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09/11/1970 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._942

Canada | Home Juice Company et al. c. Orange Maison Limitée, [1970] R.C.S. 942 (9 novembre 1970)


Cour Suprême du Canada

Home Juice Company et al. c. Orange Maison Limitée, [1970] R.C.S. 942

Date: 1970-11-09

Home Juice Company, Home Juice Company Limited et Jay-Zee Food Products Limited Appelantes;

et

Orange Maison Limitée Intimée.

1970: le 21 mai; 1970: le 9 novembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Judson, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Noël de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], rejetant une requête en radiation d’une marque

de commerce. Appel accueilli.

Christopher Robinson, c.r., et W.G. Robinson, pour les appelantes.

Gordon F. Henderson...

Cour Suprême du Canada

Home Juice Company et al. c. Orange Maison Limitée, [1970] R.C.S. 942

Date: 1970-11-09

Home Juice Company, Home Juice Company Limited et Jay-Zee Food Products Limited Appelantes;

et

Orange Maison Limitée Intimée.

1970: le 21 mai; 1970: le 9 novembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Judson, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Noël de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], rejetant une requête en radiation d’une marque de commerce. Appel accueilli.

Christopher Robinson, c.r., et W.G. Robinson, pour les appelantes.

Gordon F. Henderson, c.r., et Rose Marie Perry, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Depuis 1954 l’intimée vend dans la Province de Québec du jus d’orange sous la marque de commerce ORANGE MAISON et, depuis le 9 décembre 1960, cette marque est enregistrée au Bureau des marques de commerce. Après avoir fait objection à la demande d’enregistrement de la marque HOME JUICE déposée par l’appelante Home Juice Company, l’intimée a intenté une poursuite contre les deux autres appelantes où elle allègue violation de sa marque enregistrée. Les appelantes ont alors présenté à la

[Page 944]

Cour de l’Échiquier une requête en radiation de la marque de l’intimée où elles allèguent que c’est une description claire en langue française de la nature ou de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée.

Dans un jugement daté du 5 septembre 1967, le juge Noël a rejeté la requête ajoutant que s’il en était venu à une conclusion différente, il aurait néanmoins décidé qu’à la date d’enregistrement la marque était devenue distinctive au sens du par. 2 de l’art. 18 de la Loi et par conséquent l’enregistrement devrait être considéré valide mais restreint, suivant le par. 2 de l’art. 31, aux marchandises et au territoire d’utilisation, ce qui veut dire en l’occurrence: le jus d’orange dans la Province de Québec. A l’audition, les appelantes ont déclaré ne pas contester le bien-fondé de cette conclusion subsidiaire et par conséquent le litige porte uniquement sur la question principale.

Devant nous comme en Cour de l’Échiquier, les appelantes, à l’appui de leur prétention sur la signification d’ORANGE MAISON, ont invoqué tout spécialement deux dictionnaires publiés en France en 1959: Le Petit Larousse et le Robert. Dans l’un comme dans l’autre on donne comme sens du mot «maison» employé adjectivement celui de «qui a été fait à la maison» et aussi «de bonne qualité».

L’intimée rétorque que l’on ne trouve pas cette signification dans les dictionnaires publiés au Canada savoir, celui de Bélisle et le Larousse Canadien Complet publiés tous deux en 1954. A mon avis, ce dernier argument est mal fondé. La preuve positive fournie par les lexicographes qui relèvent un certain sens n’est aucunement détruite par le fait que d’autres ne le rapportent pas. Un ouvrage de ce genre n’est jamais absolument complet et la preuve négative est toujours en elle-même moins forte que la preuve positive.

L’intimée a soutenu qu’il ne fallait pas tenir compte du sens courant en France mais uniquement de celui qui est courant au Canada et qu’en l’absence de toute preuve, par dictionnaires ou autrement, que le sens dont il s’agit était courant au Canada à la date de l’enregistrement, il fallait ne tenir aucun compte d’une signification nouvelle ayant cours en France seulement. Cette prétention aurait des conséquences graves si elle était ac-

[Page 945]

cueillie. Il en découlerait qu’un commerçant astucieux pourrait monopoliser une expression française nouvelle en l’enregistrant comme marque de commerce dès qu’elle commence à avoir cours en France ou dans un autre pays francophone et avant qu’on puisse démontrer qu’elle a commencé à avoir cours au Canada.

A mon avis, le texte de l’article 12 ne permet pas une telle distinction. Il parle d’une description «en langue anglaise ou française». Chacune de ces deux langues est internationale. Quand on en parle en langage courant on les considère dans leur totalité et non pas sous l’aspect particulier du seul vocabulaire ayant cours au pays, vocabulaire qui est d’ailleurs extrêmement difficile à définir surtout à une époque où les moyens de communication ne connaissent plus de frontières. A ce sujet, il me paraît à propos de citer ce que le juge Evershed a dit au sujet du mot «Oomph» dans une affaire où il a jugé que «Oomphies» ne pouvait être considéré comme descriptif de la nature ou de la qualité de chaussures (In the Matter of an Application by La Marquise Footwear, Inc.[2]):

[TRADUCTION] Je dois peut-être ajouter ceci: on a longuement soutenu la thèse qu’après tout le mot, pour autant qu’il soit d’usage courant, et quels que soient son niveau linguistique et la durée qu’il connaîtra, en est un d’argot américain plutôt que de notre propre langue maternelle, pourrait-on dire. La controverse sur ce point pourrait se prolonger des heures, à savoir si l’anglais parlé dans ces îles et celui qu’on parle aux États-Unis, au Canada, en Australie ou en toute autre partie du globe sont une seule et même langue. Je n’ai pas l’intention de jeter de lumière sur la meilleure réponse à faire à cette question si ce n’est pour dire que, comme c’est ici le cas, lorsque le mot est principalement employé dans l’industrie cinématographique et, chacun le sait, les films américains sont montrés à des centaines de milliers de personnes d’un bout à l’autre du monde anglophone, je crois que ce serait faire preuve de pédantisme que de dire qu’un mot qui a acquis droit de cité comme mot d’argot américain doit être traité en ces îles comme un mot d’une langue étrangère, faute de preuve dans un sens ou dans l’autre.

Le juge de première instance semble avoir attaché beaucoup d’importance au fait que la

[Page 946]

marque de l’intimée ne comprend que les deux mots «ORANGE MAISON» alors que la marchandise est du jus d’orange et non pas des oranges. Il a cité les paroles suivantes de Lord MacNaghten dans l’affaire Solio[3]:

[TRADUCTION] …il faut véritablement que le mot ait été inventé; l’invention est une condition essentielle. Par ailleurs, on ne semble exiger rien de plus. Si c’est un vocable introduit de toutes pièces («new and freshly coined», pour reprendre une vieille expression anglaise bien connue), je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de le rejeter parce qu’il est d’origine étrangère ou qu’il contient une allusion voilée ou ingénieuse à la nature ou à la qualité de la marchandise.

Avec déférence, il faut souligner que cela a été dit d’un mot inventé. Ici, la marque de commerce est formée de deux mots de la langue et l’on n’est pas en présence d’une allusion voilée mais bien d’une description explicite. L’absence des mots «jus de» n’empêche aucunement le mot «ORANGE» d’être descriptif de la nature de la marchandise car ils sont clairement sous-entendus par la relation à un liquide. Il faut d’ailleurs observer que l’intimée a pris soin, dans sa demande d’enregistrement, de renoncer à toute prétention au monopole du mot «orange» lui-même. On doit donc dire que le caractère distinctif de la marque est tout entier dans la combinaison «ORANGE MAISON». Mais, comme nous l’avons vu, le mot «maison» placé en apposition fait clairement office d’adjectif descriptif de qualité.

Par conséquent, en analysant la signification de la marque en regard de la marchandise à laquelle elle est apposée, la seule conclusion possible c’est que le premier mot est une description elliptique de sa nature et le second une description explicite de sa qualité.

Dans Kirstein Sons & Co. c. Cohen Bros.[4], cette Cour a considéré descriptives des montures de lunettes auxquelles on les apposait, les marques «Shur-on» et «Sta-zon» les tenant pour de simples corruptions de mots descriptifs. Si la corruption d’un mot de la langue n’en détruit pas le caractère descriptif, on voit mal pourquoi

[Page 947]

l’ellipse le ferait. C’est d’ailleurs ce qui ressort de Channell Co. c. Rombough[5] où le juge Mignault a dit au nom de la majorité en cette Cour (à p. 604):

[TRADUCTION] …un mot anglais usuel se rapportant à la nature et à la qualité d’une marchandise ne peut être un moyen efficace ou approprié de distinguer la marchandise d’un commerçant de celle d’une autre. Et le simple fait de joindre comme préfixe la lettre «O» au mot «cedar» ne suffit pas à le rendre si distinctif que son enregistrement donne aux appelants le droit de se plaindre qu’un autre manufacturier en fasse usage pour décrire un poli dont l’huile de cèdre est un ingrédient.

Puisqu’on a jugé que le mot «cèdre» devait être considéré comme descriptif d’un produit renfermant une petite quantité d’huile de cèdre, à plus forte raison doit-on considérer le mot «orange» descriptif de «jus d’orange».

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens, d’infirmer le jugement de la Cour de l’Échiquier, d’accueillir la requête des appelantes sans frais et d’ordonner que l’enregistrement fait pour l’intimée dans le Registre des marques de commerce sous le numéro 120,375 le 9 décembre 1960 soit modifié en le restreignant au territoire de la Province de Québec.

Appel accueilli avec dépens.

Procureurs des appelantes: Smart & Biggar, Ottawa.

Procureurs de l’intimée: Gowling, MacTavish, Osborne & Henderson, Ottawa.

[1] [1968] 1 R.C. de l’É. 313, 53 C.P.R. 71, 36 Fox Pat. C. 179.

[2] (1947), 64 R.P.C. 27 à 31, [1946] 2 All E.R. 497.

[3] (1898), 15 R.P.C. 476 à 486.

[4] (1907), 39 R.C.S. 286.

[5] [1924] R.C.S. 600, [1925] 1 D.L.R. 233.


Synthèse
Référence neutre : [1970] R.C.S. 942 ?
Date de la décision : 09/11/1970
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Marque de commerce - Jus d’orange vendu sous la marque de commerce «Orange Maison» - Description de la nature ou de la qualité des marchandises - Sens donné par les dictionnaires - Loi sur les marques de commerce, 1 (Can.), c. 49, art. 12(1)(b), 18(2), 31(2).

Les appelantes ont présenté à la Cour de l’Échiquier une requête en radiation de la marque de commerce de l’intimée «Orange Maison» employée à l’égard de jus d’orange et ont allégué que, en vertu de l’alinéa (b) du par. (1) de l’art 12 de la Loi sur les marques de commerce, c’est une description claire en langue française de la nature ou de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée. Les appelantes prétendent que dans les dictionnaires français récents, on donne comme sens du mot «maison» employé adjectivement celui de «qui a été fait à la maison» et aussi «de bonne qualité». L’intimée répond que l’on ne trouve pas cette signification dans les dictionnaires publiés au Canada, qu’il faut tenir compte unique-

[Page 943]

ment du sens qui est courant au Canada et que, en l’absence de toute preuve que le sens dont il s’agit était courant au Canada à la date de l’enregistrement, il fallait ne tenir aucun compte d’une signification nouvelle ayant cours en France seulement. La Cour de l’Échiquier a rejeté la requête, ajoutant qu’à tout événement la marque était devenue distinctive et que l’enregistrement devait être considéré valide mais restreint aux marchandises et au territoire d’utilisation. A l’audition, les appelantes ont déclaré ne pas contester le bien-fondé de cette conclusion subsidiaire.

Arrêt: L’appel doit être accueilli.

En analysant la signification de la marque en regard de la marchandise à laquelle elle est apposée, la seule conclusion possible c’est que le premier mot est une description elliptique de sa nature et le second une description explicite de sa qualité. L’absence des mots «jus de» n’empêche aucunement le mot «Orange» d’être descriptif de la nature de la marchandise car ils sont clairement sous-entendus par la relation à un liquide. Quant au mot «maison» placé en apposition, il fait clairement office d’adjectif descriptif de qualité.


Parties
Demandeurs : Home Juice Company et al.
Défendeurs : Orange Maison Limitée
Proposition de citation de la décision: Home Juice Company et al. c. Orange Maison Limitée, [1970] R.C.S. 942 (9 novembre 1970)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-11-09;.1970..r.c.s..942 ?
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