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06/10/1970 | CANADA | N°[1971]_R.C.S._260

Canada | Vander-Beek et Albright c. La Reine, [1971] R.C.S. 260 (6 octobre 1970)


Cour Suprême du Canada

Vander-Beek et Albright c. La Reine, [1971] R.C.S. 260

Date: 1970-10-06

Henry Joseph Vander-Beek et William Fergus Albright Appelants;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1970: le 19 juin; 1970: le 6 octobre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], ordonnant un nouveau procès sur les chefs d’accusation su

ivants: s’être introduit dans un endroit par effraction et avoir été en possession d’objets volés. Appel rejeté.

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Cour Suprême du Canada

Vander-Beek et Albright c. La Reine, [1971] R.C.S. 260

Date: 1970-10-06

Henry Joseph Vander-Beek et William Fergus Albright Appelants;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1970: le 19 juin; 1970: le 6 octobre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], ordonnant un nouveau procès sur les chefs d’accusation suivants: s’être introduit dans un endroit par effraction et avoir été en possession d’objets volés. Appel rejeté.

J.M. Poyner, pour les appelants.

W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’intimée.

[Page 262]

Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon a été rendu par

LE JUGE HALL — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique1 qui a infirmé une décision du magistrat Bewley, de Vancouver et ordonné un nouveau procès. Le magistrat Bewley avait acquitté les appelants, jugés conjointement avec un dénommé Ellsworth sur les chefs d’accusation suivants: s’être introduit dans un endroit par effraction et avoir été en possession d’objets volés, sachant que ceux-ci avaient été volés.

La preuve présentée par la Couronne a établi qu’entre 10h. du soir, le 10 octobre 1968, et 1h. du matin, le 11 octobre 1968, il y avait eu introduction par effraction dans les locaux de l’Ornamental Bronze Company Limited, à Vancouver, qu’on y avait volé des lingots de bronze, des outils, et une calculatrice. Vers 1h.30 du matin, le 11 octobre, des agents de police qui étaient de patrouille remarquèrent dans une rue de Vancouver une voiture qui roulait phares et feux éteints. L’arrière de la voiture semblait être très alourdi. Les agents firent arrêter la voiture. Ellsworth était au volant et les appelants étaient tous deux assis à sa droite sur le siège avant. Sur le siège arrière les agents trouvèrent une calculatrice; et dans le coffre de la voiture ils trouvèrent un coffret à outils, des outils et des lingots de bronze. Ces objets ont été identifiés comme étant ceux qui avaient été volés la veille, après 10h., dans les locaux de l’Ornamental Bronze Company Limited. Les appelants ne donnèrent aucune explication lorsque les agents les trouvèrent avec Ellsworth en possession des objets volés.

Les trois accusés subirent conjointement leur procès. Dès que la poursuite eut présenté sa preuve, l’avocat des appelants demanda le non-lieu et l’acquittement des appelants pour la raison que la Cour n’était saisie d’aucune preuve permettant de condamner les deux appelants. Le savant magistrat ayant rejeté cette requête, l’avocat des appelants demanda alors l’acquittement pour la raison que la preuve offerte ne suffisait

[Page 263]

pas à condamner les appelants, et informa la Cour qu’aucune preuve ne serait présentée en faveur de ces deux appelants. Le savant magistrat prit en délibéré sa décision sur cette requête, déclarant qu’il attendrait d’avoir entendu toute la preuve. Le procès continua. L’avocat des appelants ne dit plus rien sauf en sa plaidoirie une fois la preuve close. Ellsworth fit une déposition tendant à l’exonérer, mais qui impliquait les appelants. Le savant magistrat acquitta Ellsworth parce que son explication avait soulevé un doute raisonnable. Il décida que le témoignage d’Ellsworth impliquant les appelants n’était pas recevable contre ces derniers qui avaient déjà décidé de ne produire aucune preuve, et il acquitta les appelants parce que la preuve de la Couronne, hormis le témoignage d’Ellsworth, ne suffisait pas à établir la culpabilité au-délà de tout doute raisonnable. Le magistrat se considéra lié par le jugement du juge Schultz, de la Cour de comté, dans Regina c. MacDonald et al.[2]

Le présent pourvoi à l’encontre de l’ordonnance prescrivant un nouveau procès ne peut être accueilli. La décision Regina c. MacDonald était erronée. Dans ce cas, quand la poursuite eut présenté sa preuve, il y avait amplement de preuve pour que le savant magistrat ait pu condamner les trois accusés. D’après les témoignages, les trois accusés avaient été trouvés en possession des biens volés dans des circonstances telles qu’une explication de la part des appelants s’imposait. Ellsworth a donné une explication. Les appelants n’ont rien dit. Ils étaient dans une voiture chargée de biens volés, la calculatrice étant bien en vue sur le siège arrière. Toute décision du magistrat qu’il n’était saisi d’aucune preuve lui permettant de prononcer une condamnation aurait été erronée en droit. L’avocat des appelants l’admet dans son argumentation. Dans ces conditions, rien ne pouvait justifier le magistrat, à cette étape du procès, de recommander un verdict d’acquittement.

Les appelants ont invoqué la cause Rex c. Power[3], mais cette cause ne les aide aucunement. Le juge Darling, qui parlait au nom de la Cour

[Page 264]

dans la cause Power, s’y est reporté dans R. c. Hogan[4] et dit, à la page 183: [TRADUCTION] «Je n’ai pas dit que, chaque fois qu’un accusé soutient qu’il y a absence de preuve et ne dit plus rien, le juge doit retirer la cause du jury». Les appelants ont également invoqué Regina c. Abbott[5], mais cette cause ne s’applique pas au présent pourvoi. Dans la cause Abbott, quand la poursuite eut présenté sa preuve, aucune preuve ne permettait de condamner Abbott, un des deux coaccusés de faux; en fait, d’après les témoignages à charge, il ne pouvait pas avoir participé à l’infraction. Le juge de première instance rejeta une requête en vue de retirer la cause du jury pour absence totale de preuve contre Abbott. Le procès se poursuivit et, dans son témoignage, le coaccusé impliqua Abbott. Le jury condamna ce dernier. La Court of Criminal Appeal infirma cette condamnation. La situation était différente de celle que nous considérons ici. Dans ce cas-ci, quand la poursuite eut présenté sa preuve, il y avait une preuve qui aurait permis au savant magistrat de condamner. En pareil cas, lorsque deux ou plusieurs prévenus sont conjointement mis en accusation, la preuve n’est close que lorsque toute la preuve a été offerte. Tous les témoignages entendus pendant tout le procès font preuve en faveur ou à l’encontre de chaque accusé.

Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

LE JUGE LASKIN — Comme mon collègue le Juge Hall je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi. Le principe qu’invoquent les appelants est le suivant: qu’un accusé soit jugé seul ou conjointement avec d’autres, il a droit dans le dernier cas comme dans le premier, s’il décide de ne pas présenter de défense, à ce que sa culpabilité ou son innocence soit déterminée d’après la suffisance de la preuve principale de la Couronne; il peut donc insister pour que celui qui juge des faits statue sur l’accusation portée contre lui sans tenir compte de témoignages l’impliquant, subséquemment rendus par un coaccusé.

[Page 265]

Ce principe est mal conçu à l’égard d’un procès conjoint, surtout dans les cas où, comme en l’espèce, l’opportunité du procès conjoint n’est pas contestée. Le paragraphe premier de l’art. 4 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit qu’une personne accusée d’infraction est habile à rendre témoignage, que la personne ainsi accusée le soit seule ou conjointement avec d’autres personnes. L’un quelconque des accusés ne peut pas mettre fin à un procès conjoint dûment en cours, lorsque la Couronne clôt sa preuve principale, s’il juge qu’il lui serait avantageux de ne pas courir le risque d’un témoignage préjudiciable que rendrait son coaccusé. Au contraire si quelque coaccusé dépose, son témoignage prend effet selon les critères habituellement applicables à la déposition d’un témoin. Il n’existe pas de règle de l’inadmissibilité juridique de telle déposition à l'encontre d’un accusé qui a lui-même décidé de ne pas présenter de défense.

Le fait qu’il ne présente pas de défense une fois la preuve principale de la Couronne terminée ne signifie pas qu’il peut ainsi convertir un procès conjoint en un procès dans lequel il serait le seul accusé. Cette opinion défavorable aux appelants met en cause les considérations mêmes qui rendent opportun un procès conjoint. S’il est opportun, il doit suivre son cours pour tous ceux qui y sont impliqués, en ce qui concerne les points en litige et la preuve qui intéressent l’un ou l’autre des coaccusés, chacun d’eux étant habile à témoigner, s’il le veut.

La Couronne ne peut pas forcer un accusé à témoigner à son procès, mais il n’en découle pas qu’un coaccusé puisse limiter l’effet d’un témoignage pertinent et admissible que le premier rend volontairement en présentant sa défense.

Appel rejeté.

Procureurs des appelants: Maczko, Poyner & Gibbons, Vancouver.

Procureur de l’intimée: G.L. Murray, Vancouver.

[1] [1970] 2 C.C.C. 119, 69 W.W.R. 742, 9 C.R.N.S. 67.

[2] (1962), 38 C.R. 104, 40 W.W.R. 92.

[3] (1919), 14 Cr. App. R. 17, [1919] 1 K.B. 572.

[4] (1922), 16 Cr. App. R. 182.

[5] [1955] 2 Q.B. 497, [1955] 2 All. E.R. 899, 39 Cr. App. R. 141.


Synthèse
Référence neutre : [1971] R.C.S. 260 ?
Date de la décision : 06/10/1970
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Procès conjoint - Preuve - Recevabilité - Accusé ne présente pas de preuve - Coaccusé témoigne et implique l’accusé - Recevabilité de cette preuve contre l’accusé.

Les deux appelants subirent, conjointement avec E, leur procès sur des chefs d’accusation de s’être introduits dans un endroit par effraction et d’avoir été en possession d’objets volés. Dès que la poursuite eut présenté sa preuve, l’avocat des appelants demanda le non-lieu pour la raison que la Cour n’était saisie d’aucune preuve. Le magistrat rejeta cette requête. L’avocat des appelants demanda alors l’acquittement pour la raison que la preuve offerte ne suffisait pas et informa la Cour qu’aucune preuve ne serait présentée en faveur de ces deux appelants. Le magistrat prit en délibéré sa décision sur cette requête, déclarant qu’il attendrait d’avoir entendu toute la preuve. Le procès continua. L’avocat des appelants ne dit plus rien sauf en sa plaidoirie une fois la preuve close. E fit une déposition tendant à

[Page 261]

l’exonérer, mais qui impliquait les appelants. Il fut acquitté parce que son explication avait soulevé un doute raisonnable. Le magistrat décida que le témoignage de E impliquant les appelants n’était pas recevable contre ces derniers qui avaient déjà décidé de ne produire aucune preuve, et il les acquitta. Sur appel de la poursuite, la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès. Les accusés en appelèrent à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon: Quand la poursuite eut présenté sa preuve, il y avait amplement de preuve pour que le magistrat ait pu condamner les trois accusés. En pareil cas, lorsque deux ou plusieurs prévenus sont conjointement mis en accusation, la preuve n’est close que lorsque toute la preuve a été offerte. Tous les témoignages entendus pendant tout le procès font preuve en faveur ou à l’encontre de chaque accusé. La décision R. v. MacDonald (1962), 38 C.R. 104, est erronée.

Le Juge Laskin: L’un quelconque des accusés ne peut pas mettre fin à un procès conjoint dûment en cours, lorsque la Couronne clôt sa preuve principale, s’il juge qu’il lui serait avantageux de ne pas courir le risque d’un témoignage préjudiciable que rendrait son coaccusé. Si quelque coaccusé dépose, son témoignage prend effet selon les critères habituellement applicables à la déposition d’un témoin. Il n’existe pas de règle de l’inadmissibilité juridique de telle déposition à l’encontre d’un accusé qui a lui-même décidé de ne pas présenter de défense. Le fait qu’il ne présente pas de défense une fois la preuve principale de la Couronne terminée ne signifie pas qu’il peut ainsi convertir un procès conjoint en un procès dans lequel il serait le seul accusé. Un coaccusé ne peut limiter l’effet d’un témoignage pertinent et admissible que son coaccusé rend volontairement en présentant sa défense.


Parties
Demandeurs : Vander-Beek et Albright
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Vander-Beek et Albright c. La Reine, [1971] R.C.S. 260 (6 octobre 1970)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-10-06;.1971..r.c.s..260 ?
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