La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/1971 | CANADA | N°[1972]_R.C.S._319

Canada | Ministre du Revenu national c. Panko, [1972] R.C.S. 319 (28 juin 1971)


Cour Suprême du Canada

Ministre du Revenu national c. Panko, [1972] R.C.S. 319

Date: 1971-06-28

Le Ministre du Revenu National Appelant;

et

William Panko Intimé.

1971: le 8 juin; 1971: le 28 juin.

Présents: Les Juges Abbott, Judson, Ritchie, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Kerr de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], en matière d’impôt sur le revenu. Appel accueilli, les Juges Pigeon et Laskin étant dissidents.

G.W. Ainslie, c.r., et J.R. Powers, pour

l’appelant.

J.J. Mahony, pour l’intimé.

Le jugement des Juges Abbott, Judson et Ritchie a été rendu par

LE JUGE JUDSON ...

Cour Suprême du Canada

Ministre du Revenu national c. Panko, [1972] R.C.S. 319

Date: 1971-06-28

Le Ministre du Revenu National Appelant;

et

William Panko Intimé.

1971: le 8 juin; 1971: le 28 juin.

Présents: Les Juges Abbott, Judson, Ritchie, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Kerr de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], en matière d’impôt sur le revenu. Appel accueilli, les Juges Pigeon et Laskin étant dissidents.

G.W. Ainslie, c.r., et J.R. Powers, pour l’appelant.

J.J. Mahony, pour l’intimé.

Le jugement des Juges Abbott, Judson et Ritchie a été rendu par

LE JUGE JUDSON — Pendant chacune des années comprises entre 1960 et 1965 inclusivement, l’intimé William Panko a dissimulé des revenus se chiffrant en tout à $165,801.70. Il a été poursuivi pour cette infraction en vertu de l’art. 132 de la Loi de l’impôt sur le revenu. On a déposé deux dénonciations, l’une comportant une accusation, pour chacune des années comprises entre 1960 et 1965 inclusivement, d’avoir enfreint l’art. 132(1)(a) et l’autre comportant une accusation d’avoir enfreint l’art. 132(1) (d) entre le 23 mars 1961 et le 30 juin 1966. Panko a avoué sa culpabilité et s’est vu imposer une amende de $20,000 pour les infractions à l’art. 132(1)(a)

[Page 321]

et de $5,000 pour l’infraction à l’art. 132(1)(d). L’article 132(1)(a) porte sur les déclarations fausses ou trompeuses dans un rapport d’impôt et l’art. 132(1)(d) sur le fait d’éluder l’impôt volontairement.

Par la suite, le ministre a établi des avis de nouvelle cotisation, un pour chacune des années comprises entre 1960 et 1965, et a imposé, en même temps, des pénalités se chiffrant en tout à $16,134.25. La seule question qui se pose dans le présent appel est de savoir si le ministre peut imposer une pénalité en vertu de l’art. 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu après avoir déposé les dénonciations. La Commission d’appel de l’impôt et la Cour de l’Échiquier1 ont toutes deux rendu un jugement défavorable au ministre sur ce point.

Il est nécessaire de procéder d’abord à un examen de la corrélation entre les art. 56 et 132 de la Loi, tels qu’ils se lisaient avant les modifications de 1960 apportées par la loi 8-9 Eliz. II, c. 43. Avant les modifications de 1960, la loi était claire. L’article 56 ne comportait pas de paragraphe et se lisait comme suit:

56. Toute personne qui, volontairement, a éludé ou tenté d’éluder, de quelque manière, l’acquittement de l’impôt par elle payable selon la présente Partie pour une année d’imposition, ou une partie y afférente, est passible d’une pénalité, que fixe le Ministre, d’au moins vingt-cinq pour cent et d’au plus cinquante pour cent du montant de l’impôt qui a été éludé ou que ladite personne a cherché à éluder.

Un contribuable qui avait volontairement éludé le paiement de l’impôt était passible de deux genres de peine:

(1) s’il était reconnu coupable à la suite d’une poursuite en vertu de l’art. 132(1)(d), d’une amende, fixée par le tribunal, d’au moins $25 et d’au plus $10,000, plus, dans un cas approprié, un montant n’excédant pas le double du montant éludé.

(2) d’une pénalité imposée par le ministre, en vertu de l’art. 56, d’au moins vingt-cinq pour cent et d’au plus cinquante pour cent du montant de l’impôt éludé.

[Page 322]

Il y avait une restriction au droit qu’avait le ministre d’imposer une pénalité.

Le par. 3 de l’art. 132 prévoyait que le contribuable reconnu coupable et condamné à l’amende n’encourait pas de pénalité en vertu de l’art. 56 pour la même évasion fiscale, à moins que la pénalité n’ait été imposée avant le dépôt de la dénonciation en vertu de l’art. 132.

Les modifications de 1960 ont ajouté deux nouveaux paragraphes à l’art. 56. L’ancien art. 56 est devenu le par. 1. Le par. 2 prévoit une pénalité fondée sur des critères moins rigoureux. Il ne laisse pas de latitude au ministre quant au montant de la pénalité, qui est fixée au taux uniforme de 25 pour cent. Le nouveau par. 3 édicte que lorsqu’un contribuable encourt une pénalité en vertu du par. 2 de l’art. 56, il n’encourt aucune pénalité en vertu du par. 1 pour le même énoncé ou la même omission.

Voici le texte complet des paragraphes 2 et 3:

56. (2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances qui équivalent à de la négligence flagrante dans l’exécution de quelque devoir ou obligation imposée par la présente loi ou sous son régime, a fait quelque énoncé ou omission, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans une déclaration, un certificat, un état ou une réponse, produits ou faits aux termes ou sous le régime des exigences de la présente loi ou d’un règlement, d’où il résulte que l’impôt qui aurait été payable par elle pour une année d’imposition si l’impôt avait été cotisé d’après les renseignements fournis dans la déclaration, le certificat, l’état ou la réponse, est inférieur à l’impôt qu’elle doit payer pour l’année, encourt une pénalité de 25 pour cent du montant par lequel l’impôt qui aurait été payable est inférieur à l’impôt qu’elle doit payer pour l’année.

(3) Lorsqu’une personne encourt une pénalité aux termes du paragraphe (2) à l’égard de quelque énoncé ou omission dans une déclaration, un certificat, un état ou une réponse, produits ou faits aux termes ou sous le régime des exigences de la présente loi ou d’un règlement, elle n’encourt pas une pénalité prévue au paragraphe (1) pour le même énoncé ou la même omission.

De plus, la loi modificative décrète expressément que les nouveaux par. 2 et 3 de l’art. 56 ne s’appliquent qu’à tout énoncé ou omission fait après l’entrée en vigueur de la modification, soit le 1er août 1960.

[Page 323]

La loi modificative édicte un nouveau par. 3 à l’art. 132, mais le seul changement consiste en la substitution des mots «le paragraphe (1) de l’article 56» aux mots «l’article 56» de la loi antérieure.

L’article 132(3) se lisait alors ainsi:

132. (3) Lorsqu’une personne a été, d’après le présent article, déclarée coupable d’avoir volontairement éludé ou tenté d’éluder de quelque manière le paiement d’impôts établis par la Partie I, elle n’encourt pas une pénalité prévue par le paragraphe (1) de l’article 56 pour la même évasion fiscale ou tentative d’évasion fiscale, à moins que cette pénalité ne lui ait été imposée avant qu’ait été déposée ou faite la dénonciation ou la plainte donnant lieu à la déclaration de culpabilité.

Je ne puis voir aucune ambiguïté dans la loi ainsi modifiée et je crois que les arguments du ministre sont fondés. Le nouveau par. 2 de l’art. 56 édicte une nouvelle pénalité indépendante de celle qui est décrétée au par. 1 qui continue de s’appliquer aux énoncés faits avant le 1er août 1960. Les autres modifications résultent de ce changement.

Les pénalités en litige ici ont été imposées en vertu de l’art. 56(2) et ne sont pas assujetties à la condition édictée dans l’art. 132(3). La Commission d’appel de l’impôt et la Cour de l’Échiquier ont fait erreur en concluant toutes deux qu’il faut imposer les pénalités avant le dépôt de la dénonciation ou plainte tant en vertu du par. 1 qu’en vertu du par. 2 de l’art. 56. C’est ne pas tenir compte des termes clairs de l’art. 132(3) précité, lequel restreint à l’art. 56(1) la nécessité d’imposer antérieurement la pénalité. Pour les motifs ci-dessus, les termes clairs de l’art. 132(3) ne créent pas [TRADUCTION] «une absurdité en droit» ni ne rendent nécessaire la conclusion que cet article doit s’appliquer non seulement dans le cas d’une pénalité imposée en vertu du par. 1 de l’art. 56 mais aussi dans le cas d’une pénalité imposée en vertu du par. 2.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens en cette Cour et en la Cour de l’Échiquier, d’infirmer le jugement de la Cour de l’Échiquier et la décision de la Commission d’appel de l’impôt, et de rétablir les cotisations.

[Page 324]

Le jugement des Juges Pigeon et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN (dissident) — Le contribuable intimé a omis de faire rapport de certains revenus pendant six années d’imposition consécutives, soit de 1960 à 1965 inclusivement. En janvier 1967, on a déposé contre lui deux dénonciations, l’une comportant six chefs d’accusation en vertu de l’art. 132(1)(a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’autre comportant un seul chef en vertu de l’art. 132(1)(d) à l’égard des six années d’imposition. L’intimé s’est avoué coupable quant à tous les chefs d’accusation et les amendes qui lui ont été imposées se chiffrent, après modification en appel, à $25,000. Par la suite, il a été cotisé de nouveau et le ministre a inclus dans les avis de nouvelle cotisation datés du 2 mai 1967, pour chacune des six années d’imposition, des pénalités prévues à l’art. 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et se chiffrant, en tout, à $16,134.25.

Le contribuable a contesté l’inclusion de ces pénalités en invoquant l’art. 132(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu; la Commission d’appel de l’impôt a maintenu son opposition de même que le Juge Kerr, de la Cour de l’Échiquier[2], en appel. La question que doit décider cette Cour est simplement de savoir si le ministre avait, en l’espèce, le droit d’imposer ces pénalités.

La partie pertinente de l’art. 132(1)(a) et (d) de la Loi de l’impôt sur le revenu se lit comme suit:

132 (1) Toute personne qui

a) a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans une déclaration, certificat, état ou réponse produits ou faits aux termes de la présente loi ou d’un règlement,

* * *

d) a, volontairement, de quelque manière, évité ou tenté d’éviter l’observation de la présente loi ou le paiement d’un impôt établi en vertu de ladite loi,…

est coupable d’une infraction et, en plus de toute autre peine prévue par ailleurs, est passible sur déclaration sommaire de culpabilité [d’une amende ou de l’amende et d’un emprisonnement].

[Page 325]

Ayant été reconnu coupable en vertu de l’art. 132(1)(d), le contribuable avait, ex facie, compte tenu des faits, le droit de se prévaloir de l’art. 132(3), qui se lit ainsi:

(3) Lorsqu’une personne a été, d’après le présent article, déclarée coupable d’avoir volontairement éludé ou tenté d’éluder de quelque manière le paiement d’impôts établis par la Partie 1, elle n’encourt pas une pénalité prévue par le paragraphe (1) de l’article 56 pour la même évasion fiscale ou tentative d’évasion fiscale, à moins que cette pénalité ne lui ait été imposée avant qu’ait été déposée ou faite la dénonciation ou la plainte donnant lieu à la déclaration de culpabilité.

La prétention du ministre, soit que les pénalités ont été imposées en vertu de l’art. 56(2) et non en vertu de l’art. 56(1), constituerait évidemment une réponse péremptoire s’il avait le droit d’imposer ces pénalités dans ce cas-ci. Pour apprécier les prétentions contradictoires des parties, je cite le texte de l’art. 56 dont je ferai ensuite l’historique. L’article 56 se lit maintenant comme ceci:

(1) Toute personne qui, volontairement, a éludé ou tenté d’éluder, de quelque manière, l’acquittement de l’impôt par elle payable selon la présente Partie pour une année d’imposition, ou une partie y afférente, est passible d’une pénalité, que fixe le Ministre, d’au moins vingt-cinq pour cent et d’au plus cinquante pour cent du montant de l’impôt qui a été éludé ou que ladite personne a cherché à éluder. 1950, c. 40, art. 19.

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances qui équivalent à de la négligence flagrante dans l’exécution de quelque devoir ou obligation imposée par la présente loi ou sous son régime, a fait quelque énoncé ou omission, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans une déclaration, un certificat, un état ou une réponse, produits ou faits aux termes ou sous le régime des exigences de la présente loi ou d’un règlement, d’où il résulte que l’impôt qui aurait été payable par elle pour une année d’imposition si l’impôt avait été cotisé d’après les renseignements fournis dans la déclaration, le certificat, l’état ou la réponse, est inférieur à l’impôt qu’elle doit payer pour l’année, encourt une pénalité de 25 p. 100 du montant par lequel l’impôt qui aurait été ainsi payable est inférieur à l’impôt qu’elle doit payer pour l’année.

(3) Lorsqu’une personne encourt une pénalité aux termes du paragraphe (2) à l’égard de quelque énoncé ou omission dans une déclaration, un certificat,

[Page 326]

un état ou une réponse, produits ou faits aux termes ou sous le régime des exigences de la présente loi ou d’un règlement, elle n’encourt pas une pénalité prévue au paragraphe (1) pour le même énoncé ou la même omission.

Avant 1960, l’art. 56 consistait en une seule disposition qui constitue maintenant l’art. 56(1) et l’art. 132(3) renvoyait à l’art. 56 simplement. En 1960, les par. 2 et 3 actuels de l’art. 56 ont été mis en vigueur en vertu de l’art. 16 du chapitre 43, leur effet étant expressément limité à l’avenir; en même temps, l’art. 31 du chapitre 43 a modifié le par. (3) de l’art. 132 en en limitant l’application au par. (1) de l’art. 56, de sorte que cette disposition est restée dans l’état où elle était lorsqu’il s’agissait de l’art. 56 simplement.

Il n’y a pas nécessairement de lien entre l’art. 132 et l’art. 56 puisque le ministre peut imposer des pénalités en vertu de l’art. 56 (extrajudiciairement pour ainsi dire, sauf contestation par le contribuable) sans procéder par voie de poursuite sommaire en vertu de l’art. 132. Il se crée un lien entre les articles 56 et 132(3) lorsqu’il y a eu déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 132(1)(d) et que le ministre a aussi voulu imposer une pénalité pour le même comportement que celui que vise l’art. 56(1). Le fait d’éluder volontairement ou de tenter d’éluder volontairement l’impôt est punissable par une pénalité imposée en vertu de l’art. 56(1) et des poursuites intentées en vertu de l’art. 132(1)(d). Pour avoir recours à l’un et l’autre moyen, le ministre doit imposer la pénalité avant de déposer la dénonciation en vertu de l’art. 132(1)(d); autrement il ne peut imposer la pénalité même s’il y a déclaration de culpabilité emportant une amende ou une amende et l’emprisonnement. L’article 56(3) exclut également toute pénalité en vertu de l’art. 56(1) dans le cas qu’il expose. Puisque le contribuable a été reconnu coupable en vertu de l’art. 132(1)(d), la question se pose de savoir si le ministre peut ne pas tenir compte de l’art. 132(3) et imposer une pénalité en vertu de l’art. 56(2) pour le comportement même qui enfreignait l’art. 132(1)(d), en invoquant l’art. 56(3) aussi bien que l’art. 56(2).

Pour situer la question dans sa juste perspective, à la lumière des faits dont elle découle, il

[Page 327]

faut examiner ensemble les art. 56 et 132(3). Je dois dire ici que l’avocat du ministre ne s’appuie nullement sur le fait que des déclarations de culpabilité ont été enregistrées en vertu de l’art. 132(1)(a) en plus de celle qui l’a été en vertu de l’art. 132(1)(d). Il prétend cependant, d’une part, qu’il faut donner à l’art. 56(1) (malgré les mots «de quelque manière») une interprétation restreinte qui en exclurait les énoncés ou omissions décrites à l’art. 56(2) et il cherche, d’autre part, à assujettir le comportement en cause qui tombe sous le coup de l’art. 56(1) (dont les termes sont ceux de l’art. 132(1)(d)), à l’art. 56(2), en raison du mot «sciemment». Il justifierait ainsi l’imposition de la pénalité en vertu de l’art. 56(2) par une interprétation et une application fragmentée de l’art. 56(1); par conséquent, il invoquerait l’art. 56(3) pour justifier l’imposition de cette pénalité à l’exclusion d’une pénalité en vertu de l’art. 56(1). En bref, le ministre exclurait les énoncés ou omissions de l’art. 56(1) (malgré l’expression «de quelque manière»), mais il n’estimerait pas, par contre, que les termes «volontairement» et «sciemment» s’excluent l’un l’autre. A mon avis, cette interprétation n’est pas seulement forcée, mais elle indique un changement d’attitude avantageux de la part du ministre sur des faits qui ne justifient pas ce changement et, de fait, elle donne à penser qu’elle a été adoptée après coup. Il ne se serait posé aucun problème si le ministre avait imposé les pénalités (ce qu’il avait le loisir et tout le temps de faire) avant d’intenter des poursuites en vertu de l’art. 132(1)(d), ou s’il s’était borné à poursuivre l’intimé pour les infractions à l’art. 132(1)(a).

L’avocat du ministre admet qu’il y a chevauchement possible des actes visés par l’art. 56(1) et par l’art. 56(2), mais il soutient que les pénalités prévues dans l’un et l’autre cas s’excluent néanmoins l’une l’autre. C’est là, en réalité, l’argument de l’avocat du contribuable qui soutient que l’exclusion réciproque vaut dans les deux sens; si le fait d’être passible d’une amende en vertu de l’art. 56(2) exclut la possibilité de l’être en vertu de l’art. 56(1), de même le fait d’être passible d’une amende en vertu de l’art. 56(1)

[Page 328]

exclut la possibilité de l’être en vertu de l’art. 56(2). Il soutient de plus que le comportement visé par l’art. 56(1) diffère du comportement visé par l’art. 56(2).

L’avocat du ministre a cependant développé ses prétentions, que j’ai déjà signalées, en avançant que lorsque le ministre est en présence de faits qui justifient une pénalité en vertu de l’art. 56(1) aussi bien qu’en vertu de l’art. 56(2), il est tenu par l’art. 56(3) d’imposer cette pénalité en vertu de l’art. 56(2), de sorte qu’il ne peut en imposer aucune en vertu de l’art. 56(1). C’est dans ce sens qu’il faut entendre sa prétention que les pénalités prévues à l’art. 56 s’excluent l’une l’autre; il faut pour cela, évidemment, que l’on accepte comme fondé l’argument selon lequel le même comportement peut tomber sous le coup de l’art. 56(1) et de l’art. 56(2), non d’après l’interprétation fragmentée dont il a été question plus haut, mais dans le sens plus large que le ministre peut à son gré décider de considérer le comportement, qui tombe cependant sous le coup de l’art. 56(1), comme étant régi par l’art. 56(2), qui prévoit une pénalité maximum moins élevée.

Les prétentions des parties peuvent être mises à l’épreuve de diverses façons. Premièrement, si les articles 56(1) et 56(2) s’excluent réciproquement (en ce sens que faire quelque chose volontairement est différent de le faire sciemment ou par négligence flagrante), il faut alors considérer que l’art. 56(3) ne fait qu’accentuer le fait qu’il n’y a pas de chevauchement. Le contexte législatif semble étayer cette thèse puisque les par. 2 et 3 de l’art. 56 sont entrés en vigueur au même moment, comme complément de l’art. 56(1). Cependant, on peut trouver étrange que le par. (3) de l’art. 56 soit nécessaire pour faire ressortir une exclusion qui se dégage déjà de la rédaction des par. (1) et (2) du même article. Donc, bien que je ne vois aucune raison de douter qu’on ait pu prévoir une telle accentuation par surcroît de précaution, je vais supposer que l’art. 56(3), loin de renforcer une exclusion réciproque, montre qu’il y a chevauchement. Si tel est le cas, on peut se demander si le ministre a le choix d’appliquer à la faute du contribuable la disposition qui prévoit une pénalité moindre ou s’il doit toujours agir de cette manière en ce qui a trait aux pénalités.

[Page 329]

Deuxièmement, donc, à présumer que le ministre ait le choix d’invoquer, à l’égard de la faute, l’art. 56(1) ou l’art. 56(2), il a, en l’espèce, considéré que cette faute tombait sous le coup de l’art. 56(1) en intentant des procédures pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 132(1)(d). Dans ce cas, il ne peut y avoir imposition d’une pénalité en vertu de l’art. 56(2). Il serait inconcevable que le ministre prétende, après avoir poursuivi le contribuable en vertu de l’art. 132(1)(d) sans avoir préalablement imposé de pénalité en vertu de l’art. 56(1), qu’il peut revenir sur son choix et considérer que le comportement en cause tombe sous le coup de l’art. 56(2) en ce qui a trait aux pénalités.

Troisièmement, à présumer que, pour ce qui est des pénalités, vu qu’il y a chevauchement dans l’application des dispositions respectives aux faits de la présente affaire, le ministre doive agir en vertu de l’art. 56(2), plusieurs possibilités se présentent:

(1) Le ministre ne porte aucune accusation, mais impose une pénalité en vertu de l’art. 56(2), ce qui l’empêche d’en imposer une en vertu de l’art. 56(1), mais non de poursuivre le contribuable en vertu de l’art. 132(1)(a); en supposant qu’il intente aussi des poursuites en vertu de l’art. 132(1)(d), aucune pénalité ne pourrait alors être imposée en vertu de l’art. 56(1), qu’il y ait eu déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 132(1)(d) ou non; et cela, en raison de l’art. 56(3) ou de l’art. 132(3).

(2) Si le ministre porte des accusations en vertu de l’art. 132(1)(a) et qu’une déclaration de culpabilité s’ensuive, il peut quand même imposer une pénalité en vertu de l’art. 56(2) et, si le contribuable encourt une telle pénalité (les accusations portées en vertu de l’art. 132(1)(a) n’écartent pas cette possibilité), aucune ne peut être imposée en vertu de l’art. 56(1).

(3) Le ministre porte des accusations en vertu de l’art. 132(1)(d) seulement ou en vertu des art. 132(1)(d) et 132(1)(a) sans préalablement imposer de pénalité. C’est le cas en l’espèce et la prétention qu’une pénalité peut

[Page 330]

quand même être imposée en vertu de l’art. 56(2) doit reposer sur la prémisse qu’il y a chevauchement et que le ministre est tenu, en pareil cas, d’agir en vertu de l’art. 56(2). Le fait qu’aucune pénalité ne peut être imposée en vertu de l’art. 56(1) résulte non pas de l’art. 132(3), mais de l’art. 56(3). La difficulté que soulève cette interprétation tient à ce qu’un contribuable dont la faute tombe à la fois sous le coup de l’art. 56(1) et de l’art. 56(2) n’encourrait jamais de pénalité en vertu de l’art. 56(1) (noter que l’art. 56(3) parle d’encourir une pénalité) bien qu’il soit clair, d’après l’art. 132(3), qu’une pénalité en vertu de l’art. 56(1) puisse être imposée.

Des trois interprétations possibles des dispositions en cause, savoir, que ces dispositions s’excluent l’une l’autre, que le ministre peut choisir la façon dont il agira et que le ministre est tenu d’agir d’une certaine façon, les deux premières favorisent la conclusion qu’en l’espèce, le contribuable n’encourt pas la pénalité prévue au par. (2) de l’art. 56, et la troisième n’en permet l’imposition que par une interprétation forcée des dispositions législatives.

Est certainement rationnelle l’interprétation qui considère deux paragraphes distincts, où sont décrites les conditions dans lesquelles des pénalités différentes sont imposables, comme traitant de situations différentes, sauf s’il est clair que le même comportement peut être régi par les deux. On considère ordinairement les dispositions qui imposent des pénalités comme des dispositions accessoires et non comme des dispositions principales. Même s’il y avait chevauchement des par. (1) et (2) de l’art. 56, en sorte que tous deux englobent le même comportement, on peut conclure que la pénalité appropriée en ce cas a été fixée conformément à la disposition en vertu de laquelle les procédures ont été intentées. En fait, dire qu’une personne encourt une pénalité consiste simplement à l’exposer à ce risque; ce n’est qu’au moment où les procédures ou démarches nécessaires pour l’imposer sont engagées que la pénalité prend effet. A présumer, par conséquent, qu’il puisse arriver que le ministre ait le choix de cotiser en vertu du par. (1), soit du par. (2)

[Page 331]

de l’art. 56, il a, à mon avis, perdu ce droit de choisir en l’espèce (et le par. (3) n’a donc plus d’effet) vu qu’une accusation en vertu de l’art. 132(1)(d) a été jugée fondée et qu’aucune pénalité n’a été imposée avant que l’accusation soit portée. Le comportement interdit ayant ainsi été placé sous le coup de l’art. 56(1), on n’avait pas le droit, en raison de l’art. 132(3), d’imposer une pénalité en sus des amendes.

Enfin, une considération plus générale m’amène à tirer la conclusion que je crois appropriée. Il n’y a pas lieu de présumer, certainement pas en l’espèce, qu’un pouvoir statutaire soit imparti au ministre. S’il est difficile, comme c’est le cas ici si on adopte la thèse la plus favorable au ministre, de concilier les dispositions connexes d’un texte législatif, il faut accorder la préférence à l’interprétation selon laquelle elles seront le plus compatibles, dans quelque situation de fait que ce soit.

Pour conclure ces motifs, je crois devoir parler d’une question qui s’est présentée au cours de la plaidoirie de l’avocat du ministre, savoir si les modifications de 1960 ont eu pour effet d’enlever au par. (1) de l’art. 56 toute application pour l’avenir et, de même, de restreindre l’application du par. (3) de l’art. 132 à des événements passés. En bref, on semble alléguer que ces dispositions ont été implicitement abrogées, parce que les modifications de 1960 comportent une dérogation à l’ancienne règle qui défendait l’imposition d’une pénalité par voie de cotisation en sus d’une pénalité imposée par les tribunaux à la suite d’une accusation et d’une déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 132(1)(d).

Une telle allégation est sans valeur. Rien dans les textes législatifs ne la fonde, et l’art. 10 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1952, c. 158, modifié (maintenant l’art. 10 de la Loi d’interprétation, 1967-68 (Can.), c. 7), s’y oppose. Non seulement y a-t-il une forte présomption à l’encontre de l’abrogation implicite du texte législatif, mais ce prétendu changement de principe est incompatible avec le maintien du même principe dans le par. 3 de l’art. 131 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[Page 332]

Pour tous les motifs ci-dessus, quelque peu différents de ceux de la Cour de l’Échiquier, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appel accueilli avec dépens, les JUGES PIGEON et LASKIN étant dissidents.

Procureur de l’appelant: D.S. Maxwell, Ottawa.

Procureurs de l’intimé: Mahony & Dawson, Calgary.

[1] [1970] C.T.C. 397, 70 D.T.C. 6247.

[2] [1970] C.T.C. 397, 70 D.T.C. 6247.


Synthèse
Référence neutre : [1972] R.C.S. 319 ?
Date de la décision : 28/06/1971
Sens de l'arrêt : L’appel du ministre doit être accueilli, les juges pigeon et laskin étant dissidents

Analyses

Revenu - Impôt sur le revenu - Évasion fiscale - Plaidoyer de culpabilité - Amende imposée au contribuable - Droit du Ministre d’imposer une pénalité en sus de l’amende - Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 56, 132 et modifications.

L’intimé a omis de faire rapport de certains revenus pendant chacune des années 1960 à 1965. Il s’est avoué coupable quant à six chefs d’accusation en vertu de l’art. 132(1)(a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et un chef en vertu de l’art. 132(1)(d). Les amendes qui lui ont été imposées se chiffrent à $25,000. Par la suite, le Ministre a établi des avis de nouvelle cotisation et a imposé, en même temps, pour chacune des années d’imposition, des pénalités prévues à l’art. 56(2) de la Loi. L’intimé a contesté l’inclusion de ces pénalités en invoquant l’art. 132(3) de la Loi. La Commission d’appel de l’impôt et la Cour de l’Échiquier ont toutes deux rendu un jugement défavorable au Ministre. Ce dernier a appelé à cette Cour, et la seule question qui se pose est de savoir si le Ministre peut imposer une pénalité en vertu de l’art. 56(2) de la Loi après avoir déposé les dénonciations.

Arrêt: L’appel du Ministre doit être accueilli, les Juges Pigeon et Laskin étant dissidents.

Les Juges Abbott, Judson et Ritchie: Il n’y a aucune ambiguïté dans la Loi telle que modifiée en

[Page 320]

1960. Les pénalités en litige ont été imposées en vertu de l’art. 56(2) et ne sont pas assujetties à la condition édictée dans l’art. 132(3). Les termes clairs de l’art. 132(3), lequel restreint à l’art. 56(1) la nécessité d’imposer antérieurement la pénalité, ne créent pas «une absurdité en droit» ni ne rendent nécessaire la conclusion que cet article doit s’appliquer non seulement dans le cas d’une pénalité imposée en vertu de l’art. 56(1) mais aussi dans le cas d’une pénalité imposée en vertu de l’art. 56(2).

Les Juges Pigeon et Laskin, dissidents: Il serait inconcevable que le Ministre prétende, après avoir poursuivi le contribuable en vertu de l’art. 132(1)(d) sans avoir préalablement imposé de pénalité en vertu de l’art. 56(1), qu’il peut revenir sur son choix et considérer que le comportement en cause tombe sous le coup de l’art. 56(2) en ce qui a trait aux pénalités. Le comportement interdit ayant été placé sous le coup de l’art. 56(1) en raison de la déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 132(1)(d), on n’avait pas le droit, en raison de l’art. 132(3), d’imposer une pénalité en sus des amendes.


Parties
Demandeurs : Ministre du Revenu national
Défendeurs : Panko
Proposition de citation de la décision: Ministre du Revenu national c. Panko, [1972] R.C.S. 319 (28 juin 1971)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-06-28;.1972..r.c.s..319 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award