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05/10/1971 | CANADA | N°[1972]_R.C.S._380

Canada | Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380 (5 octobre 1971)


Cour Suprême du Canada

Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380

Date: 1971-10-05

Nick Albert Basarsky, Administrateur judiciaire de la Succession de feu Gordon Stewart Onishenko (Demandeur) Appelant;

et

Joe Quinlan et Eileen Quinlan (Défendeurs) Intimés.

1971: le 4 juin; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Martland, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, rejetant un appel d’une ordo

nnance du Juge Primrose, en vertu de laquelle la requête de l’appelant pour amender la déclaration quant à certains dét...

Cour Suprême du Canada

Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380

Date: 1971-10-05

Nick Albert Basarsky, Administrateur judiciaire de la Succession de feu Gordon Stewart Onishenko (Demandeur) Appelant;

et

Joe Quinlan et Eileen Quinlan (Défendeurs) Intimés.

1971: le 4 juin; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Martland, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, rejetant un appel d’une ordonnance du Juge Primrose, en vertu de laquelle la requête de l’appelant pour amender la déclaration quant à certains détails a été rejetée. Appel accueilli.

H.L. Irving, c.r., et J.K. Holmes, pour le demandeur, appelant.

D.H. Bowen, c.r., pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE HALL — Il s’agit d’un appel d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta rejetant la requête de l’appelant en modification de la déclaration de l’action.

Gordon Stewart Onishenko a été tué dans un accident d’automobile le 9 septembre 1967, près de Lacombe, en Alberta. L’appelant Basarsky a été nommé administrateur de la succession de feu M. Onishenko en vertu de lettres d’administration à lui octroyées le 17 janvier 1968. Le 18 octobre 1968, l’appelant intentait une action aux intimés. Un partie du par. 2 de la déclaration se lit comme suit:

[TRADUCTION] …et le demandeur intente la présente action pour le compte de ladite succession en vertu des dispositions du Trustee Act, chapitre 346 des statuts revisés de l’Alberta de 1955, modifié. L’appelant a aussi allégué dans la déclaration:

QUE l’accident, les blessures et la mort dont il est fait mention aux paragraphes précédents des

[Page 382]

présentes résultent uniquement et entièrement de la négligence du défendeur JOE QUINLAN dans la conduite du véhicule automobile qu’il conduisait,…

et, dans le dispositif, il conclut:

[TRADUCTION] En vertu des dispositions du Trustee Act, pour le compte de feu GORDON STEWART ONISHENKO, pour perte de la vie, souffrances, perte d’expectative de vie, et à titre de dommages-intérêts généraux, la somme de $250,000.

Les défendeurs ont produit une défense à l’action; le paragraphe 1 de cette défense se lit ainsi:

[TRADUCTION] QUE les défendeurs admettent l’accident mentionné dans la déclaration et admettent de plus que ledit accident est survenu par suite de la négligence du défendeur JOE QUINLAN.

L’action a été poursuivie uniquement sur le montant des dommages recouvrables puisque la responsabilité avait été admise.

Le 26 août 1970, l’appelant a demandé au juge en chambre, à Edmonton, l’autorisation d’amender la déclaration quant à certains détails que les intimés ne contestaient pas, et cette autorisation fut accordée. Dans la requête, l’appelant demandait aussi l’autorisation d’amender la déclaration en y insérant deux nouveaux paragraphes, les paragraphes 7(a) et 7(b) suivants:

[TRADUCTION] 7(a) Ledit Gordon Stewart Onishenko était, avant sa mort, âgé de 43 ans; il travaillait comme contremaître dans un atelier de tôlerie et sa femme et ses enfants susdits ne comptaient que sur son salaire pour leur subsistance et leur éducation; par suite de la mort dudit Gordon Stewart Onishenko, ils sont privés de ce moyen d’assurer leur subsistance et leur éducation.

7(b) Le demandeur, en qualité d’administrateur comme susdit, a assumé les frais de sépulture dudit Gordon Stewart Onishenko et réclame en conséquence la somme de $500.00.

et d’en changer le dispositif, pour qu’il se lise comme suit:

[TRADUCTION] (c) En vertu des dispositions du Fatal Accidents Act, et pour le compte de la veuve et des enfants de feu Gordon Stewart Onishenko, des dommages-intérêts au montant de $150,000.00.

[Page 383]

Le Juge Primrose a rejeté cette requête sans motifs écrits et l’appel interjeté de sa décision à la Chambre d’appel a été rejeté, également sans motifs écrits.

La question en litige est celle de savoir si la modification proposée peut être faite, étant donné que le délai de deux ans pendant lequel on aurait pu intenter une action en vertu du Fatal Accidents Act, S.R.A. 1955, c. 111, a pris fin avant que la requête en modification ne soit faite.

Dans leur factum, les intimés invoquent surtout la règle connue sous le nom de règle de l’affaire Weldon v. Neal[1], et la jurisprudence qui en découle, et citent le passage suivant des motifs de Lord Esher, Maître des Rôles, dans cette affaire-là:

[TRADUCTION] On soutient que si la Cour permettait un amendement ajoutant une cause d’action qui serait prescrite si le bref était émis au moment où l’amendement est autorisé, elle favoriserait ainsi la demanderesse et priverait le défendeur d’un droit qu’il aurait eu — l’effet d’un tel amendement étant de permettre à la demanderesse de se servir du bref d’assignation original pour contourner la loi de prescription.

et:

[TRADUCTION] En autorisant ces amendements, on priverait le défendeur de son droit d’invoquer la loi de prescription.

Il faut signaler qu’on a omis, dans les remarques attribuées à Lord Esher, Maître des Rôles, dans le Law Journal Queen’s Bench Report, le passage suivant qui se trouve entre les deux citations précédentes:

[TRADUCTION] Dans la mesure où elle a le pouvoir d’autoriser un amendement, la Cour l’autoriserait dans des circonstances très particulières (peculiar); mais en règle générale, un tel amendement ne sera pas autorisé. Il n’y a pas de circonstances particulières dans ce cas-ci. La demanderesse a d’abord intenté une action pour propos diffamatoires seulement. Si les matières que l’on cherche à insérer dans la déclaration avaient été mentionnées au bref d’assignation, elles n’auraient pas été prescrites; tandis qui si l’on délivrait un nouveau bref à leur sujet, elles le seraient. (Les italiques sont de moi.)

[Page 384]

Il importe de signaler que la décision de Lord Esher est rapportée aussi dans les Law Reports[2], et le texte complet de sa décision dans ce dernier recueil se lit comme suit:

[TRADUCTION] Nous devons suivre la règle de pratique établie, selon laquelle ne sont pas recevables les amendements qui seraient préjudiciables aux droits de la partie adverse, tels qu’ils existent à la date de ces amendements. Si l’on autorisait un amendement énonçant une cause d’action qui serait, si le bref quant à cette cause d’action était délivré à la date de l’amendement, prescrite en vertu de la loi de prescription, on permettrait à la demanderesse de se prévaloir de son premier bref pour contourner la loi et l’on priverait le défendeur d’un droit existant, procédure qui, en règle générale, serait, à mon avis, irrégulière et injuste. Dans des circonstances très particulières, la Cour aurait peut-être le pouvoir d’autoriser un tel amendement, mais, en règle générale, elle ne le fera certainement pas. (Les italiques sont de moi.)

La présente affaire tombe sous le coup de cette règle de pratique et aucune circonstance particulière de quelque sorte en fait une exception à cette règle. Pour ces motifs, je crois que l’ordonnance de la Divisional Court est bien fondée et devrait être maintenue.

Bien que les deux comptes rendus de la décision de Lord Esher ne soient pas indentiques, quelles que soient leurs divergences d’ordre sémantique, il ressort clairement que Lord Esher n’énonce pas une règle qui ne souffre aucune exception. Dans la version publiée dans les Law Reports, on lit que la Cour aurait peut-être le pouvoir d’autoriser l’amendement demandé pourvu que les circonstances soient «particulières». Dans la version du Law Journal, on dit, en substance: la Cour autoriserait les amendements demandés pourvu qu’il y ait des circonstances «particulières». Il faut donc conclure que la règle de pratique énoncée dans Weldon v. Neal n’est pas absolue et qu’on autorisera un amendement de la nature de celui qui est demandé dans cette dernière cause lorsque l’existence de circonstances particulières en justifie l’autorisation. Forcément, on fera rarement appel au pouvoir d’autoriser un amendement une fois écoulé le délai

[Page 385]

établi par loi de prescription, puisque les circonstances qui permettront d’y avoir recours ne se présenteront pas souvent. Je suis d’autant plus convaincu de mon interprétation de l’arrêt Weldon v. Neal (précité) que les juges d’appel McKay et Mackenzie, dans Tannas v. Mosser[3], ont reconnu que cette règle n’est pas absolue, et que les Lord Juges Holroyd Pearce dans Pontin v. Wood[4], et Hodson dans Hall v. Meyrick[5], ont également reconnu qu’il pouvait y avoir des exceptions à la règle énoncée dans Weldon v. Neal, quoiqu’il n’y ait pas eu de telles circonstances dans ces affaires-là.

L’adjectif «particulier» (peculiar) dans le contexte de la décision de Lord Esher et à l’époque de cette décision, peut être considéré comme équivalant à «spécial» selon l’usage actuel. Tel est le sens que le Lord Juge Holroyd Pearce a donné à ce terme dans l’affaire Pontin v. Wood (précitée) à la p. 297. «Particulier», au sens où l’employait Lord Esher en 1887 signifie aujourd’hui «spécial». «Peculiar» a maintenant une autre signification comme on peut le voir dans le New Roget’s Thesaurus in Dictionary Form qui le définit par les termes [TRADUCTION] «étrange, singulier, curieux, excentrique». Lord Esher n’a employé l’adjectif «peculiar» dans aucun de ces sens.

A mon avis, les circonstances spéciales suivant lesquelles une cour serait fondée à autoriser cet amendement existent en l’espèce. Tous les faits touchant au quasi-délit des intimés et à leur responsabilité quant à la mort d’Onishenko ont été allégués à la déclaration originale. Les intimés ont admis leur responsabilité quant à la mort d’Onishenko. Lors de l’interrogatoire préalable de l’appelant, qui a eu lieu le 9 juin 1969, l’avocat des intimés a demandé l’âge de la veuve d’Onishenko, si elle avait un emploi, le nombre de ses enfants et leur âge, et quels étaient l’emploi et le salaire du défunt; toutes ces questions ne sont pertinentes que dans une action intentée en vertu du Fatal Accidents Act.

Je ne crois pas qu’on puisse prétendre que les intimés ont subi un préjudice réel du fait de l’omission de l’appelant d’invoquer expressément

[Page 386]

le Fatal Accidents Act dans la déclaration originale. Au moment de l’introduction de l’instance, l’appelant, en qualité d’administrateur de la succession de la victime, avait le droit de poursuivre en vertu du Fatal Accidents Act en même temps qu’il poursuivait en vertu du Trustee Act. L’omission par l’appelant de fournir des détails au sujet de ceux pour qui il pouvait poursuivre en vertu du Fatal Accidents Act n’est pas en elle-même fatale, non plus que le fait de ne pas mentionner expressément cette dernière loi: Cooper v. Williams[6]. Le Fatal Accidents Act de l’Alberta n’exige pas la mention de ces détails et le fait de ne pas les mentionner n’est pas un motif de rayer la déclaration du fait qu’elle n’énonce aucune cause d’action. Ce point a été décidé en Alberta dans l’affaire Fitzpatrick v. Schram[7], et, sous ce rapport, il y a lieu de noter la décision de Lord Denning, Maître des Rôles, dans l’affaire Cooper v. Williams (précitée). Les Fatal Accidents Acts impériaux exigent expressément que les bénéficiaires visés de l’action prise en vertu de ces Lois soient désignés nommément. Néanmoins, le fait de ne pas nommer tous les bénéficiaires visés ou de ne pas mentionner les Fatal Accidents Acts ou de ne pas indiquer que le demandeur poursuit pour le compte d’autrui n’a pas invalidé les procédures.

A la lumière des circonstances spéciales de la présente affaire, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’ordonner que la déclaration soit amendée suivant les conclusions de la requête. L’appelant aura droit à ses dépens en cette Cour et en Chambre d’appel. Les intimés ont droit à leurs dépens sur la requête présentée devant le Juge Primrose.

Appel accueilli avec dépens.

Procureurs du demandeur, appelant: Holmes, Crowe, Power & Johnston, Edmonton.

Procureurs des défendeurs, intimés: Duncan & Bowen, Edmonton.

[1] (1887), 56 L.J.Q.B. 621.

[2] (1887), 19 Q.B.D. 394.

[3] [1930] 1 W.W.R. 738, [1930] 4 D.L.R. 192.

[4] [1962] 1 All E.R. 294.

[5] [1957] 2 All E.R. 722.

[6] [1963] 2 All E.R. 282.

[7] [1928] 1 W.W.R. 751.


Synthèse
Référence neutre : [1972] R.C.S. 380 ?
Date de la décision : 05/10/1971
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Pratique - Requête pour amender la déclaration - Requête présentée après l’expiration des délais pour intenter action - Circonstances spéciales justifiant l’autorisation.

Par suite d’un accident d’automobile dans lequel O a été tué, l’appelant, en sa qualité d’administrateur de la succession de O, intentait une action aux intimés, réclamant des dommages en vertu des dispositions du Trustee Act, R.S.A. 1955, c. 346. La responsabilité ayant été admise, l’action a été poursuivie uniquement sur le montant des dommages. L’appelant a demandé l’autorisation d’amender la déclaration quant à certains détails que les intimés ne contestaient pas, et cette autorisation fut accordée. Dans la requête, l’appelant demandait aussi l’autorisation d’amender la déclaration en y insérant deux nouveaux paragraphes et d’en changer le dispositif pour y inclure une réclamation en vertu des dispositions du Fatal Accidents Act, R.S.A. 1955, c. 111, pour le compte de la veuve et des enfants de O. Le juge en chambre a rejeté cette requête et l’appel interjeté à la Chambre d’appel a été également rejeté. Sur l’appel interjeté à cette Cour, la question en litige est celle de savoir si la modification proposée peut être faite, étant donné que le délai de deux ans pendant lequel on aurait pu intenter une action en vertu du Fatal Accidents Act, a pris fin avant que la requête en modification ne soit faite.

Arrêt: L’appel doit être accueilli.

La règle de pratique énoncée dans Weldon v. Neal (1887), 56 L.J.Q.B. 621, 19 Q.B.D. 394, n’est pas absolue, et on autorisera un amendement de la nature de celui qui est demandé dans cette dernière cause lorsque l’existence de circonstances particulières en justifie l’autorisation. L’adjectif «particulier» dans le

[Page 381]

contexte de la décision de Lord Esher dans Weldon v. Neal et à l’époque de cette décision, peut être considéré comme équivalant à «spécial» selon l’usage actuel. Les circonstances spéciales suivant lesquelles une cour serait fondée à autoriser cet amendement existent en l’espèce.

Arrêts suivis: Tannas v. Mosser, [1930] 1 W.W.R. 738; Pontin v. Wood, [1962] 1 All E.R. 294; Hall v. Meyrick, [1957] 2 All E.R. 722; Cooper v. Williams, [1963] 2 All E.R. 282; Fitzpatrick v. Schram, [1928] 1 W.W.R. 751.


Parties
Demandeurs : Basarsky
Défendeurs : Quinlan
Proposition de citation de la décision: Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380 (5 octobre 1971)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-10-05;.1972..r.c.s..380 ?
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