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29/06/1972 | CANADA | N°[1973]_R.C.S._85

Canada | Epstein c. Reymes, [1973] R.C.S. 85 (29 juin 1972)


Cour suprême du Canada

Epstein c. Reymes, [1973] R.C.S. 85

Date: 1972-06-29

Alexander Epstein et Eve Elizabeth Gilmour (Demandeurs) Appelants;

et

Jack Reymes (Défendeur) Intimé.

1972: le 8 mai; 1972: le 29 juin.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario modifiant un jugement du Juge Houlden. Appel accueilli en partie.

[Page 87]

I.G. Scott, pour le demandeur, appelant, Alexander Epstein

R.N. Starr, c.r., pour le défendeur, intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LASKIN — Le présent appel, interjeté pa...

Cour suprême du Canada

Epstein c. Reymes, [1973] R.C.S. 85

Date: 1972-06-29

Alexander Epstein et Eve Elizabeth Gilmour (Demandeurs) Appelants;

et

Jack Reymes (Défendeur) Intimé.

1972: le 8 mai; 1972: le 29 juin.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario modifiant un jugement du Juge Houlden. Appel accueilli en partie.

[Page 87]

I.G. Scott, pour le demandeur, appelant, Alexander Epstein

R.N. Starr, c.r., pour le défendeur, intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LASKIN — Le présent appel, interjeté par le demandeur Alexander Epstein seul, est né de procédures qu’il avait intentées de concert avec une certaine Eve Elizabeth Gilmour en vue d’obtenir une ordonnance d’injonction et des dommages-intérêts contre le défendeur, qui aurait gêné et troublé la possession et la jouissance des demandeurs sur leurs terrains respectifs, contigus au terrain du défendeur. Ce dernier exploitait un parc à gibier sur son terrain et accueillait des clients, moyennant un droit d’entrée, pour la chasse au faisan et pour le tir au pigeon d’argile. Dans une demande reconventionnelle, le défendeur conclut à ce qu’il soit enjoint au demandeur Epstein de ne pas gêner l’écoulement du cours d’eau souterrain débouchant sur son terrain.

Dans des motifs qui révèlent une étude soignée de la preuve, le Juge Houlden a accueilli les demandes d’injonction permanente des deux parties mais il a refusé d’adjuger des dommages-intérêts. Un appel interjeté par le défendeur et un appel incident interjeté par les demandeurs ont eu pour effet de faire modifier l’ordonnance mixte interdisant au défendeur de pratiquer la chasse commerciale et le tir au pigeon d’argile. A la place, la Cour d’appel de l’Ontario a ordonné que, à condition que le défendeur s’engage à ériger une clôture de fil de fer barbelé sur la partie de son terrain située à l’est de celui d’Epstein et au nord de celui de dame Gilmour, à une distance d’au moins 300 verges des terrains respectifs des demandeurs, l’injonction visant la chasse commerciale ne s’appliquerait pas au territoire s’étendant à l’est et au nord de la clôture. L’injonction visant le tir au pigeon d’argile n’a pas été modifiée et, de même, l’injonction prononcée contre Epstein a été maintenue.

Dans son appel à cette Cour, Epstein ne soulève que deux questions. La première naît de son allégation que l’ordonnance limitant la chasse commerciale (ou, pour reprendre les termes de

[Page 88]

l’ordonnance d’injonction, limitant la [TRADUCTION] «décharge d’armes à feu aux fins de la chasse commerciale») devrait s’étendre sur toute la propriété du défendeur, comme le pensait le juge de première instance. La seconde question concerne l’injonction décernée contre Epstein et l’enjoignant de ne pas gêner l’écoulement du cours d’eau souterrain débouchant sur le terrain du défendeur. Je me propose de commenter ces deux points en commençant par le dernier.

Les propriétés respectives de l’appelant Epstein et de l’intimé Reymes sont bornées au nord par la route 401 de la province de l’Ontario. La propriété de Reymes a une superficie de 138 acres en forme de «U» à l’intérieur duquel est située la propriété d’Epstein. Donc, le terrain de l’intimé touche celui de l’appelant à sa limite est, sud et ouest; et, de par sa forme, une partie de sa limite nord (à la base du «U») touche la partie sud du terrain de l’appelant. La propriété Gilmour est située au sud de celle de l’intimé, mais dame Gilmour est une partie qui, comme je l’ai déjà indiqué, n’est pas en cause devant cette Cour. Un chemin privé, appartenant à l’intimé, traverse la propriété de celui-ci en direction nord à partir d’une route de canton qui donne sur la route n° 2 de la province de l’Ontario, une voie est-ouest située au sud de cette propriété. Epstein jouit d’un droit de passage sur ce chemin privé jusqu’à son terrain.

Il a acheté cette propriété en 1965 pour y passer l’été, les fins de semaine et les vacances avec sa famille. Il y a une piscine devant la maison du côté de la limite sud. Au sud-est de la piscine, il y a un étang artificiel où s’accumulent les eaux de surface et les eaux de sources souterraines et qui forme une petite chute en se dégorgeant pardessus un mur de retenue. L’étang a été créé par un propriétaire antérieur dans le cadre d’un programme local d’aménagement jardinier dans lequel on avait tout d’abord procédé au drainage au moyen de conduite en bois, afin de rendre possible la culture. L’étang se dégorge dans un fossé qui coule vers le sud et ensuite vers l’est, jusqu’au coin sud-est de la propriété de l’appelant, y déversant ses eaux dans un autre étang.

[Page 89]

Une partie du fossé, à partir de sa source dans l’étang mentionné en premier lieu, et jusqu’à une distance d’environ 175 pieds (d’après un témoin dont la version a été retenue par le juge de première instance), coule en surface et le reste est couvert, de sorte que l’eau se rend sous terre jusqu’au second étang du terrain de l’appelant. A un point situé à environ 60 pieds le long de la partie qui est à ciel ouvert, un tuyau ou conduit rectangulaire d’écoulement en bois fait dériver le cours de l’eau, de sorte qu’une partie du cours d’eau formé par le fossé s’écoule vers le sud sous des racines de cèdres et jusque sur la propriété de l’intimé pour enfin se jeter dans un étang sur son terrain. Epstein a obstrué ce cours d’eau se déversant sur le terrain de l’intimé, non par suite d’un usage raisonnable du cours d’eau mais par suite d’une dispute entre ces voisins à propos de la chasse commerciale et du tir au pigeon d’argile que l’intimé autorisait sur sa propriété.

Le juge de première instance a statué que [TRADUCTION] «l’eau avait coulé jusqu’au terrain du défendeur par un passage souterrain nettement déterminé depuis au moins 1923,» et il a conclu que le défendeur avait établi l’existence d’une servitude relativement à ce cours d’eau en vertu de l’article 31 du Limitations Act, R.S.O. 1960, c. 214. En décidant cette question, il a souligné plus d’une fois que l’eau suit un cours souterrain bien déterminé et qu’en débouchant sur le terrain de l’intimé, elle continue à couler dans un canal bien déterminé jusqu’à un étang situé sur ce terrain.

Pour faire valoir son droit de gêner l’écoulement du cours d’eau, les principales allégations de l’appelant sont qu’il n’y a aucun canal déterminé où doit s’écouler l’eau, qu’à l’origine ce cours d’eau avait été créé artificiellement et n’avait aucun caractère de permanence donnant droit à la prescription acquisitive, et que la requête en injonction de l’intimé ne peut être accueillie que s’il est démontré qu’il y a déjà eu établissement exprès ou implicite de la part d’un propriétaire commun des deux fonds. Il y a des conclusions concordantes sur les faits que l’eau s’écoule dans un canal nettement déterminé de la propriété

[Page 90]

d’Epstein à celle de l’intimé. La Cour d’appel, à la différence du juge de première instance, l’a considéré comme [TRADUCTION] «un cours d’eau originaire»; et, me basant sur les faits, mon interprétation de cette expression est que l’approvisionnement en eau n’est pas artificiel. Par contre, l’eau est artificiellement recueillie; et un tuyau ou conduit rectangulaire d’écoulement la fait dériver artificiellement jusqu’au terrain de l’intimé. Il faut donc répondre à la question de savoir si l’appelant a le devoir, dans l’intérêt de l’intimé, de s’abstenir de modifier cette dérivation.

Epstein ne peut évidemment pas s’opposer à ce que l’intimé fasse usage de l’eau dérivée une fois qu’elle a quitté le terrain d’Epstein. En l’espèce, il n’importe pas non plus de s’occuper du droit d’Epstein de laisser s’écouler l’eau sur le terrain de l’intimé; ce dernier ne s’y oppose aucunement. Ce qui est en cause c’est la création d’une situation qui, ayant existé pendant plus de quarante ans (période assez longue, comme l’a statué le juge de première instance, pour établir un droit par prescription), ne peut plus se distinguer d’un état de fait naturel.

La conclusion du juge de première instance indique qu’il est convaincu que la dérivation du trop-plein dans un canal déterminé vers le terrain de l’intimé n’était pas simplement temporaire et qu’il ne s’agissait pas d’une dérivation servant au propriétaire riverain supérieur à une fin particulière, de façon à rendre précaire la demande de l’intimé. Cependant, on n’a pas expressément tenu compte de la question de la précarité, qui est englobée dans la condition requise pour un droit de servitude fondé sur la prescription en vertu de l’art. 31 du Limitations Act (maintenant R.S.O. 1970, c. 246), et qui est spécifiquement visée par les termes [TRADUCTION] «qui revendique un droit s’y rapportant» contenus dans cet article.

Ce sur quoi l’intimé doit s’appuyer pour pouvoir réclamer qu’il y ait un écoulement continu de l’eau n’est pas clair du tout lorsque le dossier démontre qu’à l’origine, l’écoulement de l’eau sur son terrain était un avantage pour le terrain d’Epstein et une charge pour celui dont l’intimé est maintenant propriétaire. Évidemment, l’intimé pouvait faire usage de l’eau ainsi écoulée; mais, en cherchant à changer son fonds servant en fonds

[Page 91]

dominant par voie de contre-servitude d’écoulement du cours d’eau artificiel, il fait valoir un droit, comme l’a dit le Lord Juge Bowen dans Chamber Colliery Co. v. Hopwood[1], p. 558, est [TRADUCTION] «un genre de droit très difficile à établir». Une allégation qu’il y a eu écoulement des eaux en provenance du fonds d’Epstein et de ses prédécesseurs pendant la période de la prescription s’accorde davantage avec une action intentée contre l’intimé et ses prédécesseurs qu’avec une demande reconventionnelle instituée par ce dernier et ayant pour objet que l’écoulement soit maintenu.

Dans les circonstances de l’espèce, il m’aurait suffi de considérer la position de l’intimé non pas en regard d’une servitude acquise par prescription mais en regard de l’énoncé formulé dans 28 Halsbury, 1re éd., 1914, p. 424 et qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] Tout propriétaire riverain dont le fonds borne un cours d’eau naturel s’écoulant dans un canal connu et déterminé, soit à la surface soit sous terre, ou dans un canal artificiel de nature permanente, a droit, comme accessoire à son droit de propriété dans le fonds riverain, à recevoir les eaux qui y coulent dans leur état naturel quant à l’écoulement, au débit et à la qualité, sans augmentation ni diminution, qu’il en ait fait usage ou non.

Cet énoncé a paru dans la deuxième édition d’Halsbury (voir vol. 33, 1939, p. 593) mais non dans la troisième édition courante: voir vol. 40, 1962, p. 516. Cependant, il reflète le point de vue juridique adopté dans les précédents américains. Selon cette jurisprudence, des droits riverains s’attachent à l’écoulement des cours d’eau artificiels lorsque l’état artificiel a un caractère permanent et que les propriétaires riverains inférieurs ont compté sur la continuation de l’écoulement: voir 93 Corpus Juris Secundum, # 129, pp. 841-842; 6A American Law of Property, 1954, p. 157.

Il est cependant possible de se fonder sur la prescription pour appuyer la demande de l’intimé en reconnaissant, comme implicitement contenu dans les conclusions du juge de première instance, que (pour adopter les termes employés dans Sutcliffe v. Booth[2]) les circonstances dans lesquelles

[Page 92]

ce cours d’eau artificiel a été formé à l’origine, et la façon dont il a été utilisé, confèrent aux propriétaires riverains tous les droits que ces derniers auraient eus s’il avait constitué un cours d’eau naturel: voir aussi Rameshur Pershad Narain Singh v. Koonj Behari Pattuk[3]. Je conclus donc que la position de l’intimé est celle d’un propriétaire riverain inférieur qui a droit à l’avantage de recevoir les eaux sur son terrain. Troubler intentionnellement et sans motif la jouissance de cet avantage, et c’est le cas en l’espèce, constitue un délit civil, et l’injonction est un recours approprié.

J’aborde maintenant la question de l’étendue territoriale de l’injonction visant la chasse commerciale sur le terrain de l’intimé. L’intimé est le descendant d’une famille qui, à l’origine, était propriétaire de toute la propriété appartenant maintenant aux parties. Il a commencé à exploiter son parc à gibier 1962; il élevait des faisans qui, à maturité, étaient relâchés pour être chassés par des clients payants. Des chiens sont utilisés dans cette chasse; et les parties reconnaissent que ni les chiens ni les oiseaux ne peuvent être gardés en tout temps à l’intérieur des limites du terrain de l’intimé, ce que l’on ne peut réussir même au moyen de la clôture de fil de barbelé dont l’érection était une condition de la modification apportée par la Cour d’appel à l’injonction couvrant toutes matières accordée par le juge de première instance. L’avocat de l’intimé a signalé à la Cour qu’une clôture à cinq fils du genre spécifié est effectivement en place aux distances prescrites dans l’ordonnance de la Cour d’appel.

L’exploitant d’un parc à gibier doit détenir une licence provinciale. Le règlement applicable en l’espèce est, en son art. 3(1), le O/Reg. 199 pris en vertu du Game and Fisheries Act, R.S.O. 1960, c. 158 (maintenant le Game and Fish Act, R.S.O. 197, c. 186) et contenu dans R.R.O. 1960, vol. 1, p. 1053 (maintenant O/Reg. 368, en son art. 3(1), contenu dans R.R.O. 1970, vol. 2, p. 682). Il se lit comme suit:

[TRADUCTION] Une réserve pour la chasse au gibier à plumes doit occuper une superficie d’au moins 100 acres et d’au plus 600 acres.

[Page 93]

Le dossier indique qu’en présentant sa demande en vue d’obtenir sa licence, l’intimé a déclaré que le terrain où serait située la réserve pour la chasse au faisan aurait une superficie de 200 acres. A vrai dire, cette déclaration était inexacte mais il a expliqué qu’elle comprenait le terrain d’un voisin, un certain Tunney, avec la permission de ce dernier. Tunney a témoigné qu’il avait permis verbalement à l’intimé de chasser sur son terrain mais qu’il n’y avait aucune entente définitive à ce sujet. Bien que la superficie du terrain de l’intimé dépassât 100 acres, en réalité, le territoire du parc à gibier (comme l’a conclu le juge de première instance) était de 50 à 55 acres. Ce territoire était situé à l’est du terrain d’Epstein et au nord de la propriété Gilmour. L’ordonnance de la Cour d’appel a eu pour effet de réduire davantage ce territoire.

L’appelant Epstein n’a pas prétendu que la licence de l’intimé était invalide, et, d’autre part, l’intimé n’a pas non plus prétendu que la licence autorisait de quelque façon ce qui serait autrement une nuisance propre à faire l’objet de poursuites. La période de chasse dans le parc à gibier de l’intimé durait sept mois, du 1er septembre au 31 mars, et les jours d’affluence étaient le mercredi après-midi, le samedi et le dimanche. Le juge de première instance a conclu que, bien que le bruit provenant du tir au cours de la chasse commerciale aux faisans ne fût pas aussi reprehensible que celui provenant du tir au pigeon d’argile, néanmoins, vu le nombre de chasseurs, de 7 à 10 par jour en moyenne (et parfois plus), qui parcouraient la propriété du défendeur, il était à la fois reprehensible et irritant; et, compte tenu du danger inhérent à l’utilisation des armes à feu, il y avait lieu de délivrer une injonction permanente.

Dans son ordonnance modificative, la Cour d’appel a retenu le témoignage selon lequel la portée d’un fusil comme ceux utilisés pour cette chasse était de 260 verges. Cependant, je ne puis faire de distinction entre le tir au pigeon d’argile comme nuisance propre à faire l’objet d’une injonction et la chasse commerciale, si l’on tient compte de la nature de la localité où sont situés

[Page 94]

les terrains des parties et du territoire limité sur lequel l’intimé a décidé d’exploiter son parc à gibier.

Le juge de première instance a fait remarquer qu’avant l’inauguration du parc à gibier de l’intimé, la région où sont situés les terrains des parties était un coin paisible de la campagne ontarienne. Cette remarque ne favorise donc pas la prétention de l’intimé que l’appelant Epstein savait ou aurait dû savoir, lorsqu’il s’est porté acquéreur en 1965, que sa propriété était bornée par un parc à gibier. C’était en fait le seul parc à gibier dans la région et, à mon avis, ce parc ne devait pas s’y trouver si l’on tient compte des circonstances entourant son exploitation.

L’ordonnance de la Cour d’appel réussit à éliminer le risque constant de la violation physique du fonds d’Epstein par le tir des fusils de calibres 12 et 20 couramment utilisés par les chasseurs. Par contre, l’ordonnance n’élimine pas la violation par le bruit répété provenant de l’activité des chasseurs; et, comme je l’ai déjà signalé, elle n’empêche pas l’entrée des oiseaux ou des chiens rattachés à l’exploitation du parc à gibier quand, ces derniers donnant la chasse aux premiers, ils approchent du fonds d’Epstein.

La question principale soulevée devant cette Cour sur ce point de l’affaire est de savoir s’il y avait preuve suffisante de bruit incommodant pour justifier une ordonnance interdisant la chasse commerciale sur l’ensemble ou sur partie du terrain de l’intimé. La réponse affirmative du juge de première instance quant à cette question est appuyée par la preuve. Par suite des plaintes d’Epstein, l’intimé savait parfaitement que le bruit associé à la chasse sur le terrain de l’intimé était incommodant. Je reproduis deux extraits du témoignage de l’intimé, le premier puisé dans son interrogatoire préalable et le second donné au procès en contre-interrogatoire:

[TRADUCTION]

(1) 401 Q. Avez-vous reçu des plaintes de la part d’Epstein à propos du bruit des armes à feu ou des agissements des chasseurs?

R. Au sujet du bruit.

[Page 95]

402 Q. Quelle était la nature des plaintes?

R. Il n’aimait pas le bruit.

403 Q. Quand vous l’a-t-il appris?

R. Ce n’est pas tellement moi qu’il avertissait mais la sûreté provinciale qu’il faisait venir à tout moment.

(2) Q. Bon, je crois que, probablement, la preuve démontre clairement que depuis que vous avez inauguré ce parc à gibier, et plus particulièrement le champ de tir au pigeon d’argile, vous avez reçu des plaintes répétées de la part de M. Epstein et de Mme Gilmour?

R. Oui.

Q. Et ils se sont plaints, pas nécessairement à vous mais aux fonctionnaires des Terres et Forêts, aux fontionnaires municipaux et à la police, à propos du bruit et de la chasse?

R. Oui, monsieur.

Epstein a témoigné lui-même dans le même sens et le juge de première instance pouvait, à bon droit, tirer la conclusion qu’il a tirée.

Ce qui justifie l’injonction d’application générale accordée par le juge de première instance, c’est le bruit répété et continu associé à la chasse permise par l’intimé sur son terrain, lequel est situé dans une localité où ces bruits étaient étrangers. L’absence de blessure à la personne, ou de dommage à la propriété, n’empêche pas le recours à l’injonction quand des agissements qui ne sont pas simplement temporaires troublent d’une manière appréciable le confort et le bien-être des habitants d’une localité.

Je suis donc d’avis d’accueillir l’appel en ce qui concerne la chasse commerciale, d’infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir l’ordonnance du juge de première instance. L’appelant a droit à la moitié de ses dépens en cette Cour et aux dépens de l’appel interjeté par l’intimé à la Cour d’appel. Je suis d’avis de ne pas modifier l’ordonnance de la Cour d’appel quant

[Page 96]

aux dépens de l’appel incident, et je ne modifierais pas non plus l’ordonnance du juge de première instance refusant d’adjuger des dépens quant à la demande et à la demande reconventionnelle.

Appel accueilli en partie.

Procureurs des demandeurs, appelants: Cameron, Brewin & Scott, Toronto.

Procureur du défendeur, intimé: R.N. Starr, Toronto.

[1] (1886), 32 Ch. D 549.

[2] (1863), 32 L.J.Q.B. 136.

[3] (1878), 4 App. Cas. 121.


Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli en partie

Analyses

Nuisance - Exploitation d’un parc à gibier dans une localité paisible - Bruit répété et continu troublant d’une manière appréciable le confort des appelants - Injonction justifiée.

Immeuble - Droits du propriétaire riverain - Prescription - Cours d’eau artificiel utilisé depuis une longue période de temps - Position de l’intimé celle d’un propriétaire riverain inférieur ayant droit à l’avantage de recevoir les eaux - Trouble intentionnel et sans motif - Injonction est le recours approprié.

Le demandeur E, de concert avec G, a intenté des procédures en vue d’obtenir une ordonnance d’injonction et des dommages-intérêts contre le défendeur, qui aurait gêné et troublé la possession et la jouissance des demandeurs sur leurs terrains respectifs, contigus au terrain du défendeur. Ce dernier exploitait un parc à gibier sur son terrain et accueillait des clients, moyennant un droit d’entrée, pour la chasse au faisan et pour le tir au pigeon d’argile. Dans une demande reconventionnelle, le défendeur conclut à ce qu’il soit enjoint à E de ne pas gêner l’écoulement du cours d’eau souterrain débouchant sur son terrain.

Le juge de première instance a accueilli les demandes d’injonction permanente des deux parties mais il a refusé d’adjuger des dommages-intérêts. Un appel interjeté par le défendeur et un appel incident interjeté par les demandeurs ont eu pour effet de faire modifier l’ordonnance mixte interdisant au défendeur de pratiquer la chasse commerciale et le tir au pigeon d’argile. A la place, la Cour d’appel a ordonné que, à condition que le défendeur s’engage à ériger une clôture de fil de fer barbelé sur la partie de son terrain située à l’est de celui de E et au nord de celui de G, à une distance d’au moins 300 verges des terrains respectifs des demandeurs, l’injonction visant la chasse commerciale ne s’appliquerait pas au territoire s’étendant à l’est et au nord de la clôture. L’injonction visant le tir au pigeon d’argile n’a pas été modifiée et, de même, l’injonction pronnoncée contre E a été maintenue.

[Page 86]

Dans son appel à cette Cour, E soulève deux questions. La première nait de son allégation que l’ordonnance limitant la chasse commerciale devrait s’étendre sur toute la propriété du défendeur, comme le pensait le juge de première instance. La seconde question concerne l’injonction décernée contre E et l’enjoignant de ne pas gêner l’écoulement du cours d’eau souterrain débouchant sur le terrain du défendeur. Le juge de première instance a statué que «l’eau avait coulé jusqu’au terrain du défendeur par un passage souterrain nettement déterminé depuis au moins 1923», et il a conclu que le défendeur avait établi l’existence d’une servitude relativement à ce cours d’eau en vertu de l’art. 31 du Limitations Act, R.S.O. 1960, c. 214.

Arrêt: L’appel doit être accueilli en partie.

L’appel en ce qui concerne la chasse commerciale doit être accueilli, l’ordonnance de la Cour d’appel infirmée et l’ordonnance du juge de première instance rétablie. L’ordonnance de la Cour d’appel n’élimine pas la violation par le bruit répété provenant de l’activité des chasseurs et n’empêche pas l’entrée des oiseaux ou des chiens rattachés à l’exploitation du parc à gibier quand, ces derniers donnant la chasse aux premiers, ils approchent du fonds de E.

Quant à la seconde question, il est possible de se fonder sur la prescription pour appuyer la demande de l’intimé en reconnaissant, comme implicitement contenu dans les conclusions du juge de première instance, que les circonstances dans lesquelles ce cours d’eau artificiel a été formé à l’origine, et la façon dont il a été utilisé, confèrent aux propriétaires riverains tous les droits que ces derniers auraient eus s’il avait constitué un cours d’eau naturel. On doit donc conclure que la position de l’intimé est celle d’un propriétaire riverain inférieur qui a droit à l’avantage de recevoir les eaux sur son terrain. Troubler intentionnellement et sans motif la jouissance de cet avantage, et c’est le cas en l’espèce, constitue un délit civil, et l’injonction est un recours approprié.

Arrêts suivis: Sutcliffe v. Booth (1863), 32 L.J.Q.B. 136 et Rameshur Pershad Narain Singh v. Koonj Behari Pattuk (1887), 4 App. Cas. 121. Arrêt mentionné: Chamber Colliery Co. v. Hopwood (1886), 32 Ch. D. 549.


Parties
Demandeurs : Epstein
Défendeurs : Reymes

Références :
Proposition de citation de la décision: Epstein c. Reymes, [1973] R.C.S. 85 (29 juin 1972)


Origine de la décision
Date de la décision : 29/06/1972
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1973] R.C.S. 85 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1972-06-29;.1973..r.c.s..85 ?
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