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31/01/1973 | CANADA | N°[1973]_R.C.S._814

Canada | Gagné c. St-Régis Paper Co. (Canada) Ltd., [1973] R.C.S. 814 (31 janvier 1973)


Cour suprême du Canada

Gagné c. St-Régis Paper Co. (Canada) Ltd., [1973] R.C.S. 814

Date: 1973-01-31

Réjean Gagné (Demandeur) Appelant;

et

St. Regis Paper Co. (Canada) Ltd. et Guy St-Denis (Défendeurs) Intimés.

1972: le 3 novembre; 1973: le 31 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Hall et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel reje

té.

F. Francoeur et J. Parent, pour le demandeur, appelant.

P. Morin et L. Rémillard, pour les défendeurs, intim...

Cour suprême du Canada

Gagné c. St-Régis Paper Co. (Canada) Ltd., [1973] R.C.S. 814

Date: 1973-01-31

Réjean Gagné (Demandeur) Appelant;

et

St. Regis Paper Co. (Canada) Ltd. et Guy St-Denis (Défendeurs) Intimés.

1972: le 3 novembre; 1973: le 31 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Hall et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté.

F. Francoeur et J. Parent, pour le demandeur, appelant.

P. Morin et L. Rémillard, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Ce pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure condamnant solidairement les intimés à payer au demandeur appelant, Réjean Gagné, en sa qualité de tuteur de son fils Michel, la somme de $90,200 pour dommages subis par son pupille dans un accident.

M. le Juge en Chef de la Province de Québec a relaté comme suit les faits essentiels de l’affaire.

Le 30 septembre 1966, Réjean Gagné, restaurateur à Godbout, se rend à l’établissement de St. Regis situé dans la même municipalité. Son fils Michel, âgé de trois ans, l’accompagne, mais il le laisse dans la voiture à l’extérieur. Il obtient du gérant l’autorisation de se servir d’un hache-viande électrique appartenant à St. Regis. A un certain moment, il s’aperçoit que l’enfant s’est introduit la main droite dans l’orifice de la machine. Il arrête le mécanisme, mais le bras de l’enfant est affreusement broyé et il est nécessaire de pratiquer l’amputation.

[Page 816]

De son côté, le premier juge avait résumé la preuve de la façon suivante:

A l’enquête, le défendeur St-Denis a admis que c’est lui qui avait fait entrer l’enfant qui, dit-il, pleurait dehors. Il lui a donné un morceau de saucisson pour le consoler et, lorsqu’il est sorti de la pièce où se trouvait le hachoir à viande, il a vu l’enfant qui était alors sur la table à côté de son père. Il est retourné au magasin général, situé de l’autre côté de la rue, à quelque deux ou trois cents pieds (200 ou 300') de la boucherie. Ce n’est qu’une quinzaine de minutes après que l’accident se serait produit.

Le boucher de la défenderesse était dans une chambre froide au moment de l’accident, mais il dit que, quelques minutes auparavant, il en était sorti pour aller chercher un plat et avait vu l’enfant debout sur la table, à côté de son père. Le demandeur ne peut s’expliquer comment son fils, alors âgé de 3 ans, est parvenu sur cette table, d’une hauteur de 30″ et dont la surface est de 47″ par 36″. Il demeure convaincu que c’est St‑Denis qui l’a placé là, mais ce dernier soutient le contraire.

Si la version du gérant et du boucher de la défenderesse est véridique, comment se fait‑il que, connaissant tous les dangers inhérents à un tel appareil, ils n’avaient pas averti le demandeur, ou pris eux-mêmes l’initiative d’enlever l’enfant de là, lorsqu’ils l’ont vu sur la table.

Les conclusions du premier juge sur la responsabilité ont été infirmées pour les motifs suivants exposés par M. le Juge en Chef:

A la lecture du jugement, il semble que le premier juge ait cru Gagné quand il affirme qu’il ignorait avant l’accident la présence de son fils sur la table où le hache-viande était installé. Si tel est le cas, je n’hésite pas à dire, avec respect, que c’est une erreur manifeste que notre Cour doit corriger.

Comme on l’a vu, la table avait trois pieds de largeur et un peu moins de quatre pieds de longueur. C’était donc une petite surface. Elle était haute de deux pieds et demi. Gagné se trouvait en face de la table. Il est absolument impossible que son fils se soit trouvé sur cette petite table pour un temps appréciable, c’est-à-dire, pour plus de quelques secondes sans qu’il le vît. Maintenant, si l’on examine la photographie D-1, l’on voit que cette table était adossée à un mur d’un côté et que d’un autre côté, elle se trouvait à quelques pouces d’une autre table un peu plus basse. Si l’on se rappelle que Gagné se tenait face au mur, l’on ne pouvait approcher de la table que d’un côté, par la gauche de Gagné. Or, il est hautement improba-

[Page 817]

ble que quelqu’un ait pu s’approcher de cette table et y déposer l’enfant, sans que Gagné en eût connaissance, d’autant plus que lors de l’accident, il était à prendre de la viande «qui se trouvait à terre, à ma gauche». Avec respect pour l’opinion contraire, je tiens donc que Gagné savait, avant l’accident, que son enfant se trouvait sur la table. C’est d’ailleurs la seule explication de la déclaration qu’il proféra après l’accident à l’effet que c’était sa faute et qu’il ne ferait rien pour cela. Il est important de remarquer que Gagné ne nie pas cette admission de responsabilité, que lui imputent deux témoins.

Si l’on accepte que Gagné connaissait la présence de son fils sur la table, la cause prend un aspect tout à fait différent. A supposer qu’il soit exact que la «commune renommée» veuille qu’une «grille de protection» recouvre l’appareil, ce dont je ne trouve aucune preuve au dossier, ce n’est pas l’absence de cette grille qui est la cause de l’accident. Gagné admet qu’il connaissait le fonctionnement de l’appareil et St. Regis ne pouvait soupçonner qu’on laisserait un enfant de trois ans sans surveillance étroite près de cet appareil en marche.

Il en est de même des deux employés de St. Regis qui ont vu l’enfant sur la table, près de son père. Ils n’avaient aucune autorité sur l’enfant ou sur son père et il était fort logique pour eux de croire que le père ne perdrait pas son enfant de vue un seul instant.

Ce raisonnement est inattaquable.

Tout d’abord, en ce qui concerne la «commune renommée», il me paraît qu’en l’occurence, le premier juge a erré en en faisant état. Un fait qui n’est pas généralement connu de tous, comme l’existence ou la non-existence d’une grille de protection sur les hache-viande en usage dans les boucheries, a besoin d’être établi par la preuve. Ici, il est bien loin de s’agir d’un fait généralement connu et indiscutablement vrai. Tout au contraire.

L’appelant a fait valoir devant nous le principe qu’un tiers ne peut pas invoquer comme cause d’exonération de responsabilité la faute du père d’un enfant poursuivant en qualité de tuteur. Ce principe est incontestable comme la Cour d’appel l’a décidé dans Laprade c. Roussin[2], tout comme la Cour de Cassation dans un

[Page 818]

arrêt du 10 octobre 1963[3], où Ton peut lire «le défaut de surveillance reproché au père ne pouvant avoir eu pour effet de permettre au juge de réduire les dommages-intérêts alloués à la victime». Cela, cependant, ne saurait empêcher que pour juger si le tiers a commis une faute, il y avait lieu de tenir compte de ce que l’enfant était sous la surveillance immédiate de son père lorsque l’accident est survenu. Dans le cas présent, le hache-viande n’aurait pas été accessible à l’enfant si celui-ci n’avait pas été sur la table où l’a machine était installée. Comme on dit en Cour d’appel, il était impossible que le père utilisant cette machine ne s’aperçoive pas de la présence de son enfant sur cette petite table et la preuve démontre qu’il est resté là un temps notable avant que l’accident survienne.

Dans ces conditions, St-Denis, le gérant de la St. Regis, avait-il le devoir envers l’enfant de dire à son père de l’éloigner de ce danger? Comme il s’agissait d’un danger que le père ne pouvait ignorer, il ne me paraît pas que St-Denis avait cette obligation. Son autorité de gérant lui aurait permis de le faire, mais je ne crois pas que la Cour d’appel ait fait erreur en considérant qu’il n’avait pas commis, en ne le faisant pas, une négligence qui constitue une faute au sens de l’art. 1053 C.C. Charlesworth dans son ouvrage «On Negligence» (p. 355) rapporte qu’en Angleterre, la Cour d’appel a décidé que le propriétaire d’une machine à cribler les pommes de terre n’était pas responsable des blessures qu’avait subies un jeune enfant dont la mère était préposée au fonctionnement de cette machine. On a considéré que l’employeur n’avait pas été négligent en présumant que la mère surveillerait convenablement son enfant. A mon avis, la Cour d’appel du Québec n’a pas fait erreur en appréciant de la même manière une situation analogue.

On a aussi fait valoir que c’est St-Denis qui a fait entrer l’enfant dans l’établissement alors qu’il pleurait à la porte parce que son père l’avait laissé à l’extérieur. A mon sens, on ne

[Page 819]

pourrait voir là une cause du préjudice que si l’accident était survenu avant que le père ait eu l’occasion d’intervenir. Ici, loin d’obliger son enfant à retourner à l’extérieur, le père a effectivement acquiescé à la décision de St-Denis en n’empêchant pas son enfant d’aller auprès de lui dans la partie de l’établissement où se trouvait le hachoir et en tolérant ensuite qu’il se tienne sur la table à côté de la machine. Dans ces conditions, il me paraît que la Cour d’appel était justifiable de conclure que c’est uniquement le défaut de surveillance de la part du père qui a été la cause du malheureux accident.

Pour ces motifs, je conclus qu’il faut rejeter le pourvoi, avec dépens si on l’exige.

Appel rejeté avec dépens si exigés.

Procureurs du demandeur, appelant: Maltais, Francoeur & Ass., Hauterive.

Procureurs des défendeurs, intimés: Taschereau, Drouin & Morin, Québec.

[1] [1970] C.A. 904.

[2] [1958] B.R. 760.

[3] D. 1964, J. 20.


Synthèse
Référence neutre : [1973] R.C.S. 814 ?
Date de la décision : 31/01/1973
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Faute - Enfant blessé - Hache-viande électrique - Manque de surveillance du père - Commune renommée - Devoir du gérant de l’établissement - Code civil, art. 1053.

L’appelant, qui est restaurateur, s’est rendu à l’établissement de la compagnie intimée avec son fils âgé de trois ans qu’il laissa dans la voiture à l’extérieur. Il obtint du gérant l’autorisation de se servir d’un hache-viande électrique situé sur une table de 30 pouces de hauteur et de 47 pouces par 36 de surface, adossée au mur. A un certain moment, il s’aperçut que l’enfant s’était introduit la main droite dans l’orifice de la machine. Ce dernier eut le bras affreusement broyé et il fut nécessaire de l’amputer. L’intimé St-Denis avait fait entrer l’enfant qui pleurait dehors et était sorti après l’avoir vu debout sur la table à côté de son père. En Cour supérieure, les intimés furent condamnés solidairement à payer des dommages au demandeur en sa qualité de tuteur. La Cour d’appel invoquant l’improbabilité que quelqu’un ait pu s’approcher de la table et y déposer l’enfant sans que son père en eût connaissance, infirma le jugement de première instance. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

En ce qui concerne la «commune renommée» qui, d’après le premier juge voudrait qu’une grille de protection recouvre les hache-viande, il ne s’agit pas d’un fait généralement connu et indiscutablement vrai, et on n’en peut tenir compte sans preuve.

Il est incontestable que le défaut de surveillance reproché au père ne peut être invoqué comme cause d’exonération de responsabilité envers la victime que le père représente comme tuteur, mais pour juger si une faute a été commise. Il y a lieu de tenir compte de ce que l’enfant était sous la surveillance immédiate de son père lorsque l’accident est survenu, et que ce

[Page 815]

dernier ne pouvait pas ne pas s’apercevoir de la présence de son enfant sur la petite table.

Dans ces conditions, le gérant de l’intimée n’a pas commis une négligence qui constitue une faute au sens de l’art. 1053 du Code civil en ne disant pas au père d’éloigner son fils du danger, comme son autorité de gérant lui aurait permis de le faire.

Enfin on ne peut pas voir dans le fait par l’intimé St-Denis d’avoir fait entrer l’enfant dans l’établissement une cause du préjudice puisque l’accident est survenu après que le père eut effectivement acquiescé à cet acte en n’empêchant pas son enfant d’aller auprès de lui.


Parties
Demandeurs : Gagné
Défendeurs : St-Régis Paper Co. (Canada) Ltd.
Proposition de citation de la décision: Gagné c. St-Régis Paper Co. (Canada) Ltd., [1973] R.C.S. 814 (31 janvier 1973)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-01-31;.1973..r.c.s..814 ?
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