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23/02/1973 | BéNIN | N°6

Bénin | Bénin, Cour suprême, Chambre judiciaire, 23 février 1973, 6


Propriété immobilière - Affectation d'une partie des terres familiales à la subsistance d'un des membres de la famille qu entre en ménage avec un étranger - Opposition à l'aliénation par les héritiers des bénéficiaires des terres affectées - Pourvoi formé par un membre de la Collectivité - Cassation.

Les biens affectées à la subsistance d'un membre de la famille qui entre en ménage ne perdent pas leur caractère familial ni du fait de son exploitation par le ménage ou ses descendants. Ces biens gardent le caractère collectif et ne sauraient et ne sauraient faire l'obj

et d'aliénation qu'avec le consentement de la collectivité.

N°6 /CJ A du...

Propriété immobilière - Affectation d'une partie des terres familiales à la subsistance d'un des membres de la famille qu entre en ménage avec un étranger - Opposition à l'aliénation par les héritiers des bénéficiaires des terres affectées - Pourvoi formé par un membre de la Collectivité - Cassation.

Les biens affectées à la subsistance d'un membre de la famille qui entre en ménage ne perdent pas leur caractère familial ni du fait de son exploitation par le ménage ou ses descendants. Ces biens gardent le caractère collectif et ne sauraient et ne sauraient faire l'objet d'aliénation qu'avec le consentement de la collectivité.

N°6 /CJ A du 23 février 1973

Assou AZANKPO
C/
Adjété AHOUEFA

Vu la déclaration en date du 2 octobre 1969 faite au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle Maître AMORIN ,avocat à la Cour, conseil du sieur Assou AZANKPO, s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n°100/69 en date du 23 juillet 1969 rendu par la cour d'Appel de Cotonou(chambre de droit traditionnel);

Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;

Vu l'arrêt attaqué;

Ensemble les mémoires ampliatif et en défense en date des 29 décembre 1970, 03 août et 22 décembre 1971 des Maîtres AMORIN et KEKE, conseils des parties en cause;

Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;

Vu l'Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 portant Composition, Organisation, Fonctionnement et Attributions de la Cour Suprême;

Vu l'article 21 al.4 de ladite ordonnance qui stipule:
«Le Président de la Cour Suprême préside quand il le juge convenable chacune des trois autres Chambres; en pareil cas celle-ci est complétée par un Conseiller appartenant à une autre formation.»;

Ouï à l'audience publique du vendredi vingt trois février mil neuf cent soixante treize, Monsieur le Conseiller HOUNDETON en son rapport;

Monsieur le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusionsécrites en date du treize Juillet mil neuf cent soixante douze ;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi;

Attendu que par acte dressé au greffe de la Cour d'Appel sous le n°25 du 2 octobre 1969, Me AMORIN, Avocat à la Cour, Conseil du sieur ZANKPO s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n°100/69 rendu contradictoirement le 23 juillet 1969 par la Cour d'Appel siégeant en matière de droit traditionnel dans la cause opposant ASSOU AZANKPO à Ahouéfa ADJETE. Qu'avis de ce pourvoi a été donné à la dame AHOUEFA Adjété par lettre n°284/G CA du 14 octobre de Mr le Greffier en Chef de la Cour d'Appel et transmise par la Brigade de Gendarmerie de Comè comme en témoigne le procès-verbal n°1700 du 15 octobre 1969 dressé par ladite Brigade de Gendarmerie;

Attendu que par lettre n°4079/PG du 5 décembre 1969, le Procureur Général près la cour d'Appel transmettait au Procureur Général près la cour Suprême, parmi d'autres le dossier de la procédure Assou AZANKPO C/ AHOUEFA Adjété, lettre qui fut enregistrée à l'arrivée sous le n°739/GCS du 12 décembre 1969 au greffe de la Cour Suprême;

Attendu que par lettre n°243/GCS du 27 décembre 1969, le greffier en Chef faisait connaître à Assou AZANKPO qu'il avait un délai de deux mois pour produire ses moyens de cassation et le mettant en demeure, lui rappelait les stipulations des articles 42 et 45 de l'Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 organisant la Cour Suprême; cette lettre fut remise à l'intéressé par l'intermédiaire de la Brigade de Gendarmerie de Comè comme en fait foi le procès-verbal de remise et notification n°32 du 9 janvier 1970 de ladite Brigade;

Attendu que par lettre en date du 12 mars 1970, le Bâtonnier AMORIN, Conseil du requérant demanda que soit versé au dossier le relevé des notes d'audience de la Cour d'Appel, qu'il soit relevé de forclusion et qu'une nouvelle mise en demeure lui soit notifiée après la production des notes d'audience. Que satisfaction lui fut donnée par lettre n°567 du 22 mai 1970 de Monsieur le Greffier en Chef de la Cour Suprême, qui par lettre n°307/GCS du 31 mars avait demandé au Procureur Général près la Cour d'Appel de lui faire parvenir les notes d'audience en question; que le relevé des notes d'audience en date du 20 avril 1970 est versé au dossier;

Attendu que par lettre n°782 du 21 octobre 1970 du Greffier en Chef de la Cour Suprême, un nouveau délai de deux mois est accordé au Conseil du requérant, lettre reçue le 22. Que Maître AMORIN dépose son mémoire ampliatif en date du 26 décembre 1970, enregistré au greffe le 31/12/1970 sous le n°615/GCS. Que le mémoire ampliatif du requérant fut communiqué avec remise d'un exemplaire à la dame Adjété AHOUEFA par l'intermédiaire de la Brigade de Gendarmerie de Grand-Popo comme en fait foi le procès-verbal n°155 du 4 mars 1971 dressé par ladite Brigade. Que Maître KEKE se constituant pour la dame Adjété demanda par lettre en date du 8 mars 1971 un nouveau délai de deux mois pour répondre, délai qui lui fut accordé par lettre n°271/GCS du 15 mars 1971, reçue en l'étude le 16 mars. Que le 14 juin 1971, Me KEKE réclama un délai supplémentaire de deux mois, ce qui lui fut accordé par lettre n°938 du 5 juillet 1971 reçue le juillet. Qu'enfin le mémoire en défense fut déposé par Me J.P. COADOU LE BROZEC substituant Me KEKE, le 3 août 1971, mémoire enregistré à l'arrivée le 4 août 1971 sous le n°551/GCS;

Attendu que la consignation de la somme de 5.000 francs a été faite au greffe de la Cour le 16 janvier 1970;

Attendu que le dossier est en état pour recevoir examen;

EN LA FORME:

Attendu que le pourvoi est recevable, toutes les prescriptions de la loi ayant été respectées.

LES FAITS:

Attendu que les faits de la cause peuvent être résumés comme suit:

Assou AZANKPO porte plainte contre la dame AHOUEFA Adjété pour vente de terrain de famille. Selon lui, lesdits terrains ont été donnés par HOUNKPE Dessou, son bisaïeul à Ahlonko, un étranger venu d'Agoué dans la région, mari de Woasséwoa, sour de Dessou et bisaïeul de la dame Ahouéfa; il s'agit d'un don fait par Dessou à l'occasion du mariage Ahlonko Woasséwoa pour permettre à ceux-ci d'assurer leurs subsistances; de ce mariage est né Ahlin-Kago qui mit au monde Adjété père d'Ahouéfa et de Hounêkpin. La palmeraie a toujours été exploitée par la lignée d'Ahlonko. Mais Ahouéfa, une femme, qui ne pouvait prétendre qu'à un usufruit, s'est mise à dilapider le bien. C'est ainsi qu'elle a mis en gage une partie pour 15.000 francs auprès du nommé Amoussou Agbon et vendu une autre partie au nommé Tozo Damado.

Ahouéfa reconnaît le gage et la vente mais prétend que le terrain appartient à elle est à sa sour par voie d'héritage, que son père Adjété de son vivant en avait vendu une partie au nommé Tozo Damado, qu'elle n'a fait que suivre les pas de ses parents;

Devant le tribunal, il s'est avéré que le litige porte sur deux palmeraies sur un terrain d'un seul tenant.

Ce qui est constant dans cette affaire c'est:

1°/ Le caractère autochtone de l'ascendance d'Azankpo;

2°/ Le caractère étranger de l'ascendance d'Ahouéfa;

3°/ Le mariage d'Ahlonko Woasséwoa;

La discussion sur l'origine du bien immeuble litigieux d'où découle la solution roule sur les termes don ou dot à l'occasion du mariage à l'occasion du mariage Ahlonko -Woasséwoa ou sur une «appréhension première» de la terre par le nommé Ahlonko, étranger venu d'Agoué;

AU FOND:

Attendu que le requérant avance six moyens à l'appui de son pourvoi;

1er moyen: Violation de l'article 23 du décret du 3 décembre 1931; défaut de tentative de conciliation;

La Cour d'Appel qui a annulé le jugement qui lui a été déféré, pour défaut de tentative de conciliation, a omis elle-même de réparer cette omission;

La tentative de conciliation est obligatoire devant la Cour lorsqu'il n'y a pas été procédé par les premiers juges;

Attendu que ce moyen ne peut être retenu. La tentative de conciliation étant rendue facultative depuis la loi du 9 décembre 1964 portant organisation judiciaire (art, 12); ce moyen ne peut plus être invoqué à l'appui d'un pourvoi en cassation;

Attendu que le premier moyen doit être rejeté;

Deuxième moyen: Violation de l'article 85 du décret du 3 décembre 1931 en ce que les déclarations des parties ne sont pas mentionnées dans l'arrêt;

Attendu que les déclarations du demandeur ont été reproduites à l'arrêt entrepris car ces déclarations constituent les griefs invoqués devant la Cour d'Appel contre le jugement frappé d'appel et que la Cour d'Appel a repris dans l'arrêt entrepris (Attendu que l'appelant fait grief au même jugement d'avoir attribué la propriété d'un terrain composé de deux palmeraies, sis à GBEHOUEOUATCHI (S/P de Grand-Popo) aux descendants d'Ahloko dont la dame Ahouéfa Adjété, aux motifs que..

1°/ Le terrain litigieux a été donné en dot par feu HOUNKPE Dessou (Grand-Père de l'appelant) à un étranger dénommé Ahlonko venu d'Agoué lequel a épousé sa sour Wassèna ou Wasséoua, afin de subvenir aux besoins du ménage; ce terrain reste donc et demeure dans le patrimoine de la famille HOUNKPE Dessou;

2°/ La coutume OUATCHI de même que la coutume Mina ne permettent pas aux femmes d'hériter des palmeraies et des champs elles n'ont qu'un droit d'usufruit sur ces biens;

Attendu que si la réponse de la défenderesse n'est pas consignée dans l'arrêt, il y est supplée par les mentions contenues dans le jugement dont il est fait appel, l'arrêt visant expressément ledit jugement. Qu'au surplus l'arrêt entrepris tient pour acquises les investigations faites par le premier juge, à savoir les déclarations des parties, les auditions des témoins et les constatations matérielles et qu'il suffit de se reporter audit jugement pour compléter les mentions de l'arrêt;

Qu'en effet «les mentions omises ne peuvent constituer une cause de nullité si elles peuvent se déduire du contexte ou des déclarations des parties ou si l'arrêt vise expressément les dispositions du jugement frappé d'appel lorsque celui-ci comporte bien lesdites mentions». Attendu qu'il en résulte que n'est pas fondé la reproche de violation de l'article 85 du décret du 3 décembre 1931 en ce que les déclarations des parties ne sont pas mentionnées dans l'arrêt;

Attendu que le 2ème moyen doit être écarté;

Troisième moyen: Violation encore de l'article 85 in fine en ce que la coutume n'est pas énoncée.

Aux termes de l'article visé au moyen, l'arrêt doit contenir l'énoncé complet de la coutume appliquée;

Une simple indication de coutume ne satisfait pas à cette exigence de la loi, encore moins la formule inscrite à l'arrêt;

«Statuant....en matière de droit traditionnel.....»

Attendu que ce grief n'est pas non plus fondé car la Cour d'Appel a bien énoncé la coutume qu'elle a appliquée. Qu'en effet, la Cour d'Appel a admis qu'il s'agit d'un don fait par DESSOU HOUNKPE à AHLONKO lors du mariage de celui-ci, décision qu'elle justifie par un attendu ainsi libellé «Attendu que les donations existent partout dans les coutumes dahoméennes, y compris la coutume Ouatchi, celle du donateur»; qu'elle poursuit plus loin en précisant que «la preuve n'est pas rapportée que feu HOUNKPE DESSOU ait assorti la sienne d'une condition quelconque «Attendu que le juge d'appel a ainsi bien énoncé les règles coutumières qui justifient les décisions par elle prises.

Attendu que le 3ème moyen est à écarter;

Quatrième moyen: Violation de l'article 6 du décret organique prescrivant la coutume applicable.

L'arrêt ayant retenu que l'immeuble avait fait l'objet d'une donation, et la réclamation portant précisément sur le retour du bien dans le patrimoine d'origine du donateur, l'arrêt se devait d'appliquer la coutume du donateur, c'est-à-dire la coutume OUATCHI.

Attendu qu'aux termes de l'article 6 du décret du 3 décembre 1931, «En matière civile et commerciale, les juridictions de droit local appliquant exclusivement la coutume des parties;

«En cas de conflit de coutume, il est statué:
1°/......................
2°/ Dans les questions relatives aux successions et testaments selon la coutume du défunt;
3°/ Dans les questions relatives aux donations selon la coutume du donateur;
4........................

Attendu que la Cour d'Appel en l'espèce a admis que l'immeuble litigieux avait fait l'objet d'un don au profit d'Ahlonko par le nommé HOUNKPE DESSOU selon la coutume OUATCHI et que cette donation l'avait été sans condition du moins la preuve du contraire ne lui est pas rapportée. Qu'on en déduit dès lors que d'après la Cour d'Appel le bien litigieux ne faisait plus partie du patrimoine de feu DESSOU, était devenu la propriété de feu AHLONKO et passait en héritage à ses descendants Ahouéfa et Hounêkpin en l'absence de descendants mâles comme le veut la coutume Mina, coutume d'Ahlonko.

Attendu que la Cour d'Appel a en l'espèce distingués deux questions:
1°/ La question de la donation à laquelle elle appliquée les règles de la coutume du donateur, coutume OUATCHI;

2°/ La question de la succession à laquelle est appliquée la coutume du défunt, coutume Mina;

Attendu que la Cour d'Appel est parvenue à cette dualité de questions après avoir éliminé la question essentielles sur laquelle porte le litige à savoir le retour du bien donné dans le patrimoine du donateur en estimant qu'à défaut de preuve de contraire la donation avait été faite sans condition, c'est-à-dire sans retour; que ce faisant, elle n'a pas violé l'article 6 du décret du 3 décembre 1931;

Attendu que le 4ème moyen doit être écarté;

Cinquième moyen: Violation de la loi - Violation des règles de preuve - Violation de l'article 24 du décret organique - Défaut, insuffisance de motifs;

«Aux termes de l'article 24 du décret du 3 décembre 1931, les formes de la procédure sont celles admises par la coutume;

Les débats sont oraux et les règles de preuve sont celles admises par la coutume;

Lorsque le débat est contradictoire, le silence d'une partie sur un fait allégué par la partie adverse, la non contestation d'une affirmation s'interprètent comme un acquiescement.

Ainsi l'arrêt ne pouvait, en l'absence d'une contestation de la défenderesse en présence de qui ASSOU AZANKPO a affirmé avoir racheté l'immeuble disputé, rejeter le moyen comme infondé pour défaut de preuve»;

Attendu que le nommé ASSOU AZANKPO, le demandeur a affirmé dans sa lettre adressée au Président du Tribunal du 2ème degré de Grand-Popo et enregistrée par cette autorité sous le n°2068 du 12/9/1960 qu'il a eu, d'accord avec ses frères, à racheter pour la somme de 15.000 francs une partie du terrain litigieux mis en gage auprès d'un certain Amoussou Agbon par Ahouéfa, défenderesse; que celle-ci dans sa lettre du 7 octobre 1960, adressée à cette même autorité et enregistrée sous le n°2255 mentionne ce rachat mais prétend qu'au cours de la conciliation devant le Chef de village, cette allégation a été rejetée parce que Assou AZANKPO n'en a pas apporté la preuve;

Attendu que le procès-verbal de constat dressé par le tribunal du 1er degré de Grand-Popo le 28 août 1963 mentionne que la nommée Ahouéfa à court d'argent a mis en gage une parcelle de ce terrain auprès
du nommé AMOUSSOU Agbon contre la somme de 15.000 francs et précise que c'est ce qui indispose le nommé Assou AZANKPO, petit fils de Hounkpè DESSOU et l'incite à porter plainte;

Attendu que dans la déclaration qu'il a faite devant le premier juge le nommé Assou AZANKPO revient sur ce point(cf jugement page 2) et des témoins, les 6ème et 7ème témoins dénommés Acakpovi Affantognon et Dansou Tessou , ont dans leurs dépositions fait ressortir l'existence de ce gage au profit du sieur Amoussou Agbon contre 15.000 francs, qu'Acakpovi Affantognon précise que la parcelle a été reprise par le remboursement du montant du gage (cf jugement dont il est fait appel page 3);

Attendu que par contre, il n'apparaît ni du jugement dont il est fait appel, ni de l'arrêt attaqué, qu'une question précise ait été posée à propos de ce gage aux parties et que les juges du fond aient approfondi ce point du litige. Que quant à la défenderesse, elle n'a dans sa lettre précitée opposée à l'allégation de son adversaire que la décision du chef de village selon laquelle Assou AZANKPO n'a pas apporté la preuve de ses dires. Que quoiqu'il en soit le jugement ne contenant aucune mention de la réponse de la défenderesse sur ce point l'arrêt ne pouvait pas l'élucider par la simple constatation que le demandeur n'en a pas rapporté la preuve car ce point autrement approfondi aurait indiqué que la dame Ahouéfa reconnaît au demandeur Assou AZANKPO, un droit sur le terrain litigieux; mais attendu que là n'est pas l'intérêt du litige et que le moyen bien fondé ne peut servir à casser l'arrêt entrepris;

Attendu que ce moyen est sans intérêt;

Sixième moyen: Dénaturation , fausse interprétation des faits et des coutumes (Défauts, insuffisance de motifs) violation des droits de la défense;

L'arrêt critiqué affirme sans autre recherche ni justification qu'il n'existe nulle part au Dahomey de donation immobilière à fin matrimoniale, procédant de cette affirmation erronée, au rejet de moyens essentiels du demandeur, le retour réclamé étant fondé sur l'existence du fait allégué;

Attendu que le moyen de cette formulation inadéquate doit être compris dans le sens de méconnaissance des règles coutumières applicables;

Attendu que pour rejeter la prétention du requérant selon laquelle la donation de l'immeuble litigieux avait été fait par DESSOU HOUNKPE avec clause de retour, celle-ci résultant de la circonstance que cette donation avait eu lieu lors du mariage de Woasséwoa, sour du donateur avec un étranger le nommé Ahlonko, la Cour d'Appel après avoir admis que la donation existe dans la coutume OUATCHI, coutume du donateur estime que la preuve n'est pas rapportée que feu HOUNKPE DESSOU ait assorti la sienne d'une condition quelconque;

Attendu qu'il ressort cependant des articles 222 et suivants du coutumier que nos coutumes ne connaissaient que la propriété collective des terres, que celle-ci étant inaliénable et sacrée, que la propriété individuelle au sens du code civil ne s'est manifesté qu'avec intervention de la législation française;

Attendu qu'en fait hors les biens prévus à l'article 224, (le domaine public religieux ) et ceux énumérés à l'article 222 lui-même qui sont collectifs, indivis et nettement inaliénable, les terres étaient aliénables à l'intérieur de la tribu et entre les groupes familiaux, que la règle était que les biens ne devrait pas en sortir; que cette règle qui était valable au niveau de la famille, l'était également au niveau du village et du royaume. Elle existait dans toutes les coutumes du moins celles du bas Dahomey; qu'aucune parcelle des terres ne peut revenir à un étranger en pleine propriété;

Attendu qu'en l'espèce, la coutume OUATCHI ne faisant pas exception, on ne saurait admettre qu'il y ait eu donation immobilière en pleine propriété au profit de Ahlonko, étranger à la tribu de HOUNKE DESSOU; que tout au plus pourrait-on considérer que AHLONKO se trouvait dans la situation relatée à l'article 231 du coutumier à savoir que «L'étranger qui demande l'autorisation de s'installer peut recevoir du chef de la terre un terrain vacant à titre précaire sous condition de reconnaître l'autorité du chef de village et de se soumettre à ses disciplines»;

Que «Si sa conduite laisse à désirer, il peut être chassé du village». Attendu qu'étant donné cette règle et qu'alors que Ahlonko a quitté de lui-même définitivement le village, la terre retournait à son origine ou s'il y ait laissé des enfants capables de cultiver elle ne pouvait rester à leur disposition que dans les mêmes conditions;

Attendu que la Cour d'Appel pouvait aussi se demander si la donation n'avait pas plutôt été faite au profit de WOASSEWOA. Mais attendu qu'une telle donation se heurterait à la règle sus énoncée selon laquelle les terres ne devraient pas sortir de la tribu, car WOASSEWOA épousant un étranger la terre donnée passerait dans la famille de son mari, que cette règle heurte également l'idée qu'il s'agirait d'un transfert d'une partie de l'héritage du feu Alabi à WOASSEWOA, attendu qu'une troisième situation peut se présenter: qu'elle semble être celle de l'espèce, toutes les conditions y étant remplies; qu'il s'agirait d'une donation avec clause de retour ou plus précisément d'affectation d'une partie des biens familiaux à la subsistance d'un des membres de la famille qui entre en ménage; qu'en effet, la famille a le devoir de subvenir aux besoins de ses membres en même temps qu'elle doit respecter l'autonomie des ménages la composant; qu'aussi, lorsque l'un de ses membres entre en ménage, la famille affecte-t-elle une partie des terres au ménage qui l'exploite pour sa subsistance jusqu'à ce qu'il possède lui-même ses propres terres soit par achat, soit par héritage;

Attendu que dans le cas d'espèce, WOASSEWOA qui était entretenue par son frère HOUKPE DESSOU, épouse Ahloko, un étranger à la région ,venu de très loin, d'Agoué, sans moyen de subsistance et peut-être même sans l'esprit de retour dans son pays d'origine, que le ménage qui s'est ainsi créé demeure dans la famille DESSOU et qu'il l'agrandira en constituera une des branches; que ce ménage doit vivre et qu'il revient à la famille DESSOU d'assurer sa subsistance sans ingérence; que DESSOU Hounkpè qui possède des terres de culture pour en avoir hérité de son feu père Alabi en affecte une partie à la subsistance du ménage Ahlonko WOASSEWOA, que les biens affectés ne perd son caractère familial ni du fait de l'affectation ni du fait de son exploitation par le ménage ou ses descendants; qu'il reste partie intégrante du patrimoine de HOUNKPE DESSOU, que les descendants de ce dernier ne peuvent pas se l'attribuer en partage tant qu'existe des descendants de WOASSEWOA qui l'exploite pour leur subsistance; qu'en un mot, ces terres affectées par DESSOU HOUNKPE ont acquis le caractère de biens collectifs appartenant à la collectivité DESSOU AHLONKO et ne peuvent être aliénés qu'avec le consentement de la branche DESSOU; qu'il en résulte que ASSOU AZANKPO, petit-fils de DESSOU HOUNKPE est fondé à s'opposer à toute aliénation des terres affectées et, également, étant chef de la collectivité (personne ne l'a contesté) à racheter au nom de cette collectivité, ces biens s'ils étaient aliénés à son insu ou si, comme il ressort du dossier, ces biens étant vendus ou mis en gage sans entente préalable, les prix ont servi aux funérailles d'un des membres de la collectivité;

Attendu qu'en conséquence, la Cour d'Appel n'a pu dans l'arrêt entrepris attribué à la défenderesse AHOUEFA, fille d'ADJETE, les terres litigieuses à titre de propriété, sans méconnaître les règles coutumières sus énoncées.

D'où il suit que le sixième moyen doit être retenu et l'arrêt cassé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

En la forme

Reçoit le pourvoi formé le 2 octobre 1969 contre l'arrêt n°100/69 du 23 juillet 1969;

Au fond

Casse l'arrêt entrepris sur le 6ème moyen et renvoie pour être jugé devant la Cour d'Appel autrement composée;
Met les dépens à la charge de la défenderesse au pourvoi.

Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;

Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel

Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) le vendredi vingt trois février mil neuf cent soixante treize ,

Où étaient présents Messieurs :

Cyprien AINANDOU, Président de la Cour Suprême, Président;

Edmond MATHIEU;Président de la Chambre judiciaire, Président;

Corneille BOUSSARI, Gaston FOURN Frédéric HOUNDETON, Conseillers;

La Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de:

Grégoire GBENOU PROCUREUR GENERAL

Et de Maître Honoré Géro AMOUSSOUGA GREFFIER EN CHEF

Et ont signé

Le Président Le Rapporteur Le Greffier en Chef

C. AINANDOU F. HOUNDETON H. Géro AMOUSSOUGA


Civile traditionnelle

Références :

Origine de la décision
Formation : Chambre judiciaire
Date de la décision : 23/02/1973
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : 6
Numéro NOR : 172836 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;1973-02-23;6 ?
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