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21/01/1974 | CANADA | N°[1975]_1_R.C.S._171

Canada | Latreille c. Vallée, [1975] 1 R.C.S. 171 (21 janvier 1974)


Cour suprême du Canada

Latreille c. Vallée, [1975] 1 R.C.S. 171

Date: 1974-01-22

Michel Latreille (Demandeur) Appelant;

et

Gilberte Vallée et Lilianne Vallée (Défenderesses) Intimées;

et

René Langevin Mis-en-cause;

et

La Banque Provinciale du Canada Tierce-saisie.

1973: les 10 et 11 décembre; 1974: le 22 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Pigeon et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc

de la reine, province de Québec, infirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté.

L.P. de Grandpré, c.r., et Paul Leduc, pour...

Cour suprême du Canada

Latreille c. Vallée, [1975] 1 R.C.S. 171

Date: 1974-01-22

Michel Latreille (Demandeur) Appelant;

et

Gilberte Vallée et Lilianne Vallée (Défenderesses) Intimées;

et

René Langevin Mis-en-cause;

et

La Banque Provinciale du Canada Tierce-saisie.

1973: les 10 et 11 décembre; 1974: le 22 janvier.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Pigeon et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, infirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté.

L.P. de Grandpré, c.r., et Paul Leduc, pour le demandeur, appelant.

Jacques Marchessault, c.r., et Jean Lefrançois, pour les défenderesses, intimées.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — L’appelant est le fils adoptif de Raoul Latreille. Il est né le 26 juin 1939 et le jugement d’adoption est intervenu le 5 août 1940. Les biens qu’il réclame font partie de la succession d’Osmond Latreille qui est décédé le 10 mai 1939 et a fait son testament en forme authentique le 30 décembre 1938. Cet acte, en outre de legs particuliers, prévoit le versement des revenus nets du résidu à son fils, Raoul Latreille, sa vie durant. Ce dernier est décédé le 3 juin 1968. Pour ce qui est du résidu des biens après ce décès, le testament ordonne aux exécuteurs testamentaires:

3° Dans les six mois de la date connue du décès de mon fils RAOUL, distribuer le résidu des biens de ma succession, capital et intérêts accumulés depuis la date du décès de mon fils RAOUL, aux enfants nés en légitime mariage de mon dit fils, ou représentants par souche que j’institue mes légataires bénéficiaires, en propriété,…

4° Si mon fils RAOUL décède sans descendants nés en légitime mariage, dans les six mois de la date connue de son décès, mes légataires fiduciaires et exécuteurs‑testamentaires en exercice devront distribuer le résidu des biens de ma succession, en capital, avec les revenus accumulés, comme suit:

(a) Un tiers à mon neveu, ROMÉO LATREILLE;

(b) Un tiers à ma nièce, madame GASTON LOI-GNON, née GILBERTE VALLÉE;

(c) Un tiers à ma nièce, madame ALBERT FORGET, née LILIANNE VALLÉE;…

Si l’un de ces dits trois légataires bénéficiaires décède avant mon fils RAOUL, sans laisser de des-

[Page 173]

cendants nés en légitime mariage, sa part accroîtra à ses deux co-légataires bénéficiaires, par parts égales entre eux, ou les représentants nés en légitime mariage d’un légataire bénéficiaire prédécédé, par souche.

Il est évident que l’appelant ne peut rien réclamer en vertu de ces dispositions prises dans leur sens ordinaire. La seule question est de savoir s’il est légataire bénéficiaire d’Osmond Latreille par application des dispositions de la Loi de l’adoption (S.R.Q. 1964, ch. 218). Les textes pertinents sont les suivants:

16. A compter du jugement accordant la demande d’adoption:

1. Les parents, le tuteur ou les personnes chargées de la garde et des soins de l’enfant perdent tous les droits qu’ils possèdent en vertu du droit civil et sont dispensés de toutes les obligations légales auxquelles ils sont tenus relativement à cet enfant;

2. L’adopté est considéré à tous égards, relativement à cette garde, à l’obéissance envers ses parents et aux obligations des enfants envers leurs père et mère, comme l’enfant propre de ses parents d’adoption;

3. Les parents d’adoption sont tenus de nourrir, entretenir et élever l’enfant comme s’il était le leur propre.

18. 1. L’adopté prend sur les biens dont les parents d’adoption ont la libre disposition par testament, s’ils meurent sans tester, la même part qu’il eût prise s’il fût né de ces parents en légitime mariage, mais il ne succède pas aux parents ou alliés des parents d’adoption.

21. Le mot «enfant», ou tout autre mot de même sens dans une autre loi ou dans un acte, comprend aussi un enfant adopté, à moins que le contraire n’apparaisse clairement, mais il ne comprend pas l’adopté lorsqu’il s’agit de substitution dans laquelle les enfants propres de l’adoptant sont les grevés ou les appelés.

La Cour supérieure a accueilli la demande de l’appelant en disant:

Dans mon opinion, il est loin d’apparaître clairement que le testateur ait voulu exclure de son testament un enfant adoptif en l’occurrence le demandeur, l’enfant adoptif de son fils Raoul, et je ne trouve rien dans le testament en question qui indique que le testateur a voulu cette exclusion.

[Page 174]

Je suis d’opinion que, d’après les dispositions de la Loi de l’adoption, le fils adoptif de Raoul Latreille est devenu un enfant né en légitime mariage dudit Raoul Latreille.

La Cour d’appel a infirmé à l’unanimité, M. le Juge Hyde disant:

[TRADUCTION] Le problème qui se pose devant nous consiste évidemment à déterminer si les termes employés dans le testament et, en particulier, les termes

«aux enfants nés en légitime mariage de mon dit fils»

indiquent clairement qu’un enfant adopté est exclu. Cette Cour, dans l’affaire Trihey et al c. Graham, 1969 B.R. 890, a confirmé une décision dans laquelle la Cour supérieure avait conclu que le testateur, en se servant de l’expression «lawful issue», n’avait pas indiqué clairement qu’il ne désirait pas que des enfants adoptés par ses propres enfants soient exclus de son testament. En arrivant à cette conclusion, le premier juge avait rédigé un jugement motivé avec grand soin et étayé par la jurisprudence. En cette Cour, j’ai été l’un des juges qui ont entendu l’appel et j’ai souscrit à l’avis du Juge en chef acceptant cette conclusion, et je ne vois aucune raison de modifier les vues exprimées dans cette affaire-là.

Cependant, en la présente espèce, les mots employés sont plus limitatifs que «lawful issue».

Je fais remarquer que dans l’article 18 de la Loi, qui déclare que l’adopté hérite des biens de ses parents d’adoption morts sans tester, le législateur, lorsqu’il distingue l’adopté de l’enfant ordinaire, emploie exactement les mêmes termes que ceux que le testateur a employés en la présente espèce.

Je ne crois pas que le testateur pouvait se servir de termes plus clairs pour exclure un enfant adopté, à moins de le faire en termes spécifiques.

D’accord avec lui, M. le Juge Brossard a ajouté:

En l’expression «lawful issue» sur laquelle notre Cour eut à se prononcer dans l’arrêt Trihey et al v. Graham, (1969) B.R. 890, et l’expression «enfants nés en légitime mariage de mon dit fils» dont il s’agit dans la présente cause, pouvait et peut exister la différence qui sépare une filiation présumée post facto et une filiation réelle et légitime ab initio.

Dans la cause actuelle, c’est exclusivement d’une filiation réelle et légitime ab initio que le testateur

[Page 175]

faisait découler le droit de succession; le caractère exclusif de cette disposition repoussait une filiation simplement présumée post facto; elle s’opposait donc clairement à une succession à être dévolue à un enfant adopté.

A l’encontre de ce raisonnement, l’avocat de l’appelant a tout d’abord soutenu que les expressions employées par le testateur étaient l’équivalent de «enfants légitimes», c’est‑à‑dire l’équivalent français de «lawful issue», expression que la Cour d’appel a jugée ne pas exclure les enfants adoptés. Il ne me paraît pas à propos de rechercher ce qu’il y aurait lieu de décider dans un cas semblable. En cette Cour il importe de ne pas préjuger sans nécessité des questions susceptibles de se présenter dans d’autres affaires. De toute façon, cela ne me paraît pas évident. Il faut observer que le législateur dans la formule statutaire de certificat de naissance d’un enfant adopté dit simplement «fils» ou «fille» de l’adoptant et son épouse et non pas «fils légitime» ou «fille légitime», comme c’est l’usage dans l’acte de naissance d’un enfant légitime. Cette différence est indubitablement voulue et elle se relie aux restrictions que comportent les art. 16 et 18 précités. L’adopté n’est pas considéré à tous égards comme l’enfant propre de ses parents d’adoption mais seulement «relativement à cette garde, à l’obéissance envers ses parents et aux obligations des enfants envers leurs père et mère». De plus, «il ne succède pas aux parents ou alliés des parents d’adoption».

On ne peut donc attacher aucune importance aux commentaires de certains auteurs qui ont parlé en termes généraux de l’assimilation de l’état de l’enfant adopté à celui de l’enfant né en légitime mariage sans rappeler en même temps, les restrictions que les textes législatifs comportent. De même on ne saurait endosser les expressions qu’on nous a signalées dans certains jugements où l’on affirme que la loi a voulu intégrer l’adopté, aussi complètement que possible, à la famille des adoptants. Il faut dire au contraire que le législateur a jugé à propos, dans l’ordre des successions, de ne pas intégrer l’enfant adopté à toute la famille et de ne l’appeler à succéder qu’aux seuls adoptants. Il n’est certes pas anormal dans ces conditions qu’une clause

[Page 176]

du testament du «grand-père» soit interprétée de façon à ne pas faire hériter un enfant qui n’est pas son héritier suivant l’ordre des successions légitimes.

On a suggéré que le testateur a pu vouloir, en ajoutant les mots «nés en légitime mariage de mon dit fils», exclure tout enfant illégitime. Cela n’est pas impossible mais rien ne démontre que son intention s’arrêtait là. De toute façon, le mot «enfants» employé seul ne comprend pas les illégitimes, comme le démontre le texte des art. 614 et suivants du Code civil ainsi que la décision de notre Cour dans La Ville de Montréal-Ouest c. Hough[1]. Rien de ce que l’on a dit dans l’arrêt Latreille c. Lamontagne et Carrière[2] ne porte sur la question de savoir ce que l’on doit considérer comme faisant voir «clairement» que le mot «enfant» ou un autre mot de même sens ne doit pas comprendre un enfant adopté. Ce que l’on a décidé c’est que les parents adoptifs, tout comme l’enfant adopté, bénéficient du droit d’action conféré par l’art. 1056 du Code civil. On n’y a pas considéré autre chose que «cette fiction de droit qui crée une filiation légitime entre adopté et adoptants».

Il ne me paraît pas utile d’analyser les décisions rendues suivant la loi de l’Ontario. Le texte de l’art. 21 n’est pas identique à celui de la disposition correspondante de la loi ontarienne votée quelques années auparavant. Les modifications apportées ultérieurement ne sauraient évidemment nous éclairer sur l’état antérieur du droit. De toute façon, nous restons en présence d’un testament fait sous le régime de la liberté illimitée de tester qu’il faut interpréter sans s’écarter du texte autrement que dans la mesure où cela est nécessaire. Le texte de l’art. 21 de la Loi de l’adoption ne me paraît pas le rendre nécessaire.

Le pourvoi doit être rejeté avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

[Page 177]

Procureurs du demandeur, appelant: Prévost, Trudeau, Bisaillon & Leduc, Montréal.

Procureurs des défenderesses, intimées: Geoffrion & Prud’homme, Montréal.

[1] [1931] R.C.S. 113.

[2] [1967] R.C.S. 95.


Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 171 ?
Date de la décision : 21/01/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Testament - Enfant adopté - Legs par père de l’adoptant aux enfants nés en légitime mariage de son fils - Exclusion de l’enfant adopté - Loi de l’adoption, S.R.Q. 1964, ch. 218, art. 16, 18, 21 - Code civil, art. 614.

L’appelant est le fils adoptif de Raoul Latreille. Il réclame des biens de la succession d’Osmond Latreille, père de Raoul maintenant décédé. Dans son testament Osmond Latreille prévoit le versement des revenus nets du résidu de la succession à son fils et, au décès de ce dernier, la distribution du résidu «aux enfants nés en légitime mariage de mon dit fils». En l’absence de descendants, les biens sont à un neveu qui est décédé et à deux nièces, qui sont les intimées. L’action de l’appelant basée sur les dispositions de la Loi de l’adoption, a été accueillie en Cour supérieure mais rejetée en Cour d’appel. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Les termes «aux enfants nés en légitime mariage de mon dit fils» indiquent clairement qu’un enfant adopté est exclu. Le législateur dans la forme statutaire de certificat de naissance d’un enfant adopté dit simplement «fils» ou «fille» de l’adoptant et son épouse et non pas «fils légitime» ou «fille légitime», comme c’est l’usage dans l’acte de naissance d’un enfant légitime. Cette différence se relie aux restrictions que comportent les art. 16 et 18 de la Loi de l’adoption. L’adopté n’est pas considéré à tous égards comme l’enfant propre de ses parents d’adoption. De

[Page 172]

plus, «il ne succède pas aux parents ou alliés des parents d’adoption».


Parties
Demandeurs : Latreille
Défendeurs : Vallée
Proposition de citation de la décision: Latreille c. Vallée, [1975] 1 R.C.S. 171 (21 janvier 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-01-21;.1975..1.r.c.s..171 ?
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