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05/10/1971 | CANADA | N°[1972]_R.C.S._435

Canada | Toronto General Hospital c. Matthews et al., [1972] R.C.S. 435 (5 octobre 1971)


Cour suprême du Canada

Toronto General Hospital c. Matthews et al., [1972] R.C.S. 435

Date: 1971-10-05

The Trustees of the Toronto General Hospital (Défendeur) Appelant;

et

Dr R.L. Matthews (Défendeur) Intimé;

et

Elizabeth Aynsley, mentalement incapable, non déclarée telle, par son représentant ad litem Stuart James Aynsley, et ledit Stuart James Aynsley (Demandeurs) Intimés.

1971: les 13 et 14 mai; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’

ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], confirmant un jugement du Juge Morand. Appel rejeté.

...

Cour suprême du Canada

Toronto General Hospital c. Matthews et al., [1972] R.C.S. 435

Date: 1971-10-05

The Trustees of the Toronto General Hospital (Défendeur) Appelant;

et

Dr R.L. Matthews (Défendeur) Intimé;

et

Elizabeth Aynsley, mentalement incapable, non déclarée telle, par son représentant ad litem Stuart James Aynsley, et ledit Stuart James Aynsley (Demandeurs) Intimés.

1971: les 13 et 14 mai; 1971: le 5 octobre.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], confirmant un jugement du Juge Morand. Appel rejeté.

Isador Levinter, c.r., et Gordon R. Dryden, pour le défendeur, appelant.

D.K. Laidlaw, c.r., pour le défendeur, intimé, Dr R.L. Matthews.

W.H.O. Mueller, pour les demandeurs, intimés, Elizabeth Aynsley et Stuart James Aynsley.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE HALL — Le présent appel est à I’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[2] confirmant la décision du Juge Morand qui a déclaré l’appelant, de même que l’intimé, le Dr R.L. Matthews, responsables des blessures que l’intimée Elizabeth Aynsley a subies au cours d’une opération à l’hôpital de l’appelant.

L’appel porte uniquement sur la question de la responsabilité de l’hôpital, à titre de commettant, pour la négligence d’un certain Dr Porteous, résidant principal en anesthésiologie, qui a aidé le Dr Matthews à administrer l’anesthésique à l’intimée Elizabeth Aynsley en vue d’une opération du cœur. Le montant auquel la Cour d’appel a fixé les dommages-intérêts n’est pas en litige. Le Dr Matthews n’a pas interjeté appel.

Les faits sont exposés au long dans la décision du Juge Morand, publiée dans le recueil [1968] 1 O.R. 425, pp. 427-36, 66 D.L.R. (2d) 575, pp. 577-86. Les relations entre le Dr Porteous et l’hôpital sont décrites comme suit dans la décision du Juge d’appel Aylesworth:

[TRADUCTION] Quelles étaient donc les relations entre le Dr Porteous et l’hôpital? Comme on l’a déjà signalé, le Dr Porteous était un anesthésiste d’une compétence et d’une formation supérieures; c’était un spécialiste qui avait plusieurs années d’expérience dans ce domaine, la branche de son choix. A ce titre, il faisait partie à plein temps du personnel hospitalier; c’est l’hôpital qui le payait et le chargeait d’assister de temps à autre les anesthésistes consultants dans les salles d’opération de l’hôpital. L’hôpital fournissait l’équipement et le patient était facturé pour l’usage de la salle d’opération; en d’autres termes, l’hôpital s’engageait à fournir au

[Page 437]

patient, à titre de service hospitalier, une salle d’opération, l’équipement requis en bon état, et à l’anesthésiste du patient, les services diligents d’un assistant dûment qualifié. A la lecture de la preuve médicale, on voit très clairement que dans le genre d’opération en question ici, la participation de deux anesthésistes était requise pour assurer la sécurité du patient et le succès de l’opération. Il s’agissait obligatoirement d’un travail d’équipe. Chaque anesthésiste avait plusieurs tâches à remplir seul ou avec son collègue. L’anesthésiste principal, le Dr Matthews, était responsable et maître des opérations, en ce sens qu’il pouvait assigner les diverses tâches ou déterminer leur répartition ce qu’il a d’ailleurs fait, mais il ne pouvait diriger et il ne dirigeait pas tout ce que le Dr Porteous devait faire ou la façon dont il devait le faire. L’un et l’autre devaient remplir de nombreuses tâches laissées à leur jugement personnel et engageant leur propre responsabilité. Il est clair qu’une de ces tâches concernait l’étalonnage à l’aide du manomètre, tâche dont s’acquittait le Dr Porteous dans la salle d’opération même pendant que le Dr Matthews faisait l’étalonnage du moniteur dans une autre salle. A mon avis, la négligence du Dr Porteous équivaut à une omission, par le personnel hospitalier lui-même de bien remplir son engagement envers le patient. Je confirmerais le jugement rendu contre l’hôpital. Je crois que celui-ci avait conclu un contrat de services avec l’hôpital, mais, à mon avis, les conséquences juridiques seraient les mêmes s’il avait conclu un contrat d’entreprise. En plus de ce que j’ai dit à ce sujet, je souscris aux observations suivantes que le savant juge de première instance a formulées dans ses motifs de jugement [[1968] 1 O.R. pp. 439-41, 66 D.L.R. (2d), pp. 589-91]:

«Le Dr Porteous était…un anesthésiste d’une compétence et d’une formation supérieures, il assistait le Dr Matthews dans l’étalonnage requis du moniteur. Lorsqu’il était sous les ordres du Dr Matthews, il devait exécuter ses ordres de façon professionnelle…A mon avis, puisqu’il était un employé de l’hôpital qui le mettait à la disposition du patient, entre autres services même s’il était alors sous les ordres du Dr Matthews, je décide que l’hôpital est responsable, à titre de commettant, de sa négligence.

* * *

En l’espèce, le Dr Porteous a reçu du Dr Matthews l’instruction de l’aider à étalonner l’appareil, mais c’est en pompant le manomètre, ce qui faisait partie de ses fonctions d’anesthésiste adjoint employé par l’hôpital, que le Dr Porteous

[Page 438]

s’est montré négligent, à un moment où le Dr Matthews se trouvait dans la salle voisine.

* * *

Toutefois, en l’espèce, on s’attendait manifestement que le Dr Porteous se serve de ses connaissances et de son expérience, en plus de suivre les ordres que le Dr Matthews lui donnait directement. Étant donné que le Dr Matthews devait s’absenter de la salle pour l’étalonnage, ce qui l’empêchait de voir ce que faisait le Dr Porteous au moment où il (le Dr Porteous) pompait le manomètre, il me paraît clair que le Dr Porteous devait faire appel à ses connaissances professionnelles dans la façon dont il pompait le manomètre. A mon avis, c’est ce qu’il a omis de faire et, puisqu’il est un employé permanent de l’hôpital, ce dernier est responsable, à titre de commettant, de sa négligence.»

Dans son jugement, le Juge d’appel Aylesworth, à l’avis duquel souscrivaient les Juges d’appel Evans et Brooke, a passé en revue toutes les causes pertinentes, à commencer par Hillyer v. The Governors of St. Bartholomew’s Hospital[3]; il a traité, en particulier, de la cause The Sisters of St. Joseph of the Diocese of London in Ontario c. Fleming[4], en cette Cour.

Après avoir longuement étudié l’arrêt Hillyer et les arrêts subséquents qui en critiquaient ou limitaient l’application ou faisaient des distinctions à ce sujet, le Juge Davis, en rendant jugement dans l’affaire Fleming, a dit ce qui suit au sujet de l’arrêt Hillyer, à la p. 188 du recueil:

[TRADUCTION] L’exposé de Lord Kennedy, dans la cause Hillyer, sur la différence entre les fonctions ministérielles ou administratives d’une part, et les fonctions où s’exerce un soin ou une compétence professionnelle d’autre part, a beaucoup de poids et de mérite, mais même la décision prise dans cette cause-là ne lie pas cette Cour.

Puis, p. 190:

[TRADUCTION] Après une étude très approfondie, nous avons conclu que, si utile que soit, dans certaines circonstances, la règle énoncée par Lord Kennedy, à titre d’élément dont il faut tenir compte, il est plus sûr, pour déterminer la nature des fonctions d’une infirmière au moment où l’acte négligent a été commis, de chercher à savoir si oui ou non, de

[Page 439]

fait, pendant qu’elle remplissait la tâche particulière où l’acte négligent a été commis, l’infirmière agissait en qualité d’agent ou de préposé de l’hôpital dans les limites ordinaires de ses attributions, ou si elle était à ce moment-là soustraite à la direction et au contrôle de l’hôpital, étant de fait pour ce temps sous la direction ou le contrôle d’un chirurgien ou d’un médecin ou même du patient. Nous croyons qu’il est préférable d’aborder la question dans chaque cas en cherchant à déterminer d’abord si la tâche particulière dont s’acquittait l’infirmière au moment où la négligence a été commise créait un rapport d’employeur à employés ou de mandant à mandataire.

Ayant cité ces extraits de l’arrêt Fleming, le Juge d’appel Aylesworth a dit:

[TRADUCTION] Je considère respectueusement que ce principe lie cette Cour et je ne vois, dans l’énoncé qu’en a fait le Juge Davis, rien qui limite son application aux actes qu’une infirmière commet en dehors de la salle d’opération ou aux actes qu’elle n’a pas commis au cours d’une opération. Même s’il se peut très bien qu’une infirmière soit rarement, sinon jamais, considérée comme une employée de l’hôpital pour le temps où elle remplit des fonctions au cours d’une opération, c’est dans chaque cas une question de fait et cela ne va pas à l’encontre du principe même. Je conclus également que, par analogie du moins, le même principe s’applique aux médecins et chirurgiens, non seulement à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de la salle d’opération, et que dans chaque cas, la question de savoir si le médecin ou le chirurgien, membre du personnel de l’hôpital et de façon générale employé de cet hôpital, était au moment de la commission de l’acte dont on se plaint, un employé de l’hôpital ou s’il agissait en quelque autre qualité, est un point de fait. A coup sûr, malgré tout ce qui a été dit dans l’arrêt St. Joseph, il est loisible à cette Cour d’en décider ainsi.

Après avoir passé en revue un certain nombre de causes postérieures à l’arrêt Fleming, le Juge d’appel Aylesworth en est venu à la conclusion suivante:

[TRADUCTION] Les causes en question, tant ici qu’en Angleterre, montrent clairement, je crois, que la responsabilité de l’hôpital pour les omissions ou actes négligents d’un employé envers un patient dépend surtout des faits particuliers de l’espèce, c’est-à-dire des services que l’hôpital s’engage à fournir et du rapport qui lie le médecin ou chirurgien à l’hôpital. En Angleterre, l’introduction de la méde-

[Page 440]

cine étatisée a probablement beaucoup modifié la situation de fait en ce qui concerne les causes que je viens de mentionner, mais dans ce pays, chaque cause sera jugée, je crois, d’après les faits particuliers qui y sont en jeu. De même, je crois qu’en Ontario les demandeurs réussiront à faire reconnaître la responsabilité du fait d’autrui de l’hôpital ou échoueront dans leur tentative selon les faits particuliers en jeu dans chaque cause.

A ce sujet, je ne puis m’empêcher de faire remarquer que les arrêts récents des cours d’appel anglaises semblent se rapprocher de plus en plus du principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt St. Joseph, du moins en ce qui concerne les infirmières, et comme je l’ai déjà dit, à mon avis, il est loisible à cette Cour d’appliquer aux médecins les principes énoncés pour les infirmières, et ce, même quand ils sont dans les salles d’opération.

(Les italiques sont de moi.)

Je souscris entièrement à la conclusion du Juge d’appel Aylesworth, dans les paragraphes cités ci‑dessus; par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

Procureurs du défendeur, appelant: Levinter, Dryden, Bliss, Maxwell, Levitt & Hart, Toronto.

Procureurs du défendeur, intimé, le docteur R.L. Matthews: McCarthy & McCarthy, Toronto.

Procureurs des demandeurs intimés, Elizabeth Aynsley et Stuart James Aynsley: Thomson, Rogers, Toronto.

[1] [1969] 2 O.R. 829, 7 D.L.R. (3d) 193.

[2] [1969] 2 O.R. 829, 7 D.L.R. (3d) 193.

[3] [1909] 2 K.B. 820.

[4] [1938] R.C.S. 172, [1938] 2 D.L.R. 417.


Synthèse
Référence neutre : [1972] R.C.S. 435 ?
Date de la décision : 05/10/1971
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Faute - Blessures subies par une patiente au cours d’une opération à l’hôpital - Négligence de I’anesthésiste adjoint - Employé de l’hôpital et mis à la disposition de la patiente, entre autres services - Responsabilité de l’hôpital à titre de commettant.

La Cour d’appel a confirmé une décision en première instance qui a déclaré l’appelant, de même que l’intimé M, responsables des blessures que l’intimée A a subies au cours d’une opération à l’hôpital de l’appelant. L’appel à cette Cour porte uniquement sur la question de la responsabilité de l’hôpital, à titre de commettant, pour la négligence de P, résidant principal en anesthésiologie qui a aidé M à administrer l’anesthésique à l’intimée A en vue d’une opération du cœur.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

La Cour souscrit à la conclusion de la Cour d’appel que la responsabilité de l’hôpital pour les omissions ou actes négligents d’un employé envers un patient dépend surtout des faits particuliers de l’espèce, c’est-à-dire des services que l’hôpital s’engage à fournir et du rapport qui lie le médecin ou chirurgien à l’hôpital.

Les principes énoncés pour les infirmières dans l’arrêt The Sisters of St. Joseph of the Diocese of London in Ontario c. Fleming, [1938] R.C.S. 172, s’appliquent aux médecins, et ce, même quand ils sont dans les salles d’opération.

[Page 436]


Parties
Demandeurs : Toronto General Hospital
Défendeurs : Matthews et al.
Proposition de citation de la décision: Toronto General Hospital c. Matthews et al., [1972] R.C.S. 435 (5 octobre 1971)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-10-05;.1972..r.c.s..435 ?
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