentera de concilier les positions dechacune (article 7, § 2).

L'employeur ne pourra rompre le contrat, le cas échéant, selon lesdispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail,que pour autant que le tribunal du travail ou la cour du travailreconnaisse que les motifs invoqués par l'employeur sont étrangers àl'indépendance du conseiller en prévention ou que les motifsd'incompétence invoqués sont prouvés (articles 8 et 9).

Aux termes de l'article 10, alinéa 1^er, de la loi du 20 décembre 2002,l'employeur est tenu de payer au conseiller en prévention une indemnité enraison de la rupture du contrat, 1° lorsque l'employeur ne respecte pasles procédures prescrites en vertu de cette loi, 2° lorsque le tribunal dutravail ou la cour du travail reconnaît, dans le cadre de la procédurevisée à l'article 6, alinéa 2, qu'il a été porté atteinte à l'indépendancedu conseiller en prévention ou que les motifs invoqués en ce qui concernel'incompétence à exercer ses missions ne sont pas prouvés, 3° lorsquel'employeur met fin au contrat en violation de l'article 9.

Ces procédures spécifiques visent à protéger le conseiller en préventioncontre toute atteinte à son indépendance.

5. Aux termes de l'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002, lesprocédures déterminées par cette loi ne s'appliquent pas dans le cas d'unlicenciement collectif auquel s'appliquent les procédures fixées en vertudu chapitre VIII de la loi du 13 février 1998 portant des dispositions enfaveur de l'emploi.

Il s'agit en fait du chapitre VII de la loi du 13 février 1998, consacréaux « licenciements collectifs », qui dispose en son article62, 5°, que, pour l'application de cette loi, il faut entendre par« licenciement collectif, tout licenciement pour un ou plusieurs motifsnon inhérents à la personne des travailleurs qui affecte au cours d'unepériode de soixante jours un nombre de travailleurs :

- au moins égal à dix dans les entreprises occupant en moyenne plus devingt et moins de cent travailleurs au cours de l'année civile précédantle licenciement ;

- représentant au moins dix p.c. du nombre des travailleurs dans lesentreprises occupant en moyenne au moins cent et moins de trois centstravailleurs au cours de l'année civile précédant le licenciement ;

- au moins égal à trente dans les entreprises occupant en moyenne au moinstrois cents travailleurs pendant l'année civile précédant lelicenciement ».

6. Ce faisant, le législateur a mis en place un traitement différent desconseillers en prévention confrontés à un licenciement collectif quin'apparaît pas objectivement et raisonnablement justifié eu égard àl'objectif poursuivi par la loi du 20 décembre 2002, à savoir assurerl'indépendance du conseiller en prévention et le mettre à l'abrid'éventuelles mesures de représailles de son employeur, dès lors que rienn'exclut que, sous le couvert d'un licenciement collectif, qui n'affectequ'un certain nombre des travailleurs occupés par l'employeur, leconseiller en prévention, inclus dans le nombre des travailleurs àlicencier, ne soit en fait licencié pour des motifs se rapportant à sonindépendance.

Il n'existe dès lors aucune justification raisonnable à ce que, en cas delicenciement collectif, un conseiller en prévention ne bénéficie point,comme tout autre conseiller en prévention, de la protection de la loi du20 décembre 2002 prescrivant des procédures spécifiques à respecter parl'employeur pour licencier le conseiller en prévention et ce, sous peinede devoir payer une indemnité en cas de non-respect.

7. Par ailleurs, en excluant l'application des procédures instaurées parla loi du 20 décembre 2002 dans le cas d'un licenciement collectif auquels'appliquent les procédures fixées en vertu du chapitre VIII (en fait lechapitre VII) de la loi du 13 février 1998 et ce quel que soit le nombrede personnes qui resteront occupées par l'employeur après leditlicenciement, cette règle traite de façon identique deux situations biendifférentes, à savoir :

- d'une part, celle dans laquelle, après le licenciement collectif, lenombre de travailleurs restant occupés au sein de l'employeur estinférieur au nombre minimal imposé par la règlementation relative aubien-être, qui oblige l'employeur à disposer d'un conseiller en préventionen interne,

- d'autre part, celle dans laquelle, après le licenciement collectif, lenombre de travailleurs restant occupés au sein de l'employeur estsupérieur au nombre imposé par la loi sur le bien-être et oblige enconséquence l'employeur à conserver, en tout état de cause, à son serviceun conseiller en prévention en interne.

En effet, si, dans la première hypothèse, la fonction de conseiller enprévention disparaît du fait du licenciement collectif, de sorte qu'il nese justifie plus de maintenir une quelconque protection contre lelicenciement au profit du conseiller en prévention, dans la deuxièmehypothèse, cette fonction devra être maintenue par l'employeur.

Dès lors que cette fonction est maintenue, il se justifie de maintenir laprotection contre le licenciement dont bénéficie le conseiller enprévention en vertu de la loi du 20 décembre 2002, [sous peine] depermettre à des employeurs peu scrupuleux de profiter d'un licenciementcollectif pour licencier un conseiller en prévention par mesure dereprésailles ou en portant atteinte à l'indépendance de celui-ci.

Il n'existe aucune justification raisonnable à supprimer la protectiondont bénéficie le conseiller en prévention en vertu de la loi du 20décembre 2002 lorsque la fonction de conseiller en prévention estmaintenue dans l'entreprise après le licenciement collectif en raison dunombre de travailleurs occupés et, partant, à traiter les conseillers enprévention, dont la fonction est maintenue dans l'entreprise, de la mêmefaçon que les conseillers en prévention, dont la fonction est appelée àdisparaître après le licenciement collectif.

8. Partant, dans la mesure où l'article 4 de la loi du 20 décembre 2002exclut l'application des procédures de protection instaurées par cette loien faveur des conseillers en prévention afin d'assurer leur indépendanceet de les mettre à l'abri d'éventuelles mesures de représailles de leuremployeur, dans le cas d'un licenciement collectif auquel s'appliquent lesprocédures fixées en vertu du chapitre VIII (lire : VII) de la loi du 13février 1998, alors que rien n'exclut que, sous le couvert d'unlicenciement collectif, le conseiller en prévention inclus dans le nombrede travailleurs à licencier ne soit en fait licencié pour des motifs serapportant à son indépendance, cette disposition viole le principed'égalité et de non-discrimination. 

De même, dans la mesure où elle exclut, dans le cas d'un licenciementcollectif auquel s'appliquent les procédures fixées en vertu du chapitreVII de la loi du 13 février 1998, l'application des procédures deprotection instaurées par la loi du 20 décembre 2002 en faveur desconseilleurs en prévention afin d'assurer leur indépendance et de lesmettre à l'abri d'éventuelles mesures de représailles de leur employeur etce, aussi bien lorsque la fonction de conseiller en prévention est appeléeà disparaître que dans l'hypothèse où cette fonction sera maintenue aprèsle licenciement collectif, alors que rien n'exclut que, sous le couvertd'un licenciement collectif, le conseiller en prévention inclus parl'employeur dans le nombre de travailleurs à licencier ne soit en faitlicencié pour des motifs se rapportant à son indépendance, cettedisposition viole le principe d'égalité et de non-discrimination.

9. Partant, l'arrêt, qui décide, en application de l'article 4 de la loidu 20 décembre 2002, que les procédures instaurées par cette loi nes'appliquaient pas en l'espèce, fait application d'une dispositioninconstitutionnelle pour les motifs précités (violation des articles 10,11 et 159 de la Constitution, 3 et 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002portant protection des conseillers en prévention, ainsi que du principed'égalité et de non-discrimination) et n'a pu légalement décider quelesdites procédures ne s'appliquaient pas en l'espèce (violation desarticles 2, alinéas 1^er et 2, 2°, a), 3, 4, 3°, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de laloi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention,33, § 1^er, tel qu'il est d'application avant sa modification par la loidu 28 février 2014, 42, alinéa 1^er, et 43 de la loi du 4 août 1996relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leurtravail, et 62, 5°, de la loi du 13 février 1998 portant des dispositionsen faveur de l'emploi).

Il s'ensuit qu'il y a lieu de soumettre d'abord, en application del'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle, à cette cour les questions préjudicielles suivantes :

L'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002 portant protection desconseillers en prévention, qui prévoit que les procédures déterminées parcette loi ne s'appliquent pas dans le cas d'un licenciement collectifauquel s'appliquent les procédures fixées en vertu du chapitre VIII (enfait le chapitre VII) de la loi du 13 février 1998 portant desdispositions en faveur de l'emploi, viole-t-il les articles 10 et 11 de laConstitution et le principe d'égalité et de non-discrimination en ce que,en cas de licenciement collectif, le conseiller en prévention interne estexclu de la protection des procédures spécifiques dont bénéficie leconseiller en prévention dont le licenciement individuel est envisagé parl'employeur, alors que rien n'exclut que dans le cas d'un licenciementcollectif le conseiller en prévention ne soit inclus par l'employeur dansle nombre de travailleurs licenciés précisément en raison de la fonctionqu'il occupe dans l'entreprise et de l'indépendance avec laquelle ill'exerce ?

L'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002 portant protection desconseillers en prévention, qui prévoit que les procédures déterminées parcette loi ne s'appliquent pas dans le cas d'un licenciement collectifauquel s'appliquent les procédures fixées en vertu du chapitre VIII (enfait le chapitre VII) de la loi du 13 février 1998 portant desdispositions en faveur de l'emploi, viole-t-il les articles 10 et 11 de laConstitution et le principe d'égalité et de non-discrimination en ce qu'ilne fait pas de différence entre l'hypothèse dans laquelle, après lelicenciement collectif, l'employeur est encore tenu de conserver à sonservice un conseiller en prévention interne et celle dans laquelle, aprèsle licenciement collectif, l'employeur ne compte plus un nombre detravailleurs suffisant pour être tenu d'instituer un conseiller enprévention interne ?

Deuxième branche

Aux termes de l'article 3 de la loi du 20 décembre 2002 portant protectiondes conseillers en prévention, l'employeur ne peut rompre le contrat duconseiller en prévention, mettre fin à l'occupation statutaire duconseiller en prévention ou l'écarter de sa fonction que pour des motifsqui sont étrangers à son indépendance ou qui démontrent qu'il estincompétent à exercer ses missions et pour autant que les procéduresvisées par cette loi soient respectées. 

L'article 9 de la loi du 20 décembre 2002 précise que, si le tribunal dutravail ou la cour du travail reconnaît que les motifs invoqués parl'employeur ne sont pas étrangers à l'indépendance du conseiller enprévention ou que les motifs d'incompétence invoqués ne sont pas prouvés,l'employeur ne peut pas mettre fin au contrat.

Aux termes de l'article 10, alinéa 1^er, de ladite loi, l'employeur esttenu de payer au conseiller en prévention une indemnité en raison de larupture du contrat, 1° lorsque l'employeur ne respecte pas les procéduresprescrites en vertu de cette loi, 2° lorsque le tribunal du travail ou lacour du travail reconnaît, dans le cadre de la procédure visée à l'article6, alinéa 2, qu'il a été porté atteinte à l'indépendance du conseiller enprévention ou que les motifs invoqués en ce qui concerne l'incompétence àexercer ses missions ne sont pas prouvés, 3° lorsque l'employeur met finau contrat en violation de l'article 9.

Ces dispositions ont pour objectif d'assurer l'indépendance du conseilleren prévention et de le mettre à l'abri d'éventuelles mesures dereprésailles de son employeur.

Il s'ensuit que la rupture du contrat doit être étrangère à l'indépendancedont a fait preuve le conseiller en prévention dans l'exercice de safonction.

La simple constatation que « l'employeur n'a jamais mis en doute lescompétences et l'indépendance (du demandeur) » n'exclut nullement queladite indépendance du conseiller en prévention ait été le motif de sonlicenciement.

Partant, s'il devait être lu en ce sens qu'il considère qu'en tout état decause il n'y a pas eu violation de la loi du 20 décembre 2002 au motif quel'employeur « n'a jamais mis en doute les compétences et l'indépendance(du demandeur) », l'arrêt n'est pas légalement justifié, la considérationprécitée n'excluant nullement que le demandeur ait été licencié pour desmotifs relatifs à son indépendance (violation des articles 3, 9 et 10,alinéa 1^er, de la loi du 20 décembre 2002 portant protection desconseillers en prévention).

Troisième branche

Dans ses conclusions additionnelles valant conclusions de synthèse, ledemandeur exposait l'existence d'un engagement unilatéral de ladéfenderesse à soumettre la décision de son licenciement au vote desmembres du comité pour la prévention et la protection au travail, qu'àl'occasion du comité du 29 septembre 2009, monsieur M. avait notamment ditqu'il acceptait la demande des délégations visant à voter sur la questiondu licenciement du demandeur et que, s'agissant d'un engagement quin'était soumis à aucune condition et qui était émis sans la moindreréserve, il ne pouvait ultérieurement être retiré par la direction de ladéfenderesse.

Il observait que la direction de la défenderesse avait décidéultérieurement de se passer du vote des membres du comité pour laprévention et la protection au travail et de solliciter l'avis del'inspection du service public fédéral de l'Emploi, du Travail et de laConcertation sociale, privant ainsi le demandeur de la protection qui luiétait conventionnellement offerte par la loi du 20 décembre 2002.

Il concluait que, dès lors que la défenderesse s'était unilatéralementengagée à soumettre la question de la levée de la protection dulicenciement, dont il bénéficiait dans le cadre de la loi du 20 décembre2002, aux membres du comité pour la prévention et la protection autravail, elle ne pouvait unilatéralement retirer son engagement ; que cefaisant elle avait commis une faute.

L'arrêt ne répond par aucune considération à ce moyen.

Si le dispositif rejette comme non fondées toutes conclusions, autres,plus amples ou contraires, cette déclaration ne constitue pas une réponseaudit moyen, l'arrêt ne contenant aucune précision quant aux motifs pourlesquels la cour du travail aurait considéré ledit moyen comme non fondé.

Partant, l'arrêt, qui omet de rencontrer le moyen précité, n'est pasrégulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Sur la première fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche,par la défenderesse et déduite du défaut d'intérêt :

Le moyen, en cette branche, soutient que l'article 4, 3°, de la loi du 20décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention viole lesarticles 10 et 11 de la Constitution.

Ce moyen pourrait entraîner la cassation de la décision, fondée sur leditarticle 4, 3°, que les procédures déterminées par la loi précitée nes'appliquent pas au licenciement du demandeur.

Il n'est pas nécessaire pour entraîner cette cassation que le demandeurcritique aussi la décision de l'arrêt de ne pas soumettre à la Courconstitutionnelle cette inconstitutionnalité déjà dénoncée en degréd'appel.

Sur la seconde fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, parla défenderesse et déduite du défaut d'intérêt :

Il ne se déduit pas des motifs de l'arrêt que « l'employeur n'a jamais misen doute les compétences ni l'indépendance » du demandeur et que « leslicenciements intervenus dans le cadre du licenciement collectif sontmotivés par la situation économique […] reconnue et avérée » de ladéfenderesse que l'arrêt considère que cette dernière a licencié ledemandeur pour des motifs étrangers à son indépendance.

Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

Le demandeur soutient que l'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002portant protection des conseillers en prévention établit unediscrimination entre, d'une part, le conseiller licencié dans le cas d'unlicenciement collectif auquel s'appliquent les procédures fixées en vertudu « chapitre VIII (lire : VII) » de la loi du 13 février 1998 portant desdispositions en faveur de l'emploi et, d'autre part, le conseiller dont lelicenciement individuel est envisagé, en privant le premier des procéduresde protection prévues par la loi à l'égard du second.

Il soutient également que l'article 4, 3°, précité établit unediscrimination en traitant de manière identique les conseillers enprévention licenciés dans le cas d'un tel licenciement collectif, sansdistinguer selon que l'employeur reste ou non tenu, en vertu de l'article33, § 1^er, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être destravailleurs lors de l'exécution de leur travail et suivant le nombre detravailleurs encore occupés après le licenciement collectif, de disposerd'un conseiller en prévention au sein du personnel.

Conformément à l'article 26, § 1^er , 3°, de la loi spéciale du 6 janvier1989 sur la Cour constitutionnelle, cette cour statue, à titrepréjudiciel, par voie d'arrêts, sur les questions relatives à la violationpar une loi des articles 10 et 11 de la Constitution.

En vertu de l'article 26, § 2, de ladite loi spéciale, la Cour est tenuede poser à la Cour constitutionnelle les questions libellées au dispositifdu présent arrêt.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu auxquestions préjudicielles suivantes :

L'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002 portant protection desconseillers en prévention viole-t-il les articles 10 et 11 de laConstitution en excluant à l'égard du conseiller en prévention licenciédans le cas d'un licenciement collectif, auquel s'appliquent lesprocédures fixées en vertu du chapitre VII de la loi du 13 février 1998portant des dispositions en faveur de l'emploi, l'application desprocédures prévues par la loi du 20 décembre 2002 pour le conseiller enprévention dont le licenciement individuel est envisagé ?

L'article 4, 3°, de la loi du 20 décembre 2002 portant protection desconseillers en prévention viole-t-il les articles 10 et 11 de laConstitution en excluant l'application de ces procédures de protection àl'égard de tout conseiller en prévention dans le cas précité delicenciement collectif, sans distinguer selon que l'employeur reste ou nontenu de disposer d'un conseiller en prévention au sein du personnel aprèsle licenciement collectif, suivant qu'il occupe à ce moment au moins vingtou, au contraire, moins de vingt travailleurs ?

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, les conseillersDidier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et ArianeJacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-neuf mai deux milledix-sept par le président de section Christian Storck, en présence del'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffierLutgarde Body.

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| L. Body | A. Jacquemin | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Delange | D. Batselé | Chr. Storck |
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29 MAI 2017 S.15.0079.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.15.0079.F
Date de la décision : 29/05/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-05-29;s.15.0079.f ?
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