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05/10/1971 | CANADA | N°[1972]_R.C.S._289

Canada | Kraft Construction Co. Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1972] R.C.S. 289 (5 octobre 1971)


Cour Suprême du Canada

Kraft Construction Co. Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1972] R.C.S. 289

Date: 1971-10-05

Kraft Construction Company Ltd. Appelante;

et

Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg Intimée.

1971: les 23 et 24 juin; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a maintenu l’adjudication d’une indemnité relativement à une expropriation. Appel a

ccueilli.

E.B. Pitblado, c.r., et A. Anhang, pour l’appelante.

D.C. Lennox, c.r., et F.N. Steele, pour l’intimée.
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Cour Suprême du Canada

Kraft Construction Co. Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1972] R.C.S. 289

Date: 1971-10-05

Kraft Construction Company Ltd. Appelante;

et

Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg Intimée.

1971: les 23 et 24 juin; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a maintenu l’adjudication d’une indemnité relativement à une expropriation. Appel accueilli.

E.B. Pitblado, c.r., et A. Anhang, pour l’appelante.

D.C. Lennox, c.r., et F.N. Steele, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE HALL — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba qui a maintenu (le Juge Freedman, alors Juge d’appel, étant dissident) une adjudication de $120,500 prononcée par Son Honneur le Juge Keith, agissant à titre d’arbitre relativement à l’expropriation par l’intimée de terrains appartenant à l’appelante.

La propriété en question est située à l’intersection de Pembina Highway et University Avenue dans la municipalité de Fort Garry, en banlieue de la ville de Winnipeg. Au cours des années 1964

[Page 291]

et 1965, les propriétaires de l’époque ont engagé l’appelante pour la construction d’un centre commercial d’une superficie de quelque 10,000 pieds carrés sur le terrain. Les propriétaires ont éprouvé des difficultés financières par suite de la débâcle de la Atlantic Acceptance Corporation et n’ont pu financer l’achèvement de la construction du centre commercial ni payer l’appelante. Une entente a été conclue en vertu de laquelle les propriétaires ont cédé la propriété à l’appelante qui est entrée en possession en janvier 1966. Après avoir apporté quelques changements convenant à ses besoins, cette dernière s’est installée dans l’immeuble.

En vertu du règlement n° 1174 daté du 27 avril 1967, l’intimée a exproprié la propriété. A ce moment-là, l’édifice abritait quatre locataires en plus de l’appelante. En prenant possession des lieux, l’appelante avait essayé d’attirer d’autres locataires convenables mais elle avait éprouvé des difficultés à cet égard, car il devenait de notoriété que la propriété serait prochainement expropriée.

Les parties ne purent s’entendre sur le montant de l’indemnité qui revenait à l’appelante du fait de l’expropriation et l’affaire fut soumise à l’arbitrage. Le savant arbitre a adjugé à l’appelante la somme de $120,500 plus un intérêt de 5 pour cent à partir de la date de l’expropriation, soit le 4 mai 1967.

A l’audition devant l’arbitre, deux experts ont témoigné, Farstad pour l’appelante et Trumpour pour l’intimée. Farstad a estimé la propriété à $160,000. L’arbitre a rejeté cette estimation et il n’y a pas lieu de modifier sa décision à cet égard. Trumpour, qui témoignait pour l’intimée, a abordé la question de la valeur en se basant sur deux méthodes: (a) l’évaluation par le revenu, et (b) l’évaluation par le coût de reconstruction. Avec l’évaluation par le revenu, Trumpour est arrivé à une estimation finale de $110,000 et avec l’évaluation par le coût de reconstruction, à une estimation de $127,500. Il fallait ajouter deux montants à chacun de ces chiffres: $8,000 pour les frais de dépossession et $2,500 pour la perte de l’équipement de tir à l’arc, mais aucun de ces montants n’est en litige. L’arbitre a accepté le montant auquel est arrivé Trumpour en se fondant sur l’évaluation par le revenu et il a établi la valeur à $110,000; ce qui porte son adjudication, après l’addition des deux montants susmentionnés,

[Page 292]

à $120,500. En cette Cour, l’appelante demande que la valeur soit fixée au montant de $160,000 établi par Farstad, ou du moins, à un montant qui n’est pas inférieur à $138,000, soit le montant que le Juge d’appel Freedman aurait alloué dans sa dissidence.

En cette Cour et en Cour d’appel, les parties étaient d’accord sur le droit applicable et les principes sur lesquels une sentence arbitrale devait s’appuyer, et la seule question en litige est de savoir si l’arbitre a fait erreur en acceptant, dans les circonstances de l’espèce, l’évaluation par le revenu proposée par Trumpour plutôt que l’évaluation par le coût de reconstruction. Je pense comme le Juge d’appel Freedman que l’arbitre s’est trompé en établissant une estimation basée sur l’évaluation par le revenu, et je ne crois pas pouvoir m’exprimer plus clairement que le Juge d’appel Freedman dont je cite les motifs:

[TRADUCTION] Je m’étonne que le savant arbitre ait considéré l’estimation basée sur l’évaluation par le revenu comme étant la méthode la plus valable pour déterminer la valeur dans ce cas particulier. Il me semble que dans cette affaire précisément, l’évaluation par le revenu comporte tellement d’incertitudes qu’elle constitue une méthode des plus douteuses et hasardeuses. Pour avoir du sens, l’évaluation par le revenu doit tirer sa pertinence et son utilité de valeurs locatives déjà reconnues comme étant justes ou pouvant être déterminées avec une précision raisonnable. Cependant, en l’espèce, il est reconnu que les loyers effectivement payés ne représentaient pas la valeur locative réelle. La raison précise en était que l’immeuble était affecté par ce qu’on appelle l’effet déprimant des plans d’urbanisme. Le fait que d’autres immeubles situés dans la région avoisinante avaient été expropriés et qu’il était de notoriété que d’autres expropriations seraient effectuées avait marqué la propriété et diminué les chances d’en louer les locaux à leur juste valeur. Dans son rapport, M. Trumpour a clairement reconnu cette situation, et c’est pourquoi il a cru devoir baser son évaluation par le revenu non pas sur les loyers effectivement payés mais sur une échelle de loyer supérieure et corrigée de façon à tenir compte de l’effet déprimant du plan d’urbanisme. La difficulté, toutefois, est que pour en arriver à un relèvement approprié des taux, il faut se fonder sur des conjectures. L’échelle corrigée des loyers sur laquelle s’est fondé M. Trumpour était de beaucoup inférieure à celle de M. Farstad.

[Page 293]

Je sais que le savant arbitre a rejeté la conclusion de M. Farstad pour accepter celle de M. Trumpour. Je ne critique pas son droit de faire ce choix qui est laissé à sa discrétion. Mais, en n’étudiant l’affaire que dans l’optique de M. Trumpour, je dois dire que le savant arbitre n’était pas fondé, en l’espèce, à accepter l’évaluation par le revenu.

En effet, lorsque la réclamation a tenté au début des procédures de produire la preuve de ses frais d’exploitation, dans le but d’établir la valeur de l’immeuble selon l’évaluation par le revenu, le savant arbitre a fait le commentaire suivant:

«Quel genre de conjectures devrais-je faire pour déterminer la valeur de cette propriété d’après sa valeur locative?»

Et, plus loin:

«LA COUR: Je crois que c’est en somme trop compliqué. La preuve consisterait en conjectures. Ce ne pourrait être une preuve directe. Je veux dire qu’il faudrait considérer un grand nombre de facteurs: les dimensions de l’immeuble, mis à part son emplacement; j’imagine que les dimensions de l’immeuble en limiteraient définitivement l’utilisation. Il faudrait trouver des personnes auxquelles les locaux conviendraient et cela pourrait prendre du temps. Sans doute, vous pourriez parvenir à trouver des locataires pour tous les locaux et à déterminer les frais d’entretien de l’immeuble; en déduisant ces frais des loyers perçus, vous pourriez produire des données concrètes, si la preuve était directe, et vous pourriez pratiquement connaître la valeur de l’immeuble comme entreprise commerciale. De toute évidence, c’est ce que vous essayez de faire, mais le projet n’est jamais devenu une entreprise commerciale, n’est-ce pas?

M. ANHANG: Bien entendu, la question est: pourquoi pas? Et je crois que la réponse est que l’immeuble était menacé d’expropriation.

M. MACIVER: C’est exact.»

Après avoir pris position aussi fermement à ce sujet, il est surprenant que le savant arbitre ait fait volte-face et déclaré que la méthode de M. Trumpour pour déterminer la valeur marchande était la bonne méthode. Bien que le savant arbitre n’ait pas précisé qu’il s’agissait de l’évaluation par le revenu, c’était effectivement celle-là — la méthode même dont (à bon droit, à mon avis) le savant arbitre avait dit qu’elle était «en somme trop compliquée» et qu’elle s’appuyait entièrement sur des «conjectures».

[Page 294]

Il est reconnu que la méthode de l’évaluation par le coût de reconstruction n’est pas d’application courante. Cependant, dans cette affaire-ci, lorsque l’unique autre moyen suggéré par l’expert autorisé se révèle aussi peu convaincant, l’argument faisant valoir l’évaluation par le coût de reconstruction a plus de poids qu’il n’en aurait autrement. En fait, la façon dont M. Trumpour a traité de cette dernière méthode me paraît plus rationnelle et plus persuasive que la façon dont il a présenté l’évaluation par le revenu. Il a retenu cette dernière de préférence à la première parce qu’il était difficile d’estimer correctement la désuétude et la dépréciation. Mais on ne peut dire que son estimation de ces facteurs favorisait indûment la requérante. En effet, la réclamante prétend, et jusqu’à un certain point à raison, que les montants déduits par M. Trumpour pour la désuétude et la dépréciation étaient excessivement élevés. En toute justice, tout changement à cet égard devrait tourner à l’avantage de la réclamante. Cependant, je ne propose aucun changement de la sorte mais plutôt une adjudication basée sur l’évaluation par le coût de reconstruction telle qu’elle a été présentée.

* * *

Étant donné que le témoignage de M. Farstad n’a pas été accepté, je suis d’avis de régler cette affaire en me fondant sur le témoignage de M. Trumpour. Mais, pour les motifs susmentionnés, je trouve qu’en l’espèce, l’évaluation par le revenu est moins sûre que l’évaluation par le coût de reconstruction. Par conséquent, je baserais l’adjudication sur l’évaluation par le coût de reconstruction, ce qui donne un montant de $127,500, auquel montant j’ajouterais $8,000 pour les frais de dépossession et $2,500 pour la perte de l’équipement de tir à l’arc, soit un total de $138,000 portant intérêt au taux de cinq pour cent l’an.

Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de fixer le montant payable à $138,000, avec intérêt de 5 pour cent à partir du 4 mai 1967. L’appelante a droit à ses dépens en cette Cour et en Cour d’appel.

Appel accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Pitblado, Hoskin & Co., Winnipeg.

Procureur de l’intimée: D.C. Lennox, Winnipeg.

[1] (1971), 16 D.L.R. (3d) 529.


Synthèse
Référence neutre : [1972] R.C.S. 289 ?
Date de la décision : 05/10/1971
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Expropriation - Indemnité - Évaluation - Expropriation d’un centre commercial - Immeuble affecté par l’effet déprimant des plans d’urbanisme - L’arbitre a-t-il erré en acceptant l’évaluation par le revenu retenue par l’évaluateur expert de préférence à l’évaluation par le coût de reconstruction.

L’appelante a été engagée par les propriétaires de certains terrains pour la construction d’un centre commercial. Les propriétaires ont éprouvé des difficultés financières et n’ont pu financer l’achèvement de la construction du centre commercial ni payer l’appelante. Une entente a été conclue en vertu de laquelle la propriété a été cédée à l’appelante. Plus tard, l’intimée l’a expropriée. Les parties ne purent s’entendre sur le montant de l’indemnité qui revenait à l’appelante du fait de l’expropriation et l’affaire fut soumise à l’arbitrage. Un arrêt majoritaire de la Cour d’appel a maintenu l’adjudication de l’arbitre, et l’appelante en a appelé à cette Cour.

A l’audition devant l’arbitre, l’évaluateur expert de l’intimée a abordé la question de la valeur en se basant sur deux méthodes: (a) l’évaluation par le revenu et (b) l’évaluation par le coût de reconstruction. En cette Cour, la seule question en litige est de savoir si l’arbitre a fait erreur en acceptant, dans les circonstances de l’espèce, l’évaluation par le revenu proposée par l’évaluateur expert plutôt que l’évaluation par le coût de reconstruction.

Arrêt: L’appel doit être accueilli.

En l’espèce, l’évaluation par le revenu est moins sûre que l’évaluation par le coût de reconstruction et, par conséquent, l’adjudication doit être basée sur cette dernière.

Pour avoir du sens, l’évaluation par le revenu doit tirer sa pertinence et son utilité de valeurs locatives déjà reconnues comme étant justes ou pouvant être

[Page 290]

déterminées avec une précision raisonnable. Cependant, en l’espèce, les loyers ne représentaient pas la valeur locative réelle pour la raison que l’immeuble était affecté par l’effet déprimant des plans d’urbanisme. L’évaluateur expert a, par conséquent, cru devoir baser son évaluation par le revenu non pas sur les loyers effectivement payés mais sur une échelle de loyer supérieure et corrigée de façon à tenir compte de l’effet déprimant du plan d’urbanisme. La difficulté, toutefois, est que pour en arriver à un relèvement approprié des taux, il faut se fonder sur des conjectures.

Il est reconnu que la méthode de l’évaluation par le coût de reconstruction n’est pas d’application courante, mais lorsque, dans cette affaire-ci, l’unique autre moyen suggéré par l’expert autorisé se revèle aussi peu convaincant, l’argument faisant valoir l’évaluation par le coût de reconstruction a plus de poids qu’il n’en aurait autrement. L’évaluateur expert a retenu l’évaluation par le revenu de préférence à l’évaluation par le coût de reconstruction parce qu’il était difficile d’estimer correctement la désuétude et la dépréciation. Mais on ne peut dire que son estimation de ces facteurs favorisait indûment l’appelante.


Parties
Demandeurs : Kraft Construction Co. Ltd.
Défendeurs : Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg
Proposition de citation de la décision: Kraft Construction Co. Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1972] R.C.S. 289 (5 octobre 1971)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-10-05;.1972..r.c.s..289 ?
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