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27/01/1970 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._348

Canada | Mihm c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1970] R.C.S. 348 (27 janvier 1970)


Cour Suprême du Canada

Mihm c. Minister of Manpower and Immigration, [1970] R.C.S. 348

Date: 1970-01-27

Jerry Myric Mihm, Suzanne Mihm et Thomas Lee Mihm Appelants;

et

Le Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration Intimé.

1969: le 1er décembre; 1970: le 27 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Abbott, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COMMISSION D’APPEL DE L’IMMIGRATION

APPEL d’une ordonnance de la Commission d’appel de l’immigration, rejetant un appel d’une ordonnance d’expulsi

on. Appel rejeté, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

P. Copeland, pour les appelants.

S.M. Froomkin, pour l’intimé...

Cour Suprême du Canada

Mihm c. Minister of Manpower and Immigration, [1970] R.C.S. 348

Date: 1970-01-27

Jerry Myric Mihm, Suzanne Mihm et Thomas Lee Mihm Appelants;

et

Le Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration Intimé.

1969: le 1er décembre; 1970: le 27 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Abbott, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COMMISSION D’APPEL DE L’IMMIGRATION

APPEL d’une ordonnance de la Commission d’appel de l’immigration, rejetant un appel d’une ordonnance d’expulsion. Appel rejeté, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

P. Copeland, pour les appelants.

S.M. Froomkin, pour l’intimé.

Le jugement du Juge en Chef Cartwright et des Juges Abbott et Pigeon a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le pourvoi est à l’encontre d’une décision de la Commission d’appel de l’immigration, rendue le 9 octobre 1968 et rejetant l’appel d’une ordonnance d’expulsion rendue à Toronto le 26 août 1968. Le présent pourvoi est interjeté en vertu de l’autorisation accordée par cette Cour aux appelants de se pourvoir en appel sur la question suivante:

[TRADUCTION] Les appelants, qui ont fait une demande de résidence permanente au Canada, sont-ils sujets à expulsion en vertu de l’article 19(1)(e)(vi) de la Loi sur l’immigration, Statuts revisés du Canada, 1952, Chapitre 325?

Les faits pertinents ne sont pas contestés.

L’appelant Jerry Mihm (ci-après appelé «Mihm»), sa femme et son enfant sont arrivés au Canada à la fin de novembre 1967, à un «port d’entrée» du Manitoba, en qualité de non‑immigrants, c’est-à-dire de visiteurs. Mihm a alors déclaré qu’ils comptaient rester environ deux semaines. Peu de temps après, il est venu habiter Toronto avec sa famille et il y a obtenu un emploi le 7 décembre 1968, sans toutefois demander d’autorisation de résidence permanente, ni obtenir de permis de travail.

En février 1968, des agents de la Gendarmerie royale du Canada ont rendu visite à Mihm à son lieu de travail pour lui demander s’il avait l’intention de demeurer au Canada. A ce moment-là, Mihm était absent sans permission de l’armée des États-Unis et il a déclaré aux agents qu’il se proposait de rester au Canada.

A la mi-mars 1968, les agents de la Gendarmerie sont revenus voir Mihm et ils l’ont avisé que, pour travailler licitement au Canada, il devait faire une demande de résidence permanente. Le 15 mars, il se présentait aux bureaux

[Page 351]

de l’Immigration à Toronto et déposait une demande écrite de résidence permanente. Il y déclarait franchement avoir été admis au Canada en qualité de visiteur, mais affirmait inexactement avoir été autorisé à y demeurer jusqu’au 17 mars 1968. On l’a alors avisé de se présenter pour examen le 11 avril 1968.

Le 2 avril 1968, ou vers cette date, Mihm a reçu une sommation où on l’accusait, en vertu de l’art. 52 de la Loi sur l’immigration, d’avoir omis de se présenter devant un fonctionnaire à l’immigration après son changement de situation juridique en violation de l’art. 7(3) de la Loi.

Le 11 avril 1968, Mihm a subi un examen devant un nommé Stefan, fonctionnaire à l’immigration et il a attesté par écrit avoir travaillé au Canada sans permis. Au dossier, on ne relève pas trace d’une décision à la suite de cet examen.

Le 17 avril 1968, Mihm a comparu en Cour pour répondre à la sommation précitée; il s’est avoué coupable de l’accusation portée et s’est vu imposer une amende de $100 qu’il a payée.

Le 31 juillet 1968, M.P.M. Murray, fonctionnaire à l’immigration, signait un rapport qu’il adressait au Directeur des opérations de l’Immigration et dans lequel il déclarait:

[TRADUCTION] En conformité des dispositions du sous-alinéa (vi) de l’alinéa (e) du paragraphe (1) de l’article 19 de la Loi sur l’immigration, je dois porter à votre connaissance qu’un certain Jerry Myric Mihm, autrefois des États-Unis d’Amérique, est une personne autre qu’un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien et qu’il est entré au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d’être un non-immigrant ou d’appartenir à la catégorie particulière dans laquelle il a été admis en qualité de non-immigrant.

Le même jour, ledit Directeur ordonnait ce qui suit:

[TRADUCTION] Conformément aux dispositions de l’article 26 de la Loi sur l’immigration, j’ordonne la tenue d’une enquête dans le but d’établir si ledit Jerry Myric Mihm est ou n’est pas un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, et s’il est une personne décrite au sous-alinéa (vi) de l’alinéa (e) du paragraphe (1) de l’article 19 de

[Page 352]

la Loi sur l’immigration qui est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d’être un non-immigrant ou d’appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant.

Le 26 août 1968, on a arrêté Mihm et il a comparu devant M.V.R. Brown, un enquêteur spécial, qui l’a déclaré une personne décrite dans l’art. 19(1)(e)(vi) de la Loi sur l’immigration. En vertu de l’art. 19(2) de ladite Loi, l’enquêteur spécial a rendu une ordonnance d’expulsion contre Mihm et les deux autres appelants. L’audition de l’appel de cette ordonnance a eu lieu à Ottawa, le 7 octobre 1968, devant la Commission d’appel de l’immigration. L’appel a été rejeté le 9 du même mois. Le 25 octobre 1968, la Commission a exposé par écrit les motifs de sa décision.

L’avocat de l’appelant soutient que la Commission d’appel de l’immigration a fait une erreur de droit en ne décidant pas qu’en vertu des art. 7(3) et 20 de la Loi sur l’immigration, l’appelant avait cessé d’être sujet à expulsion en vertu de l’art. 19(1)(e)(vi) de cette Loi, puisqu’il avait fait une demande de résidence permanente au Canada le 15 mars 1968. A l’appui de cette prétention, l’avocat de Mihm invoque la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Regina v. Pringle, Ex parte Mills[1], rendue le 11 avril 1968. L’avocat de l’intimée allègue d’autre part que la décision précitée est inconciliable avec celle que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendue, le 18 janvier 1968, dans Re Ho Kit Cheung[2], et que c’est cette dernière qui énonce correctement la loi.

Dans la mesure où ces deux décisions peuvent différer (aucune ne fait mention de l’autre), je n’estime pas nécessaire d’arrêter un choix. L’examen des faits de la présente cause m’a convaincu que l’appelant ne peut se prévaloir des dispositions du par. (3) de l’art. 7, dont voici le texte:

(3) Lorsqu’une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d’être un non-immigrant ou d’appartenir à la catégorie particulière

[Page 353]

dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l’un ou l’autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l’examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.

L’appelant est arrivé au Canada en novembre à titre de visiteur (non-immigrant) et avec l’intention d’y demeurer deux semaines. Il a cessé d’appartenir à la classe des visiteurs dès qu’il a commencé à travailler, soit le 7 décembre 1967. Si favorable à l’appelant que soit l’interprétation qu’on veuille donner au mot «immédiatement», on ne saurait dire qu’il s’est présenté immédiatement à l’Immigration; en outre, quand il l’a fait le 15 mars 1968 à la suite de l’enquête de la police à son sujet, il n’a pas déclaré les faits correctement. Dans ces conditions, rien ne s’est passé qui soit de nature à infirmer la compétence du Directeur d’ordonner la tenue de l’enquête qu’il a exigée, ni celle de l’enquêteur spécial de tenir l’enquête qu’il a présidée le 26 août 1968. Dans chaque cas, l’application des derniers mots de l’art. 7(3) «et elle est réputée, pour les objets de l’examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada», dépend de la condition imposée un peu plus haut dans le même article 7(3): «elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché». Notre compétence est limitée aux questions de droit et je ne puis déceler aucune erreur de droit dans la décision de la Commission d’appel de l’immigration en cette affaire.

Depuis la rédaction de ces motifs, j’ai eu le privilège de lire les motifs de mon collègue le Juge Spence et, en l’instance, je veux bien présumer que Mihm n’a fait aucune déclaration contraire à la vérité intentionnellement et qu’il ne savait pas que l’art. 7(3) de la Loi lui imposait l’obligation de faire rapport immédiatement; mais, même dans ce cas, le pourvoi doit échouer par application de la maxime ignorantia legis neminem excusat.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

[Page 354]

Le jugement des Juges Hall et Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — Le pourvoi est à l’encontre d’une décision de la Commission d’appel de l’immigration, prononcée le 9 octobre 1968 et rejetant l’appel interjeté par l’appelant d’une ordonnance d’expulsion rendue à Toronto, le 26 août 1968, par M.V.R. Brown, enquêteur spécial. M. Brown a rendu l’ordonnance en question à la suite d’une enquête qu’il avait entreprise conformément à des instructions, datées du 31 juillet 1968, reçues de M.I.R. Sterling, Directeur des opérations de l’Immigration à Toronto.

Un examen assez minutieux des faits qui entourent le pourvoi s’impose.

L’appelant, un citoyen des États-Unis d’Amérique, était absent sans permission de son régiment. Il a passé la frontière à un «port d’entrée» du Manitoba vers la fin de novembre ou le début de décembre 1967, dans une automobile conduite par son frère, le propriétaire de la voiture. Sa femme et son jeune enfant accompagnaient l’appelant. A la frontière, ils se sont présentés à un fonctionnaire canadien. Ils n’ont pu préciser si ce fonctionnaire était un agent des Douanes ou de l’Immigration. Dans son témoignage devant l’enquêteur spécial, l’appelant a relaté son entrevue avec ce fonctionnaire, comme suit:

[TRADUCTION] Q. Qu’avez-vous répondu? R. Nous avons dit que nous venions en visite, pour jeter un coup d’œil et remonter vers le nord nous rendre compte des possibilités de travail dans l’industrie du bois à pâte.

Q. Combien de temps désiriez-vous demeurer au Canada? R. Une couple de semaines.

Q. Avez-vous dit au fonctionnaire examinateur que vous aviez l’intention de retourner aux États-Unis? R. Je ne sais pas si je le lui ai dit, Monsieur, mais je ne pensais pas que je resterais ici.

Q. Le fonctionnaire vous a-t-il dit combien de temps vous pouviez demeurer au Canada en qualité de visiteur? R. Non, Monsieur.

Et devant la Commission d’appel de l’immigration, l’appelant a témoigné comme suit:

[TRADUCTION] R. Nous sommes arrivés au Canada le 1er ou le 2 décembre 1967. Je ne saurais préciser la date. Nous nous sommes rendus à Winnipeg. Je

[Page 355]

dois ajouter qu’à Winnipeg, nous ne savions pas si nous allions rester au Canada et j’ai parlé à un agent de la Gendarmerie royale du Canada dans cette ville. Je me suis enquis auprès de lui de la marche à suivre, de ce qu’il fallait pour devenir citoyen canadien ou immigrant reçu, en un mot ce que je devais faire. Je ne connaissais rien de la procédure. Il m’a répondu que, pour autant qu’il savait, je n’avais rien à faire. Je sais maintenant que j’aurais dû me renseigner davantage, mais je ne l’ai pas fait à ce moment-là.

En contre-interrogatoire, l’appelant a dit ce qui suit:

[TRADUCTION] Q. Ainsi, votre but était de passer une couple de semaines au Canada. C’est bien cela? R. J’ai dit que mon intention en venant au Canada était celle que j’ai déclarée au fonctionnaire à qui j’ai parlé en arrivant à la frontière: nous voulions jeter un coup d’œil sur le Canada; je voulais remonter vers le nord me rendre compte de l’activité dans l’industrie du bois à pâte et des possibilités d’emploi au Canada. Je dirai même que nous (car mon frère m’accompagnait) ne donnions pas l’impression que nous projetions de demeurer ici. Nous ne le savions pas encore nous-mêmes. Je n’étais jamais venu au Canada auparavant et je ne connaissais pas le genre de vie qu’on y menait, ni s’il était semblable à celui du Mexique où j’étais déjà allé. Si oui, je n’avais aucune intention de rester.

Q. Cependant, d’après ce que vous venez de dire, vous donniez évidemment l’impression que vous resteriez ici une couple de semaines. R. C’est cela.

Ou l’appelant n’a jeté qu’un très rapide coup d’œil sur les possibilités d’emploi offerts par l’industrie de la pâte de bois dans le nord de l’Ontario, ou il a changé d’avis, car, deux jours plus tard, son frère l’amenait en automobile à Toronto, avec sa femme et son enfant. Là, il a tout de suite obtenu du travail et il n’en a pas manqué depuis. Dans les extraits de son témoignage reproduits ci-dessus, l’appelant a parlé de sa première l’encontre avec la GRC. Au cours de son témoignage devant la Commission d’appel de l’immigration, il en a relaté d’autres. Vers le milieu du mois de février, deux agents de la GRC sont allés le rencontrer à l’usine où il travaillait et [TRADUCTION] «ils m’ont demandé mes impressions sur le Canada et se sont enquis si je voulais y demeurer; ils m’ont dit avoir reçu

[Page 356]

une communication du FBI à mon sujet; je leur ai répondu que je souhaitais demeurer au Canada, que j’aimais le pays et voulais y rester; je me serais présenté à l’Immigration à ce moment-là, mais que je ne savais pas alors que j’étais censé le faire ou devais le faire.»

[TRADUCTION] Q. Les agents de la GRC vous ont-ils dit quoi que ce soit quant au fait que vous travailliez? R. Non, ils ne m’ont rien dit. C’est pourquoi je ne suis pas allé aux bureaux de l’Immigration à l’époque. Ils sont venus à l’usine, ils m’ont vu au travail et ils ne m’ont pas dit que je devais aller aux bureaux de l’Immigration.

L’appelant a aussi dit dans son témoignage que, vers le 1er mars, les agents de la GRC l’ont encore vu au travail et que de nouveau le 15 mars, ils sont venus [TRADUCTION] «à mon appartement et m’ont dit de me présenter sur-le-champ aux bureaux de l’Immigration et de déposer une demande de résidence permanente». D’après le témoignage de l’appelant, et rien dans la preuve ne vient à l’encontre, personne n’a informé l’appelant, avant le 15 mars 1968, qu’il était de son devoir, dès qu’il cessait d’être un visiteur pour devenir un travailleur, de faire une demande de résidence permanente. Ce jour-là, l’appelant s’est immédiatement rendu aux bureaux de l’Immigration et a fait une demande de résidence permanente. Cette demande de l’appelant a été produite à l’enquête et marquée pièce C. Un extrait de ce document, qu’il a signé, se lit comme suit:

[TRADUCTION] Je, Jerry Mihm, non-immigrant au Canada admis à titre de visiteur 24‑9-1948 et autorisé à rester au Canada jusqu’au 17-3-68, demande par les présentes la résidence permanente au Canada.

DATÉ à Toronto (Ont.) le 15 mars 1968.

La partie inférieure de la formule se compose de cases où des réponses sont écrites d’une façon qui ne permet pas d’identifier leur auteur. Toutefois, à l’examen de ces cases, il est évident que le fonctionnaire témoin de la signature de la formule, et dont le nom semble être «V.A. Murphy», savait que l’appelant est entré au Canada le 1er décembre 1967, car l’une de ces cases porte la mention «1 Dec. 1967 Manitoba». Cette formule de demande revêt une importance considérable dans l’examen du pourvoi. L’appe-

[Page 357]

lant soutient qu’il a droit à ce que l’examen de sa demande de résidence permanente se fasse à la lumière des dispositions de l’art. 7(3) de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325, qui édicte:

(3) Lorsqu’une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d’être un non-immigrant ou d’appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l’un ou l’autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l’examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.

Sur la demande de résidence permanente de l’appelant, un fonctionnaire à l’immigration lui a indiqué une date d’audition. Celle-ci eut lieu le 11 avril 1968 devant un fonctionnaire du nom de «F.J. Stefan». Antérieurement à l’audition, cependant, l’appelant avait été inculpé d’une violation de l’art. 7(3) de la Loi sur l’immigration pour avoir accepté un emploi et négligé d’«immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché». Sans l’assistance d’un avocat, l’appelant s’est avoué coupable et s’est vu imposer une amende de $100.

Dès le début de l’enquête qu’il a instituée le 11 avril 1968 M. Stefan, le fonctionnaire à l’immigration, ayant découvert le fait rapporté ci-dessus a demandé à l’appelant une déclaration sous serment qui a été versée au dossier du présent appel; dans cette déclaration, l’appelant a simplement admis avoir accepté un emploi sans avoir au préalable obtenu la permission écrite de l’autorité compétente à l’Immigration canadienne. Dès qu’il a reçu cette déclaration, le fonctionnaire à l’immigration a interrompu son enquête et il ne l’a pas reprise.

Devant la Commission d’appel de l’immigration et cette Cour, l’appelant s’est appuyé sur Regina v. Pringle, Ex parte Mills[3], une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Le Juge d’appel Laskin y a rédigé les motifs de la majorité et a posé en principe que, lorsqu’une personne dépose

[Page 358]

une demande de résidence permanente au Canada, elle a droit à la situation juridique que lui confèrent les dispositions de l’art. n° 7(3) de la Loi sur l’immigration et elle est réputée «à toutes les autres fins de la présente loi, une personne qui cherche a être admise au Canada». Par conséquent, l’appelant avait droit à ce qu’un fonctionnaire à l’immigration examine sa demande comme il convient, et il n’était pas sujet à déportation en vertu des dispositions de l’art. 19 de la Loi sur l’immigration, tant qu’un examen de sa situation n’avait pas été fait suivant la loi et cela jusqu’à la fin de cet examen.

L’avocat du ministère a tenté d’établir une distinction entre l’affaire Pringle et celle dont nous sommes saisis. Il a rappelé que l’immigrant en cause dans cette affaire-là avait reçu la permission d’entrer au Canada et d’y demeurer six semaines à titre de non-immigrant, au sens que donne à ce mot l’art. 7(1) de la Loi qui, à l’alinéa (c), englobe «les touristes ou visiteurs»; en outre, l’aspirant immigrant avait, pendant cette période de six semaines, remis au fonctionnaire à l’immigration sa demande de résidence permanente. Parce que l’art. 7(3) de la loi exige d’une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant et cesse de l’être, qu’elle signale immédiatement ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché et se présente pour examen, la Commission, dans la présente affaire, a jugé que l’appelant n’avait pas satisfait à ses exigences et, par conséquent, n’avait pas droit au bénéfice du dernier membre de phrase. Le bien-fondé de ce raisonnement dépend manifestement de l’interprétation qu’il faut donner à cet article et, en particulier, au mot «immédiatement», (en anglais «forthwith»). Dans son mémoire, l’avocat a cité diverses définitions de «forthwith». J’en reprends trois ici:

[TRADUCTION] 1. Dans un délai raisonnable, compte tenu des faits et de l’objet du litige.

Le Juge O’Connor dans Le Roi c. Cuthbertson [1950] R.C. de l’E. 87.

2. Aussitôt; sans délai, tout de suite (d’où, dans un délai raisonnable, compte tenu des faits pertinents); promptement et avec diligence raisonnable…

Black’s Law Dictionary, 4e éd., 1951, West Publishing Company, p. 782.

[Page 359]

3. Lorsqu’une loi ou un règlement judiciaire prescrit qu’une chose se fasse immédiatement, cela signifie qu’elle doit se faire dans un délai raisonnable, compte tenu du but visé par la disposition et des faits pertinents.

Jowitt, The Dictionary of English Law, Sweet & Maxwell, London, 1959, p. 828.

On peut, je crois, inférer de ce mot que la personne doit se présenter dans un délai raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Dans l’affaire Pringle, il n’était pas difficile de conclure que l’immigrant avait fait sa demande immédiatement, puisqu’on lui avait accordé six semaines de résidence à titre de non-immigrant et qu’il avait fait sa demande avant l’expiration des six semaines. Dans la présente affaire, la Commission a considéré que l’appelant avait obtenu un permis de résidence valable pour trois semaines et n’avait déposé sa demande que plusieurs semaines plus tard, c’est-à-dire le 15 mars, étant arrivé le 1er décembre. Elle semble le blâmer d’avoir déclaré dans sa demande de résidence permanente qu’il avait eu l’autorisation de demeurer au Canada jusqu’au 17 mars 1968. J’ai déjà cité les témoignages se rapportant à l’entrée de l’appelant au Canada et il me semble à propos de souligner que, d’après la preuve, on n’a jamais imposé de limite définie à la durée du séjour permis à l’appelant en qualité de non-immigrant. Il est vrai que, dans son témoignage, l’appelant a admis avoir eu l’intention de ne demeurer au Canada que deux ou trois semaines et que le fonctionnaire qui l’a interrogé à son arrivée a pu avoir eu cette impression. Une déclaration aussi vague ne saurait constituer l’octroi d’un permis de résidence, d’une durée limitée et précise, à titre de non-immigrant.

Comme je l’ai déjà indiqué, l’appelant a déposé, et, je le rappelle encore une fois cette preuve n’est pas contredite, que des agents de la GRC l’ont questionné trois fois: au début de février, le 1er et le 15 mars 1968, et que ce n’est qu’à la troisième entrevue qu’ils lui ont dit qu’il lui fallait déposer immédiatement une demande de résidence permanente. C’était la première fois qu’un fonctionnaire canadien donnait à l’appelant ce renseignement. Le même jour, soit le 15 mars

[Page 360]

1968, l’appelant s’est rendu aux bureaux de l’Immigration et a fait une demande de résidence permanente.

En contre-interrogatoire devant la Commission d’appel de l’immigration, l’appelant a expliqué le sens que prend la date du 17 mars 1968 inscrite sur sa formule de demande comme date limite jusqu’à laquelle on l’aurait autorisé à rester au Canada; il a déposé somme suit:

[TRADUCTION] Q. Je voudrais attirer votre attention sur une formule que vous avez remplie et qui a été versée au dossier comme pièce C:

Je, Jerry Mihm, non-immigrant au Canada admis à titre de visiteur et autorisé à rester au Canada jusqu’au 17 mars 1968.

C’est vous qui avez rempli cette formule et vous l’avez fait de votre plein gré, n’est-ce pas? R. C’est cela.

Q. Vous nous avez déclaré avoir donné au fonctionnaire l’impresssion que vous veniez en visite pour une couple de semaines, et c’est à ce titre qu’il vous a laissé entrer. Est‑ce bien cela? R. Oui, Monsieur.

Q. Comment en êtes-vous arrivé à cette date du 17 mars; est-ce une date que vous avez choisie, ou quoi? R. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

Q. Où êtes-vous allé chercher cette date? R. Je ne suis pas allé là chercher. C’est le ministère de l’Immigration à Toronto qui me l’a donnée. Les employés du ministère m’ont dit que je pouvais rester au Canada jusqu’à cette date-là.

Q. Je ne vois rien au dossier à cet effet, si ce n’est votre déclaration. R. Au ministère de l’Immigration, lorsque j’ai fait ma demande, quand je suis allé aux bureaux du ministère de l’Immigration pour faire une demande de résidence permanente, on a fixé la date du 11 avril 1968; alors on m’a donné l’autorisation de rester au Canada jusqu’au 11 avril 1968.

Il semble donc que la date du 17 mars, qui suit évidemment de près celle de la demande de résidence permanente de l’appelant, a été insérée, comme il a été dit, à l’instigation du fonctionnaire qui a conduit l’entrevue, mais qu’il ne s’agit pas d’une tentative de l’appelant pour tromper le ministère. À mon avis on s’est appuyé à tort sur cette date pour soutenir que l’appelant a tenté de se soustraire aux dispositions de l’art. 7(3) en créant l’impression qu’il déposait sa demande

[Page 361]

dans un délai prescrit. Il est difficile de concevoir, dans les circonstances, une demande de résidence permanente faite dans un délai plus raisonnable que le jour même où, pour la première fois, l’intéressé apprend qu’il doit faire une telle demande. Si les mots «dans un délai raisonnable dans les circonstances» rendent bien le sens du mot «immédiatement», j’estime que la demande que l’appelant a faite le 15 mars est conforme aux dispositions de l’art. 7(3) de la Loi sur l’immigration et qu’il a le droit «à toutes autres fins» qu’on le tienne pour une personne qui a fait une demande de résidence permanente. Comme le Juge d’appel Laskin l’a souligné dans Regina v. Pringle, Ex parte Mills, (précitée), l’une de ces «fins» est celle de la comparution devant un fonctionnaire à l’immigration pour un examen, conformément aux dispositions de l’art. 20 de la Loi sur l’immigration. Je souscris à l’opinion exprimée par le Juge d’appel Laskin en cette affaire, à la p. 133, savoir:

[TRADUCTION] A mon avis, l’appelant avait ce droit. La question n’est pas de savoir si on l’aurait déclaré admissible à la résidence permanente; c’est là le rôle du fonctionnaire examinateur. Ici, on n’a pas abordé cette question et j’estime que les procédures ont été mal engagées parce que fondées sur une vue erronée de la situation juridique de l’appelant.

Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi et j’ordonnerais le renvoi de l’affaire au ministre pour que l’examen de l’appelant par un fonctionnaire à l’immigration suive la procédure normale.

Appel rejeté, Les Juges HALL et SPENCE étant dissidents.

Procureurs des appelants: Copeland & Ruby, Toronto.

Procureur de l’intimé: D.H. Aylen, Ottawa.

[1] [1968] 2 O.R. 129, 68 D.L.R. (2d) 290.

[2] (1968), 68 W.W.R. 667, 67 D.L.R. (2d) 181.

[3] [1968] 2 O.R. 129, 68 D.L.R. (2d) 290.


Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté, les juges hall et spence étant dissidents

Analyses

Immigration - Expulsion - Étranger étant arrivé au Canada en qualité de non-immigrant - Acceptant un emploi sans demander d’autorisation de résidence permanente ni obtenir de permis de travail - Demande de résidence déposée quelques mois plus tard - Ordonnance d’expulsion - Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325, art. 7(3), 19(1)(e)(vi).

L’appelant M, sa femme et son enfant sont arrivés au Canada en novembre 1967 à titre de visiteurs (non-immigrants) et avec l’intention d’y demeurer deux semaines. M a cessé d’appartenir à la classe des visiteurs dès qu’il a commencé à travailler, soit le 7 décembre 1967. Le 15 mars 1968, à la suite d’une enquête de la police à son sujet pour lui demander s’il avait l’intention de demeurer au Canada, et après avoir été avisé par la police que, pour travailler licitement au Canada, il devait faire une demande de résidence permanente, M s’est présenté au bureau de l’immigration et a déposé une telle demande. Il y déclarait franchement avoir été admis au Canada en qualité de visiteur, mais affirmait inexactement avoir été autorisé à y demeurer jusqu’au 17 mars 1968. On l’a alors avisé de se présenter pour examen le 11 avril 1968.

Quelque temps avant cet examen, M a reçu une sommation où on l’accusait, en vertu de l’art. 52 de la Loi sur l’immigration, d’avoir omis de se présenter devant un fonctionnaire à l’immigration après son changement de situation juridique en violation de l’art. 7(3) de la Loi.

Le 11 avril 1968, M a subi un examen devant un fonctionnaire à l’immigration et il a attesté par écrit avoir travaillé au Canada sans permis. Dès qu’il a reçu cette déclaration, le fonctionnaire à l’immigration a interrompu son enquête et il ne l’a pas reprise.

[Page 349]

Le 17 avril 1968, M a comparu en Cour pour répondre à la sommation précitée; il s’est avoué coupable de l’accusation portée et s’est vu imposer une amende de $100 qu’il a payée.

Le 26 août 1968, on a arrêté M et il a comparu devant un enquêteur spécial qui l’a déclaré une personne décrite dans l’art. 19(1) (e) (vi) de la Loi sur l’immigration. En vertu de l’art. 19(2) de ladite Loi, l’enquêteur spécial a rendu une ordonnance d’expulsion contre M et les deux autres appelants. Un appel à la Commission d’appel de l’immigration a été rejeté. Les appelants ont obtenu la permission d’en appeler à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Abbott et Pigeon: M ne peut se prévaloir des dispositions du par. (3) de l’art. 7. On ne saurait dire qu’il s’est présenté immédiatement tel que requis par la Loi; en outre, quand il l’a fait il n’a pas déclaré les faits correctement. Dans chaque cas, l’application des derniers mots de l’art. 7(3) «et elle est réputée, pour les objets de l’examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada», dépend de la condition imposée un peu plus haut dans le même art. 7(3): «elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l’immigration le plus rapproché». La compétence de cette Cour est limitée aux questions de droit et il n’y a aucune erreur de droit dans la décision de la Commission d’appel de l’immigration en cette affaire.

Même en présumant que M n’a fait aucune déclaration contraire à la vérité intentionnellement et qu’il ne savait pas que l’art. 7(3) lui imposait l’obligation de faire rapport immédiatement, l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.

Les Juges Hall et Spence, dissidents: L’insertion de la date du 17 mars 1968 dans la demande de résidence permanente l’a été à l’instigation du fonctionnaire qui a conduit l’entrevue, et il ne s’agit pas d’une tentative de M pour tromper le ministère. La demande, faite le jour même où, pour la première fois, M a appris qu’il devait faire une telle demande, est conforme aux dispositions de l’art. 7(3). M a le droit «à toutes autres fins» qu’on le tienne pour une personne qui a fait une demande de résidence permanente. L’une de ces «fins» est celle de la comparution devant un fonctionnaire à l’immigration pour un examen, conformément aux dispositions de l’art. 20 de la Loi.

[Page 350]


Parties
Demandeurs : Mihm
Défendeurs : Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration

Références :
Proposition de citation de la décision: Mihm c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1970] R.C.S. 348 (27 janvier 1970)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/01/1970
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1970] R.C.S. 348 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-01-27;.1970..r.c.s..348 ?
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