La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/1973 | CANADA | N°[1974]_R.C.S._1096

Canada | Commission de la Capitale Nationale c. Colegate, [1974] R.C.S. 1096 (7 mai 1973)


Cour suprême du Canada

Commission de la Capitale Nationale c. Colegate, [1974] R.C.S. 1096

Date: 1973-05-07

La Commission de la Capitale Nationale Appelante;

et

Robert George Colegate et Patricia Cecilia Gauley Intimés.

1973: les 5, 6 et 7 mars; 1973: le 7 mai.

Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada. Appel accueilli.

Eileen Mitchell Thomas, c.r., et G.W. Ainslie, c.r., pour

l’appelante.

J.J. Robinette, c.r., et R. Hughes, c.r., pour l’intimé.

Le jugement des Juges Martland, Judson, Ritchie e...

Cour suprême du Canada

Commission de la Capitale Nationale c. Colegate, [1974] R.C.S. 1096

Date: 1973-05-07

La Commission de la Capitale Nationale Appelante;

et

Robert George Colegate et Patricia Cecilia Gauley Intimés.

1973: les 5, 6 et 7 mars; 1973: le 7 mai.

Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada. Appel accueilli.

Eileen Mitchell Thomas, c.r., et G.W. Ainslie, c.r., pour l’appelante.

J.J. Robinette, c.r., et R. Hughes, c.r., pour l’intimé.

Le jugement des Juges Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier fixant l’indemnité dans une affaire d’expropriation. L’appelante, la Commission, avait offert $343,000 pour 205 acres de terrain expropriées en 1961 aux fins de la Ceinture de verdure. Le juge de première instance a évalué le terrain à $435,000, y ajoutant une somme de $50,000 pour l’exproprié Colegate, intimé, à titre de valeur pour ce dernier des importants dépôts de sable que l’autre partie intimée, en vertu d’un accord enregistré, avait le droit d’extraire jusqu’au 14 août 1968 moyennant paiement d’une redevance. Le juge de première instance a aussi adjugé à l’autre partie intimée, la succession Gauley, une somme de $42,000 pour le droit qu’elle détenait dans le bien-fonds en vertu de l’accord relatif à l’extraction du sable.

En 1949, Colegate et sa défunte épouse avaient acquis, par legs du propriétaire décédé, un nommé McMahon, une ferme de 400 acres située dans le canton de Gloucester (les lots 7 et 8 de la 3e concession, côté Rideau). En 1952, Colegate a signé un accord dépourvu de formali-

[Page 1098]

tés par lequel, pour la somme de $100, il accordait à un ami nommé G.B. Gauley, exploitant de station-service, [TRADUCTION] «les droits exclusifs sur tout gravier, terre et sable» se trouvant sur sa propriété. En vertu de cet accord, Gauley a extrait une certaine quantité de gravier du lot 7, à Test de la voie ferrée du C.P. qui va approximativement en direction nord‑sud et coupe les deux lots près du milieu. Quoique l’accord ne le stipule pas, Colegate dit dans son témoignage que le marché qu’il avait conclu avec Gauley prévoyait 10 cents la verge cube pour le sable et 25 cents la verge cube pour le gravier et la terre de surface, et il affirme que des paiements ont été faits en conséquence.

En 1956, Colegate cesse l’exploitation de la ferme. Il vend la partie est du lot 7 et une partie contiguë du lot 8, soit 103 acres en tout, à Bert Dowler et au Dr Kellam, au prix de $1,000 l’acre maison et grange inclus. Dowler exploitait une grosse carrière de gravier sur le lot 6. Le contremaître de Gauley, un nommé Godin, a décrit à la Cour ce qui s’est passé: [TRADUCTION] «Nous nous sommes rendus sur les lieux un matin et on nous a dit que c’était vendu». Bien que l’accord ait été enregistré contre cette partie du lot 7, Gauley a tout simplement cessé d’y prendre des matériaux.

Deux ans plus tard, en 1958, un nouvel accord est rédigé, cette fois par l’avocat de Gauley. L’acte porte la date du 14 août 1958. Gauley se fait accorder [TRADUCTION] «le droit exclusif d’acheter tout le sable, gravier et terre» se trouvant sur les terrains de Colegate «pour une période de dix (10) ans à compter de la date du présent accord au prix de $0.25 la verge cube». Une disposition stipule que les paiements seront effectués le 3 de chaque mois, relativement aux matériaux extraits jusqu’à la fin du mois précédent, et Colegate s’engage à aviser tout acheteur éventuel ou toute autre personne traitant avec lui pour le terrain. Aucune disposition ne fixe une quantité minimum, rien n’oblige le cessionnaire à protéger le terrain en vue d’une utilisation future à d’autres fins.

[Page 1099]

Gauley a construit une route longue d’environ un demi-mille que Godin a décrite comme étant [TRADUCTION] «assez bonne pour accueillir chaque jour dix camions faisant le transport toute la journée». La quantité de sable qui a pu être extraite avant l’expropriation a été un point en litige au procès. Un comptable agréé dont les services ont été retenus par les réclamants a fourni les chiffres suivants qu’il a établis en se basant sur les chèques honorés par Gauley:

[TRADUCTION] Redevances payées par Gauley à Colegate selon les livres de Gauley

1958

372 verges cubes

$ 93.00

1959

10,000 verges cubes

2,500.00

1960

51,402 verges cubes

12,850.50

1961

NÉANT

-

TOTAL

61,774 verges cubes

$ 15,443.50

D’autre part, J.D. Patterson, un ingénieur minier dont les services ont été retenus par la Commission, a affirmé dans sa déclaration sous serment:

[TRADUCTION] Après avoir étudié des photographies aériennes de la propriété Colegate prises en 1958 et 1965, j’ai pu calculer de façon assez précise la quantité de sable et de terre de surface enlevée au cours des trois premières années de l’accord passé par Gauley avec Colegate. Mes chiffres sont les suivants:

Terre de surface sablonneuse

10,800 v.c.

Sable

22,500 v.c.

Dans sa déposition, il a ajouté ceci en répondant à la question suivante de la Cour:

[TRADUCTION] Est-il possible de calculer de façon tant soit peu précise au moyen de photographies aériennes la quantité de sable ou d’autres matériaux extraite d’une carrière? Est-ce possible?

LE TÉMOIN: C’est possible, oui. Quand je dis avec précision, cela veut dire à 10% de la superficie possible en plus ou en moins.

[Page 1100]

Les réclamants ont convoqué comme témoin expert sur la question de l’extraction du sable un autre ingénieur d’expérience, un nommé Gordon McRostie. Il avait étudié la déclaration sous serment de Paterson produite avant le procès. Il n’a pas tenté de réfuter les chiffres de Paterson bien qu’une étude approfondie du sable sur la propriété eût été faite. Il a dit qu’il n’avait pas essayé d’évaluer la quantité extraite et il a parlé [TRADUCTION] de «quelques trous peu profonds creux de quelques pieds». Le juge de première instance a dit:

… Même si on ne doute aucunement de la compétence de M. Paterson ou de sa crédibilité comme témoin, lorsqu’on fait face à une contradiction irréconciliable de ce genre, l’on doit préférer la preuve positive à la preuve négative, et puisque la demanderesse n’a pas pu expliquer pourquoi M. Gauley aurait effectué des paiements à M. Colegate si ce n’était pas pour les redevances dues sur l’enlèvement du sable, et puisque nous ne pouvons sûrement pas présumer que M. Gauley aurait payé plus de redevances qu’il n’en devait, nous devons donc supposer que les chiffres de M. Milner sont exacts.

À mon avis, cette conclusion est erronée. La preuve de la quantité de sable extraite du terrain, telle que déterminée par les mesures que l’on a prises des excavations, n’est pas négative mais positive. En outre, il s’agit de la preuve d’un fait matériel susceptible d’être vérifié et qui ne peut être falsifié. Il n’y a pas eu contestation quant à son exactitude. D’autre part, les données recueillies par le comptable ont été établies en se basant uniquement sur quelques chèques payés. Il n’a fait aucune vérification et il n’a pas présenté ses chiffres comme vérifiés dans le sens comptable du terme. Les écritures dont il pouvait disposer étaient tellement incomplètes que la source des matériaux vendus n’a pu être retracée. Il y eut quelques ventes de sable en 1961 et aucune par la suite, mais il n’y a aucun paiement de redevance pour cette année-là. En l’espèce, nous sommes en présence d’un créancier qui ne tenait pas de livres et qui dit n’avoir jamais vérifié ce qu’il recevait. Il n’est pas nécessaire d’énumérer les raisons possibles de gonfler les paiements effectués pour le sable dans l’année qui a précédé l’expropriation, dont la venue prochaine était alors connue. Soit

[Page 1101]

dit respectueusement, le juge de première instance a fait une erreur en considérant comme irréfutable la preuve du comptable relativement au sable payé en 1960, et en écartant une preuve sans reproche et non contredite relativement à la quantité réelle de sable extraite de la propriété.

En ce qui concerne la valeur du terrain, les évaluateurs experts convoqués par les deux parties ont présenté des opinions contradictoires. Il n’y eut toutefois aucun désaccord quant à l’utilisation la meilleure et la plus profitable de la propriété à l’époque de l’expropriation, à savoir le 13 juin 1961. Tous étaient d’avis qu’il fallait la conserver pour lotissement futur, à des fins résidentielles ou commerciales. Cependant, pareils projets ne pouvaient avantageusement se réaliser avant que les services d’eau et d’égout soient disponibles, ce qu’on ne pouvait espérer avant 1971 environ.

Le juge de première instance a conclu à bon droit que la partie de la propriété située à l’est de la voie ferrée du C.P. devait être évaluée séparément de la plus grande partie située du côté ouest. En se basant sur le prix payé par la Commission pour les propriétés contiguës de chaque côté, il a adjugé $2,200 l’acre pour les 179 acres situées à l’ouest et $1,600 l’acre pour les 26 acres situées à l’est, ce qui donne un total de $435,000 pour la valeur du terrain. Je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de revoir la preuve sur ce point parce que cette conclusion est appuyée par la preuve et qu’il n’y a vraiment aucun motif valable de la modifier.

La situation est toutefois différente en ce qui a trait aux montants considérables de $50,000 et $42,000 qui ont été adjugés en plus de la valeur du terrain comme valeur de l’accord Gauley pour le propriétaire et le cessionnaire respectivement. Dans l’arrêt La Commission de la Capitale nationale c. Hobbs[1] cette Cour a dit (p. 339):

… En règle générale, un propriétaire a droit à la valeur que son bien a pour lui, en prenant comme base de calcul l’utilisation la meilleure et la plus

[Page 1102]

profitable. Cela peut être la valeur marchande, mais cela peut être davantage dans les cas où, pour une raison quelconque, le terrain a pour celui qui le possède une valeur qu’il n’aurait pour aucun autre qui en ferait le même usage.

En l’espèce, l’accord Gauley constituait clairement une cession d’un droit dans le bien-fonds. L’accord n’est pas limité à la personne de Gauley mais stipule qu’il [TRADUCTION] «lie les parties … leurs héritiers, exécuteurs, administrateurs, successeurs et ayants droit respectivement». Gauley pouvait librement disposer de son droit. Par contre, Colegate ne pouvait vendre le bien-fonds sans que l’acheteur ne soit tenu de permettre à Gauley ou ses successeurs d’exercer intégralement, s’ils le jugeaient à propos, le droit d’enlever tout le sable, le gravier et la terre jusqu’au 14 août 1968. Ainsi, on ne peut considérer qu’entre les mains de Colegate, le terrain avait une valeur spéciale pour lui qui était supérieure à celle qu’il aurait eue faisant l’objet d’une utilisation semblable par quelqu’un d’autre.

Les intimés ont plaidé leur cause en soutenant que, parce que le terrain ne serait prêt à être mis en valeur que quelques années après l’expiration des droits de Gauley, on pouvait l’évaluer en ne tenant pas compte de l’accord relatif au sable et, ensuite, évaluer les bénéfices prévus des deux parties et ajouter ces bénéfices à la valeur marchande du terrain. À mon avis, pareille méthode comporte une erreur fondamentale. Cela voudrait dire que, d’une part, Colegate recevrait pour le terrain le même montant que s’il l’avait vendu le jour de l’expropriation à sa pleine valeur sans avoir distrait de la propriété le droit relatif au sable etc., mais d’autre part, il recevrait en outre le plein équivalent en argent de ce droit-là. La preuve indique clairement qu’aucun acheteur n’aurait acheté à ces conditions, que personne n’aurait payé le plein prix pour le terrain et laissé à Colegate et Gauley tous les bénéfices découlant de leur accord relatif au sable.

La base sur laquelle l’indemnité doit être évaluée est la valeur marchande à la date de l’expropriation. Il est reconnu qu’à cette époque-là,

[Page 1103]

la propriété en question ne pouvait être vendue en vue d’une mise en valeur immédiate. Le marché était inexistant pour cette utilisation profitable car les services n’étaient pas disponibles et ne le seraient probablement pas avant dix ans. Par conséquent, à la date de l’expropriation la seule possibilité était la spéculation sur les projets futurs. Cela signifie que le critère approprié pour fixer l’indemnité était de savoir ce qu’une personne intéressée à acheter le terrain en question aurait été disposée à payer pour s’en porter acquéreur compte tenu de tous les avantages et désavantages, tels qu’ils existaient à l’époque. C’est le critère qui a été appliqué dans l’arrêt Marcus c. Commission de la Capitale nationale[2]. Une personne aurait-elle payé plus que le prix courant de terrains comparables vu l’accord conclu avec Gauley? La preuve démontre clairement que la réponse à cette question est non. L’accord ne pouvait être qu’un inconvénient.

Il n’y a absolument aucun élément de preuve suivant lequel la présence de quantités importantes de sable sur ce terrain lui donnerait une valeur supérieure à celle de terrains comparables dans cette région. Parce que de toute évidence l’accord avec Gauley a été conclu par le propriétaire sans souci de ses propres intérêts, et sans aucune garantie contre les inconvénients graves possibles, il est clair qu’en fait une vente aurait été pratiquement impossible sans que l’acheteur ne conclue simultanément un marché avec Gauley. On ne peut supposer qu’il aurait été aussi facile de se libérer de l’accord de 1958 que lorsqu’il s’était agi de mettre fin au contrat de 1952. Les conditions onéreuses de l’accord conclu après l’expropriation avec Gauley, en vue de répartir l’indemnité (12½ pour cent jusqu’à un maximum de $60,000), indiquent que cela était, pour ne pas dire plus, très improbable.

Il me paraît donc qu’en considérant comment l’existence de l’accord conclu avec Gauley a influé sur la valeur marchande du terrain en juin 1961, la seule réponse possible doit être la suivante: parce qu’il n’y avait pas de preuve indiquant que la valeur de cette propriété particu-

[Page 1104]

lière se trouvait accrue au-delà de la valeur de propriétés comparables par la présence de dépôts de sable, cette valeur marchande, soit le prix de vente qui aurait pu être obtenu, n’était pas plus élevée que la valeur marchande des propriétés comparables. Il en découle qu’il faut déduire du prix courant la valeur du droit de Gauley.

Quant à la valeur du droit de Gauley, je pense qu’il est impossible de l’estimer comme on prétend le faire, en calculant la valeur actuelle du profit réalisable. L’affaire la plus récente dans laquelle cette baise a été rejetée est celle de la Commission de la Capitale nationale c. McFarland Construction Co. Ltd.[3] La base d’évaluation appropriée pour ce genre de bien est la même que pour tout autre bien de capital pour lequel il y a un marché, à savoir: qu’est-ce qu’un acheteur consentant paierait à un vendeur consentant? En l’espèce, le seul élément de preuve quant à la valeur du droit de Gauley suivant cette base-là est le montant de $10,000 suggéré par le témoin McMahon: [TRADUCTION] «Je pense que quelqu’un pourrait se présenter et offrir $10,000 à M. Gauley». Il n’y a absolument aucune preuve relativement au coût du chemin que Gauley a construit de sorte qu’il est impossible d’opérer une déduction à cet égard. Dans la minute du jugement, le juge de première instance n’a pas réparti entre les réclamants conformément à leur accord les paiements à être faits; il a fait une adjudication conjointe. Cette disposition n’a fait l’objet d’aucun grief.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens et de modifier le jugement de la Cour de l’Échiquier en remplaçant les deuxième et troisième alinéas par ce qui suit:

Il est par les présentes décidé que, relativement à l’expropriation des terrains susmentionnés, le montant de l’indemnité payable au défendeur Robert George Colegate est de $425,000 et le montant de l’indemnité payable à la succession défenderesse Gerald B. Gauley est de $10,000.

[Page 1105]

De plus, il est par les présentes décidé que les défendeurs, Robert George Colegate et la succession Gerald B. Gauley, après avoir remis à la Commission de la Capitale nationale quittance valide et complète de tous ou de chacun des privilèges, réclamations, hypothèques ou servitudes de quelque sorte ou nature qu’ils soient ayant pu exister sur lesdits terrains au moment de ladite expropriation, ont droit à recevoir conjointement la somme de $160,000 (représentant le solde de l’indemnité totale de $435,000, soit les montants de $425,000 et de $10,000 ci-dessus moins les paiements anticipés de $100,000 et de $175,000 respectivement) avec intérêt au taux annuel de 5 pour cent du 13 juin 1961 au 21 octobre 1963 sur la somme de $435,000, du 22 octobre 1963 au 13 octobre 1967 sur la somme de $335,000, et du 14 octobre 1967 jusqu’à la date du paiement sur la somme de $160,000.

LE JUGE SPENCE (dissident) — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada rendu le 14 juillet 1970.

J’ai eu l’occasion de lire les motifs de mon collègue le Juge Pigeon et je me reporterai à son exposé des faits en ajoutant ce qui est nécessaire pour mes propres motifs. Cependant, avec respect, je ne puis souscrire à l’avis de mon collègue le Juge Pigeon; j’ai conclu que l’appel devait être rejeté.

Dans des motifs très fouillés et soigneusement rédigés, le savant juge de première instance, le Juge Walsh, a adjugé aux réclamants, c’est-à-dire, les défendeurs en première instance et les intimés devant cette Cour, la somme de $435,000 pour la valeur du terrain exproprié, et, de plus, il a adjugé à l’intimé Robert George Colegate personnellement et en tant qu’exécuteur de la succession de sa défunte épouse la somme de $50,000, soit les profits prévus d’un contrat passé avec M. Gauley, décédé, et a adjugé aux intimés Patricia Cecilia Gauley et Rowell Kenneth Laishley en tant qu’exécuteurs de la succession de feu Gerald B. Gauley la

[Page 1106]

somme de $42,000, représentant les profits que feu M. Gauley aurait retirés de ce contrat si l’expropriation n’avait pas mis fin à son exécution.

Les intimés ont plaidé leur cause en soutenant que parce que le terrain ne devait être mis en valeur que huit ans après l’expropriation, il pouvait être évalué comme terrain de spéculation, et ils ont alors ajouté les profits prévus de Colegate, le propriétaire, et de Gauley, le détenteur du contrat d’exploitation de gravier, relativement à l’exécution de ce contrat entre le jour de l’expropriation et le jour où la proximité des services devait rendre le terrain prêt à être subdivisé. Je ne vois aucune objection à accepter cette méthode et si le savant juge de première instance a effectivement employé cette méthode, il s’ensuit que les valeurs qu’il a fixées sont des valeurs fixées selon cette méthode et compte tenu des circonstances. Je suis d’avis que le savant juge de première instance a effectivement employé cette méthode. Peu après le début de l’audition, il a dit:

[TRADUCTION] SA SEIGNEURIE: Je me demandais si la Cour devait le voir ou non parce que, de toute évidence, quand le jugement sera rendu, j’adjugerai probablement tant pour la valeur du terrain et tant pour la valeur du contrat et les deux montants réunis dans la mesure où la C.C.N. est concernée — elle aurait une grosse somme à payer.

De plus, en rendant jugement, le Juge Walsh a dit:

Dans la présente cause, puisque le propriétaire ne pouvait pas contrôler l’extraction du sable, du moins jusqu’en 1968 à cause de l’entente avec M. Gauley, il est nécessaire d’essayer de déterminer le montant que l’on aurait payé exclusivement pour la propriété comme investissement en vue d’une subdivision, puis de décider quelle valeur, s’il en est, pourrait être ajoutée ou déduite de ce montant à cause de l’entente avec M. Gauley ayant trait à l’extraction du sable.

Après un examen très minutieux des témoignages de tous les témoins relativement à la valeur du terrain et à celle du contrat d’extraction de sable, le Juge Walsh a relaté en détail les ventes de propriétés qu’il considérait comparables et sur lesquelles il désirait fonder son juge-

[Page 1107]

ment. Après avoir relu attentivement ces motifs, je suis convaincu que le Juge Walsh s’est particulièrement appuyé sur deux propriétés comparables, à savoir, quant à la partie située à l’ouest de l’emprise du chemin de fer du C.P., sur une vente de 25 acres de terrain situées sur le Chemin McCarthy au coin sud-ouest de la propriété de l’intimé, intervenue entre Isabel Manley, venderesse, et la Commission de la Capitale nationale au prix de $2,800 l’acre, et, quant à la propriété située à l’est de l’emprise du C.P., sur la vente d’une propriété d’une superficie de 20.11 acres au prix de $1,740 l’acre, intervenue entre Quebec Metallurgical Industries Ltd., venderesse, et la Commission de la Capitale nationale. Whelan, témoin expert de l’intimé, avait mentionné ces deux propriétés et il est intéressant de constater le peu de différence entre l’évaluation faite par M. Whelan et les conclusions du savant juge de première instance.

M. Whelan avait évalué le terrain situé à l’ouest de l’emprise du C.P. à $2,400 l’acre. Le savant juge de première instance a adjugé une indemnité de $2,200 l’acre à l’égard de ces mêmes terrains. M. Whelan avait évalué la propriété de l’intimé située à l’est de l’emprise du C.P. à $1,740 l’acre. Le savant juge de première instance a adjugé $1,600 l’acre. Dans les deux cas, le savant juge de première instance a donné les motifs pour lesquels il a réduit l’évaluation de l’expert de l’intimé. Il est à signaler que l’évaluation ne tient pas compte des dépôts de sable sur la propriété. Dans son témoignage, Whelan avait dit:

[TRADUCTION] Q. En faisant votre évaluation, avez-vous tenu compte des dépôts de sable situés sur la propriété expropriée?

R. Non, je n’ai pas tenu compte des dépôts de sable dans mon estimation de la valeur marchande.

Q. Quelle est votre avis sur la question de savoir s’ils augmentent ou diminuent la valeur de la propriété expropriée?

R. Je puis certainement dire que les dépôts de sable augmentent la valeur de la propriété en question.

[Page 1108]

Le savant juge de première instance avait pris note de cette preuve puisqu’il a résumé ainsi dans ses motifs le témoignage de Whelan sur l’évaluation:

Whelan — 179 acres à l’ouest des voies ferrées, $2,400, 26 acres à l’est des voies ferrées à $1,740, montant total arrondi, $475,000 compte non tenu de l’accord Gauley.

Je suis donc d’avis que quand le savant juge de première instance a conclu que la valeur du terrain de l’intimé était de $435,000, il a simplement considéré les terrains comme objets de spéculation et n’a pas tenu compte de la possibilité d’en retirer un profit par l’extraction du sable. Par contre, le savant juge de première instance savait très bien qu’il y aurait une période, de 1961, date de l’expropriation, à 1968, date prévue pour l’arrivée des services à proximité des terrains expropriés, au cours de laquelle les dépôts de sable pourraient être extraits pour la vente.

Je suis convaincu, comme l’est mon collègue le Juge Pigeon, que cette conclusion est appuyée sur des éléments de preuve, et qu’il n’y a vraiment aucune raison de la modifier. Je suis toutefois en désaccord avec mon savant collègue, étant d’avis que les profits éventuels que pouvait retirer le propriétaire de 1961 à 1968 ne peuvent être compris dans ce chiffre de $435,000. Je suis d’avis que le juge de première instance ne les y a pas inclus et qu’il a eu raison de tenir compte de leur valeur dans l’indemnisation.

J’aborde maintenant l’appréciation faite par le savant juge de première instance de la valeur pour le propriétaire Colegate de l’exécution prévue du contrat passé avec Gauley. Sur ce point, le savant juge de première instance a retenu le témoignage de M. McRostie qui était depuis quelques années l’ingénieur du Canton de Gloucester, où ces terrains étaient situés, et qui avait en outre une très grande expérience en génie et en ce qui a trait à l’extraction et à l’emploi du sable à des fins de remplissage. Dans l’exposé des faits concédés, les parties s’étaient entendues sur les dépôts de sable du voisinage immédiat, sur le volume des dépôts de

[Page 1109]

sable situés sur la partie où le sable répondait aux exigences du ministère de la Voirie de l’Ontario pour le sable de remblai et, de plus, sur la quantité de sable qu’on aurait pu extraire de dépôts de cinq pieds ou plus d’épaisseur à l’ouest des terrains du C.P. tout en laissant le terrain propre à la subdivision. M. McRostie a témoigné quant à la demande qui existait pour le sable, et aussi quant à son prix de vente. Le savant juge de première instance a compris que l’accord passé avec feu M. Gauley ne stipulait pas que ce dernier devait extraire une quantité déterminée de sable par année, et qu’il était possible, bien que très improbable, que Gauley n’utilise pas son contrat et n’enlève pas de sable. L’improbabilité découle du fait que, d’après le témoignage de McRostie, retenu par le savant juge de première instance, le sable était en demande, et qu’on prévoyait donc que Gauley tirerait le profit qu’il pouvait réaliser du contrat par l’extraction du sable.

Dans son témoignage M. McRostie avait souscrit à l’opinion selon laquelle les terrains de l’intimé étaient aussi accessibles que les autres par rapport aux endroits où le sable devait être déposé en exécution des divers travaux de construction. En attribuant à ces terrains une certaine proportion de la demande annuelle de sable de 1961 à 1968, le savant juge de première instance a conclu que la valeur du sable qui aurait été extrait de 1961 à 1968 en vertu du contrat passé avec Gauley aurait été, le 13 juin 1961, date de l’expropriation, de $90,292. Vu que Gauley n’était tenu d’extraire aucune quantité de sable et que d’autres dépôts de sable lui étaient accessibles, le savant juge de première instance a réduit ce montant d’un tiers pour n’accorder que $60,000. Je suis d’avis que cette réduction était généreuse.

Sur la base des mêmes calculs de coûts, le savant juge de première instance a conclu que Gauley aurait réalisé un profit de $64,497; il a alors opéré une réduction d’un tiers identique, ramenant le profit éventuel à $42,000, ce qui représente encore à mon avis, une réduction généreuse.

[Page 1110]

Puis, reconnaissant que le contrat passé avec Gauley ne stipule pas expressément que la propriété doit être laissée dans un état propre à la subdivision, le savant juge de première instance a diminué les $60,000 de profit réduit que ses calculs avaient attribués à l’intimé Colegate d’un montant supplémentaire de $10,000, vu les travaux au bulldozer qu’il aurait été nécessaire d’effectuer pour rendre le terrain propre à la subdivision; en fin de compte, il a adjugé à Colegate, le propriétaire du terrain, la somme de $50,000, à être ajoutée à la valeur purement spéculative de $435,000 des terrains expropriés, ce qui donne une indemnité totale de $485,000, et il a adjugé à la succession Gauley la somme de $42,000 pour la perte des profits prévus relativement à l’exécution du contrat.

Je conclus que ces montants représentent de justes indemnités. Je ne puis voir aucune erreur de principe ni aucune erreur dans l’apréciation de la preuve, et je rejetterais l’appel. Les intimés ont droit à leurs dépens dans toutes les cours.

Appel accueilli avec dépens, le JUGE SPENCE étant dissident.

Procureur de l’appelante: D.S. Maxwell, Ottawa.

Procureurs des intimés: Hughes, Laishley, Mullen, Touhey & Sigouin, Ottawa.

[1] [1970] R.C.S. 337.

[2] [1970] R.C.S. 39.

[3] [1974] R.C.S. 1088.


Synthèse
Référence neutre : [1974] R.C.S. 1096 ?
Date de la décision : 07/05/1973
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Expropriation - Indemnité - Valeur marchande - Accord pour l’extraction de dépôts de sable - Valeur pour fins de lotissement - Utilisation la meilleure et la plus profitable - Preuve.

En juin 1961, l’appelante a exproprié aux fins de la Ceinture de verdure 205 acres de terrain pour lesquelles elle a offert $343,000. Le juge de première instance a adjugé a) au propriétaire $435,000 pour la valeur du terrain et $50,000 pour la perte des redevances futures relatives à l’extraction de dépôts de gravier, terre et sable; b) à la partie qui avait le droit de faire cette extraction, $42,000 pour le droit qu’elle détenait dans le bien-fonds. La propriété en question avait une valeur pour lotissement futur, à des fins résidentielles ou commerciales, mais ne pouvait être vendue en vue d’une mise en valeur immédiate en raison de l’absence de services municipaux.

Arrêt (Le Juge Spence étant dissident): L’appel doit être accueilli.

Les Juges Martland, Judson, Ritchie et Pigeon: Le terrain a été évalué sans tenir compte de l’accord relatif au sable et à cette évaluation ont été ajoutés les bénéfices prévus des deux parties, susceptibles de découler de l’extraction du sable. Cette méthode d’évaluation est injuste et aurait pour résultat que le propriétaire recevrait une double indemnité pour les droits relatifs au sable, au gravier et à la terre. La base sur laquelle l’indemnité doit être évaluée est la valeur marchande à la date de l’expropriation. Le critère approprié est ce qu’une personne intéressée à acheter le terrain en question aurait été disposée à payer pour s’en porter acquéreur compte tenu de tous les avantages et désavantages, tels qu’ils existaient à l’époque. Des chèques payés ne constituaient pas une preuve décisive de la quantité de sable extraite à l’encontre des données tirées de photographies aériennes.

[Page 1097]

Le Juge Spence dissident: Les profits éventuels que pouvait retirer le propriétaire durant les années où, après la date d’expropriation, l’accord demeurerait en vigueur, ne peuvent être compris dans le chiffre de $435,000, le juge de première instance ne les y a pas inclus et il a eu raison de tenir compte de leur valeur dans l’indemnisation.

[Arrêts mentionnés: La Commission de la Capitale nationale c. Hobbs [1970] R.C.S. 337; Marcus c. Commission de la Capitale nationale [1970] R.C.S. 39; Commission de la Capitale nationale c. McFarland Construction Co. Ltd., [1974] R.C.S. 1088.]


Parties
Demandeurs : Commission de la Capitale Nationale
Défendeurs : Colegate
Proposition de citation de la décision: Commission de la Capitale Nationale c. Colegate, [1974] R.C.S. 1096 (7 mai 1973)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-05-07;.1974..r.c.s..1096 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award