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27/05/1974 | CANADA | N°[1976]_1_R.C.S._132

Canada | Argo Construction Ltd. c. Customold Fiberglass Ltd., [1976] 1 R.C.S. 132 (27 mai 1974)


Cour suprême du Canada

Argo Construction Ltd. c. Customold Fiberglass Ltd., [1976] 1 R.C.S. 132

Date: 1974-05-27

Argo Construction Ltd. Appelante;

et

Customold Fiberglass Ltd. Intimée.

1973: le 21 novembre; 1974: le 27 mai.

Présents: Le juge en chef Fauteux, et les juges Abbott, Martland, Ritchie et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, infirmant un jugement de la Cour supérieure sur la demande principale mais confirmant ce

jugement quant à une demande reconventionnelle. Appel rejeté, les juges Martland et Pigeon dissidents.

G.L....

Cour suprême du Canada

Argo Construction Ltd. c. Customold Fiberglass Ltd., [1976] 1 R.C.S. 132

Date: 1974-05-27

Argo Construction Ltd. Appelante;

et

Customold Fiberglass Ltd. Intimée.

1973: le 21 novembre; 1974: le 27 mai.

Présents: Le juge en chef Fauteux, et les juges Abbott, Martland, Ritchie et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, infirmant un jugement de la Cour supérieure sur la demande principale mais confirmant ce jugement quant à une demande reconventionnelle. Appel rejeté, les juges Martland et Pigeon dissidents.

G.L. Echenberg, pour l’appelante.

G.H. Pickel, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Fauteux et des juges Abbott et Ritchie a été rendu par

LE JUGE ABBOTT — Dans l’action dont il est ici question, l’intimée Customold Fiberglass Ltd. a réclamé à l’appelante, Argo Construction Ltd., la somme de $15,750 représentant le prix fixé par le contrat pour 63 poteaux de fibres de verre, longs de 53 pieds, fabriqués par Customold et livrés à Argo pour utilisation à l’Expo 67.

Dans ses motifs, M. le juge Lajoie, en Cour d’appel, a commodément résumé les faits dont découle le litige:

Au cours de l’automne 1966, Argo obtint de la Compagnie Canadienne de l’Exposition Universelle de 1967 (que ci-après je nommerai «Expo ’67») une commande pour la fourniture et l’installation de soixante-trois poteaux ou hampes de fibre de verre dont les plans et le devis sont produits comme pièce D-1 La hauteur de ces

[Page 134]

poteaux y est indiquée comme devant être de 53 pieds. Le devis spécifie qu’ils seront conçus pour résister à un vent d’une vélocité de 90 milles à l’heure sans plier indûment.

Argo confie la fabrication de ces 63 poteaux à Customold, et après en avoir reçu livraison, vers la mi-avril, les installe elle-même.

Le 16 mai 1967, l’un de ces poteaux tombe et par mesure de sécurité Expo ’67 enlève ceux qui sont à la Ronde et ordonne à Argo d’enlever tous les autres, pièce D-4, ce qui est fait.

Après discussion entre les intéressés, il est convenu, sans préjudice aux droits de qui que ce soit, que Argo réinstallera les mêmes hampes mais raccourcies à 25 pieds par Customold à la demande de Argo, pièce P-3. Toutes le sont sauf cinq trop endommagées lors de leur enlèvement.

Customold poursuit Argo et lui réclame la somme de $15,750.00, soit un prix de $250.00 pour chacun des 63 poteaux tel que facturé le 12 mai 1967.

Sans rien offrir, Argo conteste l’action alléguant que le bris de trois poteaux était dû au fait que ceux-ci n’avaient pas été construits selon les exigences du devis, et, se portant demanderesse par reconvention conclut à ce que Customold soit condamnée à lui payer $6,000.00 en compensation des dommages-intérêts subis à raison de l’ordre d’Expo ’67.

La principale question à régler ici et dans les cours d’instance inférieure est celle de savoir si les poteaux en question étaient conformes aux caractéristiques exigées dans le contrat. Au procès, les témoignages des experts sur ce point ont été contradictoires.

Le savant juge de première instance a accueilli l’action pour un montant de $7,500 mais il a rejeté la demande reconventionnelle, et les deux parties ont interjeté appel de ce jugement à la Cour d’appel. Cette dernière a confirmé le jugement rejetant la demande reconventionnelle mais a accueilli l’appel relatif à la demande principale et condamné Argo à payer le plein montant de $15,750 réclamé. Argo s’est pourvue en cette Cour à l’encontre de ce jugement.

Dans ses motifs de jugement (auxquels ont souscrit MM. les juges d’appel Owen et Rivard), M. le juge d’appel Lajoie, après avoir soigneusement examiné la preuve, a résumé ses conclusions comme suit:

[Page 135]

Quoiqu’il soit de règle que nous n’intervenions pas dans l’appréciation faite de la preuve par le juge de première instance, il s’agit ici d’un cas où il nous est possible de vérifier ce sur quoi il s’est appuyé, et avec respect, je crois qu’il a fait erreur d’abord en acceptant comme prouvé un fait qui ne le fut pas, la chute spontanée de trois poteaux, pour ensuite en tirer une conclusion quant à la faiblesse de toutes les hampes que la preuve ne justifie pas. Il lui fallait être d’autant plus exigeant quant à la valeur probante de la preuve offerte par la défenderesse-intimée que c’était sur elle que reposait le fardeau de prouver la trop faible résistance des hampes. A mon avis elle ne s’en est pas déchargée.

L’appelante avait donc droit d’être payée suivant la convention du prix des poteaux livrés, soit $15,750.00. La demande reconventionnelle ne saurait être maintenue, car si Argo a prouvé avoir subi des dommages à raison de l’enlèvement et de la réinstallation des poteaux, elle n’a pas démontré qu’ils étaient attribuables à l’inexécution par Customold de ses obligations.

Les principes qu’une seconde cour d’appel doit appliquer dans une affaire de ce genre sont bien établis: Dorval c. Bouvier[1], à la p. 294.

Je ne vois pas dans le jugement de la Cour d’appel d’erreur qui puisse justifier une intervention de cette Cour et je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Le jugement des juges Martland et Pigeon a été rendu par

LE JUGE PIGEON (dissident) — L’appelante, Argo Construction Ltd. («Argo»), avait obtenu de la Compagnie canadienne de l’exposition universelle de 1967 («Expo») un contrat pour la construction de kiosques d’information. Ce contrat comprenait l’érection, auprès de chaque kiosque, de hampes décoratives de diverses couleurs en fibre de verre. Dans la plupart des cas, ces hampes de 53 pieds de hauteur devaient être installées en trois faisceaux de trois, à 12 pouces de centre en centre, au sommet d’un nombre égal de tubes d’acier s’élevant à 12 pieds au-dessus du sol et reliés entre eux par une large et forte plaque horizontale en acier, soudée aux tubes à 11 pieds de terre. Le nombre total de hampes ou poteaux était de 63. Argo les commanda à l’intimée, Customold Fiberglass Ltd. («Customold»). La facture de cette dernière comporte la description suivante:

[Page 136]

[TRADUCTION] 63 Hampes en fibre de verre de 53' de hauteur, conformément au devis des kiosques d’information, Expo 67.

Le devis auquel le document renvoie comporte notamment ce qui suit:

[TRADUCTION] Les hampes seront faites pour se tenir seules tel qu’indiqué sur les plans, et pour résister à des coups de vent de quatre-vingt-dix milles à l’heure sans plier ni battre excessivement.

Entendu comme témoin, Paul Szasz, le gérant de Customold, admit qu’il s’agissait là d’un devis de résultat dont il décrit l’effet comme suit:

[TRADUCTION] Q. Voulez-vous dire au tribunal ce que vous entendez par devis de résultat?

R. Ce que j’entends par devis de résultat, c’est que le client ou l’architecte ou l’ingénieur qui fait les plans de ces hampes-là expose un résultat attendu en fonction duquel les articles doivent être construits.

Q. Et diriez-vous, M. Szasz, que le devis est suivi ou non selon que les articles construits satisfont ou ne satisfont pas au résultat spécifié?

R. Oui, je pourrais l’affirmer.

Q. En d’autres mots, si les articles ne donnent pas le résultat prévu, alors ils ne sont évidemment pas conformes aux normes de résultat?

R. Oui, cela est exact.

Les poteaux furent installés très peu de temps avant l’ouverture de l’exposition au mois d’avril 1967. Le 18 mai, Argo recevait de A.S. Dromlewicz, adjoint du gérant de la construction à l’Expo, un télégramme où l’on lit ce qui suit:

[TRADUCTION] …Vous devez enlever immédiatement toutes les hampes en fibre de verre pour raison de sécurité-Stop Le bris de trois hampes a été la cause initiale — Stop La façon d’enlever les hampes est laisée à votre entière discrétion — Stop Jusqu’à présent l’enlèvement n’a été effectué qu’à trois endroits — Le reste doit être enlevé ce soir, 18 mai —

Le 26 mai, Argo recevait du même représentant d’Expo une lettre se lisant comme suit:

[TRADUCTION] Objet: Kiosque d’information — Hampes en fibre de verre.

Les présentes confirment notre conversation téléphonique de cet après-midi. Je ferai une brève revue de la situation. Le 16 mai, un premier bris a eu lieu à la Ronde. En tout, au même endroit, trois hampes en fibre de verre se sont brisées à différentes hauteurs.

[Page 137]

Les rapports mentionnent que le temps était très venteux; cependant, le vent était loin d’atteindre les 90 milles à l’heure spécifiés pour la résistance des hampes. En raison de cette situation, qui créait un danger sérieux d’accident, nous ne pouvions rien faire d’autre que vous demander d’enlever toutes les hampes en attendant qu’Expo effectue une enquête. Nous vous demandons de nous soumettre une proposition pour la réinstallation avec garantie suffisante à Expo qu’il ne se produira pas d’autre bris.

Nous aimerions bien que vous vous occupiez de cette affaire aussitôt que possible. Nous considérons l’absence de ces hampes comme un manque d’exécution du contrat.

Customold fut, de diverses manières, mise au courant de la situation. Le 5 juin, Szasz adressa à Argo une longue lettre dans laquelle il fait état d’une entrevue du 2 juin et dit, entre autres choses:

[TRADUCTION] D’abord, afin de préciser certains faits à savoir si une ou plusieurs hampes étaient brisées, la C.C.E.U. prétend qu’il y avait trois hampes brisées à différentes hauteurs. Notre témoin oculaire qui était sur les lieux à ce moment-là a vu une hampe se rompre après avoir constaté une demi-heure auparavant qu’elles étaient toutes intactes. En interrogeant différentes personnes qui ont été mêlées à l’enlèvement des hampes, on n’a pu obtenir deux versions identiques de l’événement.

Le 11 août, il y eut une réunion à laquelle les trois parties étaient représentées et en conclusion de laquelle il fut décidé qu’Expo ferait faire une expertise. Par lettre du 25 août, Argo fut informée que The Warnock Hersey Company Ltd. devait été chargée de faire l’épreuve et la préviendrait de la date à laquelle celle-ci aurait lieu. Une lettre du 29 août adressée par Argo à Customold fait allusion à cette lettre-là. Cependant, rien ne démontre que Customold ait été prévenue du jour fixé pour l’opération qui eut lieu le 1er septembre, en présence de représentants d’Expo, d’Argo et de Fiberglass Canada Ltd. Le rapport, en date du 12 septembre, est à l’effet que le poteau céda à une charge équivalent à celle d’un vent de 80 milles à l’heure. Au sujet du poteau soumis à l’épreuve, on trouve dans ce rapport fait par l’ingénieur expert Meyer, le passage suivant qui revêt une certaine importance, vu la nature du litige:

[TRADUCTION] …Il fut noté qu’il n’était resté que trois hampes pleine longueur. Des trois, aucune ne put

[Page 138]

être jugée en parfaite condition; la partie supérieure de l’une était brisée, la seconde avait des fissures prononcées dans la fibre de verre et la troisième avait des fissures minuscules dans le joint horizontal supérieur ainsi que dans la fibre de verre au-dessus.

M. Dromlewicz informa le sousigné que l’entrepreneur avait dit qu’il considérait même la troisième hampe comme endommagée et non représentative aux fins d’une épreuve. Après l’avoir examinée soigneusement, nous fûmes d’avis que ses fissures minuscules n’étaient que superficielles, ne pouvaient pénétrer au-delà de la première couche de fibre de verre et n’affectaient pas sa résistance. Par conséquent, selon nous, une des hampes en fibre de verre se trouvait disponible pour l’épreuve et on décida qu’un programme d’épreuve serait mis au point et soumis à la C.C.E.U.

Le juge du procès, après avoir signalé que les conclusions du rapport de l’ingénieur Meyer étaient en contradiction avec celles de l’expert de Customold, l’ingénieur chimiste Halliday, celui qui avait fait le «design» des hampes et en avait surveillé la fabrication, fit les observations suivantes:

Cette Cour doit retenir cependant certains faits qui ont été prouvés et qui apparaissent importants pour décider de l’issue de cette cause et apprécier la preuve des expertises offerte par les deux parties en cause. Tout d’abord la chute de trois poteaux qui, même si la cause n’en a pas été établie d’une façon certaine, crée des présomptions de faits suffisantes pour en arriver à la conclusion que ces poteaux n’avait pas la résistance voulue et pouvaient présenter certain danger. Il a été admis aussi que ces poteaux avaient tous été fabriquées de la même manière et de la même façon et étaient tous identiques. D’autre part, toutes les parties, même s’il est vrai qu’elles l’ont fait sans préjudice, ont convenu de réinstaller ces poteaux mais à une hauteur réduite….

Cette Cour, après avoir analysé et étudié toute la preuve, préfère accepter les conclusions de l’expert A.F. Meyer qui d’ailleurs sont confirmées par certains faits établis par la preuve.

A mon avis, cette conclusion du juge du procès est tout à fait judicieuse et la Cour d’appel n’était aucunement justifiée d’y substituer sa propre appréciation. Tout d’abord, il importe de souligner qu’il y avait plusieurs bonnes raisons de retenir les conclusions du rapport Meyer et de rejeter l’option de Halliday.

En premier lieu, Meyer est un expert indépendant qui a procédé devant témoins en présence de

[Page 139]

représentants d’Expo et d’Argo, et a fait un rapport écrit détaillé avec chiffres à l’appui. Au contraire, Halliday est celui qui a fait le «design» et surveillé la fabrication pour le compte de Customold. Personne n’a été présent pour contrôler ses opérations, il n’en a produit aucun rapport écrit et ne fournit aucune précision.

En second lieu, seul Meyer a vérifié ce qu’il importait de vérifier, c’est-à-dire si les hampes telles que fabriquées pouvaient résister à un vent de 90 milles à l’heure. Il a fait cette vérification en appliquant à une hampe une charge équivalant à la pression exercée par le vent, charge calculée d’une façon que personne n’a contestée. Halliday, lui, n’a aucunement vérifié la résistance d’une hampe au vent. Il s’est contenté de vérifier la résistance en tension du matériau. Tout ce qu’il affirme c’est que cette résistance (37,700 lbs. au pouce carré) correspond à ce qui, d’après ses calculs, est requis pour que les hampes résistent à un vent de plus de 90 milles à l’heure soit, a-t-il dit, 120 milles à l’heure. Cela ne prouve aucunement que les hampes fabriquées avec un matériau de cette résistance en tension étaient conformes au devis. Celui-ci spécifie la force du vent à prévoir et non pas simplement la résistance du matériau dont elles doivent être faites. D’ailleurs, le rapport Meyer fait voir que la hampe soumise à l’épreuve a fait défaut en compression, et non en tension, ce que Halliday a admis. Cela signifie que sa vérification portant uniquement sur l’autre facteur de la résistance des hampes est complètement sans valeur. M. le juge Lajoie qui a rédigé les motifs de la Cour d’appel, s’est complètement mépris sur la nature du témoignage de Halliday en écrivant:

Le poteau identique mais inutilisé et non avarié qui fut l’objet de l’épreuve pratiquée par Halliday ne se brisa que sous l’effet d’une force égale à celle d’un vent de 120 milles à l’heure.

Il faut maintenant ajouter, comme le premier juge l’a fait observer, que le rapport de l’expert Meyer est corroboré par les faits. A ceux qu’il mentionne, j’ajouterai le suivant: la première hampe brisée que le témoin Lucien Poulin a examinée lorsqu’il est allé au kiosque de La Ronde le soir du 16 mai, s’était rompue précisément à 18 pouces au-dessus du tube d’acier auquel elle était

[Page 140]

fixée. Or, c’est bien à 18 pouces du socle que la hampe éprouvée par Meyer a cédé elle aussi. Le croquis fait par ce témoin fait voir, comme il le dit, que «le poteau» était «cassé, échevelé». Malheureusement, la déposition comme elle a été transcrite par le sténographe est loin d’être facile à comprendre car, comme la plupart des gens du peuple, il a dit du «fer» et non pas de l’acier en parlant du support des hampes. Le sténographe en transcrivant ses notes a confondu «fer» et «verre» et a mis «verre» partout. On lit donc dans le dossier des phrases comme celle-ci: «le tube de verre a cassé et il a cassé en bavelle; et pour les autres on a été obligé de les couper au verre (jusqu’au verre).» Il est bien évident que le témoin a fini sa phrase en disant «au fer» et non pas «au verre».

Ceci n’est qu’une seule des innombrables erreurs que l’on relève partout dans les dépositions et qui font que dans bien des cas, il faut deviner ce que le témoin a dit comme lorsqu’il est fait mention de «racine» au lieu de «résine». A mon avis et avec respect pour l’opinion contraire, M. le juge Lajoie a fait erreur en ne tenant pas suffisamment compte de l’importance qu’il fallait attacher à l’avantage dont avait joui le premier juge en entendant les témoins et en voyant leurs explications. Cela seul peut expliquer qu’il ait écrit:

Qu’un poteau soit tombé, c’est un fait, mais encore fallait-il expliquer la cause de cette chute, ou du moins pour pouvoir tirer de là une présomption de vice de construction, exclure la probabilité de causes étrangères non imputables à l’appelante, vandalisme, dommage au cours de l’installation, choc de véhicule, etc….

De fait, il est certain qu’au moins deux hampes se sont brisées et sont tombées. Le témoin Poulin en a vu deux qui étaient brisées, l’une à 18 pouces de la base, l’autre à une dizaine de pieds du haut. Le témoin Gerry Dame a, lui aussi, vu deux hampes brisées à La Ronde. Le troisième bris n’a pas été constaté sur place, mais un témoin a relaté avoir vu trois hampes brisées à l’atelier. Prenant en considération l’ensemble de la preuve, le premier juge était sûrement justifié de conclure de tout

[Page 141]

cela qu’il y avait vraiment eu trois bris. C’est méconnaître l’existence de témoignages probants que de n’en retenir qu’un seul.

Pour ce qui est de l’exclusion des causes autres que le vent, je voudrais bien savoir comment on peut raisonnablement considérer les possibilités de vandalisme, de choc de véhicule, si l’on tient compte, comme il se doit, du fait que les hampes n’étaient pas installées au niveau du sol, mais au sommet d’une structure d’acier de 12 pieds de hauteur. Quant aux dommages au cours de l’installation il suffit, je pense, de faire observer que les hampes étaient simplement collées à l’intérieur du tube d’acier.

Que dire maintenant du fait signalé dans les motifs de la Cour d’appel que les rapports météorologiques ne signalent que des vents de 11 milles à l’heure le jour où les hampes sont tombées. Ici encore, il faut signaler que l’on s’est mépris sur la preuve. En effet, la note au bas du rapport se lit comme suit: «Prevailing wind direction with total number of miles for each hour”. C’est donc dire que le document donne uniquement la vitesse moyenne du vent pendant une heure complète à l’observatoire alors que ce qui compte c’est la vitesse instantanée sur laquelle on n’a aucune indication. Quand on sait que de l’aveu même du gérant de Customold fait dans sa lettre du 5 juin, il avait un témoin oculaire de la chute d’une des hampes, que peut-on vouloir de plus? Si ce témoin avait été en mesure d’attribuer le bris à autre chose que le vent, Customold n’aurait pas manqué de le faire entendre.

Dans le cas présent, il me faut donc dire que la Cour d’appel n’était aucunement justifiée d’intervenir dans l’appréciation de la preuve faite par le premier juge. Tout en disant reconnaître la règle de non-intervention, elle l’a en réalité totalement méconnue et en est venue à une conclusion contraire par suite de graves méprises sur les faits prouvés. Ces méprises exigent l’intervention de cette Cour.

L’avocat de l’appelante Argo a demandé non seulement de rétablir le jugement de première instance réduisant de $15,750 à $7,500 le montant payable pour les 63 hampes livrées à Customold,

[Page 142]

mais aussi de faire droit jusqu’à concurrence de $4,079.44 à la demande reconventionnelle réclamant la somme de $6,000 à titre de dommages-intérêts. Les motifs du premier juge à ce sujet sont laconiques:

Statuant sur la demande reconventionnelle, la demanderesse reconventionnelle n’a pas établi la preuve de ses dommages à la satisfaction de cette Cour. D’ailleurs elle n’a encouru aucun déboursé additionnel pour la réparation et l’installation des poteaux.

Il est vrai, comme il ressort d’une lettre d’Argo à Customold en date du 29 août 1967, qu’Expo a accepté de payer tous les frais subis pour couper les hampes à 25 pieds de longueur, les refinir et les réinstaller. Cependant, d’après son mémoire en cette Cour, ce ne sont pas ces déboursés-là qu’Argo réclame par sa demande reconventionnelle où elle ne dit aucunement en quoi consistent ses dommages. D’après la preuve faite en cette cause, Expo ne lui a rien payé pour les hampes, leur installation et leur enlèvement. C’est à bon droit que le premier juge a statué sur la demande principale que même si les hampes n’étaient pas conformes au devis, Argo devait payer la valeur de ce qu’elle avait utilisé. Par conséquent, il a sensiblement coupé en deux le montant de la facture comme on avait coupé en deux les hampes avant de les réinstaller. Le refus d’Expo d’en payer la valeur ne pouvait priver le fournisseur de son recours. Cependant, dès que l’on reconnaît que les hampes n’étaient pas conformes au devis, les frais subis pour la première installation et pour leur enlèvement ne sauraient être recouvrables d’Expo et constituent donc pour l’entrepreneur une perte imputable à la faute du fournisseur.

Comme il s’agissait de l’exécution d’un contrat global, Argo n’a pas comptabilisé les frais de la première installation des hampes. D’un autre côté, Expo ayant accepté de payer la réinstallation, ces frais-là ont été comptabilisés et se sont élevés à $3,096.53. Argo soutient qu’il est raisonnable de présumer que le coût de l’installation primitive n’a pas été moindre que celui de la réinstallation et, par conséquent, elle réclame un montant égal, non pas pour les frais de réinstallation qui lui ont été payés par Expo, mais bien comme estimation du coût de la première installation. C’est ce qui

[Page 143]

semble avoir échappé au premier juge, de même que la preuve que l’enlèvement des hampes a coûté $982.91 suivant un état détaillé produit au dossier.

Vu la conclusion à laquelle elle en est venue sur la demande principale, la Cour d’appel n’a évidemment pas considéré les faits que je viens de relater au sujet de la demande reconventionnelle. Dans ces conditions, on ne peut pas dire qu’il y a vraiment conclusion concordante sur les faits. Il me paraît donc qu’il y a lieu d’intervenir pour faire droit à la demande reconventionnelle jusqu’à concurrence de $4,000.

Je conclus qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel, de rétablir le jugement de la Cour supérieure sur la demande principale, de faire droit à la demande reconventionnelle jusqu’à concurrence de $4,000, et de prononcer la compensation avec le montant accordé sur la demande principale de façon à le réduire à $3,500, avec intérêt à compter de l’assignation, le tout avec dépens contre l’intimée dans toutes les cours sauf sur la demande principale en Cour supérieure.

Pourvoi rejeté avec dépens, les JUGES MARTLAND et PIGEON étant dissidents.

Procureurs de rappelante: Chait, Salomon, Gelber, Reis, Bronstein & Litvock, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Boisvert & Pickel, Montréal.

[1] [1968] R.C.S. 288.


Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 132 ?
Date de la décision : 27/05/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Contrat - Hampes décoratives - Bris - Non-conformité au devis - Enlèvement et réinstallation - Dommages - intérêts - Droit du fournisseur au plein montant convenu - Règle de non-intervention.

En 1966, l’appelante obtint de la Compagnie Canadienne de l’Exposition Universelle de 1967 («Expo '67») un contrat comprenant notamment l’érection de 63 hampes décoratives en fibre de verre de 53 pieds de hauteur. Suivant les plans et le devis, ces hampes devaient être conçues pour résister à un vent de 90 milles à l’heure sans plier ni battre excessivement. L’appelante en confia la fabrication à l’intimée, et les installa elle-même. En mai 1967, trois de ces hampes se brisèrent et tombèrent. Par mesure de sécurité «Expo '67» en enleva une partie et ordonna à l’appelante d’enlever les autres en attendant de procéder à une enquête. Après discussion, l’appelante réinstalla les mêmes hampes raccourcies à 25 pieds par l’intimée à sa demande, «Expo '67» acceptant de payer les frais de coupe, refinition et réinstallation. Une expertise eut lieu sans que l’intimée soit représentée. La hampe soumise à l’épreuve céda à une charge équivalant à celle d’un vent de 80 milles à l’heure. L’intimée poursuivit l’appelante pour un montant de $15,750, soit $250 pour chacune des 63 hampes, prix facturé. L’appelante contesta l’action alléguant que le bris des trois hampes était dû au fait que celles-ci n’avaient pas été construites selon les exigences du devis, et, par demande reconventionnelle réclama de l’intimée la somme de $6,000 pour dommages-intérêts. L’action fut accueillie pour un montant de $7,500 mais la demande reconventionnelle fut rejetée. En appel, l’appelante fut condamnée à payer à l’intimée le plein montant réclamé et le jugement de la Cour supérieure sur la demande reconventionnelle fut confirmé. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt (les juges Martland et Pigeon étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Fauteux et les juges Abbott et Ritchie: Il n’y a pas dans le jugement de la Cour d’appel d’erreur qui puisse justifier une intervention de cette Cour.

[Page 133]

Les juges Martland et Pigeon, dissidents: La Cour d’appel a fait erreur en ne tenant pas suffisamment compte de l’importance qu’il fallait attacher à l’avantage dont avait joui le premier juge en entendant les témoins et en voyant leurs explications. Au moins deux hampes se sont brisées et sont tombées en présence de témoins. Une troisième hampe brisée a été vue à l’atelier. Le premier juge était sûrement justifié de conclure de tout cela qu’il y avait eu trois bris et c’est méconnaître l’existence de témoignages probants que de n’en retenir qu’un seul comme l’a fait la Cour d’appel. Elle en est venue à une conclusion contraire à celle du premier juge par suite de graves méprises sur les faits prouvés, ce qui exige l’intervention de cette Cour.

Il y a lieu non seulement de rétablir le jugement de la Cour supérieure sur la demande principale, mais aussi de faire droit à la demande reconventionnelle jusqu’à concurrence de $4,000 vu que c’est par erreur que le premier juge a conclu que les dommages réclamés n’étaient pas prouvés.

[Arrêt suivi: Dorval c. Bouvier, [1968] R.C.S. 288]


Parties
Demandeurs : Argo Construction Ltd.
Défendeurs : Customold Fiberglass Ltd.
Proposition de citation de la décision: Argo Construction Ltd. c. Customold Fiberglass Ltd., [1976] 1 R.C.S. 132 (27 mai 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-05-27;.1976..1.r.c.s..132 ?
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