La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/1974 | CANADA | N°[1975]_1_R.C.S._786

Canada | Conseil Canadien des Relations du Travail et al. c. C.N.R., [1975] 1 R.C.S. 786 (1 avril 1974)


Cour suprême du Canada

Conseil Canadien des Relations du Travail et al. c. C.N.R., [1975] 1 R.C.S. 786

Date: 1974-04-02

Le Conseil Canadien des Relations du Travail et la Fraternité Canadienne des Cheminots, Employés des Transports et Autres Ouvriers Appelants;

et

La Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada Intimée.

1974: le 4 mars; 1974: le 2 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE

L’ALBERTA

Cour suprême du Canada

Conseil Canadien des Relations du Travail et al. c. C.N.R., [1975] 1 R.C.S. 786

Date: 1974-04-02

Le Conseil Canadien des Relations du Travail et la Fraternité Canadienne des Cheminots, Employés des Transports et Autres Ouvriers Appelants;

et

La Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada Intimée.

1974: le 4 mars; 1974: le 2 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 786 ?
Date de la décision : 01/04/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Relations de travail - Demande d’accréditation en tant qu’agent négociateur pour une unité d’employés au Jasper Park Lodge - Compétence du Conseil canadien des relations du travail contestée - Ordonnance d’accréditation annulée - Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, S.R.C. 1952, c. 152, art. 53g), 54 - Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, 1955 (Can.), c. 29, art. 18(1).

La fraternité appelante a fait une demande d’accréditation au Conseil canadien des relations du travail, en vertu de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, S.R.C. 1952, c. 152, en tant qu’agent négociateur pour une unité d’employés travaillant au Jasper Park Lodge (une partie d’une chaîne d’hôtels de la compagnie intimée). La compagnie a contesté la compétence du Conseil en prétendant que la Loi ne s’appliquait pas à elle dans ses relations avec les employés du Lodge, et quand le Conseil a rejeté cette contestation, des procédures ont été engagées pour annuler l’ordonnance d’accréditation que le Conseil avait rendue. Le juge qui a entendu la requête a annulé l’ordonnance et son jugement a été confirmé par une majorité de la Division d’appel. Sur autorisation, le Conseil et la Fraternité ont ensuite interjeté appel à cette Cour.

L’avocat du Conseil a confiné sa plaidoirie à l’alinéa g) de l’article 53 de la Loi qui notamment énonce que «La Partie I s’applique à l’égard des travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, ou relativement à l’exploitation de ces choses, y compris …g) les ouvrages ou entreprises qui, bien que situés entièrement dans les limites d’une province, sont, avant ou après leur exécution, décla-

[Page 787]

rés par le Parlement du Canada à l’avantage général du Canada …» L’avocat de la Fraternité s’est fondé lui-même sur l’article 54, qui énonce notamment que «La Partie 1 s’applique à l’égard de toute corporation établie pour accomplir quelque fonction ou devoir au nom du gouvernement du Canada et à l’égard d’employés de ladite corporation …»

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Les prétentions respectives des appelants, soit (1) que le Jasper Park Lodge relevait du pouvoir déclaratoire du gouvernement fédéral en vertu du paragraphe 29 de l’article 91 et de l’alinéa c) du paragraphe 10 de l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique vu l’exercice de ce pouvoir au paragraphe (1) de l’article 18 de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada, 1955 (Can.), c. 29 et (2) que l’intimée était une corporation établie pour accomplir quelque fonction ou devoir au nom du gouvernement du Canada de sorte qu’elle était visée, de même que ses employés au Jasper Park Lodge, par la Partie 1 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, n’ont pas été retenues.

L’argument invoquant le par. (1) de l’art. 18 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada repose sur la question de savoir si le Jasper Park Lodge est visé par l’expression «autres ouvrages de transport» au par. (1) de l’art. 18. Lorsqu’un hôtel comme le Jasper Park Lodge est ouvert au public en général et ne s’adresse pas uniquement aux voyageurs qui empruntent le réseau de chemins de fer de l’intimée, il n’est pas visé par l’expression mentionnée ci-dessus au par. (1) de l’art. 18.

Eu égard à l’importance que la Fraternité a donnée, avec l’appui du Conseil, à l’art. 54, l’essentiel de la question était de savoir si l’intimée avait été constituée pour accomplir la fonction, entre autres choses, d’exploiter le Jasper Park Lodge au nom du gouvernement du Canada. L’inclusion de l’intimée dans l’annexe D (les corporations de propriétaire) de la Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, c.F-10, en l’absence de toute disposition expresse la faisant mandataire de la Couronne dans une loi applicable, a renforcé le rejet par le Conseil de l’existence d’un mandat, ce qui n’a pas été contesté par la Fraternité.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1], rejetant un appel d’un jugement du juge Clément. Pourvoi rejeté.

[Page 788]

Howard L. Irving, c.r., pour l’appelant, le Conseil canadien des relations du travail.

Maurice W. Wright, c.r., pour l’appelante, la Fraternité canadienne des cheminots, employés de transport et autres ouvriers.

Charles C. Locke, c.r., et C.J. Irwin, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — L’appel, interjeté sur autorisation de cette Cour, pose la question de savoir si la Partie 1 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, S.R.C. 1952, c. 152 (maintenant remplacée par la Partie V du Code canadien du travail, 1972 (Can.), c. 18) s’applique à la compagnie intimée en tant que propriétaire et exploitante du Jasper Park Lodge, et aux employés de la compagnie qui travaillent au Lodge. Les parties ont reconnu que les lois de l’Alberta sur les relations de travail s’appliqueront aux relations relatives aux négociations collectives entre la compagnie et ses employés au Lodge à moins que ces relations ne relèvent de la loi fédérale. Les deux appelants et la compagnie intimée se défendent de chercher un appui sur des questions de validité ou d’invalidité constitutionnelle et, à l’exception d’un point qui a une portée sur le pouvoir constitutionnel et qui est mentionné plus bas, le litige devant cette Cour ne porte que sur l’interprétation et l’application de l’art. 53, al. g) et de l’art. 54 de la loi fédérale.

Le Jasper Park Lodge est situé en Alberta, dans la ville de Jasper ou près de cette dernière, sur une grande étendue de terrain que la compagnie intimée loue d’un ministère du gouvernement fédéral. Autant qu’on peut en juger du dossier, les bâtiments composant le Lodge appartiennent à l’intimée, qui détient aussi le bail relatif aux terrains sur lesquels se trouve le Lodge; les terrains eux-mêmes appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada et font partie d’un parc national. Le Lodge fait partie d’une chaîne d’hôtels que l’intimée est autorisée à exploiter en vertu de sa loi organique. C’est un hôtel de villégiature qui ne s’adresse pas unique-

[Page 789]

ment aux voyageurs qui empruntent le réseau de chemins de fer de l’intimée et, à cet égard, c’est un hôtel du même type que l’hôtel Empress à Victoria (Colombie-Britannique), un hôtel que possède et exploite la Compagnie du Chemin de fer Canadien du Pacifique et qui a fait l’objet d’un litige qui s’est terminé par l’arrêt du Conseil privé dans l’affaire Canadian Pacific Ry. Co. v. Attorney-General of British Columbia[2].

L’appelante, la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, a fait une demande le 26 mars 1970 au Conseil canadien des relations du travail, aussi appelant en l’espèce, en vue d’être accréditée, en vertu de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, en tant qu’agent négociateur pour une unité d’employés travaillant au Jasper Park Lodge. La compagnie intimée a contesté la compétence du Conseil, prétendant que la Loi ne s’appliquait pas à elle dans ses relations avec les employés du Lodge, et quand le Conseil a rejeté cette contestation, des procédures ont été engagées pour annuler l’ordonnance d’accréditation que le Conseil avait rendue. Le Juge Clement a annulé l’ordonnance, et son jugement a été confirmé par la majorité de la Division d’appel de l’Alberta dans des motifs rédigés par le Juge d’appel McDermid, auxquels le Juge d’appel Cairns a souscrit. Le Juge d’appel Allen était dissident.

Les art. 53, al. g), et 54 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail se lisent comme suit:

53. La Partie 1 s’applique à l’égard des travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, ou relativement à l’exploitation de ces choses, y compris, mais non de manière à restreindre la généralité de ce qui précède: …

(g) les ouvrages ou entreprises qui, bien que situés entièrement dans les limites d’une province, sont, avant ou après leur exécution, déclarés par le Parlement du Canada à l’avantage général du Canada ou à l’avantage de deux ou plusieurs provinces; …

54. La Partie 1 s’applique à l’égard de toute corporation établie pour accomplir quelque fonction ou

[Page 790]

devoir au nom du gouvernement du Canada et à l’égard d’employés de ladite corporation, sauf toute semblable corporation, et les employés de cette dernière, que le gouverneur en conseil exclut des dispositions de la Partie 1.

Il n’est guère nécessaire de dire qu’il n’y a eu aucun décret d’exclusion en vertu de l’art. 54 relativement à l’intimée et ses employés. L’avocat du Conseil a confiné sa plaidoirie à l’al. g) de l’art. 53, et l’avocat de la Fraternité s’est fondé sur l’art. 54. D’une manière générale, leurs prétentions respectives étaient (1) que le Jasper Park Lodge relevait du pouvoir du gouvernement fédéral en vertu du par. 29 de l’art. 91 et de l’alinéa c) du par. 10 de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique vu l’exercice de ce pouvoir au par. 1 de l’art. 18 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, 1955 (Can.), c. 29, et, (2), que l’intimée était une corporation établie pour accomplir quelque fonction ou devoir au nom du gouvernement du Canada de sorte qu’elle était visée, de même que ses employés au Jasper Park Lodge, par la Partie 1 de la Loi fédérale.

L’argument invoquant le par. 1 de l’art. 18 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada repose sur la question de savoir si le Jasper Park Lodge est visé par l’expression «autres ouvrages de transport» au par. 1 de l’art. 18, et je cite l’article en entier:

18. (1) Sont par les présentes déclarés être à l’avantage général du Canada les ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport, au Canada, de la Compagnie du National et de chaque compagnie mentionnée ou visée dans la Partie I ou la Partie II de l’annexe, et de chaque compagnie formée par la réunion ou fusion de deux ou plusieurs de ces compagnies.

(2) Les compagnies constituées en corporation par le paragraphe 7(2) de la Loi sur le National-Canadien et le Pacifique-Canadien sont continuées par les présentes, et ces compagnies sont assujetties à la présente loi pour toutes leurs affaires.

(3) Au fin du présent article, l’expression «ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport» ne comprend aucun ouvrage mis en service sous le régime de l’article 27.

Dans sa forme actuelle suivant la Loi de 1955, l’art. 18 est dérivé de l’art. 18 de la loi organique

[Page 791]

originale de la compagnie intimée, soit 1919 (Can.), c. 13, et à cet époque, ce que le Parlement déclarait être des ouvrages «d’utilité publique au Canada» (works for the general advantage of Canada) était «les ouvrages de l’une quelconque des compagnies comprises dans le réseau du Canadian Northern, qui n’ont pas jusqu’à présent été déclarés des ouvrages d’utilité publique au Canada, et les ouvrages de toutes compagnie ou compagnies que, de temps à autre, le Gouverneur en conseil déclare, dans la suite, compris dans le réseau du Canadian Northern». Le Jasper Park Lodge, qui était une entreprise privée à ses débuts en 1912, n’est devenu la propriété de la compagnie intimée qu’en 1922, et il ne pouvait donc pas être un ouvrage visé par la déclaration se trouvant à l’art. 18 susmentionné à moins d’être subséquemment «compris dans le réseau du Canadian Northern». Ce qui fut «compris» dans ce réseau, comme nous l’indiquent les annexes aux différentes lois organiques et modificatives (telles qu’elles ont existé jusqu’en 1955), ce fut diverses compagnies s’adonnant surtout aux opérations de chemin de fer, de télégraphe et de messageries et, acceptant que les «ouvrages» exploités par ces compagnies étaient visés par la déclaration, le Jasper Park Lodge ne tombait pas dans ces ouvrages. En fait, il n’a pas été soutenu que, pour la simple raison que le Jasper Park Lodge était devenu la propriété de l’intimée et était tombé sous son contrôle, il devenait donc, ipso facto, visé par la déclaration contenue dans l’art. 18 de la Loi de 1919 ou dans la Loi revisée et refondue que l’on trouve à S.R.C. 1927, c. 172.

Ce qu’on invoque ici, c’est le par. 1 de l’art. 18 de la nouvelle loi organique de 1955, dans laquelle l’expression plus étroite «les ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport» a remplacé l’expression générale «les ouvrages» employée jusqu’à ce moment-là. Il est fait mention à l’art. 29 de la loi de 1955 que l’intimée a le pouvoir, entre autres choses, d’acheter, d’acquérir et d’exploiter les hôtels, bureaux et autres bâtiments «qu’elle peut estimer nécessaires et commodes pour les fins des Chemins de fer nationaux». L’article 29 de la loi

[Page 792]

originale de 1919 autorisait l’intimée à acquérir, avec l’approbation du gouvernement, des actions dans, entre autres choses, des hôtels. Rien ne repose en l’espèce sur la distinction entre l’ancien et le nouvel article 29, et il reste à déterminer si le pouvoir d’acquérir et d’exploiter les hôtels que l’intimée peut estimer nécessaires et commodes pour les fins de son réseau de chemins de fer justifie cette Cour d’affirmer qu’un hôtel ainsi acquis, et qui est un hôtel du genre du Jasper Park Lodge, est visé par l’expression «autres ouvrages de transport». On ne trouve aucune définition de cette expression, mais s’il faut lui attribuer la portée englobante que le Conseil appelant lui donnerait, elle doit aussi englober toutes les autres propriétés que l’intimée est autorisée à acquérir en vertu de l’art. 29, même si elles ne sont pas des parties intégrées ou même accessoires de son réseau de transport, comme, par exemple, des bureaux et autres bâtiments. Bref, selon le Conseil, ce que l’intimée peut estimer «nécessaire et commode pour les fins des chemins de fer nationaux» est visé par la déclaration contenue dans le par. 1 de l’art. 18 mentionnant «autres ouvrages de transport». Je suis d’avis que cet argument est insoutenable, surtout à la lumière de l’historique de l’article.

Je ferais un autre commentaire sur cet aspect de l’affaire. La Loi sur la revision du capital des chemins de fer nationaux du Canada, 1952 (Can.), c. 36, aux al. e) et f) de l’art. 2, définit, respectivement, les expressions «chemins de fer nationaux» et «réseau du National», et chaque définition comprend les termes «son réseau de transport, de communication et d’hôtellerie». Cette différenciation me semble étayer ma conclusion qu’à tout le moins lorsqu’un hôtel comme le Jasper Park Lodge est ouvert au public en général, il n’est pas visé par l’expression «autres ouvrages de transport» contenue dans le par. 1 de l’art. 18. Je signale aussi que la même mention de «son réseau de transport, de communication et d’hôtellerie» est employée dans la définition de «chemins de fer nationaux» à l’al. e) de l’art. 3 de la Loi du National-Canadien et du Pacifique-Canadien, 1932-33 (Can.), c. 33, plus tard insérée dans S.R.C.

[Page 793]

1952, c. 39. Le paragraphe 3 de l’art. 18 n’étaye pas davantage l’interprétation que proposent les appelants. En excluant les ouvrages mis en service sous le régime de l’art. 27, il exclut la mise en service de véhicules à moteur que l’intimée a le pouvoir d’entreprendre, mais on ne peut certainement pas se fonder sur cette exclusion pour faire entrer le réseau d’hôtellerie dans le cadre du par. 1 de l’art. 18.

L’importance que l’appelante, la Fraternité canadienne, a donnée, avec l’appui du Conseil, à l’art. 54 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail soulève une question d’une portée passablement plus grande vu la généralité des termes employés dans cet article. Je suis d’avis que nous ne sommes pas tenus de définir, même pour les fins de l’art. 54, ce que sont des fonctions ou des devoirs du gouvernement. Je suis convaincu que, mises à part les questions d’ordre constitutionnel, le gouvernement du Canada peut s’adonner à toute fonction ou assumer toute obligation qu’il peut estimer appropriée en vertu d’une autorisation appropriée du Parlement. L’essentiel de la question en l’espèce, telle qu’elle se pose relativement à l’art. 54, est de savoir si l’intimée a été constituée pour accomplir la fonction, entre autres choses, d’exploiter le Jasper Park Lodge au nom du gouvernement du Canada (j’ai mis des mots en italiques).

Je n’ai rien à redire à la prétention des appelants que l’intimée, depuis ses origines en 1919, a été entièrement possédée et contrôlée par la Couronne et par le gouvernement fédéral en vertu d’une législation qui nous l’indique avec une certaine précision. Ce qu’on a fait en 1919, et plus tard poussé plus loin de façon à englober le réseau du Grand Tronc, a été d’acquérir un certain nombre de compagnies de chemin de fer cousues de dettes et de les fondre en un réseau national centralisé, à être dirigé et exploité par une compagnie responsable devant le gouvernement fédéral et le Parlement. En vertu de la loi de 1955, tout le capital social est détenu par le ministre des Finances en fidéicommis pour le compte de sa Majesté; le gouverneur en conseil

[Page 794]

nomme les administrateurs ainsi que le président du Conseil d’administration qui à son tour nomme le président de la compagnie du National mais avec l’approbation du gouverneur en conseil; les approbations ou confirmations par les actionnaires, lorsqu’une loi l’exige, peuvent être données par le gouverneur en conseil; le budget annuel approuvé par le gouvernement doit être présenté au Parlement; le Parlement nomme chaque année un vérificateur pour opérer une vérification continue et présenter un rapport annuel au Parlement. En vertu de la Loi sur la revision du capital des chemins de fer nationaux du Canada de 1952, comme en vertu des lois précédentes, tous les excédents de recettes sont versés au receveur général du Canada. Les déficits peuvent être payés à même les deniers publics, comme le révèlent les dispositions de la loi organique relatives à la présentation du budget de l’intimée. En vertu de la législation du Parlement, il est donc tout à fait clair que la propriété et le contrôle résident dans la Couronne et dans le gouvernement fédéral.

Bien que les avocats des parties en l’appel se défendent d’avoir l’intention de mettre en cause la validité de lois pertinentes, l’avocat de l’intimée prétend que l’application de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail doit se rattacher aux limites du pouvoir législatif fédéral relatif aux relations de travail et que, par conséquent, il faut interpréter l’art. 54 sous cet angle. Il prétend que cela a nécessairement pour effet d’exclure de l’art. 54 toute exploitation d’hôtellière du genre Jasper Park Lodge, à moins peut-être qu’il ne s’agisse d’une exploitation par la Couronne du chef du Canada sur une propriété dévolue à la Couronne. Cependant, l’avocat du Conseil a nié expressément que l’intimée soit un mandataire de la Couronne, et l’avocat de la Fraternité n’a pas proposé de point de vue différent. A mon avis, cette position est une concession importante quant à l’interprétation de l’art. 54.

Selon l’appelant, l’erreur déterminante de la Division d’appel de l’Alberta a été de traduire les termes «au nom de» par «de» seulement, de

[Page 795]

manière à faire en sorte que la question à décider sous le régime de l’art. 54 soit celle de savoir si la corporation intimée a été établie pour accomplir une fonction du gouvernement du Canada plutôt qu’une fonction au nom de ce gouvernement. Le Juge d’appel McDermid a dit que, bien que l’exploitation de chemins de fer peut être, et est en l’espèce, une fonction du gouvernement du Canada, l’exploitation d’un hôtel de villégiature ne l’est pas; et puisque l’exploitation du Jasper Park Lodge n’était pas accessoire ou incidente à la fonction ferroviaire, l’art. 54 ne s’y appliquait pas. Si l’intimée a été constituée, comme le dit le Juge d’appel McDermid, pour accomplir la fonction de mise en service d’un chemin de fer [TRADUCTION] «au nom du gouvernement du Canada» (et il a employé ici les termes de l’art. 54, ce qu’il a d’ailleurs fait dans plusieurs autres passages de ses motifs), il est difficile de comprendre pourquoi la situation de son réseau d’hôtellerie est différente, à moins de concevoir sélectivement les fonctions que le gouvernement fédéral peut exercer. L’article 54 parle de «quelque fonction». Ce qui est clair, c’est que le Parlement du Canada n’a pas besoin de s’appuyer sur l’art. 54 pour soutenir l’application aux opérations ferroviaires de ses lois relatives aux relations de travail. Ces opérations entrent facilement dans le cadre des al. b) et h) de l’art. 53 de la loi à l’étude.

Que faut-il alors penser de l’expression «au nom de»? Cette expression exprime un mandat, et bien que pareil mandat, lorsque la Couronne est le mandant, est normalement exprimé dans la loi qui établit le mandataire, il peut aussi ressortir par déduction nécessaire des dispositions de la loi. La propriété du capital social et la haute main sur la direction de l’intimée sont certainement de puissants indices, mais le refus du Conseil appelant de considérer qu’il y a mandat, refus qui n’est pas contredit par la Fraternité canadienne, est éloquent, surtout à la lumière de l’adaption de la portée de l’art. 54 au pourvoir constitutionnel. Je signale aussi la Loi sur l’administration financière, maintenant S.R.C. 1970, c. F-10, qui mentionne trois types de corporations de la Couronne, à savoir, les

[Page 796]

corporations de mandataire, les corporations de département et les corporations de propriétaire. Les corporations de mandataire sont énumérées dans l’annexe C, les corporations de département dans l’annexe B, et les corporations de propriétaire dans l’annexe D de la Loi. L’expression «corporation de la Couronne» est définie dans la loi comme signifiant «une corporation qui, en dernier lieu, doit rendre compte au Parlement, par l’intermédiaire d’un ministre, de la conduite de ses affaires, et comprend les corporations nommées aux annexes B, C, et D». L’annexe D mentionne les ««Chemins de fer nationaux» selon la définition qu’en donne la Loi sur le National-Canadien et le Pacifique-Canadien 1952 S.R.C. c. 39», et la définition nomme la compagnie intimée à titre de «propriétaire, exploitante, gérante et à autre titre, ainsi que son réseau de transport, de communication et d’hôtellerie». L’inclusion d’une compagnie dans l’annexe D, aux fins de la Loi sur l’administration financière, ne signifie pas qu’elle n’est pas mandataire de la Couronne; par exemple, la Société canadienne des télécommunications transmarines est incluse dans la liste, et malgré tout, en vertu de l’art. 8 de sa loi organique, 1970, S.R.C. c. C-11, il est expressément prévu qu’elle est mandataire de la Couronne. Mais il me semble que l’inclusion de l’intimée dans l’annexe D, en l’absence de toute disposition expresse la faisant mandataire de la Couronne dans une loi applicable, renforce le rejet par le Conseil appelant de l’existence d’un mandat.

Le paragraphe 3 de l’art. 66 de la Loi sur l’administration financière se lit comme suit:

Le gouverneur en conseil peut, par décret,

a) ajouter à l’annexe B toute corporation de la Couronne qui est préposée ou mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et est chargée de services d’administration, de surveillance ou de réglementation d’un caractère gouvernemental;

b) ajouter à l’annexe C toute corporation de la Couronne qui est mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et est responsable de la conduite d’opérations de commerce ou de services sur une base quasi-commerciale, ou de la conduite d’activités en matière d’obtention, de construction ou de disposi-

[Page 797]

tion pour le compte de Sa Majesté du chef du Canada; et

c) ajouter à l’annexe D toute corporation de la Couronne qui

(i) est responsable de la conduite d’opérations de prêt ou de finance, ou de la conduite d’opérations commerciales et industrielles comportant la production ou le commerce de marchandises et la fourniture de services au public, et

(ii) est ordinairement tenue de conduire ses opérations sans crédits budgétaires.

Il convient de remarquer que seule une corporation de la Couronne qui est préposée ou mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et qui est responsable de la conduite d’activités déterminées peut être ajoutée à l’annexe C. Il en résulte, suivant le rejet de l’existance d’un mandat conféré par la Couronne, que l’intimée ne pourrait être incluse dans l’annexe C. Il y a aussi le fait important que, parmis les seize corporations de la Couronne maintenant énumérées dans l’annexe C, treize sont expressément déclarées, par les lois qui leur sont respectivement applicables, être mandataires de Sa Majesté du chef du Canada; une corporation de la Couronne, la Société canadienne des brevets et d’exploitation Limitée, a été établie par le Conseil national de recherches, lui-même un mandataire de la Couronne, pour accomplir des fonctions au nom du Conseil en vertu de la Loi sur le Conseil national de recherches, S.R.C. 1970, c. N-14; une autre, la Commission des champs de bataille nationaux, établie en vertu de la Loi concernant les champs de bataille nationaux de Québec, 1907-1908 (Can.), c. 57, administre seulement des propriétés appartenant à Sa Majesté du chef du Canada: enfin, la Canadian National (West Indies) Steamships Limited, qui a été établie par le gouverneur en conseil sous le régime des statuts du Canada de 1927, c. 29, en vertu de la Loi des compagnies en vigueur à ce moment-là, pour fournir des services de transport spéciaux à certaines fins découlant d’accords commerciaux, est apparemment inactive maintenant.

De tout ce qui précède, il s’ensuit que je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

[Page 798]

Procureurs de l’appelant, le Conseil canadien des relations du travail: Parlee, Irving, Henning, Mustard & Rodney, Edmonton.

Procureurs de l’appelante, la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers: Soloway, Wright, Houston, Killeen & Greenberg, Ottawa.

Procureurs de l’intimée: Ladner, Downs, Vancouver.

[1] [1973] 2 W.W.R. 700, 35 D.L.R. (3d) 119.

[2] [1950] A.C. 122.


Parties
Demandeurs : Conseil Canadien des Relations du Travail et al.
Défendeurs : C.N.R.
Proposition de citation de la décision: Conseil Canadien des Relations du Travail et al. c. C.N.R., [1975] 1 R.C.S. 786 (1 avril 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-04-01;.1975..1.r.c.s..786 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award