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29/10/1973 | CANADA | N°[1975]_1_R.C.S._228

Canada | Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228 (29 octobre 1973)


Cour suprême du Canada

Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228

Date: 1973-10-29

Commonwealth de Puerto Rico Appelant;

et

Humberto Pagan Hernandez Intimé.

1973: les 22 et 23 mai; 1973: le 29 octobre.

Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228

Date: 1973-10-29

Commonwealth de Puerto Rico Appelant;

et

Humberto Pagan Hernandez Intimé.

1973: les 22 et 23 mai; 1973: le 29 octobre.

Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 228 ?
Date de la décision : 29/10/1973
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Extradition - Examen judiciaire par la Cour fédérale - Juge d’extradition, persona designata - «Office, commission ou autre tribunal fédéral» - «Décision ou ordonnance» - Qualité de l’État pour demander l’examen de la décision refusant l’extradition - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 - Loi sur l’extradition, S.R.C. 1970, c. E-21, art. 18, 23 - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art 11.

A la suite d’une dénonciation sous serment d’un agent de la Gendarmerie Royale du Canada, attestant que l’intimé, inculpé de meurtre et sous cautionnement avait fui hors du territoire de Puerto Rico et était au Canada, un mandat a été lancé. Après audition de la cause d’extradition, le juge a élargi l’intimé, décidant qu’il n’y avait aucune cause probable de le croire coupable du crime imputé, et ajoutant que l’infraction ne présentait pas un caractère politique. Une demande d’examen de l’ordonnance du juge d’extradition a été présentée à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10. Cette demande a été rejetée pour défaut de compétence au motif que la question avait été réglée par une décision de cette Cour à l’égard de sa propre compétence.

Arrêt (Les Juges Abbott, Judson, Spence et Laskin étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Le Juge en chef Fauteux et les Juges Martland, Ritchie, Pigeon et Dickson: Une décision sur l’interprétation de la Loi sur la Cour suprême n’est pas décisive de l’interprétation de la Loi sur la Cour fédérale. Le cadre et le texte des deux lois sont différents et l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit un droit général d’examen des décisions «d’un office, d’une commission ou d’un autre tribunal fédéral». Ce droit d’examen s’applique à «une décision ou ordonnance, autre qu’une décision ou ordonnance de nature administrative qui n’est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire».

[Page 229]

L’étendue du nouveau recours accordé par la Loi sur la Cour fédérale doit se déterminer en tenant compte des termes employés dans la Loi, qui établit une nouvelle compétence en matière fédérale tout en maintenant la compétence antérieurement exercée par la Cour de l’Échiquier du Canada. La Cour fédérale est une «cour supérieure» au sens de cour ayant un pouvoir de surveillance. Ce pouvoir n’est pas limité aux matières civiles.

Un juge d’extradition ne doit pas être considéré comme exclu de la définition de «office, commission ou autre tribunal fédéral». La Loi sur la Cour fédérale constitue un code complet. Lorsque les pouvoirs d’un commissaire à l’extradition sont exercés par un juge de cour de comté, il n’agit pas à titre de juge nommé en vertu de l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, mais à titre de persona designata tirant ses pouvoirs d’une loi spéciale du Parlement. Ceci est particulièrement clair puisque les mêmes pouvoirs peuvent être exercés par des commissaires qui ne sont pas juges.

Le refus d’incarcérer prononcé par le savant juge est une «décision ou ordonnance»; ces termes du par. (1) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale doivent être pris dans leur sens ordinaire et le par. (2) de l’art. 18 de la Loi sur l’extradition prévoit que «…le juge ordonne qu’il soit élargi».

L’État faisant la demande est une «partie directement affectée par la décision ou l’ordonnance» selon le sens du par. (2) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

L’article 11 de la Loi d’interprétation s’applique de façon toute particulière à un texte législatif qui établit une nouvelle compétence et un nouveau recours.

Les Juges Abbott, Judson et Laskin, dissidents: Avant l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1, il n’y avait aucun appel ni aucune autre forme d’examen de l’élargissement d’une personne dans les procédures d’extradition. Lorsqu’une ordonnance d’incarcération en vue de l’extradition était rendue contre une personne, son seul recours était l’habeas corpus. Le rejet de la prétention que cette position longtemps maintenue a été brusquement renversée par les termes généraux du par. (1) de l’art. 28, trouve un appui dans l’économie de la Loi sur la Cour fédérale. Des mentions non différenciées des offices, commissions ou autre tribunaux fédéraux ne devraient pas être interprétées comme capturant les matières d’extradition quand celles-ci ne sont pas expressément mentionnées.

[Page 230]

Le Juge Spence, dissident: La position prise par l’intimé selon laquelle l’État étranger n’a pas qualité pour comparaître sur une demande d’examen, si pareil examen est possible, est fondée.

[Distinction faite avec les arrêts: Les États-Unis d’Amérique c. W.H. Links et H.H. Green, [1955] R.C.S. 183; La République démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997. Arrêts mentionnés: Three Rivers Boatman Ltd. c. Conseil Canadien des Relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607; Valin c. Langlois, (1879), 3 R.C.S. 1; Re MacDonald, [1930] 1 W.W.R. 242, [1930] 2 D.L.R. 177; Re Storgoff, [1945] R.C.S. 526; Re State of Wisconsin and Armstrong, [1972] C.F. 1228; Sedore c. Commissaire des pénitenciers, [1972] C.F. 898; Lingley c. Hickman, [1972] C.F. 171; Re Frank David Ellis, [1972] C.F. 1212; Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821; Kipp c. Procureur général de l’Ontario, [1965] R.C.S. 57; Re Brown, [1946] R.C.S. 536; Gaynor et Green c. États Unis d’Amérique, [1905] 36 R.C.S. 247 C.P.R. c. Petit séminaire de Ste. Thérèse, (1889), 16 R.C.S. 606; Godson c. The City of Toronto, (1890), 18 R.C.S. 36; St. Hilaire c. Lambert, (1909), 42 R.C.S. 264; Canadian Northern Ontario Railway c. Smith, (1914), 50 R.C.S. 476; Plante c. Forest, (1936), 61 B.R. 8; Heinz c. Swartz, [1938] 1 D.L.R. 29; R. v. Keepers of the Peace and Justices of County of London, (1890), 25 Q.B., 357;. Scullion c. Canadian Breweries Transport Ltd., [1956] R.C.S. 512; R. c. Hemlock Park Cooperative Farm Ltd., [1974] R.C.S. 123.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] statuant que celle-ci n’était pas compétente. Pourvoi accueilli, les Juges Abbott, Judson, Spence et Laskin étant dissidents.

Gordon P. Killeen, c.r., et Gerald R. Morin, pour l’appelant.

Clayton C. Ruby, pour l’intimé.

Le jugement du Juge en chef et des Juges Martland, Ritchie, Pigeon et Dickson a été rendu par

[Page 231]

LE JUGE PIGEON — Le 22 octobre 1971, un agent de la Gendarmerie royale du Canada a déclaré sous serment dans une dénonciation que l’intimé avait commis un meurtre dans le Commonwealth de Puerto Rico, un des territoires des États-Unis d’Amérique, qu’il avait été arrêté, inculpé et libéré sous cautionnement, qu’il avait fui du territoire et qu’il était présentement au Canada. La dénonciation ajoutait que les États-Unis d’Amérique présenteraient une demande au gouvernement du Canada en vue de l’extradition du fugitif. Un mandat d’arrestation a été lancé par le Juge Honeywell, un juge de la Cour de comté agissant en vertu de la Loi sur l’extradition. A la suite d’une audition, le même juge a élargi l’intimé, décidant qu’il n’y avait aucune cause probable de croire qu’il était coupable du crime imputé. Dans ses motifs écrits, il a ajouté une conclusion [TRADUCTION] «que l’infraction de meurtre en l’espèce n’était pas une infraction présentant un caractère politique».

Par la suite, une demande a été présentée à la cour d’appel fédérale, en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, par l’avocat du Commonwealth de Puerto Rico, qui avait représenté ce dernier à l’audition tenue en vertu de la Loi sur l’extradition. Le 2 août 1972, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande en statuant qu’elle n’avait pas compétence. C’est de ce jugement qu’on appelle sur autorisation spéciale de cette Cour.

Les motifs de jugement de la cour d’instance inférieure reposent exclusivement sur l’opinion que «la question est réglée» par la décision de cette Cour dans l’arrêt Les États-Unis d’Amérique c. W.H. Link et H.H. Green[2]. Dans cet arrêt-là, une demande d’autorisation spéciale d’interjeter appel en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême fut rejetée, le Juge en chef déclarant:

[TRADUCTION] …que les membres de la Cour étaient tous d’avis que la Cour n’était pas compétente, le refus du Juge en chef Scott n’étant pas, suivant la définition de l’al. d) de l’art. 2, un jugement au sens de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême.

[Page 232]

Avec respect, je ne puis voir comment une décision sur l’interprétation de la Loi sur la Cour suprême pourrait être décisive de l’interprétation de la Loi sur la Cour fédérale. Le cadre et le texte des deux lois sont différents. La Loi sur la Cour suprême a toujours uniquement visé l’appel des décisions des cours de justice, bien que l’appel des décisions de certains offices fût, par exception, autorisé par la loi spéciale régissant chacun d’eux. Au contraire, l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit un droit général d’examen des décisions «d’un office, d’une commission ou d’un autre tribunal fédéral», une énumération qui exclut les cours de justice (art. 2). Ce droit d’examen s’applique à «une décision ou ordonnance, autre qu’une décision ou ordonnance de nature administrative qui n’est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi-judiciaire».

L’étendue exacte du nouveau recours doit donc se déterminer en tenant compte des termes employés par le Parlement dans le contexte d’une loi adoptée en 1970 qui établit une nouvelle compétence en matière fédérale tout en maintenant la compétence antérieurement exercée par la Cour de l’Échiquier du Canada. Il est clair qu’auparavant le pouvoir de surveillance sur les offices fédéraux était, en règle générale, conféré aux cours supérieures des provinces (Three Rivers Boatman Ltd. c. Conseil canadien des Relations ouvrières[3]).

Je ne dis pas que les derniers mots de l’art. 3 de la Loi sur la Cour fédérale: «demeure une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale», doivent être interprétés comme faisant de la Cour fédérale, en matière fédérale, une «cour supérieure» au sens que possède cette expression lorsqu’elle est appliquée aux cours supérieures des provinces, c’est-à-dire à des cours qui ont compétence dans toutes les matières qui ne sont pas exclues de leur juridiction ou, pour employer les termes du Juge en chef Ritchie dans l’arrêt Valin c. Langlois[4], p. 19, [TRADUCTION] «des cours tenues

[Page 233]

de prendre connaissance de toutes les lois et de les appliquer…». La Cour de l’Échiquier n’était pas une «cour supérieure» dans ce sens-là. L’art. 3 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, c. 98, la décrivait comme une «cour d’archives» seulement. La mention de la Cour de l’Échiquier dans la définition de l’expression «cour supérieure» dans la Loi sur les Juges, S.R.C. c. 159, art. 2, était certainement sans portée sur sa compétence. Le mot «demeure», à l’art. 3, élimine toute intention de la transformer, par sa nouvelle constitution, en une cour de compétence générale dans toutes matières fédérales. Les dispositions du par. (1) de l’art. 26 de la Loi sur la Cour fédérale impliquent aussi que la Cour fédérale a compétence seulement lorsque cette loi ou une autre loi fédérale le prévoit, que la Cour y soit désignée «sous son nouveau ou sous son ancien nom». Vu tout ce qui précède, il me paraît que la Cour fédérale est une «cour supérieure» au sens d’une cour ayant un pouvoir de surveillance. C’est là un sens souvent employé, comme le démontrent les nombreux précédents étudiés dans l’arrêt Re Macdonald[5], et il est significatif que pareille compétence soit conférée par la Loi.

Les dispositions concernant la compétence se trouvent sous deux intitulés: «COMPÉTENCE DE LA DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE» et «COMPÉTENCE DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE». Sous le premier, l’art. 18 confère à la Division de première instance de la Cour fédérale un pouvoir de surveillance sur «tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral». D’après les termes employés, on entend clairement transférer toute cette compétence des cours supérieures des provinces à la Cour fédérale. L’alinéa a) mentionne les jugements déclaratoires en plus de quatre brefs de prérogative, et l’alinéa b) s’applique à «toute demande de redressement de la nature de celui qu’envisage l’alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada…»

[Page 234]

Cependant, sous le second intitulé, l’art. 28 prévoit en somme que le pouvoir de surveillance de la Cour fédérale doit généralement être exercé, non par la Division de première instance au moyen des formes de redressement jusqu’ici disponibles, mais au moyen d’un nouveau recours qui est créé et défini pour la première fois. Ce nouveau recours est une demande, à la Cour d’appel, «d’examen et d’annulation d’une décision ou ordonnance, autre qu’une décision ou ordonnance de nature administrative qui n’est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire», lorsque l’office, la commission, ou un autre tribunal fédéral

a) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Je ne vois aucune raison d’interpréter ces dispositions comme applicables seulement aux matières civiles. Elles sont conçues dans les termes les plus généraux et elles s’appliquent à «une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale» (art. 3). Bien sûr, la compétence en matière pénale est généralement exercée par les cours de justice, non par les «offices, commissions ou autres tribunaux», et, par conséquent, il faut encore, pour obtenir un redressement, s’adresser dans la plupart des cas aux cours supérieures de juridiction criminelle conformément aux principes établis dans l’arrêt Re Storgoff[6]. Par contre, quand la décision à examiner en matière pénale a été rendue non par une cour de justice mais par «un office, une commission ou un autre tribunal fédéral», alors, me semble-t-il, on a clairement dit que la compétence sera exercée par la Cour fédérale et non par les autres cours supérieures. En fait, la

[Page 235]

Cour fédérale a exercé une compétence en matière pénale, non seulement en vertu de l’art. 28 dans l’affaire de la demande d’extradition de Karleton Lewis Armstrong[7], mais aussi en vertu de l’art. 18 dans les affaires Sedore c. Commissaire des pénitentiers[8], Lingley c. Hickman[9] et In re Frank David Ellis[10], pour ne citer que les arrêts publiés dont j’ai pris connaissance.

Les brefs de certiorari, de prohibition et de mandamus mentionnés à l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale ont toujours été disponibles en matière civile et pénale indistinctement. Ils sont énumérés avec l’habeas corpus sous l’intitulé «Recours extraordinaires» à l’art. 708 du Code criminel, qui se lit comme suit:

708. La présente Partie s’applique aux procédures en matière criminelle sous forme de certiorari, d’habeas corpus, de mandamus et de prohibition.

Cette rédaction qui restreint l’application de la Partie XXIII aux «procédures en matière criminelle» fait contraste avec celle de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit que «la Division de première instance a compétence exclusive en première instance (a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral;…» La portée de ce texte est limitée suivant les personnes ou organismes qui sont visés et non, comme c’est le cas dans le Code criminel, suivant la nature des procédures qui ont été engagées devant eux. Dans la mesure où il s’agit de matières criminelles, cela veut dire que la compétence des cours supérieures de juridiction criminelle est transférée à la Cour fédérale envers les offices, commission ou autres tribunaux fédéraux. En matière civile, la disposition a aussi pour effet de supprimer la compétence des cours supérieures des provinces (Pringle c. Fraser[11]).

[Page 236]

Je ne puis admettre qu’avant l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, il n’y ait eu aucun recours possible contre l’élargissement d’un prévenu dans des procédures d’extradition. Il ne semble y avoir aucun arrêt publié dans lequel pareil recours ait été exercé mais, en principe, je ne puis voir pourquoi un mandamus n’aurait pas été disponible dans une situation semblable à celle où l’on a considéré que ce recours était disponible contre le juge qui avait erronément cassé l’acte d’accusation dans l’affaire Kipp c. Procureur général de l’Ontario[12]. Je ne veux pas dire que la présente affaire est semblable, mais le Parlement n’a pas seulement transféré à la Division de première instance de la Cour fédérale tous les recours disponibles contre les offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux, il a aussi créé un recours plus étendu en prévoyant un droit général d’examen par la Cour d’appel fédérale dans des cas définis en termes généraux.

Il ne me pararaît pas qu’un juge ou un commissaire à l’extradition siégeant sous l’autorité de la Loi sur l’extradition doive être considéré comme exclu de la définition de «office, commission, ou autre tribunal fédéral» pour le motif que cette loi constitue un code complet. Le pouvoir de surveillance est une voie de recours de droit commun qui ne peut être exclue que par une disposition explicite. Il n’est pas nécessaire d’étudier les arrêts portant sur les clauses privatives où on les a toujours considérées inopérantes contre les vices de compétence. Je ne puis voir comment cette loi-ci pourrait être considérée comme étant différente, sous cet aspect, des autres lois régissant d’autres organismes fédéraux visés par la définition.

Je ne puis voir non plus pourquoi le fait que l’habeas corpus n’est pas mentionné dans la Loi sur la Cour de l’Échiquier et par conséquent demeure de la compétence des cours supérieures de juridiction criminelle, pourrait rendre le nouveau recours inaccessible à la personne dont

[Page 237]

on demande l’extradition. Comme M. le Juge en chef Rinfret l’a dit dans l’arrêt In re Brown[13] [TRADUCTION] «l’habeas corpus n’est pas un recours pour faire réviser le jugement…» Il a toujours été subordonné à des règles spéciales. Il demeure entièrement indépendant du recours par voie de certiorari bien que les deux puissent quelque fois être réunis, mais non lorsqu’il existe un droit d’appel excluant le certiorari.

Il est tout à fait vrai que les cours supérieures n’ont jamais eu la compétence prévue à l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, mais il s’agit ici d’un nouveau recours. Bien qu’il soit, dans une certaine mesure, substitué aux recours qui existaient auparavant devant d’autres cours, sa portée est évidemment beaucoup plus étendue. Je ne puis voir aucune raison de restreindre les termes employés pour le motif qu’ils modifient une situation qui est restée inchangée pendant longtemps. Dans l’arrêt Gaynor et Green c. États-Unis d’Amérique[14], M. le Juge Sedgewick a dit, à la p. 249:

[TRADUCTION] …Il semble ressortir de l’étude du droit criminel canadien et de la législation connexe que la politique du Parlement a toujours été d’empêcher la prolongation des litiges, particulièrement en matière criminelle.

Il me paraît clair qu’on ne peut en dire autant de la politique actuelle. Il n’est pas nécessaire de passer en revue tous les textes qui ont élargi et étendu le droit d’appel en matière criminelle y compris le droit d’appel par le ministère public et les nouveaux procès contrairement aux principes de la common law. Pendant des siècles, l’élargissement sur habeas corpus était définitif. Il existe maintenant un droit d’appel en vertu du par. (5) de l’art. 719 du Code criminel adopté en 1965 (13-14 El. II, c. 53, art. 1).

Il me semble clair qu’un commissaire à l’extradition est «un office, une commission ou un autre tribunal fédéral», parce qu’il est une personne exerçant une compétence ou des pouvoirs «conférés par une loi du Parlement du Canada» et n’est pas «nommé en vertu ou en conformité du droit d’une province ou en vertu de l’art. 96

[Page 238]

de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867». Cependant, le juge qui a rendu une décision sur la dénonciation dans la présente affaire est un juge d’une cour de comté, ce qui signifie qu’il a été nommé en vertu de Part. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Cela signifie-t-il qu’il est exclu de la définition? A mon avis, l’exclusion s’applique à des personnes ainsi nommées quand elles agissent à ce titre, c’est-à-dire quand elles exercent la compétence d’un juge de cour de comté. Ce n’est pas le cas en vertu de la Loi sur l’extradition. Lorsque les pouvoirs d’un commissaire à l’extradition sont exercés par un juge de cour de comté, il agit à titre de persona designata, c’est-à-dire comme personne qui tire ses pouvoirs non pas de sa nomination mais d’une loi spéciale du Parlement.

Les critères qui définissent la situation d’un juge agissant à titre de persona designata ont été étudiés dans de nombreuses affaires, y compris C.P.R. c. Petit séminaire de Ste-Thérèse[15]; Gordon c. The City of Toronto[16]; St. Hilaire c. Lambert[17]; Canadian Northern Ontario Railway c. Smith[18]; Plante c. Forest[19]; Heinz v. Swartz[20]. La distinction est bien établie et, en vertu de la Loi sur l’extradition, il est particulièrement clair qu’un juge y agit à titre de persona designata parce que les mêmes pouvoirs peuvent être exercés par un commissaire qui n’est pas juge.

L’intimé a prétendu que l’appelant n’était pas une «partie directement affectée par la décision ou l’ordonnance» en s’appuyant sur le passage suivant de Lord Coleridge, C.H., dans l’arrêt R. v. Justices of the County of London[21], p. 361:

[TRADUCTION] …Une personne qui ne peut réussir à obtenir une déclaration de culpabilité contre une autre est-elle une personne «lésée»? Elle peut être contrariée de voir que ce qu’elle pensait être une violation de la loi n’en est pas une; mais est-elle «lésée» parce que quelqu’un est jugé innocent de tout délit?…

[Page 239]

Je fais remarquer que l’art. 749 de l’ancien Code criminel se lisait ainsi:

749. A moins qu’il n’y soit autrement pourvu par quelque loi en vertu de laquelle une condamnation est prononcée ou un ordre est décerné par un juge de paix pour le paiement de deniers ou renvoyant une dénonciation ou plainte, quiconque se croit lésé par la condamnation ou par l’ordre, ou le renvoi, le poursuivant ou le plaignant aussi bien que le défendeur, peut interjeter appel.

Un libellé semblable se trouvait à l’art. 761 concernant les appels par voie d’exposé de cause; et dans l’arrêt Scullion c. Canadian Breweries Transport Ltd.[22], cette Cour a conclu que le plaignant pouvait se prévaloir du droit d’en appeler ensuite à la cour d’appel de toute décision, conféré par l’art. 769A (adopté en 1948, c. 39, art. 34). Le paragraphe (1) de l’art. 769A se lisait comme suit:

769A. (1) Un appel à la Cour d’appel, telle qu’elle est définie par l’article mille douze, de toute décision de la cour aux termes de l’article sept cent cinquante-deux ou de l’article sept cent soixante-cinq, avec la permission de la cour d’appel, ou d’un juge de cette dernière, peut être interjeté pour tout motif qui comporte une question de droit seulement.

Après avoir cité ce dernier article, M. le Juge Kellock a dit:

[TRADUCTION] Puisque le droit d’appel ainsi donné est un droit d’appeler de toute décision rendue en vertu des articles 752 ou 765, ce droit est clairement conféré à la personne qui n’a pas eu gain de cause dans la cour d’instance inférieure, qu’elle ait été une personne déclarée coupable ou la partie plaignante.

En l’espèce présente, la décision rendue en vertu de la Loi sur l’extradition a eu pour résultat d’empêcher le Commonwealth de Puerto Rico de faire, par l’intermédiaire des États-Unis d’Amérique, une demande en vue de l’extradition de l’intimé afin qu’il subisse son procès conformément aux lois de l’État. Tout au long des procédures, l’avocat de l’État a joui du statut d’avocat d’une partie conformément à la pratique établie et je ne vois aucune raison pour

[Page 240]

laquelle un État étranger n’aurait pas qualité pour intenter des procédures en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale de même qu’en vertu de toute autre loi. Règle générale, les États étrangers ne peuvent être assignés devant nos cours contre leur volonté (La République démocratique du Congo c. Venue[23]), mais rien ne les empêche de comparaître en tant que partie devant nos cours s’ils le désirent. Je ne vois aucun motif d’appliquer dans pareilles affaires la règle que les poursuites en matière criminelle sont intentées au nom de Sa Majesté. Cette règle s’applique aux poursuites relatives aux crimes commis contre nos lois. En ce qui concerne les crimes commis à l’étranger, l’autorité habile à poursuivre est l’autorité constituée de l’État où le crime a été commis. Bien entendu, le procureur général du Canada peut agir en l’espèce en vertu des dispositions expresses du par. (2) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, mais ceci n’exclut certainement pas le droit de chaque partie de faire la demande.

On a énergiquement prétendu que le refus d’incarcérer l’intimé n’était pas une décision ou une ordonnance. A ce sujet, il faut remarquer que le savant juge a agi en vertu d’une disposition de la Loi sur l’extradition qui se lit comme suit:

18. (2) Lorsque cette preuve n’est pas produite, le juge ordonne qu’il soit élargi. (J’ai mis un mot en italique).

Aucune raison n’a été apportée pour donner aux termes «décision ou ordonnance» contenus dans le par. (1) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale un sens différent de leur sens ordinaire. Comme je l’ai déjà signalé, les décisions de cette Cour sur l’interprétation de la Loi sur la Cour suprême ne sont d’aucune utilité à cet égard. A mon avis, la règle de l’art. 11 de la Loi d’interprétation s’applique de façon toute particulière à un texte législatif qui établit une nouvelle compétence et un nouveau recours.

11. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.

[Page 241]

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer le dossier à la Cour d’appel fédérale pour audition sur le fond.

Le jugement des Juges Abbott, Judson et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN — Dans ce pourvoi, les parties reconnaissent qu’avant l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1, qui est entrée en vigueur le 1er juin 1971, il n’y avait aucun appel ni aucune autre forme d’examen de l’élargissement d’une personne dans des procédures d’extradition; celle-ci ne pouvait être sujette qu’à une reprise de ces procédures. De même, lorsqu’une ordonnance d’incarcération en vue de l’extradition était rendue contre une personne, son seul recours était l’habeas corpus. Ce sont là des règles de droit qui ont été appliquées au Canada depuis plus de cent ans à partir de la première loi d’extradition, 1868 (Can.), c. 94, qui régissait l’extradition entre le Canada et les États-Unis, et depuis quatre-vingt-quinze ans à partir de l’adoption de la première loi générale sur l’extradition, 1877 (Can.), c. 25. L’autorisation d’appeler ayant été accordée, il faut déterminer en l’espèce si le droit a été changé par le par. (1) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, à tout le moins lorsque le juge d’extradition a refusé d’ordonner que le justiciable visé par les procédures soit détenu en vue de l’extradition et l’a élargi.

Le paragraphe (1) de l’art. 28 se lit comme suit:

Nonobstant l’article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d’appel a compétence pour entendre et juger une demande d’examen et d’annulation d’une décision ou ordonnance, autre qu’une décision ou ordonnance de nature administrative qui n’est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l’occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l’office, la commission ou le tribunal

a) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

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b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

L’alinéa g) de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit comme suit les termes «office, commission ou autre tribunal fédéral»:

«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d’une telle loi, à l’exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d’une province ou sous Se régime d’une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d’une province ou en vertu de l’article 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867.

Dans la présente affaire, l’intimé faisait l’objet d’une demande d’extradition faite par le Commonwealth de Puerto Rico sur une accusation de meurtre. Puerto Rico avait le droit de faire cette demande au ministre de la Justice en vertu du traité sur l’extradition en vigueur entre le Canada et les États-Unis. Un membre de la Gendarmerie royale du* Canada a souscrit une dénonciation sous serment contre l’intimé, et une audition a été tenue devant le Juge Honeywell conformément à la Loi sur l’extradition, S.R.C. 1970, c. E-21. Le juge a conclu que la preuve était insuffisante pour justifier l’extradition de l’intimé et il l’a élargi. Sur une demande d’examen présentée par Puerto Rico en vertu du par. (1) de l’art. 28, la Cour d’appel fédérale a décidé unanimement[24], en s’appuyant sur l’arrêt de cette Cour dans l’affaire États-Unis d’Amérique c. Link et Green[25] que l’élargissement n’avait comporté aucune «décision ou ordonnance» selon le sens de ces termes au par. (1) de l’art. 28, et elle a décidé qu’elle n’était pas

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compétente. La Cour d’appel fédérale a statué dans une affaire subséquente, Re State of Wisconsin and Armstrong[26], dans laquelle l’incarcération en vue de l’extradition avait été ordonnée, qu’elle était compétente pour entendre une demande d’examen présentée par un détenu, qu’elle a par la suite rejetée au fond dans un jugement prononcé le 5 janvier 1973. Cette Cour a refusé d’accorder l’autorisation d’appeler le 5 mars 1973, mais, bien entendu, on ne peut en déduire que le refus impliquait l’approbation implicite de la prise de compétence de la Cour d’appel fédérale.

Je ne crois pas que l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Link et Green soit concluant pour la Cour d’appel fédérale quant à la question de sa compétence. Cet arrêt concerne la compétence de cette Cour, en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1952, c. 259, d’accorder une autorisation d’appeler, et le fait que cette question a été soulevée en matière d’extradition est, à mon avis, simplement un facteur que la Cour devait considérer. Que l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Link et Green soit fondé, comme l’avocat de l’appelant l’a soutenu, sur le fait que ce dont on voulait appeler n’était pas un «jugement de la plus haute cour de dernier ressort dans une province… où jugement peut être obtenu dans l’affaire en question» ou qu’il soit fondé, comme l’avocat de l’intimé l’a allégué, sur la définition du terme «jugement» à l’al. d) de l’art. 2 de la Loi sur la Cour suprême, dans les deux cas, je ne vois rien qui liait la Cour d’appel fédérale relativement à l’application du par. (1) de l’art. 28 ou de la loi qui l’a créée. Je suis toutefois d’avis qu’un motif allant au-delà de toute définition de termes étaye la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans la présente affaire et que, de plus, la décision de cette dernière cour dans l’arrêt Re State of Wisconsin and Armstrong, précité, était erronée sur la question de la compétence.

Ce que je considère que cette Cour a décidé dans l’arrêt Gaynor et Green c. États-Unis d’Amérique[27], c’est que les procédures d’extradi-

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tion, qui résultent d’une accusation au criminel, sont des procédures de nature pénale, et qu’ainsi aucun appel ne pouvait être interjeté, en vertu des dispositions pertinentes aux appels en vigueur à l’époque, à l’encontre de la confirmation d’un refus d’accorder un bref de prohibition adressé à un commissaire à l’extradition. Ce caractère pénal des procédures d’extradition ressort tout à fait clairement des dispositions de la Loi sur l’extradition qui, à l’époque, tout comme aujourd’hui, préservait le droit à l’habeas corpus au profit d’un fugitif qui avait été incarcéré pour être extradé. L’article 23 de la présente Loi sur l’extradition est presque mot pour mot identique à l’art. 17 de la loi originelle de 1877 et se lit comme suit:

Un fugitif ne peut être livré avant l’expiration de quinze jours à compter de la date de son incarcération pour extradition, ni, s’il est décerné un bref d’habeas corpus, avant la décision de la cour qui Ta renvoyé en prison.

Les procédures d’extradition comportent une relation étroite entre l’Exécutif et les juges d’extradition, laquelle résulte d’un traité conclu avec un pays étranger qui oblige l’Exécutif à donner au pays étranger l’occasion de demander le retour d’un fugitif pour que ce dernier y réponde d’une accusation d’un crime visé par le traité, ou le retour d’un fugitif qui a été trouvé coupable dans le pays étranger d’un crime entraînant l’extradition. Si un fugitif a été incarcéré pour être extradé, le ministre de la Justice doit en être avisé par le juge d’extradition (voir art. 19 de la Loi) et l’État étranger doit faire une demande au ministre de la Justice en vue de l’extradition du fugitif. Il incombe au ministre de décider s’il doit y avoir extradition, et je doute qu’un mandamus puisse être délivré pour l’obliger à poser ce geste, même dans une situation qui ne relève pas des art. 21 et 22 de la Loi sur l’extradition, qui interdit l’extradition dans le cas d’un crime présentant un caractère politique ou donne au ministre le droit, pour ce motif‑là, de refuser l’extradition s’il décide que l’infraction présente ce caractère ou que c’est ce qui se cache derrière les procédures. Lorsqu’il agit en

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vertu de l’art. 22, le ministre peut même élargir le fugitif.

Je me suis reporté à l’économie de la Loi (et elle n’a pas changé depuis quelque cent ans) afin de souligner le caractère spécial qu’on reconnaît aux procédures d’extradition et l’intérêt qu’on manifeste pour la liberté des personnes au Canada vis-à-vis de demandes étrangères en vue de leur extradition, avec le soutien de dispositions prévoyant l’habeas corpus en faveur du fugitif et sans prévoir de droits d’appel ou d’examen à part ça. Cette politique, si je puis l’appeler ainsi, a fait l’objet de commentaires dans l’arrêt Gaynor et Green c. États-Unis d’Amérique, dans lequel mention a été faite de l’actuel art. 40 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C.1970, c. S-19, qui exclut tout appel à cette Cour en vertu des art. 36, 38 ou 39 pour ce qui a trait, notamment, à des jugements rendus dans une cause au criminel ou à des procédures relatives à l’habeas corpus en matière d’extradition.

Je ne puis accepter la prétention de l’appelant suivant laquelle la politique dont j’ai fait mention a été brusquement renversée par les termes généraux du par. (1) de l’art. 28 quand ces termes peuvent avoir un objet suffisamment vaste sans qu’on ait à les interpréter de façon à comprendre les procédures d’extradition. Cette opinion trouve un appui dans l’économie de la Loi sur la Cour fédérale et, en particulier, dans la délimitation des compétences de la Division de première instance et de la Cour d’appel fédérale, ainsi que dans l’interaction des compétences de chacune pour examiner, en vertu de l’art. 18 et du par. (1) de l’art. 28, les décisions d’un «office, d’une commission ou d’un autre tribunal fédéral».

Aucune des catégories mentionnées de compétence dévolues à la Division de première instance en vertu de la Loi sur la Cour fédérale n’a trait à une compétence en matière pénale. Bien sûr, la Cour fédérale (consistant en deux divisions, première instance et appel), par l’art. 3, est déclarée être la continuation de la Cour de

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l’Échiquier du Canada et demeure une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale. Ceci ne représente toutefois que le pouvoir d’exercer une compétence en matière pénale que lorsque cette compétence est conférée. A l’origine, la Cour de l’Échiquier du Canada était une cour créée par la loi pour entendre les réclamations faites par ou contre la Couronne du Chef du Canada (voir 1875 (Can.), c. 38, et 1887 (Can.), c. 16) et n’avait aucune compétence générale de droit commun ni aucune compétence en matière pénale. Elle a pour la première fois acquis une compétence en matière pénale en 1960, en vertu des modifications apportées à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1952, c. 314, par la loi 1960 (Can.), c. 45, art. 17 et 19. L’attribution de cette compétence particulière en matière pénale était accompagnée d’une disposition (qui est devenue le par. (1) de l’art. 46 des S.R.C. 1970, c. C-23) selon laquelle «aux fins de telles poursuites ou autres procédures, la Cour de l’Échiquier possède tous les pouvoirs et toute la juridiction d’une cour supérieure de juridiction criminelle selon le Code criminel et selon la présente loi». Je mentionne le jugement de cette Cour dans l’affaire La Reine c. Hemlock Park Co-Operative Farm Ltd.[28], dans lequel M. le Juge Pigeon commente certains aspects de cette nouvelle compétence.

La disposition ci-dessus dans les modifications de 1960 à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions paraît être la source de la motion dans l’art. 3 de la Loi sur la Cour fédérale que la Cour fédérale demeure une Cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale. En fait, son caractère de cour ayant compétence en matière pénale est très limité. La compétence originellement attribuée à la Cour de l’Échiquier, telle qu’elle a été transposée dans l’art. 46 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, a été transférée à la Division de première instance de la Cour fédérale par l’item n° 9 de l’art. 65 du c. 10 du 2e Supp. des S.R.C. 1970, où on a ajouté une disposition prévoyant un appel à la Cour d’appel

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fédérale, ainsi qu’un appel subséquent à cette Cour. Je ne connais pas d’autre compétence en matière pénale qui ait été attribuée à la Cour fédérale dans l’une ou l’autre de ses divisions. Par conséquent, je trouve étrange qu’une compétence en matière d’extradition puisse être englobée, par le côté pour ainsi dire, dans le par. (1) de l’art. 28.

S’il existe pareille compétence qui a été attribuée d’une manière aussi exceptionnelle, je ne vois pas comment justifier la distinction que la Cour d’appel fédérale a faite entre examen quand il y a eu incarcération et absence d’examen quand il y a eu élargissement. Si toute la matière n’y est pas présente, il serait difficile selon moi d’accepter une situation où la moitié qui s’y trouve se rapporte à une personne qui a été incarcérée pour être extradée. Elle est déjà protégée par le droit de recourir à l’habeas corpus en vertu de l’art. 23 de la Loi sur l’extradition; et si on ne peut pas dire (comme je crois qu’on ne peut pas le dire) que ce droit est implicitement déplacé par le par. (1) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, je ne vois aucun fondement au point de vue par lequel on cherche à offrir un recours quelque peu parallèle en invoquant des termes très généraux tout en niant tout recours que ce soit en vertu des mêmes termes lorsqu’il y a eu élargissement.

L’article 27 de la Loi sur la Cour fédérale confère un droit d’appel direct à la Cour d’appel fédérale à l’encontre des jugements finals et interlocutoires de la Division de première instance. Compte tenu des larges motifs d’examen, les demandes d’examen prévues au par. (1) de l’art. 28 ne sont pas substantiellement différentes des appels; mais l’étendue du droit d’examen distingue la compétence que possède la Cour d’appel fédérale à l’égard des décisions d’offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux judiciaires ou quasi judiciaires, de la compétence conférée par l’art. 18 à la Division de première instance à l’égard des brefs de prérogative. Il y a, indépendamment même de la différence dans l’étendue du droit d’examen, l’expression boutoir par laquelle débute le par.

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(1) de l’art. 28, à savoir, «Nonobstant l’art. 18 ou les dispositions de toute autre loi», et le par. (3) de l’art. 28 met en évidence l’éviction de la Division de première instance. Je n’interprète pas l’art. 18 comme conférant à la Division de première instance la compétence d’intervenir au moyen de tout bref de prérogative dans des décisions rendues en matière pénale; cet article vise les agences administratives fédérales sans toutefois se limiter aux agences de nature judiciaire ou quasi judiciaire. De même, tenant compte de l’interaction de l’art. 18 et du par. (1) de l’art. 28, je ne considère pas que le par. (1) de l’art. 28 vise l’examen de décisions ou ordonnances rendues en matière pénale.

Bien que l’avocat de l’intimé ait mis en question le droit de Puerto Rico de présenter une demande d’examen, en prétendant que Puerto Rico n’était pas une «partie directement affectée» au sens du par. (3) de l’art. 28, je ne crois pas que décider que Puerto Rico a qualité pour invoquer le par. (1) de l’art. 28 fait franchir à l’appelant l’obstacle principal dont j’ai parlé. Il en va de même d’une décision selon laquelle un juge d’extradition serait visé par la définition des mots «office, commission ou autre tribunal fédéral». C’est une chose que de faire ce que l’art. 18 et le par. (1) de l’art. 28 ont fait, c’est-à-dire, de transférer hors des cours supérieures provinciales la compétence qu’elles avaient jusqu’alors d’examiner les décisions des agences administratives fédérales. C’est une chose tout à fait différente que d’interpréter les termes entraînant transfert de compétence, simplement à cause de leur généralité, comme conférant à la Cour fédérale une compétence que les cours supérieures provinciales n’ont jamais eue.

Depuis son adoption, la Loi sur l’extradition a constitué un code complet. Il n’y a pas de droit commun de l’extradition comme il y a un droit commun de l’examen judiciaire des décisions des agences administratives. Par conséquent, des mentions non différenciées, comme à l’art. 18 et au par. (1) de l’art. 28, des offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux, ne

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devraient pas être interprétées comme capturant les matières d’extradition quand celles-ci ne sont pas expressément mentionnées dans la définition de pareilles agences.

Pour les motifs ci-dessus, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale n’est pas compétente pour connaître d’une demande d’examen de l’élargissement ou de l’incarcération d’une personne dans des procédures d’extradition intentées contre cette personne. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi.

LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement de mon collègue le Juge Laskin et je suis d’accord avec lui que le pourvoi devrait être rejeté pour les motifs qu’il a donnés. Cependant, je ne veux pas donner l’impression d’être d’avis que la décision de cette Cour dans l’arrêt Gaynor et Green c. États-Unis d’Amérique[29] n’était pas, de toute façon, pour la Cour d’appel fédérale, un précédent très convaincant à l’appui de la thèse qu’un refus d’un commissaire, en vertu de la Loi sur l’extradition, de détenir un accusé en vue de son extradition n’est pas une matière susceptible d’examen en vertu des dispositions du par. (1) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. D’autre part, je suis d’avis que la décision de cette Cour dans l’arrêt Gaynor et Green pourrait bien constituer un précédent sûr à l’appui de l’opinion selon laquelle pareil refus n’est pas plus une décision en vertu des dispositions de la Loi sur la Cour fédérale qu’il n’était un jugement en vertu des dispositions de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême.

Je suis aussi d’avis que la position prise par l’intimé en l’espèce présente devant cette Cour, selon laquelle l’État étranger n’a pas qualité pour comparaître sur une demande d’examen, si pareil examen est possible, est fondée et que le requérant demandant pareil examen aurait dû être soit le dénonciateur soit, plus probablement, le procureur général du Canada. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de baser la décision de cette Cour sur ce point-là et je ne fais maintenant que le mentionner.

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Appel accueilli, les JUGES ABBOTT, JUDSON, SPENCE et LASKIN, étant dissidents.

Procureurs de l’appelant: Soloway, Wright, Houston, Killeen & Greenberg, Ottawa.

Procureur de l’intimé: Clayton C. Ruby, Toronto.

[1] [1972] C.F. 1076.

[2] [1955] R.C.S. 183.

[3] [1969] R.C.S. 607.

[4] (1879), 3 R.C.S. 1.

[5] [1930] 2 D.L.R. 177.

[6] [1945] R.C.S. 526.

[7] [1972] C.F. 1228.

[8] [1972] C.F. 898.

[9] [1972] C.F. 171.

[10] [1972] C.F. 1212.

[11] [1972] R.C.S. 821.

[12] [1965] R.C.S. 57.

[13] [1946] R.C.S. 537.

[14] (1905), 36 R.C.S. 247.

[15] (1889), 16 R.C.S. 606.

[16] (1890), 18 R.C.S. 36.

[17] (1909), 42 R.C.S. 264.

[18] (1914), 50 R.C.S. 476.

[19] (1936), 61 B.R. 8.

[20] [1938] 1 D.L.R. 29.

[21] (1890), 25 Q.B. 357.

[22] [1956] R.C.S. 512.

[23] [1971] R.C.S. 997.

[24] [1972] C.F. 1076; (1972), 8 C.C.C. (2d) 442.

[25] [1955] R.C.S. 183.

[26] (1972), 8 C.C.C. (2d) 452.

[27] (1905), 36 R.C.S. 247.

[28] [1974] R.C.S. 123.

[29] (1905), 36 R.C.S. 247.


Parties
Demandeurs : Commonwealth of Puerto Rico
Défendeurs : Hernandez
Proposition de citation de la décision: Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228 (29 octobre 1973)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-10-29;.1975..1.r.c.s..228 ?
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