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19/06/1972 | CANADA | N°[1973]_R.C.S._31

Canada | Blackmer c. Guaranty Trust Company of Canada, [1973] R.C.S. 31 (19 juin 1972)


Cour suprême du Canada

Blackmer c. Guaranty Trust Company of Canada, [1973] R.C.S. 31

Date: 1972-06-19

Ethel Blackmer (Défenderesse) Appelante;

et

Guaranty Trust Company of Canada (Demanderesse) Intimée.

1972: le 4 février; 1972: le 19 juin.

Présents: Les Juges Martland, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan[1], rejetant un jugement du Juge en Chef Bence. Appel rejeté.

W.M. Elliott, c.r., pour la défenderesse, app

elante.

E.C. Malone, pour la demanderesse, intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — Il s’ag...

Cour suprême du Canada

Blackmer c. Guaranty Trust Company of Canada, [1973] R.C.S. 31

Date: 1972-06-19

Ethel Blackmer (Défenderesse) Appelante;

et

Guaranty Trust Company of Canada (Demanderesse) Intimée.

1972: le 4 février; 1972: le 19 juin.

Présents: Les Juges Martland, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan[1], rejetant un jugement du Juge en Chef Bence. Appel rejeté.

W.M. Elliott, c.r., pour la défenderesse, appelante.

E.C. Malone, pour la demanderesse, intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — Il s’agit d’un appel de l’arrêt unanime de la Cour d’appel de la Saskatchewan rejetant l’appel interjeté par l’appelante du jugement de première instance en faveur de l’intimée, lequel jugement reconnaissait à cette dernière un intérêt indivis, pour un tiers, dans toutes les mines et tous les minéraux situés dans la demie sud de la section 3 dans le canton n° 6, rang 12, à l’ouest du second méridien, dans la province de la Saskatchewan, ladite demie étant ci-après appelée «le bien-fonds», et ordonnait une reddition de compte quant aux montants déjà touchés par l’appelante relativement aux mines et minéraux.

Le 20 septembre 1913, James W. Sherrow, ci-après appelé «Sherrow», devenait le propriétaire enregistré du bien-fonds, y compris des mines et minéraux. Le 20 février 1948, à la suite de procédures en déchéance de droits entamées en vertu des dispositions de la loi The Mineral Taxation Act, 1944, la Couronne du chef de la province de la Saskatchewan acquérait la propriété des mines et minéraux contenus dans le bien-fonds. Le 11 août 1948, le titre du bien-fonds, exception faite de tous les minéraux, a été enregistré aux noms de Gerald Ambrose Sherrow et de l’appelante, ci-après appelés conjointement «les cessionnaires», par suite d’une cession en leur faveur, en date du 27 juillet 1948, signée par Sherrow. Les cessionnaires sont des enfants issus du premier mariage de Sherrow.

[Page 34]

L’acte de cession ne fait pas mention de mines et minéraux mais, avant l’enregistrement, un membre du personnel du Bureau des titres de biens-fonds y avait porté l’inscription suivante: [TRADUCTION] «Exception faite de tous les minéraux dans, sur et sous le bien-fonds décrit ci-dessus et acquis par Sa Majesté le Roi (Saskatchewan) par acte portant le n° DQ 359.» Cette exception figure sur le titre qui fut délivré aux noms des cessionnaires. L’acte de cession n’a pas été produit devant nous, mais on nous a informés que, conformément au Land Titles Act (maintenant R.S.S. 1965, c. 115), il avait la forme d’une cession de «tous mes droits et intérêts dans ledit bien-fonds». Par la suite, Gerald Ambrose Sherrow a cédé son intérêt dans le bien-fonds à l’appelante et à son mari et le titre a été délivré en leurs noms, avec la même exception quant aux minéraux, le 20 novembre 1950.

Sherrow est décédé intestat le 15 décembre 1948. Les lettres d’administration de sa succession ont été accordées à l’appelante le 28 décembre 1951. Survivaient au de cujus:

a) Bessie Sherrow, sa seconde épouse;

b) L’appelante;

c) Gerald Ambrose Sherrow;

d) Helen Rubin, une fille issue de son second mariage.

En vertu des lois de la Saskatchewan, la veuve avait droit à un tiers de la succession. Chacun des autres bénéficiaires avait droit à deux neuvièmes. Bessie Sherrow est décédée intestat le 7 février 1966. C’est l’intimée qui administre sa succession.

Le 21 novembre 1951, à la requête de Gerald Ambrose Sherrow et de l’appelante, le sous‑ministre des Ressources naturelles a rendu une ordonnance, conformément aux dispositions de l’art. 22 de la loi The Mineral Resources Act, R.S.S. 1940, c. 40, et au décret en conseil 1930/49, remettant les mines et minéraux du bien-fonds au nom du de cujus, Sherrow.

L’article 22 de la Loi édicté:

[TRADUCTION] Lorsqu’il y a eu déchéance ou perte de droits, le ministre peut, dans les trois mois qui suivent la défaillance ou avant l’expiration du délai supplémentaire que le lieutenant-gouverneur en conseil peut prescrire sur la recommandation du mi-

[Page 35]

nistre, selon des conditions qu’il estime justes, rendre une ordonnance libérant la personne défaillante de telle déchéance ou perte de droits, et, moyennant observation des conditions, s’il en est, ainsi imposées, les intérêts ou droits déchus ou perdus seront de nouveau dévolus à la personne ainsi libérée, sous réserve toutefois de tout droit interposé de quelque personne que ce soit, survenu après la défaillance qu’on cherche à corriger et avant l’ordonnance du ministre.

L’alinéa (5) du décret en conseil prévoit ce qui suit:

[TRADUCTION] (5) Que, pour placer les personnes à qui les droits dans les minéraux ont été retirés, comme il est dit ci-dessus, autant que possible dans la même situation que les personnes à qui les droits dans les minéraux n’ont pas été retirés, il est jugé souhaitable et dans l’intérêt public que lesdits droits dans les minéraux soient de nouveau dévolus à la personne à qui ils avaient été retirés, sur demande de cette personne à cet égard avant le premier jour de novembre 1950, ce rétablissement des droits étant toutefois assujetti au paiement, de toutes les taxes exigibles en vertu desdites lois jusqu’au moment dudit rétablissement.

Par la suite, l’appelante, comme administratrice de la succession Sherrow, a demandé la transmission du titre dans les mines et minéraux à son nom, comme administratrice. L’enregistrement a été fait le 10 janvier 1952 et un nouveau titre délivré en conséquence. Comme administratrice, l’appelante a alors transporté le titre à son propre nom, en sa qualité personnelle.

L’intimée, en tant qu’administratrice de la succession de Bessie Sherrow, a intenté des poursuites pour obtenir que lui soit dévolue la propriété d’un tiers des mines et minéraux renfermés dans le bien-fonds et que soit ordonnée une reddition de compte quant aux sommes déjà perçues par l’appelante à cet égard. L’intimée prétend que le titre de propriété des mines et minéraux dans le bien-fonds, lorsqu’il est revenu à Sherrow, est devenu partie de la succession de ce dernier, dans laquelle Bessie Sherrow détenait un intérêt pour un tiers. Le jugement sur l’action a été rendu en faveur de l’intimée, et l’appel de cette décision, interjeté par l’appelante en Cour d’appel, a été rejeté.

L’appelante prétend qu’en vertu du décret en conseil, les droits miniers ont été de nouveau dévolus à Sherrow a compter de la date de la

[Page 36]

déchéance et que, par conséquent la cession faite aux cessionnaires comprenait les mines et minéraux. Cette prétention est fondée sur les termes de l’alinéa (5) du décret précité:

[TRADUCTION] Que, pour placer les personnes à qui les droits dans les minéraux ont été retirés, comme il est dit ci-dessus, autant que possible dans la même situation que les personnes à qui les droits dans les minéraux n’ont pas été retirés, il est jugé souhaitable et dans l’intérêt public que les droits dans les minéraux soient de nouveau dévolus à la personne à qui ils avaient retirés …

On a aussi prétendu que, lorsque les droits dans les minéraux ont de nouveau été dévolus à la succession de Sherrow, c’était sous réserve des droits des cessionnaires désignés dans la cession faite par lui, étant donné les termes de l’art. 22 de la Loi:

[TRADUCTION] Les intérêts ou droits déchus ou perdus seront de nouveau dévolus à la personne ainsi libérée, sous réserve toutefois de tout droit interposé de quelque personne que ce soit, survenu après la défaillance qu’on cherche à corriger et avant l’ordonnance du ministre.

La cession de titre faite par Sherrow à l’appelante et à son frère constituait un don. C’était un don, d’après les termes de la cession, de tous les droits et intérêts du cédant dans le bien‑fonds. Celui-ci ne pouvait céder plus qu’il ne possédait. Tout ce qu’il avait, à l’époque, c’était la propriété de la surface du bien-fonds, et non des minéraux contenus dans le sous‑sol. C’est cela qu’il a cédé, et les cessionnaires ont obtenu la propriété du bien-fonds, exception faite de tous les minéraux.

A l’époque de la cession, Sherrow n’avait pas le droit de demander, en vertu de l’art. 22 de la Loi, que la propriété des minéraux lui soit rendue, étant donné que plus de trois mois s’étaient écoulés depuis l’omission de payer l’impôt minier et, qu’à cette époque. aucune prolongation du délai prévu pour déposer une demande n’avait été accordée par décret en conseil.

Le décret en conseil n° 1930/49, rendu ultérieurement, autorisait la présentation d’une demande de rétablissement avant le 1er novembre 1950, moyennant paiement de tout impôt exigible en vertu de la Loi jusqu’à la date du rétablissement. Les mots figurant au début de l’alinéa

[Page 37]

(5) du décret en énoncent le but, savoir: [TRADUCTION] «pour placer les personnes à qui les droits dans les minéraux ont été retirés … dans la même situation que les personnes à qui les droits dans les minéraux n’ont pas été retirés». La personne dont les droits dans les minéraux sont tombés en déchéance, en cette affaire, est Sherrow et il a pu (par l’intermédiaire de son administratrice) obtenir le rétablissement de ses droits. Mais le libellé de l’alinéa ne peut s’interpréter de façon à changer les effets de la cession qu’il a faite avant l’entrée en vigueur du décret en conseil. Les cessionnaires ont reçu ce que Sherrow était alors en état de leur donner et le décret en conseil ne leur donne rien de plus. Si Sherrow avait vécu, il aurait été la seule personne apte à demander le rétablissement de ses droits et, la cession ayant été faite par voie de donation, l’appelante n’aurait pu l’obliger à lui céder ces minéraux.

La thèse de l’appelante n’est pas étayée par la partie de l’art. 22 sur laquelle elle se fonde. Je souscris aux vues du Juge en chef Culliton de la Cour d’appel en ce qui a trait à la signification de l’expression «droit interposé»:

[TRADUCTION] En outre, «droit interposé», tel que l’entend l’art. 22 de la loi The Mineral Resources Act, précitée, à mon avis, signifie un droit qu’une tierce partie a pu acquérir par l’entremise de la Couronne du chef de la Province, à l’époque où lesdits minéraux étaient détenus par la Couronne. Cette disposition protégeait une personne qui aurait pu acquérir un droit dans les minéraux, par exemple un bail ou un permis d’exploration, de la Couronne, lorsque celle-ci pouvait légalement et légitimement concéder un tel droit. Aucun autre droit dans les minéraux ne concernerait la Couronne à l’époque du rétablissement de droits.

De plus, il convient de noter que l’art. 22 vise un «droit» qui prend naissance après l’omission de payer l’impôt minier et avant l’ordonnance levant la déchéance. En l’espèce, aucun droit n’a pris naissance pendant cette période en ce qui concerne les minéraux renfermés dans le bien-fonds. Les cessionnaires n’ont pas acquis un tel droit, parce que Sherrow était incapable de le leur donner, lui-même n’ayant, à partir de la déchéance, aucun droit dans les minéraux renfermés dans le bien-fonds jusqu’à ce que le ré-

[Page 38]

tablissement soit effectué. Un droit dans les minéraux du bien-fonds n’aurait pu naître, durant la période définie par l’article, que si la Couronne avait créé ce droit, celle-ci étant la seule propriétaire de ces minéraux à l’époque.

Pour ces motifs, aussi bien que pour ceux qu’énonce le Juge en chef Culliton de la Cour d’appel, je suis d’avis de rejeter l’appel.

Appel rejeté.

Procureurs de la défenderesse, appelante: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.

Procureurs de la demanderesse, intimée: Wimmer, Toews, Malone & Miller, Regina.

[1] [1971] 3 W.W.R. 101.


Synthèse
Référence neutre : [1973] R.C.S. 31 ?
Date de la décision : 19/06/1972
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Mines et minéraux - Déchéance du droit de propriété des minéraux en faveur de la Couronne - Donation des droits et intérêts dans le bien-fonds - Donateur décède intestat - Droit dans les minéraux subséquemment remis - Titre de propriété des minéraux devenu partie de la succession du donateur - Veuve a droit au tiers.

S, qui est décédé intestat le 15 décembre 1948, était devenu le propriétaire enregistré d’un certain bien-fonds, y compris des mines et minéraux. Le 20 février 1948, à la suite de procédures en déchéance de droits entamées en vertu des dispositions de la loi The Mineral Taxation Act, 1944, la Couronne du chef de la province de la Saskatchewan acquérait la propritété des mines et minéraux contenus dans le bien-fonds. Le 11 août 1948, le titre du bien-fonds, exception faite de tous les minéraux, a été enregistré aux noms de GS et de l’appelante, par suite d’une cession en leur faveur, en date du 27 juillet 1948, signée par S. Les cessionnaires sont des enfants issus du premier mariage de S. Par la suite, GS a cédé son intérêt dans le bien-fonds à l’appelante

[Page 32]

et à son mari et le titre a été délivré en leurs noms avec la même exception quant aux minéraux, le 20 novembre 1950.

Le 21 novembre 1951, à la requête de GS et de l’appelante, une ordonnance a été rendue, conformément aux dispositions de l’art. 22 de la loi The Mineral Resources Act, R.S.S. 1940, c. 40, et au décret en conseil 1930/49, remettant les mines et minéraux du bien‑fonds au nom du de cujus, S. Par la suite, l’appelante, comme administratrice de la succession de S, a demandé la transmission du titre dans les mines et minéraux à son nom, comme administratrice. L’enregistrement a été fait le 10 janvier 1952 et un nouveau titre délivré en conséquence. Comme administratrice, l’appelante a alors transféré le titre à son propre nom, en sa qualité personnelle.

L’intimée, en tant qu’administratrice de la succession de la seconde épouse de S, qui, en vertu des lois de la Saskatchewan, avait droit à un tiers de l succession de S, a intenté des poursuites pour obtenir que lui soit dévolue la propriété d’un tiers des mines et minéraux renfermés dans le bien-fonds et que soit ordonnée une reddition de compte quant aux sommes déjà perçues par l’appelante à cet égard. Le jugement sur l’action a été rendu en faveur de l’intimée, et l’appel de cette décision, interjeté par l’appelante en Cour d’appel, a été rejeté. Un appel a été subséquemment interjeté à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

La cession de titre faite par S à l’appelante et à GS constituait un don; le cédant ne pouvait céder plus qu’il ne possédait, à savoir, la propriété de la surface du bien-fonds. A l’époque de la cession, S n’avait pas le droit de demander, en vertu de l’art. 22 de la Loi, que la propriété des minéraux lui soit rendue, étant donné que plus de trois mois s’étaient écoulés depuis l’omission de payer l’impôt minier et, qu’à cette époque, aucune prolongation du délai prévu pour déposer une demande n’avait été accordée par décret en conseil.

En vertu du décret 1930/49, rendu ultérieurement, S a pu (par l’intermédiaire de son administratrice) obtenir le rétablissement de ses droits. Mais le libellé de l’alinéa 5 du décret ne peut s’interpréter de facon à changer les effets de la cession qu’il a faite avant l’entrée en vigueur du décret en conseil. Les cessionnaires ont reçu ce que S était alors en état de leur donner et le décret en conseil ne leur donne rien de plus.

La thèse de l’appelante n’est pas étayée par la partie de l’art. 22 sur laquelle elle se fonde. Comme l’a décidé la Cour d’appel, l’expression «droit interposé», tel que l’entend l’article, signifie un droit qu’une

[Page 33]

tierce partie a pu acquérir par l’entremise de la Couronne du chef de la province, à l’époque où lesdits minéraux étaient détenus par la Couronne. De plus, l’art. 22 vise un «droit» qui prend naissance après l’omission de payer l’impôt minier et avant l’ordonnance levant la déchéance. En l’espèce, aucun droit n’a pris naissance pendant cette période en ce qui concerne les minéraux renfermés dans le bien-fonds.


Parties
Demandeurs : Blackmer
Défendeurs : Guaranty Trust Company of Canada
Proposition de citation de la décision: Blackmer c. Guaranty Trust Company of Canada, [1973] R.C.S. 31 (19 juin 1972)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1972-06-19;.1973..r.c.s..31 ?
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