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01/04/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._182

Canada | Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182 (1 avril 1974)


Cour suprême du Canada

Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182

Date: 1974-04-02

Leonard C. Jones Appelant;

et

Le Procureur Général du Nouveau-Brunswick Intimé;

et

Le Procureur Général du Canada

et

Le Procureur Général de la Province de Québec Intervenants.

1974: les 11, 12, et 13 février; 1974: le 2 avril.

Présents: le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR

SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK

Cour suprême du Canada

Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182

Date: 1974-04-02

Leonard C. Jones Appelant;

et

Le Procureur Général du Nouveau-Brunswick Intimé;

et

Le Procureur Général du Canada

et

Le Procureur Général de la Province de Québec Intervenants.

1974: les 11, 12, et 13 février; 1974: le 2 avril.

Présents: le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 182 ?
Date de la décision : 01/04/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté et le pourvoi incident accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Validité des lois - Langues officielles - Compétence du Parlement - Compétence des législatures provinciales - Loi sur les langues officielles, R.S.C. 1970, c. O‑2, art. 11(1), (3), (4) - Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, 1969 (N.-B.), c. 14, art. 14 - The Evidence Act, R.S.N.B. 1952, c. 74, art. 23C - L’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1868, art. 91, 101, 133.

Un renvoi a été fait par le lieutenant-gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick déférant à la division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick cinq questions de droit traitant de la validité et de l’effet des lois sur les langues officielles adoptées par le Parlement du Canada et par la Législature provinciale. Leonard C. Jones a été déclaré être une personne ayant le droit d’être entendu et il a été joint comme partie. L’affaire est devant cette Cour en raison du pourvoi de Jones et du pourvoi incident du Procureur général du Nouveau-Brunswick. Les procureurs généraux du Canada et du Québec sont intervenus pour appuyer l’intimé.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté et le pourvoi incident accueilli.

Les par. (1), (3) et (4) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles, R.S.C. 1970, c. O-2 sont de la compétence législative du Parlement du Canada en vertu de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, qui énonce que le Parlement peut «faire des lois pour la paix, l’ordre et le “bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières

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ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces;…». L’art. 91, et particulièrement le par. 27 de l’art. 91 qui donne au Parlement compétence en matière de droit et de procédure criminels, et l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, qui confère au Parlement le pouvoir d’établir des tribunaux fédéraux, donnent au Parlement le pouvoir d’adopter les par. (1), (3) et (4) qui sont des textes législatifs fédéraux valides.

L’art. 23C du Evidence Act, R.S.N.B. 1952, c. 74, est de la compétence législative de la Législature du Nouveau-Brunswick. En l’absence d’une législation fédérale qui traite de la langue des procédures ou autres matières relevant de l’autorité législative exclusive du parlement fédéral, il était permis à la Législature du Nouveau-Brunswick de légiférer sur les langues qui pourraient être employées devant les tribunaux établis par la Législature provinciale. Pour le même motif, l’art. 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, 1969 (N.-B.), c. 14 est valide.

L’art. 23C du Evidence Act, R.S.N.B. 1952, c. 74 étant valide, il a pour effet de rendre en vigueur au Nouveau-Brunswick les par. (1) et (3) de l’art. 1 de la Loi sur les langues officielles, R.S.C. 1970, c. O-2. Le fait que l’art. 23C emploie les termes «une langue quelconque» plutôt que les termes «anglais et français» ne change pas la position; le fait qu’il s’agit d’une loi provinciale qui confère aux juges des tribunaux d’une province la liberté de choisir «la langue dans laquelle …les procédures peuvent être conduites…» est suffisant pour rendre en vigueur les par. (1) et (3) de l’art. 11 dans cette province.

Arrêts mentionnés: Lord’s Day Alliance of Canada c. Le Procureur général de la C.-B., [1959] R.C.S. 497; In re Vancini (1904), 34 R.C.S. 621; Murphy c. C.P.R., [1958] R.C.S. 626; Whiteman v. Sadler, [1910] A.C. 514; Regina v. Murphy, ex parte Belisle and Moreau (1968), 69 D.L.R. (2d) 530; McKay c. La Reine, [1965] R.C.S. 798.

POURVOI et POURVOI INCIDENT à rencontre d’un arrêt de la Division d’appel[1] de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick sur un renvoi par le lieutenant-gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick. Pourvoi rejeté, pourvoi

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incident accueilli sans adjudication de dépens.

J.T. Thorson, c.r., et G.I. Milton, pour l’appelant.

J.J. Robinette, c.r., et T.B. Smith, c.r., pour le Procureur général du Canada.

G.F. Gregory, c.r., et S.J. Savoie, pour le Procureur général du Nouveau-Brunswick.

Jean Leahy, c.r., Ross Goodwin, et Gilles Tremblay, pour le Procureur général du Québec.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le pourvoi et le pourvoi incident découlent d’un renvoi du Lieutenant-gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick déférant cinq questions à la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick en application du décret en conseil 72-536 du 19 juillet 1972 adopté en vertu de l’art. 24A de Judicature Act., R.S.N.B. 1952, c. 120 et ses modifications. Par une ordonnance du 12 septembre 1972, l’appelant Jones fut déclaré être une personne ayant le droit d’être entendue sur le renvoi et il fut joint aux procédures comme partie.

Les questions déférées pour réponse sont les suivantes:

[TRADUCTION] 1. Les paragraphes (1), (3) et (4) de l’article 11 de la Loi sur les langues officielles, R.S.C. 1970, c. O-2, sont-ils de la compétence législative du Parlement du Canada, dans la mesure où ils sont apparemment applicables aux procédures pénales devant les tribunaux de juridiction pénale dans la province du Nouveau-Brunswick?

2. L’article 23C du Evidence Act, R.S.N.B. 1952, c. 74, est-il de la compétence législative de la législature du Nouveau-Brunswick?

3. L’article 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, S.N.B 1969, c. 14, est-il de la compétence législative de la législature du Nouveau-Brunswick?

4. Si les paragraphes (3) et (4) de l’article 11 de la Loi sur les langues officielles et l’article 23C du Evidence Act sont intra vires des pouvoirs du Parlement du Canada et de la législature du Nouveau-Brunswick, respectivement, l’article 23C du Evidence Act a-t-il pour effet de rendre en vigueur au Nouveau-Brunswick les paragraphes (1) et (3) de l’article 11 de la Loi sur les langues officielles?

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5. Advenant que Ton réponde négativement à la quatrième question et que l’article 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick soit intra vires des pouvoirs de la législature du Nouveau-Brunswick, l’article 14 de ladite Loi aura-t-il pour effet, quand il sera proclamé en vigueur, de rendre en vigueur au Nouveau-Brunswick les paragraphes (1) et (3) de l’article 11 de la Loi sur les langues officielles?

Les trois juges de la Division d’appel qui ont étudié les questions déférées (M. le Juge en chef Hughes, juge en chef du Nouveau-Brunswick, et MM. les Juges Limerick et Bugold) ont été unanimes à donner une réponse affirmative aux trois premières questions. M. le Juge en chef Hughes a donné à la question 4 une réponse dissidente, comme suit:

[TRADUCTION] L’article 23C du Evidence Act a pour effet de rendre en vigueur au Nouveau-Brunswick le paragraphe (3) de l’article 11 de la Loi sur les langues officielles. Le paragraphe (1) de l’article 11 de la Loi est entré en vigueur lorsque la Loi a pris effet.

Etant donné cette réponse, il a jugé inutile de répondre à la question 5. MM. les Juges d’appel Limerick et Bugold ont répondu non à la question 4 et oui à la question 5.

L’appelant Jones demande à cette Cour de répondre non aux trois premières questions, et il demande aussi, si ses prétentions sont acceptées, qu’on ne réponde pas aux questions 4 et 5. Le Procureur général du Nouveau-Brunswick interjette un pourvoi incident relativement à la réponse à la question 4, faisant valoir que cette réponse doit être celle du Juge en chef Hughes. Le Procureur général du Canada et le Procureur général de la province de Québec sont intervenus avec l’autorisation du Juge en chef Fauteux et ils se sont fait représenter par des avocats qui ont appuyé la position adoptée par le Procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Il est utile à ce stade de reproduire les dispositions législatives qui ont fait l’objet des questions déférées pour décision. L’article 11, par. (1), (3) et (4), de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, se lit comme suit:

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11. (1) Dans toutes procédures engagées devant des organismes judiciaires ou quasi‑judiciaires créés en vertu d’une loi du Parlement du Canada et dans les procédures pénales où les tribunaux au Canada exercent une juridiction pénale qui leur a été conférée en vertu d’une loi du Parlement du Canada, il incombe à ces organismes et tribunaux de veiller à ce que toute personne témoignant devant eux puisse être entendue dans la langue officielle de son choix et que, ce faisant, elle ne soit pas défavorisée du fait qu’elle n’est pas entendue ou qu’elle est incapable de se faire entendre dans l’autre langue officielle.

(3) Lorsqu’il exerce, dans des procédures pénales, une juridiction pénale qui lui a été conférée en vertu d’une loi du Parlement du Canada, tout tribunal au Canada peut, à sa discrétion, sur demande de l’accusé ou, lorsqu’il y a plus d’un accusé, sur demande de l’un ou plusieurs d’entre eux, ordonner que, sous toutes réserves prévues par le paragraphe (1), les procédures soient conduites et les témoignages fournis et recueillis en la langue officielle spécifiée dans la demande s’il lui paraît que les procédures peuvent être correctement conduites et les témoignages correctement fournis et recueillis, en totalité ou en majeure partie, dans cette langue.

(4) Les paragraphes (1) et (3) ne s’appliquent pas à un tribunal devant lequel, en vertu de l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, quiconque peut utiliser l’une ou l’autre des langues officelles, et le paragraphe (3) ne s’applique pas aux tribunaux d’une province jusqu’à ce que la loi accorde à ces tribunaux ou aux juges de ces tribunaux la liberté de choisir la langue dans laquelle, de façon générale dans cette province, les procédures peuvent être conduites en matière civile.

L’article 23C de l’Evidence Act of New Brunswick, R.S.N.B. 1952, c. 74, tel qu’édicté par le c. 37 des lois de 1967, est formulé en ces termes:

[TRADUCTION] 23C. Dans toutes procédures engagées devant un tribunal dans la Province, le juge peut, à la demande d’une partie, et si toutes les parties à l’action ou aux procédures, ainsi que leurs avocats, ont une connaissance suffisante d’une langue quelconque, ordonner que les procédures soient conduites et les témoignages fournis et recueillis dans cette langue.

Et l’art. 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, 1969 (N.-B.), c. 14, se lit comme suit:

[Page 187]

14. (1) Sous réserve de l’article 16, dans toutes procédures devant un tribunal, toute personne qui comparaît ou témoigne peut être entendue dans la langue officielle de son choix et ne doit être, en fait, nullement défavorisée en raison de ce choix.

(2) Sous réserve du paragraphe (1),

a) lorsqu’une partie le demande; et

b) que le tribunal convient qu’on peut efficacement procéder ainsi;

le tribunal peut ordonner que les séances se tiennent uniquement ou partiellement dans l’une des langues officielles.

Bien qu’une partie seulement d’un article de la Loi sur les langues officielles fasse l’objet des questions soumises, ce n’en est pas moins une partie intégrante orientée vers le but général déclaré à l’art. 2. Ce dernier article se lit comme suit:

L’anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quand à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

Le fait qu’on ait par là délibérément limité le caractère officiel de l’anglais et du français à leur emploi dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada est pertinent à l’étude d’une question touchant les pouvoirs concurrents des législatures provinciales relativement à l’emploi de l’anglais et du français dans les organismes gouvernementaux des provinces, voire relativement à des activités relevant de la compétence exclusive des provinces. En deux mots, il n’est pas question de se demander si le Parlement du Canada a le pouvoir de doter l’anglais et le français d’un statut officiel et égal par tout le Canada et en ce qui a trait à toute opération et activité qui est par ailleurs de la compétence exclusive des provinces; le Parlement n’a pas tenté d’aller aussi loin. Bien entendu, la limitation qu’exprime l’art. 2 précité ne relève pas cette Cour de l’obligation d’examiner une à une les dispositions de la Loi sur les langues officielles que l’on conteste pour motif d’inconstitutionnalité soit parce qu’elles

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ne se conforment pas à la limitation générale de l’art. 2 soit parce qu’à toutes fins pratiques elles débordent le cadre du pouvoir législatif fédéral.

L’appelant s’est livré à une attaque relativement à ce dernier aspect; elle repose sur deux motifs principaux. Son avocat a soutenu que l’art. 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prive le Parlement du Canada du droit d’édicter non seulement les par. (1), (3) et (4) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles mais aussi la Loi toute entière. La seconde prétention principale est que le par. (1) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, édicté par le c. 81 des statuts du Royaume-Uni de 1949, non seulement préserve l’effet privatif de l’art. 133, mais, indépendamment de cela, empêche le Parlement d’adopter la Loi sur les langues officielles. Je reproduis l’art. 133 et l’art. 91, par. (1), à ce stade, avant de m’attaquer à l’examen des prétentions des avocats sur les deux points que je viens de mentionner. L’art. 133 dit:

Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité du présent acte, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.

Les actes du Parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimés et publiés dans ces deux langues.

L’article 91, par. (1), est le suivant:

Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les

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matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

1. La modification, de temps à autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les matières rentrant dans les catégories de sujets que la présente loi attribue exclusivement aux législatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilèges accordés ou garantis, par la présente loi ou par toute autre loi constitutionnelle, à la législature ou au gouvernement d’une province, ou à quelque catégorie de personnes en matière d’écoles, ou en ce qui regarde l’emploi de l’anglais ou du français, ou les prescriptions portant que le Parlement du Canada tiendra au moins une session chaque année et que la durée de chaque chambre des communes sera limitée à cinq années, depuis le jour du rapport des brefs ordonnant l’élection de cette chambre; toutefois, le Parlement du Canada peut prolonger la durée d’une chambre des communes en temps de guerre, d’invasion ou d’insurrection, réelles ou appréhendées, si cette prolongation n’est pas l’objet d’une opposition exprimée par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre.

Indépendamment de l’effet des art. 133 et 91, par. (1), que j’examinerai plus loin dans mes motifs, je ne doute aucunement qu’il était loisible au Parlement du Canada d’édicter la Loi sur les langues officielles (restreinte qu’elle est à ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada, et aux institutions de ces Parlement et gouvernement) à titre de loi «pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à [une matière] ne tombant pas dans les catégories de sujets …exclusivement assignés aux législatures des provinces». Les termes en question sont extraits de l’alinéa liminaire de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique; et, en me basant sur eux comme fondement constitutionnel de la Loi sur les langues officielles, je ne tiens compte que du caractère purement résiduaire du pouvoir législatif qu’ils confèrent. Point n’est besoin de citer de précédent à l’appui du pouvoir exclusif du Parlement du Canada de légiférer relativement au fonctionnement et à l’administration des institutions et organismes du Parlement et du gouvernement du Canada. Ces institutions et organismes sont de toute évidence hors de la portée des provinces.

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Dans la mesure où l’art. 11, par. (1), (3) et (4), de la Loi sur les langues officielles vise l’emploi de l’anglais et du français comme langues officielles dans les procédures engagées devant des organismes judiciaires ou quasi-judiciaires validement établis en vertu d’une autorité fédérale, et dans les procédures criminelles engagées devant tout tribunal dont l’exercice de compétence criminelle est autorisé validement par le Parlement du Canada (ces organismes et tribunaux n’étant pas des institutions et organismes relevant du Parlement ou du gouvernement du Canada), il est dans cette mesure nécessaire de déterminer si les dispositions ainsi adoptées concernant les langues violent la compétence des provinces. A ce sujet, je ne doute pas non plus qu’en vertu des premiers mots de l’art. 91, déjà cité, le Parlement avait le pouvoir, en vertu de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, et en particulier du par. (27) de l’art. 91 pour ce qui est du par. (3) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles, d’édicter les par. (1), (3) et (4) contestés de l’art. 11. L’article 101 décrète que:

Le Parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte, lorsque l’occasion le requerra, adopter des mesures à l’effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d’appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.

L’art. 91, parmi les pouvoirs conférés au Parlement du Canada qu’il énumère, spécifie le suivant au par. (27):

La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.

Une question qui fut débattue devant la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick, mais non devant cette Cour, c’est l’allégation que le par. (4) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles renferme une délégation de pouvoirs qui est inconstitutionnelle. Point n’est besoin pour moi d’ajouter à ce qu’a dit à ce sujet M. le Juge en chef Hughes, qui a

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invoqué le principe énoncé dans l’arrêt Lord’s Day Alliance of Canada c. Le Procureur général de la C.-B.[2], et, partant de là, à bon droit rejeté l’allégation.

En attaquant spécifiquement la validité du par. (3) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles, l’avocat de l’appelant a affirmé qu’il s’agissait là d’une législation spécieuse ayant pour but d’esquiver la limitation constitutionnelle imposée à la législation sur les langues, limitation qu’il dit contenue dans l’art. 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. C’est là une partie de la prétention forcée que l’appelant a instamment avancée contre la Loi sur les langues officielles dans son ensemble; mais sous réserve du bien-fondé de cette prétention, que j’examinerai plus loin dans les présents motifs, je suis d’avis que l’intimé et les intervenants ont à bon droit appuyé la conclusion de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick que l’art. 91, par. (27), de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique fournit une base appropriée à l’adoption de l’art. 11, par. (3). Je signale, en outre, qu’il est de la compétence législative fédérale d’imposer à des fonctionnaires judiciaires nommés par les provinces des obligations relatives à des matières relevant de l’autorité législative fédérale comme, par exemple, le droit criminel et son administration; voir In re Vancini[3]. A fortiori, il est de la compétence fédérale d’investir semblables fonctionnaires d’un pouvoir discrétionnaire relativement à l’administration du droit criminel fédéral, même dans les tribunaux créés en vertu d’une loi provinciale.

L’avocat du Procureur général du Canada a fait valoir l’argument, que j’accepte, que la langue dans laquelle sont conduites les procédures criminelles, qu’il s’agisse de documents ou de procédures verbales seulement, ou des deux, peut être amenée sous l’autorité législative conférée par le par. (27) de l’art. 91 de l’Acte de

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l’Amérique du Nord britannique; et dans la mesure où le par. (27) de l’art. 91 est Tonique source de l’autorité voulue pour spécifier dans quelle langue la loi criminelle doit être écrite ou dans quelle langue les procédures en découlant doivent être conduites, l’autorité du Parlement est prépondérante.

J’arrive maintenant aux prétentions relatives à l’art. 133 et à l’art. 91, par. (1), de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. La prétention de l’avocat de l’appelant, relativement à l’art. 133, est que cette disposition épuise la compétence constitutionnelle en ce qui concerne l’emploi de l’anglais et du français et qu’un amendement constitutionnel est nécessaire pour appuyer toute législation qui, comme la Loi sur les langues officielles, va au-delà de cette disposition. Je ne puis accepter cette prétention, qui, à mon avis, ne peut être fondée ni sur le libellé ni sur l’histoire connue de l’art. 133, non plus que sur le partage des compétences législatives établi par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et interprété par les tribunaux depuis longtemps.

Je ne crois pas que soient d’aucune utilité, dans l’interprétation de la portée ou de l’effet de l’art. 133, des documents gouvernementaux comme «Charte canadienne des droits de l’homme», publiée en 1968, «Le Fédéralisme et l’Avenir», publié en 1968 également, ou le Volume 1 du Rapport final de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, «Les langues officielles», publié en 1967. Ce que ces documents recommandent, relativement à ce que je pourrais appeler des droits linguistiques au-delà des exigences de l’art. 133, ce sont des dispositions protégées à insérer dans la constitution, mais cela ne peut guère étayer la prétention suivant laquelle il ne pourrait y avoir de progrès au-delà de l’art. 133 sans amendement constitutionnel. À coup sûr, ce que l’art. 133 lui-même donne ne peut être enlevé par le Parlement du Canada, mais si ses dispositions sont respectées il n’y a rien dans cet article-là ou ailleurs dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (réservant pour plus

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tard l’étude du par. (1) de l’art. 91) qui empêche l’octroi de droits ou privilèges additionnels ou l’imposition d’obligations additionnelles relativement à l’usage de l’anglais et du français, si cela est fait relativement à des matières qui relèvent de la compétence de la législature légiférant en ce sens.

Les mots mêmes de l’art. 133 indiquent qu’il n’est l’expression que d’une préoccupation limitée en matière de droits linguistiques; et il a été, selon moi, décrit à bon droit comme donnant à toute personne un droit constitutionnel de se servir de l’anglais ou du français dans les débats législatifs des chambres du Parlement du Canada et de la législature de Québec et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux fédéraux et les tribunaux du Québec, ou émanant d’eux, et comme imposant l’obligation d’employer la langue anglaise et la langue française dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs des chambres du Parlement du Canada et de la législature de Québec ainsi que dans l’impression et la publication des lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec. Rien ne permet d’interpréter cette disposition, dont la portée est limitée ainsi aux chambres du Parlement du Canada et de la législature du Québec et à leurs lois ainsi qu’aux tribunaux fédéraux et aux tribunaux du Québec, comme fixant en définitive pour le Canada, le Québec et toutes les autres provinces, de façon finale et législativement inaltérable, les limites de l’usage privilégié ou obligatoire du français et de l’anglais dans les procédures, institutions et communications publiques. Textuellement, l’art. 133 prévoit une protection spéciale de l’usage de l’anglais et du français; il n’y a, dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, aucune autre disposition se rapportant au Parlement du Canada (le par. (1) de l’art. 91 mis à part) qui traite de la langue comme matière législative ou autre chose. Je suis incapable de comprendre la prétention selon laquelle l’extension législative de l’usage public, privilégié ou requis, de l’anglais et du français serait une violation de l’art. 133 lorsqu’elle ne va pas à l’encontre de la protection spéciale que l’article prescrit. À cet égard, je me réfère particulièrement au par. (4) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles, déjà cité.

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L’histoire n’appuie pas la prétention de l’appelant. Je n’ai pas à remonter plus loin que l’art. 41 de l’Acte d’Union, 1840 (Royaume-Uni), c. 35, qui se lit comme suit:

[TRADUCTION DES S.R.C. 1970] Et qu’il soit statué, que depuis et après la Réunion des dites deux Provinces, tous Brefs, Proclamations, Instruments pour mander et convoquer le Conseil Législatif et l’Assemblée Législative de la Province du Canada, et pour les proroger et les dissoudre, et tous les Brefs pour les élections et tous Brefs et Instruments publics quelconques ayant rapport au Conseil Législatif et à l’Assemblée Législative ou à aucun de ces corps, et tous Rapports à tels Brefs et Instruments, et tous journaux, entrées et procédés écrits ou imprimés, de toute nature, du Conseil Législatif et de l’Assemblée Législative, et d’aucun de ces corps respectivement, et tous procédés écrits ou imprimés et Rapports de Comités du dit Conseil Législatif et de la dite Assemblée Législative, respectivement, ne seront que dans la langue Anglaise: Pourvu toujours, que la présente disposition ne s’entendra pas empêcher que des copies traduites d’aucuns tels documents ne soient faites, mais aucune telle copie ne sera gardée parmi les Records du Conseil Législatif ou de l’Assemblée Législative, ni ne sera censée avoir en aucun cas l’authenticité d’un Record Original.

Cette disposition prévoyant l’usage de l’anglais seulement fut abrogée par le c. 56 des lois du Royaume-Uni de 1848 et nous pouvons prendre connaissance d’office de ce qu’après cette abrogation, les statuts de la Province du Canada furent édictés en anglais et en français.

Parmi les Résolutions de Québec qui furent approuvées à la Conférence de 1864, laquelle fut un prélude à la Confédération de 1867, on note la Résolution 46, qui devint la Résolution 45 à la Conférence de Londres (Westminster Palace Hotel) de 1866. Elle se lisait comme suit:

Les langues anglaise et française pourront être simultanément employées dans les délibérations du Parlement fédéral ainsi que dans la législature du Bas-Canada, et aussi dans les cours fédérales et les cours du Bas-Canada.

Quand elle devint l’art. 133, un aspect obligatoire était venu s’ajouter à sa disposition tou-

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chant l’usage de l’anglais ou du français. Pour établir l’égalité de l’usage des deux langues, l’art. 133 vise certains actes de caractère public dans des activités législatives déterminées et devant des tribunaux déterminés, mais il ne va pas plus loin.

Je ne puis accepter qu’on doive inférer de l’adoption de l’art. 133 une limitation constitutionnelle implicite dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. C’est là l’argument principal de l’appelant et, à mon avis, il va à l’encontre du principe du caractère exhaustif que les tribunaux ont reconnu au partage des compétences législatives que prévoit l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Ce principe a été énoncé par feu le Juge Rand dans Murphy c. C.P.R.[4] à la p. 643, de la façon suivante:

[TRADUCTION] C’est maintenant un truisme, la totalité du pouvoir législatif effectif est conférée par l’Acte de 1867, sous réserve toujours des limitations expresses ou nécessairement implicites qui se trouvent dans l’Acte lui-même.

Le par. (1) de l’art. 91 mis à part, il n’y a aucune limitation expresse du pouvoir législatif du gouvernement fédéral d’étendre le champ de l’emploi privilégié ou obligatoire de l’anglais et du français dans les institutions ou les activités qui relèvent du contrôle législatif fédéral. Il ne s’y trouve non plus aucune limitation nécessairement implicite puisqu’il n’y a rien d’inconciliable ou d’incompatible avec l’art. 133, dans son rapport avec le Parlement du Canada et les tribunaux fédéraux, à améliorer la situation des deux langues au-delà de leur emploi privilégié ou obligatoire prévu à l’art. 133. La diminution par le Parlement de la protection donnée par l’art. 133 est une chose; cela requiert un amendement constitutionnel. C’est toute autre chose que d’étendre cette protection au-delà de ses limites actuelles.

L’appelant s’est fortement appuyé sur la règle d’interprétation exprimée dans la maxime expressio unius est exclusio alterius. Cette maxime fournit tout au plus un guide d’interpré-

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tation, elle n’impose point les conclusions à tirer. Je la considère inappropriée pour évaluer ce qu’englobe l’art. 133; en effet, elle n’est d’aucune utilité à cette fin. On ne cherche pas dans la présente affaire à faire entrer dans l’art. 133 quelque chose qui n’y est pas expressément inclus; on ne cherche pas ici à ajouter à la portée constitutionnelle de l’art. 133. Celui-ci demeure incontesté, et c’est plutôt à l’extérieur de cet article, et en vertu des attributions de pouvoir législatif qui le laissent intouché, que le Parlement a agi. L’énoncé de Lord Dunedin (invoqué par l’appelant) dans l’arrêt Whiteman v. Sadler[5], à la p. 527, savoir, [TRADUCTION] «il m’apparaît que l’adoption d’un texte législatif explicite exclut la possibilité de continuer à procéder par déduction: «Expressio unius est exclusio alterius» », n’est qu’une conclusion fondée sur l’interprétation qu’il a donnée à un certain article d’une loi. Il n’est d’aucune utilité dans la présente affaire.

Reste à considérer l’effet du par. (1) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui confère au Parlement le pouvoir de légiférer relativement à «la modification, de temps à autre, de la constitution du Canada» sauf, entre autres choses, «en ce qui regarde l’emploi de l’anglais ou du français». L’appelant soutient que cette exception est non seulement destinée à maintenir l’intégrité de l’art. 133 mais va beaucoup plus loin et en accroît les limitations en englobant tout emploi des langues anglaise ou française qui n’est pas visé par les termes de l’art. 133 lui-même. Cette prétention a pour effet de transformer l’exception apportée à l’octroi d’un nouveau pouvoir sous le régime du par. (1) de l’art. 91, en une limitation de fond de caractère général n’ayant aucun rapport avec ce pouvoir, et elle est insoutenable. Je n’ai pas ici à énoncer de façon exhaustive ce que comprend, au par. (1) de l’art. 91, l’expression «la constitution du Canada». Elle comprend certainement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, et ses modifications, et par conséquent l’art. 133. Dans ce qui est excepté du pouvoir de modification par le Parlement prévu au par. (1)

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de l’art. 91, il y a l’emploi de l’anglais et du français. Le Parlement se voit interdire de modifier la constitution du Canada en ce qui regarde l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues, et par conséquent le par. (1) de l’art. 91 contient une allusion aux dispositions de la constitution qui en traitent, et donc à l’art. 133: voir Scott, «The British North America (No. 2) Act, 1949» (1950), 8 Univ. of Tor. L.J. 201, à la p. 205.

Je passe finalement aux réponses que je veux donner aux questions déférées à la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Pour les raisons que j’ai déjà mentionnées, je suis d’avis de donner une réponse affirmative à la question 1. La question 2, relative à la validité de l’art. 23C du Evidence Act provincial, doit aussi recevoir une réponse affirmative. À mon avis, en l’absence d’une législation fédérale qui traite validement de la langue des procédures ou autres matières portées devant les tribunaux provinciaux et relevant de l’autorité législative exclusive du parlement fédéral, il est permis à la législature du Nouveau-Brunswick de légiférer à l’égard des langues dans lesquelles on peut conduire les procédures devant les tribunaux établis par cette législature. Ceci comprend les langues qu’on peut utiliser pour témoigner devant ces tribunaux. Le par. (14) de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 est un fondement plus que suffisant pour légiférer ainsi. Pour le même motif, je réponds oui à la question 3, relative à la validité de l’art. 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Dans Regina v. Murphy, ex parte Belisle and Moreau[6], la Division d’appel de la Cour Suprême du Nouveau-Brunswick a décidé que l’art. 23C ne pouvait s’appliquer à des procédures criminelles devant un tribunal provincial, en l’absence d’une loi fédérale la rendant applicable. Il a été décidé que cet article, nonobstant ses termes généraux («dans toutes procédures engagées devant un tribunal dans la Province») ne pouvait, de lui-même, s’appliquer, et que l’art. 36 de la Loi sur la preuve au Canada,

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S.R.C. 1952, c.307, ne l’avait pas non plus rendu applicable car il n’était pas une loi sur la preuve au sens de cette disposition-là. Ce que la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick a fait, en somme, a été de limiter la portée de l’art. 23C aux matières civiles et pénales relevant de la compétence législative de la province, conformément au principe énoncé par cette Cour dans McKay c. la Reine[7]. Je ne pense pas retrouver dans la présente affaire la même antimonie que celle qui existait dans McKay; la situation en l’espèce appelle plutôt l’application d’une doctrine des compétences législatives concurrentes sous réserve de prépondérance des lois fédérales.

Quant à la question 4, il m’apparaît que les par. (1) et (3) de l’art. 11 sont tellement interdépendants que c’est à juste titre qu’ils sont réunis comme objet d’étude dans cette question. A mon avis, la conclusion du Juge en chef Hughes du Nouveau-Brunswick, et du Juge d’appel Limerick, selon laquelle le par. (1) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles n’est pas subordonné, sous le régime du par. (4) de cet article, à la question de savoir si l’art. 23C du Evidence Act provincial peut efficacement faire entrer en action le par. (3) de cet art. 11, et selon laquelle, par conséquent, le par. (1) de l’art. 11 est entré en vigueur lorsque la Loi sur les langues officielles a été proclamée, n’apporte rien de bien substantiel. De quelque façon que la question soit posée, le point important est de savoir si l’art. 23C est une de ces lois provinciales qu’envisage le par. (4) de l’art. 11 de la Loi sur les langues officielles. L’opinion de la majorité de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick a été que l’art. 23C est trop général dans son énoncé pour répondre aux exigences du par. (4) de l’art. 11 parce qu’il ne limite pas la discrétion du tribunal ou du juge à l’anglais ou au français, contrairement à ce qui est censément l’objet du par (4) de l’art. 11, mais donne un choix discrétionnaire à l’égard d’«une langue quelconque». Je suis d’avis que le pourvoi incident du Procureur général du Nouveau-Brunswick sur la réponse négative à cette question doit être accueilli et que la question doit recevoir une réponse affirmative.

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Je suis d’accord avec le Juge en chef Hughes du Nouveau-Brunswick que l’art. 23C répond aux exigences du par. (4) de l’art. 11 même si le premier, pour ses fins à lui, emploie les termes «une langue quelconque»; l’art. 23C est même de cette façon-là une loi provinciale qui confère aux tribunaux de la province ou aux juges de ces tribunaux la liberté de choisir «la langue dans laquelle, de façon générale [dans la Province], les procédures peuvent être conduites en matière civile». Pour faire entrer en action le par. (3) de l’art. 11, il n’est pas, selon moi, nécessaire de limiter à l’anglais ou au français la portée des mots «la langue» que l’on trouve au par. (4) de cet art. 11; l’entrée en action, comme c’est le cas en l’espèce, a de par elle-même pour effet de limiter aux seules langues anglaise et française le choix des langues qu’on peut employer dans les procédures criminelles devant les tribunaux.

Il se sera pas nécessaire, en définitive, de répondre à la question 5 (laquelle commence par les mots «Advenant que l’on réponde négativement à la quatrième question») mais je ferai remarquer, d’accord avec le Juge en chef Hughes du Nouveau-Brunswick, que l’art. 14 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick répond aux exigences du par. (4) de l’art. 11 autant que le fait l’art. 23C du Evidence Act provincial.

En résumé, je réponds de la façon suivante aux questions qui ont été soumises, au moyen du renvoi, par le Lieutenant-Gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick:

Question 1: Oui

Question 2: Oui

Question 3: Oui

Question 4: Oui

Question 5: Nulle réponse requise.

Il découle de mes réponses que je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’accueillir le pourvoi incident. Il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens.

Appel rejeté; appel incident accueilli sans dépens.

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Procureur de l’appelant: C. Irving Milton, Moncton.

Procureur de l’intimé, le Procureur général du Canada: D.S. Maxwell, Ottawa.

Procureur de l’intimé, le Procureur général du Nouveau-Brunswick: Gordon F. Gregory, Fredericton.

Procureur de l’intervenant, le Procureur général de la Province de Québec: Jean Leahy.

[1] (1972), 5 N.B.R. (2d) 653, sous le nom Reference re Official Languages Act and The Official Languages of New Brunswick Act.

[2] [1959] R.C.S. 497.

[3] (1904), 34 R.C.S. 621.

[4] [1958] R.C.S. 626.

[5] [1910] A.C. 514.

[6] (1968), 69 D.L.R. (2d) 530.

[7] [1965] R.C.S. 798.


Parties
Demandeurs : Jones
Défendeurs : Procureur général du Nouveau-Brunswick
Proposition de citation de la décision: Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182 (1 avril 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-04-01;.1975..2.r.c.s..182 ?
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