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17/12/1969 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._441

Canada | Wilkes c. Interlake Tissue Mills Co. Ltd., [1970] R.C.S. 441 (17 décembre 1969)


Cour suprême du Canada

Wilkes c. Interlake Tissue Mills Co., [1970] R.C.S. 441

Date: 1969-12-17

Arthur A. Wilkes, Commissaire à l’évaluation, Corporation of the City of St. Catharines (Plaignant) Appelant;

et

Interlake Tissue Mills Co. Limited (Défendeur) Intimée.

1969: les 17 et 18 juin; 1969: le 17 décembre.

Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Spence.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], accueillant un appel d’une décision de la Commis

sion municipale d’Ontario. Appel rejeté, le Juge Judson étant dissident.

J.T. Weir, c.r., et Merton Seymour, c.r., pour l’...

Cour suprême du Canada

Wilkes c. Interlake Tissue Mills Co., [1970] R.C.S. 441

Date: 1969-12-17

Arthur A. Wilkes, Commissaire à l’évaluation, Corporation of the City of St. Catharines (Plaignant) Appelant;

et

Interlake Tissue Mills Co. Limited (Défendeur) Intimée.

1969: les 17 et 18 juin; 1969: le 17 décembre.

Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Spence.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], accueillant un appel d’une décision de la Commission municipale d’Ontario. Appel rejeté, le Juge Judson étant dissident.

J.T. Weir, c.r., et Merton Seymour, c.r., pour l’appelant.

R.N. Robertson et S. Lederman, pour l’intimée.

Le jugement des Juges Martland, Ritchie, Hall et Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Le pourvoi est à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario1 rendu le 10 juin 1968. Par ce jugement, le tribunal accueillait un appel de la décision rendue le 10 avril 1967 par l’Ontario Municipal Board. Celui-ci avait accueilli un appel du jugement rendu le 20 juin 1961, par le Juge Kinnear de la Cour de comté accueillant la requête présentée par l’intimée en vertu des dispositions de l’art. 131(1) de The Assessment Act, S.R.O. 1960, c. 23, pour obtenir le remboursement d’impôts qu’elle avait payés en 1960 sur la base d’un rôle d’évaluation établi en 1959.

[Page 443]

Le ville de Merritton, ainsi appelée avant qu’elle ne fasse partie de la ville de St. Catharines, a évalué de la même manière, de 1948 à 1960, les propriétés de la société Interlake Tissue Co. Limited et celles d’autres industries établies dans la région, a levé des impôts sur la base de ces évaluations et les a perçus. Durant cette période, il n’y a pas eu d’appel à l’encontre de l’évaluation tel que celui dont il est question ci-après.

En 1960, la société Interlake Tissue Mills Co. Limited, ci-après appelée «Interlake», a interjeté, en raison des termes de la fusion entre Merritton et St. Catharines, un appel de l’évaluation effectuée cette année-là, et sur la base de laquelle les taxes de 1961 devaient être établies. Le 10 février 1961, Interlake a présenté une requête à la Cour de révision du Comté de Lincoln, réclamant le remboursement des taxes payées en 1960 pour le motif qu’une «erreur grave ou manifeste» avait été commise au sens de l’art. 131(1)(f) de The Assessment Act, S.R.O. 1960, c. 23. La Cour de révision a examiné l’appel de l’évaluation de 1960, à laquelle elle a appliqué certaines petites réductions. Après quoi, conformément aux dispositions de la Loi, Interlake a interjeté appel de cette évaluation devant le Juge de la Cour de comté. Le Juge Kinnear, par jugement rendu le 23 mai 1961, a réduit très sensiblement les évaluations, décidant que l’évaluateur avait agi selon des principes erronés et n’avait pas respecté les prescriptions de l’art. 35 de The Assessment Act, dont le par. (1) édicte simplement que [TRADUCTION] «SOUS réserve du présent article, les terrains devront être évalués à leur valeur réelle».

L’article 131(5) de The Assessment Act édicte:

[TRADUCTION] 131. (5) La Cour de révision doit: entendre chaque demande et rendre sa décision an plus tard le 31 mars de l’année qui suit celle visée par la demande et le greffier doit donner avis de la décision prise à ce sujet par lettre adressée aux personnes qui avaient été notifiées de l’audition de la demande, et cet avis doit indiquer qu’un appel de la décision rendue peut être interjeté au juge de comté dans les 10 jours qui suivent la date de son expédition.

[Page 444]

En outre, le par. (6) édicte:

[TRADUCTION] (6) Le requérant ou la municipalité peuvent interjeter appel au juge de comté de la décision de la Cour de révision, ou lorsque cette Cour a omis, négligé ou refusé d’entendre ou juger une demande présentée en vertu du présent article, et un tel appel donnera lieu à un procès de novo.

La Cour de révision n’ayant pas adjugé sur les conclusions en remboursement de taxes, Interlake s’est pourvue devant le juge de la Cour de comté conformément aux dispositions du susdit par. (6).

Le savant Juge de la Cour de comté a rendu son jugement le 20 juin 1961: faisant état de motifs détaillés et soigneusement étayés, elle a accueilli la demande (les termes du jugement portent qu’elle a accueilli l’appel, mais la demande n’ayant jamais été considérée antérieurement, il est plus juste de dire: a accueilli la demande) en remboursement de taxes et elle a statué que celles-ci devaient être remboursées dans la proportion où elle a réduit l’évaluation de l’année 1960. C’est ce jugement qui, après avoir été infirmé par la Commission municipale d’Ontario et rétabli par la Cour d’appel, fait l’objet du présent pourvoi devant cette Cour. L’article 131(1) (f) de The Assessment Act décrète:

[TRADUCTION] 131. (1) La Cour de révision peut être saisie d’une demande d’annulation, de réduction ou de remboursement des taxes prélevées durant l’année y mentionnée par toute personne

* * *

(f) qui est surchargée par suite d’une erreur grave ou manifeste;

* * *

Interlake a toujours soutenu que ce paragraphe s’applique exactement à la situation dans laquelle elle se trouve, et que par là, elle est en droit de se faire rembourser les taxes payées sur la base du rôle de 1959, dans la mesure où le jugement du savant Juge de la Cour de comté qui a accueilli l’appel mentionné plus haut les a trouvées excessives. De son côté, l’évaluateur a soutenu tout au long du litige, et en qualité d’appelant devant cette Cour, que l’article 131 (1) (f) ne vise pas du tout une situation comme

[Page 445]

celle-ci, mais qu’il a trait seulement à ce qui peut être qualifié d’erreur d’arithmétique soit dans le rôle d’évaluation ou dans la facture d’impôt.

L’appelant prétend que la voie de recours ouverte au contribuable pour faire opposition à une évaluation est l’appel présenté conformément aux dispositions de l’art. 72 de The Assessment Act et que si le contribuable ne procède point conformément à cet article, le rôle est homologué à titre de rôle d’évaluation de la municipalité et ne peut plus faire l’objet d’aucune opposition. L’avocat de l’appelant souligne la nécessité pour une municipalité de savoir qu’un rôle est devenu définitif, en vue d’être en mesure de déterminer ses revenus pour l’année en cours et de pouvoir fixer ses dépenses sur la base de ces revenus (l’art. 72 de The Assessment Act commence comme suit:

[TRADUCTION] Toute personne qui se plaint d’une erreur ou omission commise à son égard du fait que son nom a par erreur été inscrit ou omis dans un rôle, ou que ses biens ont été sous-imposés ou surimposés par l’évaluateur dans le rôle…)

Il voudrait qu’à une demande présentée en vertu de l’art. 131, on applique les mots «erreur», «omission», «sous-imposé», «surimposé» et «dans le rôle», qu’on trouve dans l’article relatif aux appels d’évaluation ainsi que les décisions rendues à ce sujet. Cette prétention me paraît erronnée en ce qu’elle ne tient pas compte du fait que les art. 72 et 131 traitent de deux questions totalement différentes. L’article 72 traite de l’appel à l’encontre d’une évaluation. L’évaluation est l’estimation de certains biens dans la municipalité. L’article 131 traite des demandes de dégrèvement ou de remboursement de taxes. Les taxes sont des paiements exigés par une municipalité d’un contribuable. Il est vrai qu’elles sont basées sur une évaluation, mais elles ne sont pas une évaluation: elles sont très différentes d’une évaluation. Je ne vois donc pas comment on pourrait faire entrer en ligne de compte, dans l’interprétation des termes de l’art. 131(1) de The Assessment Act, des mots dont le sens est fonction de leur emploi dans l’art. 72, soit quelque 60 articles dans la loi avant celui qui nous préoccupe.

[Page 446]

En toute déférence, j’adopte la description de l’art. 131 de The Assessment Act que donne le Juge d’appel Schroeder dans ses motifs de jugement à la Cour d’appel:

[TRADUCTION] C’est un article de redressement qui habilite une cour de révision à rendre justice au contribuable qui a été surimposé par suite d’une «erreur grave ou manifeste» ou qui a subi une perte…

Dans Re Blackburn and City of Ottawa[2], il est question du droit d’appel relatif à une demande présentée en vertu de ce qui correspondait alors à l’art. 131. Le Juge d’appel Middleton dit à la p. 500, après avoir fait l’historique de la situation:

[TRADUCTION] Plusieurs choses ressortent de cet historique de la législation. Le droit d’appel d’une évaluation et le droit de s’adresser à la Cour de révision pour un dégrèvement de taxes sont et ont toujours été deux questions tout à fait distinctes.

Le Juge Kinnear de la Cour de comté, s’efforçant de préciser le véritable sens et le vrai but de l’art. 131(1) (f) de The Assessment Act, s’est livrée à des recherches fort pénétrantes sur l’histoire de l’article. Celuici a figuré pour la première fois dans les Statuts du Canada de 1852-1853, 16 Vict., c. 182, art. 29. Les termes pertinents en étaient:

qui par suite d’une erreur grave et manifeste commise dans le rôle, tel que définitivement adopté par la cour, aura été surchargée pour plus de vingt-cinq pour cent…

Il n’y a eu aucune modification du texte jusqu’en 1904, quand, par la Loi 4 Edouard VII, c. 23, art. 112, de la province d’Ontario, évidemment, les termes en ont été revisés par la suppression, premièrement des mots «tel que définitivement adopté par la cour» et deuxièmement des mots «de plus de vingt-cinq pour cent sur la somme pour laquelle elle aurait dû être cotisée». La partie pertinente de l’article se lisait dès lors comme suit:

[TRADUCTION] qui, par suite d’une erreur grave et manifeste commise dans le rôle, aura été surchargée…

[Page 447]

Ces termes sont restés de nouveau sans modification durant dix-huit ans. En 1922, par la Loi 12-13 Geo. V, c. 78, art. 26, une modification importante a été apportée par laquelle le mot «et» a été remplacé par le mot «ou», ce qui donnait:

[TRADUCTION] qui, par suite d’une erreur grave ou manifeste commise dans le rôle, aura été surchargée.

Sept ans plus tard, en 1929, la Loi 19 Geo. V, c. 63, art. 7, a ajouté le mot «d’évaluation» de sorte que la partie pertinente de l’article se lisait:

[TRADUCTION] qui, par suite d’une erreur grave ou manifeste commise dans le rôle d’évaluation, aura été surchargée…

La dernière modification a été apportée en 1944, par 8 Geo. V, c. 7, art. 15, en supprimant les mots «commise dans le rôle d’évaluation», de sorte que depuis lors et présentement l’article se lit comme suit:

[TRADUCTION] qui est surchargée par suite d’une erreur grave ou manifeste…

A mon avis, cet exposé des modifications apportées au cours des ans démontre nettement l’intention du législateur d’accorder une protection au contribuable, et que l’étendue de cette protection a été sans cesse élargie pour en arriver au texte actuel. Tout d’abord, le terme «grave» était limité par la disposition portant que la surcharge devait atteindre vingt-cinq pour cent, ce qui est une indication manifeste que le mot «grave» tel qu’employé ici se rattache au montant de la surcharge. Deuxièmement, en 1922, les mots «grave et manifeste» ont été changés en «grave ou manifeste». Le mot «ou» est une conjonction d’opposition qui implique une alternative, alors que le mot «et», au contraire, est une conjonction d’union qui exige que l’erreur, pour justifier la réparation, soit en même temps grave et manifeste. Après la modification, je suis donc d’accord avec le Juge de la Cour de comté quand elle dit dans ses motifs:

[TRADUCTION] D’après le texte actuel de l’article, l’appelant n’est pas tenu de prouver que l’erreur est manifeste dans le rôle d’évaluation, le texte étant maintenant simplement

[Page 448]

[TRADUCTION] «qui est surchargée par suite d’une erreur grave ou manifeste»

* * *

et

[TRADUCTION] Tout ce que l’appelant a besoin de faire, en conséquence, c’est de montrer que l’erreur est «grave».

Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur des précédents pour dire qu’une loi doit être interprétée de façon à donner aux mots la signification qu’ils ont d’ordinaire, à moins que le contexte n’impose un autre sens. Le Shorter Oxford Dictionary donne plusieurs sens à l’adjectif «grave», dont «thick, stout, massive, big» sont les premiers et les plus courants je crois. Au début, le législateur pensait que la surcharge devait être «lourde» à concurrence de vingt-cinq pour cent. Puis il a modifié son point de vue, et par la suppression des mots précisant le pourcentage, il a indiqué qu’une sucharge qui n’atteint pas vingt-cinq pour cent peut cependant être «grave» et donner au contribuable droit à un redressement. Dans la présente affaire, à en juger par la conclusion de l’appel sur l’évaluation, la surcharge était de l’ordre de cinquante pour cent, et aurait sûrement été jugée «grave» même en vertu de l’ancien article.

Pour ces motifs, j’adopte, en toute déférence, l’opinion du Juge d’appel Schroeder telle que formulée dans ses motifs à la Cour d’appel d’Ontario:

[TRADUCTION] A notre avis, la Commission a donné une interprétation bien trop étroite à l’art. 131(1) (f), et nous préférons de beaucoup le raisonnement du savant Juge de la Cour de comté, avec qui nous sommes d’accord sur l’essentiel.

Je suis également d’accord sur l’essentiel à ce sujet, et d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.

LE JUGE JUDSON (dissident) — Dans cette affaire, l’intimée Interlake Tissue Mills Co. Limited réclame un remboursement de taxes payées en 1960 sur la base de l’évaluation de 1959. À cette dernière date, sa propriété était située dans la ville de Merritton, mais elle se trouve actuellement dans la ville de St. Catharines. Interlake ne s’est pas pourvue en appel à l’encontre de son évaluation de 1959. Le rôle d’évaluation a été dûment homologué et il est devenu l’assiette d’imposition de l’année 1960.

[Page 449]

Interlake a interjeté appel au reçu de son avis d’évaluation pour 1960, obtenant une très importante réduction d’environ 50 pourcent. Ensuite, le 10 février 1961, elle a engagé une instance, en vertu de l’art. 131(1) (f) de The Assessment Act, en répétition de taxes payées durant l’année 1960 sur la base de l’évaluation de 1959, fondant sa réclamation sur l’allégation d’une erreur grave ou manifeste. L’article 131(1) décrète:

[TRADUCTION] 131. (1) La Cour de révision peut être saisie d’une demande d’annulation, de réduction ou de remboursement des taxes prélevées durant l’année y mentionnée par toute personne

(a) pour tout bien immobilier, assujetti à l’imposition au taux établi selon le paragraphe 2 de l’article 294 de The Municipal Act, et qui a cessé d’être un bien immobilier susceptible d’être imposé audit taux; ou

* * *

(c) pour tout bien immobilier qui est devenu exempt de taxe pendant l’année, ou pendant l’année précédente après le dépôt du rôle d’évaluation; ou

(d) pour une construction détruite par le feu, par démolition ou autrement, pendant l’année, ou pendant l’année précédente après le dépôt du rôle d’évaluation; ou

(e) qui est incapable de payer les taxes pour cause de maladie ou d’extrême pauvreté; ou

(f) qui est surchargée par suite d’une erreur grave ou manifeste; ou

(g) qui est assujettie à la taxe d’affaires mais n’a pas exploité son entreprise durant toute l’année, sauf si l’entreprise est destinée à n’être exploitée qu’une partie de l’année ou est susceptible d’être ainsi exploitée, ou si elle n’a pas été exploitée durant une période d’au moins trois mois pendant l’année en raison de réparation ou rénovation des locaux.

Cette demande de remboursement a passé devant la Cour de révision, la Cour de comté, la Commission municipale et la Cour d’appel, et se trouve maintenant devant nous. Le Juge de la Cour de comté a accueilli l’appel pour motif de surévaluation en 1959 et a ordonné le remboursement à Interlake de la partie des taxes de 1960 imputable à la surévaluation. La Commission municipale a infirmé, statuant que la surévaluation en question ne constituait point une erreur

[Page 450]

grave ou manifeste aux termes de l’art. 131 (1)(f). La Cour d’appel[3] a rétabli le jugement du Juge de la Cour de comté.

Les dispositions relatives à l’appel d’une évaluation que renferme The Assessment Act sont claires et ne présentent aucune ambiguïté. Dans les délais fixés par la loi, un appel d’une évaluation peut être interjeté à la Cour de révision, à la Cour de comté, à la Commission municipale d’Ontario et enfin à la Cour d’appel. L’article 72(1) indique comme motif d’appel le fait d’avoir été «sous-évalué ou surévalué». Ce sont les termes utilisés quand la personne visée par l’évaluation se pourvoit en appel. Le même droit d’appel est accordé à toute personne qui pense qu’un autre a bénéficié d’une «évaluation trop faible ou trop forte». À mon avis, il n’y a aucune différence entre les termes «sous-évalué et surévalué» et les termes «évaluation trop faible ou trop forte». L’appel en vertu de l’art. 72 est par conséquent prévu dans les termes les plus larges. Il traite de ce que je viens de mentionner et de l’erreur ou omission. Selon moi, quand tel est l’objet de la plainte, la procédure indiquée doit être respectée, et une fois homologué par la Cour de révision, le rôle devient, en tout état de cause, le dernier rôle d’évaluation revisé de la municipalité (art. 57(1)), sous réserve du droit d’appel en vertu de la Loi (art. 57(6)).

Dans la présente affaire, le contribuable ne s’est pas prévalu de ce droit à l’appel de l’évaluation de 1959. Cependant, après avoir obtenu une importante réduction par voie d’appel à l’encontre de l’imposition de 1960, il a cherché à profiter de l’art. 131(1) (f) pour le motif qu’il avait été surévalué par suite d’une «erreur grave ou manifeste».

De nombreux arrêts, notamment Town of MacLeod c. Campbell[4], Shannon Realties Ltd. c. Ville de St. Michel[5], et North West Lumber Co. Ltd. c. Municipal District of Lockerbie No. 580[6], ont fermement établi le principe que, en cas de surévaluation par l’évaluateur, le contribuable doit interjeter appel suivant la procédure et dans le cadre des restrictions imposées par la loi

[Page 451]

pertinente. Dans toutes ces affaires, la procédure et les restrictions étaient presque identiques aux prescriptions de l’art. 72 de The Assessment Act. Admettre, dans le présent appel, l’application de l’art. 131 de cette loi à l’égard d’une erreur subjective serait faire fi de tous les précédents.

L’article 131 traite de situations spéciales telles que le cas de propriétés exonérées d’impôts durant l’année, d’immeubles détruits par le feu et de personnes incapables de payer les taxes pour cause de maladie ou d’extrême pauvreté. Il comporte également une disposition explicite au sujet de la personne «qui est surchargée par suite d’une erreur grave ou manifeste».

L’article 131, compte tenu de sa place dans le cadre de la Loi, ne s’applique pas à des situations où la question à débattre concerne le processus d’évaluation appliqué par l’évaluateur, ou la sous-évaluation ou surévaluation. Il s’applique plutôt aux erreurs d’écritures, aux permutations de chiffres, aux fautes typographiques et erreurs semblables.

«L’erreur grave» sur laquelle Interlake se fonde dans le cas présent, est le fait que l’évaluateur s’est basé sur un manuel rédigé pour usage dans le Comté de Lincoln (qu’il a utilisé pour évaluer toutes les propriétés industrielles) plutôt que sur un manuel rédigé et recommandé par le ministère des Affaires municipales d’Ontario, qui fait état des critères établis par l’art. 35 de The Assessment Act.

Au fond, la plainte présentée par le contribuable dans «l’appel en remboursement» consiste à avoir été «surchargé par l’évaluateur» (les termes mêmes de l’art. 72(1)). Le propriétaire doit déposer cette plainte dans les délais prescrits pour l’appel devant la Cour de révision, et pour les appels subséquents, si nécessaire, dans les autres délais fixés. Le contribuable ne jouit pas du privilège de passer outre au délai imparti pour l’appel à la Cour de révision, pour ensuite revenir à cette Cour en vertu de l’art. 131.

Si le raisonnement de la Cour d’appel est juste, tout contribuable qui peut faire la preuve d’une différence sensible entre son évaluation et celle de l’évaluateur pourrait passer outre à la procédure ordinaire, attendre que le rôle soit

[Page 452]

homologué par la Cour de révision et que soient prélevés les impôts sur la base de ce rôle, pour présenter ensuite sa demande, au début de l’année suivante, avant le 28 février.

Une telle conséquence ne cadre pas avec le plan d’ensemble de la Loi, selon lequel la municipalité doit avoir, au début de l’année fiscale, un rôle homologué sur lequel elle puisse se baser pour effectuer le prélèvement de taxes. L’article 131 ne fait pas double emploi, en tout ou en partie, avec les dispositions de l’art. 72 sur l’appel. Il n’y a aucune relation entre les deux articles et chacun d’eux vise des problèmes différents. Le premier traite de la procédure régulière d’appel (art. 72). Le second (art. 131) traite de l’état du rôle et n’a rien à voir avec le montant de l’évaluation valablement établie. Quand on invoque l’art. 131, les taxes sont censées avoir été prélevées d’après «le dernier rôle d’évaluation revisé» de l’année précédente (57(1), 57(4)). A ce stade, les erreurs de surévaluation de l’évaluateur ne peuvent plus être attaquées. L’article s’applique au redressement des erreurs de fait commises dans l’établissement de l’évaluation ou dans sa transposition sur le rôle. Tel est le raisonnement de la Commission municipale. Ce raisonnement est également en parfait accord avec les motifs du Juge d’appel Riddell dans Re Bayack[7], où l’erreur invoquée consistait en un changement de locataire et de religion entre la préparation de l’évaluation et celui de la revision définitive du rôle. On ne nous a pas cité une seule affaire où l’article ait été appliqué à une demande fondée sur une surévaluation. Je fais miens les motifs exprimés par la Commission dans l’alinéa suivant:

[TRADUCTION] Il doit nécessairement y avoir un terme quelque part, un moment où Ton peut dire que la valeur imposable d’une propriété pour telle année a été fixée, sauf dans les seuls cas spéciaux où il y a une grave ou manifeste erreur de fait dans l’établissement de l’évaluation ou sa transposition sur le rôle. Cela vaut non seulement dans les cas de réclamation de dégrèvement spécial pour cause de surcharge, mais aussi pour les demandes faites par la municipalité en vertu de l’art. 132(1) quand des personnes sont sous-imposées par suite de quelque

[Page 453]

erreur grave ou manifeste. La Commission est d’avis que ce mode de redressement spécial a pour but de rectifier les erreurs de fait, et non les erreurs de jugement commises dans l’établissement de l’évaluation.

J’accueillerais l’appel avec dépens dans toutes les Cours, infirmerais le jugement de la Cour d’appel et rétablirais la décision de la Commission municipale.

Appel rejeté avec dépens, LE JUGE JUDSON étant dissident.

Procureurs de l’appelant: Seymour, Lampard, Nicholls & Greenspan, St. Catharines.

Procureurs de l’intimée: Fasken & Calvin, Toronto.

[1] [1968] 2 O.R. 589.

[2] (1924), 55 O.L.R. 494.

[3] [1968] 2 O.R. 589.

[4] (1918), 57 R.C.S. 517.

[5] (1922), 64 R.C.S. 420, [1924] A.C. 185.

[6] [1926] R.C.S. 155.

[7] (1929), 64 O.L.R. 14.


Synthèse
Référence neutre : [1970] R.C.S. 441 ?
Date de la décision : 17/12/1969
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté, le juge judson étant dissident

Analyses

Revenu - Réduction importante obtenue sur appel de l’évaluation de 1960 - Appel pour obtenir remboursement des taxes payées en 1960 sur l’évaluation de 1959 pour le motif d’erreur grave ou manifeste - The Assessment Act, S.R.O. 1960, c. 23, art. 72, 131.

La compagnie intimée a interjeté appel à l’encontre de son évaluation de 1960, obtenant une très importante réduction. Ensuite elle a engagé une instance en vertu de l’art. 131(1) (f) de The Assessment Act, S.R.O. 1960, c. 23, en répétition de taxes payées durant l’année 1960 sur la base de l’évaluation de 1959, fondant sa réclamation sur l’allégation d’une erreur grave ou manifeste. Cette demande de remboursement a passé devant la Cour de révision, la Cour de comté, la Commission municipale, et la Cour d’appel, et se trouve maintenant devant cette Cour. Le juge de la Cour de comté a accueilli l’appel pour motif de surévaluation en 1959 et a ordonné le remboursement à l’intimée de la partie des taxes de 1960 imputable à la surévaluation. La Commission municipale a infirmé, statuant que la surévaluation ne constituait pas une erreur grave ou manifeste aux termes de l’art. 131(1) (f). La Cour d’appel a rétabli le jugement du juge de la Cour de comté.

Arrêt: L’appel doit être rejeté, le Juge Judson étant dissident.

Les Juges Martland, Ritchie, Hall et Spence: Les art. 72 et 131 de The Assessment Act traitent de deux questions totalement différentes. Le premier traite de l’appel à l’encontre d’une évaluation tandis que l’autre traite des demandes de dégrèvement ou de remboursement de taxes. On ne peut pas voir comment on pourrait faire entrer en ligne de compte, dans l’interprétation des termes de l’art. 131(1), des mots dont le sens est fonction de leur emploi dans l’art. 72.

[Page 442]

L’article 131 est un article de redressement qui habilite une cour de révision à rendre justice au contribuable qui a été surimposé par suite «d’une erreur grave ou manifeste». Dans la présente affaire, à en juger par la conclusion de l’appel sur l’évalua tion, la surcharge était de l’ordre de 50 pour cent, et aurait sûrement été jugée «grave» dans le sens de l’article.

Le Juge Judson, dissident: Il n’y a aucune relation entre l’art. 72 et l’art. 131 et chacun d’eux vise des problèmes différents. L’article 72 traite de la procédure régulière d’appel. L’article 131 traite de l’état du rôle et n’a rien à voir avec le montant de l’évaluation valablement établi. Quand on invoque l’art. 131, les taxes sont censées avoir été prélevées d’après «le dernier rôle d’évaluation revisé» de l’année précédente, (57(1) et 57(4)). A ce stade, les erreurs de surévaluation de l’évaluateur ne peuvent plus être attaquées. L’article s’applique au redressement des erreurs de fait commises dans l’établissement de l’évaluation ou dans sa transposition sur le rôle.


Parties
Demandeurs : Wilkes
Défendeurs : Interlake Tissue Mills Co. Ltd.
Proposition de citation de la décision: Wilkes c. Interlake Tissue Mills Co. Ltd., [1970] R.C.S. 441 (17 décembre 1969)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1969-12-17;.1970..r.c.s..441 ?
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