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28/06/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._294

Canada | R. c. Lovis, [1975] 2 R.C.S. 294 (28 juin 1974)


Cour suprême du Canada

R. c. Lovis, [1975] 2 R.C.S. 294

Date: 1974-06-28

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Wayne Bernard Lovis Intimé.

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Lucien Raymond Moncini Intimé.

1974: les 15 et 16 mai; 1974: le 28 juin.

Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Cour suprême du Canada

R. c. Lovis, [1975] 2 R.C.S. 294

Date: 1974-06-28

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Wayne Bernard Lovis Intimé.

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Lucien Raymond Moncini Intimé.

1974: les 15 et 16 mai; 1974: le 28 juin.

Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli et le verdict de première instance rétabli

Analyses

Droit criminel - Vol qualifié et possession d’une automobile volée - Preuve indirecte - Directives au jury - Indications quant au droit applicable lorsqu’il s’agit de déterminer si les deux accusés avaient certains articles en leur possession - Les indications concernant l’application du par. (4) de l’art. 3 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, étaient-elles erronées?.

A la suite d’un procès par jury, chacun des intimés L et M a été déclaré coupable sous deux chefs: vol qualifié et possession d’une automobile volée. Le juge de première instance a jugé très significative la présence de certains articles dans la voiture conduite par L et dans laquelle M avait pris place. Ces articles comprenaient une pipe en bruyère, une attache, l’étiquette du prix d’un pistolet, qui constituait un chaînon important dans la preuve du vol qualifié, et une note qui, a-t-on dit, se rapportait aux plans de fuite après le vol. La pipe et l’attache avaient été enlevées de la voiture volée qui aurait servi à la fuite après le vol. Le juge de première instance a entrepris d’instruire le jury du droit applicable pour qui veut déterminer si l’on peut dire que L et M avaient ces articles en leur possession, et ce faisant, il a signalé à l’attention du jury les dispositions du par. (4) de l’art. 3 du Code criminel.

Lorsque la Cour d’appel a examiné les appels interjetés par les intimés contre la condamnation, elle a ordonné un nouveau procès. Deux des membres de la Cour ont souscrit à la prétention de l’avocat des accusés voulant que le par. (4) de l’art. 3 soit applicable seulement lorsqu’il est nécessaire d’interpréter le mot «possession» dans une disposition du Code cri-

[Page 295]

minel, et ils ont statué que l’on avait appliqué à tort cette disposition et causé un préjudice aux accusés.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli et le verdict de première instance rétabli.

La majorité de la Cour d’appel a fait erreur dans son interprétation du par. (4) de l’art. 3 du Code. Le par. (4) de l’art. 3 n’est pas donné comme une définition du mot «possession». Il prévoit, de façon générale, que «aux fins» du Code, la possession peut être établie de certaines façons. L’expression «Aux fins de la présente loi» a un sens assez large pour viser toutes les procédures introduites sous le régime du Code.

Le juge de première instance n’a pas commis une erreur en insistant sur les exigences du par. (4) de l’art. 3, quant à l’établissement de la possession des quatre articles qu’il a mentionnés. En l’espèce, tout comme dans le renvoi re R. c. Coffin, [1956] R.C.S. 191, on a recours à une règle relative à la possession de certains articles pour relier les accusés à des morceaux de preuve relativement à un crime où leur possession n’est pas, autrement, un élément important. L’application du par. (4) de l’art. 3 était un élément important lorsque l’appelante a tenté de rattacher l’accusé à la preuve concernant la voiture volée et le vol qualifié, et il y avait lieu d’y accorder une attention entière dans les directives au jury.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1] accueillant les appels interjetés par les accusés contre leur condamnation, à la suite d’un procès par jury, pour vol qualifié et possession d’une automobile volée. Pourvoi accueilli.

G.L. Murray, c.r., pour l’appelante.

S.B. Simons, pour les intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — A la suite d’un procès par jury, chacun des intimés a été déclaré coupable sous deux chefs: vol qualifié et possession d’une automobile volée. Ils ont interjeté appel à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui a ordonné un nouveau procès. Or, la Couronne en appelle de ce jugement à cette Cour, par permission, sur une question de droit formulée.

[Page 296]

Le 26 août 1971, M. James A. Brown s’est fait voler sa voiture, de marque Chevrolet Impala, de couleur bleu-vert et à toit blanc, dans laquelle se trouvaient divers objets dont une pipé en bruyère et une attache («tie down») en caoutchouc. On a retrouvé la voiture le 27 août 1971 dans le voisinage d’Alta Lake, en Colombie-Britannique, et à ce moment-là la pipe en bruyère, l’attache et d’autres articles avaient disparu.

Le 27 août, vers 12 h 45 de l’après-midi, un vol qualifié a été commis à la banque de la Nouvelle-Écosse d’Alta Lake, et en rapport avec ce vol, le véhicule utilisé par les voleurs pour fuir les lieux était, d’après la description donnée par des témoins, une automobile à carrosserie bleue et à toit blanc. Un homme s’était introduit dans la banque portant un masque, des lunettes de soleil et une barbe postiche. Au cours du vol il a utilisé une arme à feu que la caissière a décrite comme ayant une [TRADUCTION] «canon de huit à dix pouces» et comme étant «de couleur très foncée, noire et d’une apparence de grande propreté».

La caissière a identifié l’homme qui est entré dans la banque comme étant l’intimé Lovis; cependant, en contre-interrogatoire, elle a admis qu’il s’agissait d’une bonne déduction de sa part (« well educated guess»).

Le chauffeur de la voiture utilisée pour fuir, qui n’est pas entré dans la banque, portait de «longs gants jaunes», selon la description donnée par le témoin Zebrowsky qui était dans la banque au moment du vol.

Au moment où le vol a été commis, ou à peu près vers ce moment-là, les témoins Goddard et Straight ont vu un ancien modèle de Chevrolet, de couleur claire, en stationnement sur un chemin de traverse non loin du remonte-pente Whistler, et ils ont tous deux identifié l’intimé Moncini comme personne assise dans cette voiture.

Le 11 août 1971, un pistolet avait disparu du magasin de Mme Janowsky, à Gibson en Colombie-Britannique. Le pistolet portait une étiquette en indiquant le prix, et Mme Janowsky a été

[Page 297]

capable d’identifier et l’arme et l’étiquette lorsqu’on les a trouvées dans les circonstances énoncées ci-après.

Le témoin McConkey, directeur de l’école de ski de Whistler, est arrivé en voiture derrière la boutique d’accessoires de ski vers midi le 27 août, et il a remarqué une voiture de couleur bleue en stationnement à cet endroit, deux hommes dans la voiture et un troisième se tenant debout tout près. Lorsqu’il est sorti de la boutique environ trois quarts d’heure plus tard, la voiture n’y était plus. McConkey a ensuite vu la voiture au poste de police de Squamish. A une parade d’identification (line-up) après l’arrestation des intimés, il a identifié Lovis et McConnell comme étant les deux hommes aperçus au remonte-pente. Ultérieurement, en cour, alors que les deux accusés avaient pris place parmi les spectateurs, McConkey a désigné Lovis et un nommé McLaren (qui n’était pas impliqué) ainsi que Moncini comme possibilité.

Vers 1 h 40 de l’après-midi le 27 août, un agent de la G.R.C. posté à un barrage érigé sur la route conduisant d’Alta Lake à West Vancouver a arrêté une voiture Chevrolet bleu-clair. Il y avait trois passagers dans la voiture: Lovis conduisait, Moncini avait pris place sur la banquette arrière et un nommé McConnell était sur la banquette avant, à côté de Lovis. Dans la voiture se trouvaient trois sacs de couchage et un certain nombre d’objets semblables à ceux volés à Brown. Ce dernier a positivement identifié comme provenant de sa voiture volée une pipe de bruyère sur la fenêtre arrière. Il en fait de même pour une attache en caoutchouc trouvée sur le plancher de la banquette arrière. L’agent de la G.R.C., Lawton, plus tard, à 3 h 25 de l’après-midi, a revu la voiture et en a saisi un pantalon de cuir ainsi qu’une note qui se trouvait dans une des poches, et aussi une étiquette marquée d’un prix qu’il a trouvé sur le plancher à l’arrière de la voiture.

Au cours de sa conversation avec les occupants de la voiture, Lawton a vu la pipe en bruyère et a demandé qui fumait la pipe. Moncini a répondu que c’était lui, et il a aussi

[Page 298]

affirmé que le pantalon de cuir lui appartenait. C’est dans la poche de ce pantalon qu’a été trouvée une note portant le message suivant:

[TRADUCTION] Viens me prendre dans la voiture froide à trois heure. Apporte deux sacs de couchage.

Le 14 octobre 1971, l’agent Felkar de la G.R.C., à la suite d’une expédition de plongée sous‑marine dans le lac Daisy (tout près de la route qui relie Alta Lake et West Vancouver), a trouvé un sac noir contenant une barbe postiche, des lunettes de soleil, trois pistolets et une somme d’argent de même qu’une paire de gants de couleur havane. Mme Janowsky a reconnu l’un de ces pistolets comme étant celui qui portait l’étiquette de prix, laquelle elle a aussi reconnue, que l’on a trouvée dans la voiture où prenaient place les intimés.

Aucun des deux intimés n’a témoigné au procès, et les deux ont été déclarés coupables sous les deux chefs de l’acte d’accusation.

Le juge de première instance a vu juste lorsqu’il a jugé très significative la présence, dans la voiture conduite par Lovis et dans laquelle Moncini avait pris place, de la pipe en bruyère et de l’attache en caoutchouc enlevées toutes deux de la voiture de Brown, de l’étiquette de prix, et de la note dans la poche du pantalon de cuir que Moncini prétendait être le sien. Il a entrepris d’instruire le jury du droit applicable pour qui veut déterminer si l’on peut dire que Lovis et Moncini avaient ces articles en leur possession. Il a signalé à l’attention du jury les dispositions de l’art. 3, par. 4, du Code criminel, qui se lisent ainsi:

Aux fins de la présente loi,

a) une personne est en possession d’une chose lorsqu’elle l’a en sa possession personnelle ou que, sciemment,

(i) elle l’a en la possession ou garde réelle d’une autre personne, ou

(ii) elle l’a en un lieu qui lui appartient ou non ou qu’elle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d’une autre personne; et

b) lorsqu’une de deux ou plusieurs personnes, au su et avec le consentement de l’autre ou des autres, a une chose en sa garde ou possession, cette chose

[Page 299]

est censée sous la garde et en la possession de toutes ces personnes et de chacune d’elles.

Lorsque la Cour d’appel a examiné les appels interjetés par les intimés contre la condamnation, elle a ordonné un nouveau procès. Deux des membres de la Cour ont souscrit à la prétention de l’avocat des accusés voulant que l’art. 3, par. (4) soit applicable seulement lorsqu’il est nécessaire d’interpréter le mot «possession» dans une disposition du Code criminel, et ils ont statué que l’on avait appliqué à tort cette disposition et causé un préjudice aux accusés.

L’appelante a obtenu la permission de se pourvoir devant cette Court au sujet de la question de droit suivante:

La Cour d’appel de la province de la Colombie-Britannique a-t-elle commis une erreur en statuant que le savant juge de première instance a donné des indications erronées au jury sur les deux chefs de l’acte d’accusation pour ce qui est de l’application de l’art. 3, par. (4), du Code criminel?

Avec respect, je n’accepte pas la conclusion de la majorité des membres de la Cour d’appel quant à la portée de l’art. 3, par. (4). Ils affirment, dans leurs motifs de jugement, que l’expression «Aux fins de la présente loi» n’est pas synonyme de l’expression [TRADUCTION] «Dans toutes procédures sous le régime de la présente loi». D’après moi, le paragraphe est applicable à toutes les procédures sous le régime du Code.

L’article 3, par. (4) ne fait pas partie de l’article du Code criminel qui a trait aux définitions. Des définitions sont données à l’art. 2 sous le titre «INTERPRÉTATION». Cet article commence par les mots «Dans la présente loi» et donne une série de mots suivis dans chaque cas du verbe «comprend», «signifie» ou «désigne» puis de la définition du mot. L’article 3, par. (4), paraît sous le titre «DISPOSITIONS GÉNÉRALES». Cet article n’est pas donné comme une définition du mot «possesion». Il prévoit que «Aux fins de la présente loi», certaines circonstances constitueront la possession d’«une chose» par une personne.

L’effet de l’art. 2 est de faire en sorte que lorsqu’un mot défini à cet article est employé

[Page 300]

dans le Code il a la signification, ou comprend le sens, que lui attribue l’article. Or, l’art. 3, par. (4) ne traite pas seulement du sens du mot «possession» aux endroits où il figure dans le Code mais il prévoit aussi, de façon générale, que «aux fins» du Code, la possession peut être établie de certaines façons.

L’expression «Aux fins de la présente loi» a un sens assez large pour viser toutes les procédures introduites sous le régime du Code, et, à mon avis, c’est bien le sens qu’il faudrait lui attribuer.

L’interprétation donnée à l’art. 3, par. (4), par la majorité des membres de la Cour d’appel a l’effet suivant: si les intimés avaient été accusés d’avoir eu en leur possession la pipe, l’attache et l’étiquette de prix sachant qu’il s’agissait d’objets volés, la possession pourrait être établie de la façon décrite dans ce paragraphe, mais, si l’on cherche à établir la possession de ces articles en tant que chaînon d’une chaîne de circonstances pour faire la preuve d’un autre crime, il n’est pas possible de l’établir de cette façon-là. A mon avis, un tel résultat irait à l’encontre de l’intention du paragraphe.

Soit dit en passant, la majorité des membres de la Cour d’appel a jugé que l’art. 3, par. (4), pourrait s’appliquer à bon droit à l’égard du deuxième délit reproché aux intimés, à savoir celui de possession de la voiture de Brown sachant qu’il s’agissait d’une voiture volée, bien que les objets, dont le juge de première instance discutait la possession, aient été ceux mentionnés précédemment.

En définitive, je suis d’avis que la majorité des membres de la Cour d’appel a fait erreur dans son interprétation de l’art. 3, par. (4), du Code criminel.

Voilà qui règle la question de droit pour laquelle l’appelante a obtenu la permission de se pourvoir devant cette Cour. Indépendamment de cette question, l’avocat des intimés soutient que ceux-ci avaient le droit de gagner leur cause en appel devant la Cour d’appel sur d’autres moyens, et il se reporte à la déclaration suivante qui a été faite dans l’exposé des motifs de la majorité:

[Page 301]

[TRADUCTION] Même si, contrairement à mon opinion, l’art. 3, par. 4, peut, dans un cas approprié, s’appliquer à un chef d’accusation qui ne comporte pas la possession comme élément essentiel, j’estime, avec respect, qu’il ne s’agissait pas ici d’un cas de ce genre et que les directives prêtaient à objection.

Cette déclaration est développée dans l’alinéa qui vient immédiatement après, comme suit:

Au point de vue juridique, il importait peu de savoir si les appelants avaient la garde ou étaient en possession des articles. Ils n’étaient pas accusés de possession illégale de ces articles. La provenance des articles, les péripéties de leur transport, l’endroit où ils étaient et les personnes présentes lorsque la police les a vus à un barrage sur la route sont autant de circonstances qui permettaient au jury de faire des déductions pour juger si, oui ou non, l’accusation de vol qualifié formulée contre les appelants avait été prouvée. Dans cette optique, le fait de conclure que les appelants, ou l’un d’eux, avaient la garde ou étaient en possession des articles ne constitue pas un jalon; cependant, l’importance donnée à la conclusion que l’on imposait de tirer de certains faits prouvés doit avoir amené le jury à penser qu’une telle conclusion établissait rien moins qu’un élément essentiel du premier chef d’accusation et aurait pour effet de les mener très avant sur la route d’un verdict de culpabilité. Le jury a dû être porté à croire que la conclusion légale qu’il y avait eu garde ou possession constituait quelque chose qui déterminait le sort de l’affaire, ce qui n’était pas le cas. Si le jury n’a pas eu cette impression ou une impression semblable, cette partie des directives du juge aux jurés a dû jeter la confusion dans leurs esprits, car ils ont dû se demander — comme je l’ai fait moi-même — quelle importance ils devaient accorder à tout ce qu’on on leur avait dit au sujet de l’art. 3, par. 4.

Avec respect, après avoir examiné les directives, je n’arrive pas à cette même conclusion. Dans ces directives au jury, le point de vue de l’appelante a été exposé comme suit:

[TRADUCTION] Lorsqu’il vous a adressé la parole hier, M. Murray a fait les déclarations suivantes ou des déclarations portant ce qui suit: Lorsqu’il vous a fait son exposé préliminaire et en vous adressant la parole hier, il a affirmé que, de l’avis de la partie qui soutient l’accusation, il s’agissait d’un complot organisé avec succès en vue de voler la banque; deuxiè-

[Page 302]

mement, que les participants au complot étaient McConnell, Lovis et Moncini; troisièmement, que ces trois personnes étaient entrées en possession d’une voiture volée, à savoir la voiture que M. Brown nous a dit lui avoir été enlevée; quatrièmement, que la voiture de M. Brown était celle dont on s’était servi pour s’enfuir et qu’il y avait eu substitution de voiture; cinquièmement, que M. Lovis était le bandit armé et qu’il était celui qui avait volé Brenda McLeod et que M. Moncini était dans l’autre voiture, et il a signalé que, en raison du vol qualifié et du barrage sur la route et du fait que la route 99 est la seule qui relie Squamish et Alta Lake, certains articles et une somme d’argent avaient été abandonnés et laissés quelque part et ne se trouvaient pas dans la voiture lorsque l’agent Lawton a arrêté celle-ci au barrage à 1 h 40 de l’après-midi, le jour du vol qualifié.

En ce qui concerne la pipe et l’attache en caoutchouc, l’appelante a cherché à établir la possession par les deux intimés comme élément de preuve important reliant ces derniers à la voiture volée de Brown (objet du deuxième chef d’accusation), voiture qui aurait servi à la fuite après le vol qualifié (premier chef). Au sujet de ces articles, on a dit au jury:

[TRADUCTION] Ainsi, voyez-vous, vous pouvez déduire ou être amenés à conclure que ces deux articles provenaient de la voiture de M. Brown et se trouvent dans cette autre voiture, appelée parfois la voiture de McConnell, puisque ce dernier a produit la carte d’immatriculation et d’assurance indiquant qu’il est le propriétaire inscrit de cette voiture‑là.

Dans cette voiture-là prenaient place trois personnes, et la question est, qui avait la possession? Ce n’est pas la bonne façon de poser la question. La Couronne a-t-elle prouvé que quelqu’un était en possession, et, dans l’affirmative, qui? Vous devez examiner cette question en tenant compte de la définition de la possession.

Suivant cette définition, la Couronne affirme et a affirmé que lorsqu’une de trois personnes, au su et avec le consentement des deux autres, a une chose en sa possession, en sa garde ou en sa possession, cette chose est censée être sous la garde et en la possession de toutes ces personnes et de chacune d’elles.

Or, dans le cours ordinaire des choses, pour établir ça il faut conclure que l’une des trois personnes était en possession et, deuxièmement, que cette personne était en possession au su et avec le consentement des deux autres ou de l’une des deux autres personnes.

[Page 303]

L’étiquette de prix constituait un chaînon important quant à l’arme à feu, qui a été jetée dans le lac, et, par conséquent, quant au vol qualifié, premier chef d’accusation. La note, trouvée dans la poche du pantalon, se rapportait selon l’appelante aux plans de fuite après le vol.

Bien qu’il soit vrai que les intimés n’étaient pas accusés de possession illégale de ces articles, l’importance que présente la possession des articles en question par rapport aux infractions dont ils étaient accusés peut se démontrer par renvoi à la décision de cette Cour dans le renvoi concernant l’affaire R. c. Coffin[2]. Dans cette affaire comportant une accusation de meurtre, certains éléments de preuve se rapportaient à la possession par l’accusé d’articles qu’avaient eus en leur possession les membres d’une partie de chasse comprenant la victime. Au sujet de ces éléments de preuve, on a soutenu au nom de l’accusé que le juge de première instance avait commis une erreur en instruisant le jury de la règle de droit visant la possession récente et que le jury avait été mal informé quant à l’obligation pour l’accusé d’expliquer sa possession. On a en outre affirmé que le jury aurait dû être informé qu’il n’avait pas le droit de déclarer l’accusé coupable de meurtre pour le motif qu’il était coupable du vol des divers articles.

Ces objections ont été rejetées, et M. le Juge Taschereau (qui n’était pas encore juge en chef), avec qui M. le Juge en chef Kerwin était d’accord, a traité en ces termes de l’importance de la possession des articles volés, à la p. 204:

Je crois également le second point non fondé. Je suis d’opinion que le juge ne devait pas dire au jury ce qu’on lui reproche d’avoir omis. Le fait pour Coffin d’avoir en sa possession des effets récemment volés, faisait naître non seulement la présomption, faute d’explication, qu’il les avait volés, mais le jury avait le droit de conclure que c’était un lien dans une chaîne de circonstances, qui indiquait qu’il avait commis le meurtre.

[Page 304]

M. le Juge Kellock, avec qui M. le Juge Rand et M. le Juge Fauteux (qui n’était pas encore juge en chef) étaient d’accord, a traité de la question en ces termes, p. 225:

[TRADUCTION] A mon avis, par conséquent, il y avait abondance d’éléments de preuve d’après lesquels le jury pouvait conclure que le possesseur de la somme d’argent et des autres articles était à la fois le voleur et le meurtrier. Je crois que c’est ce qu’il a fait.

Dans l’affaire Regina v. Exall, (1866) 4 F. & F. 922, le Baron en chef Pollock affirme à la page 924:

Le principe est que si une personne est trouvée en possession de biens récemment volés et ne peut donner de la possession une explication valable, un jury est autorisé d’en conclure qu’elle a commis le vol qualifié.

Et il en est ainsi de tout crime dont le vol qualifié a été un incident, ou auquel ce vol qualifié est relié, comme le crime de cambriolage, d’incendie ou de meurtre. Car, si la possession est une preuve suivant laquelle la personne a commis le vol qualifié, et si l’auteur du vol qualifié est celui qui a commis l’autre crime, la possession est alors une preuve suivant laquelle la personne trouvée en possesion des biens a commis cet autre crime.

En droit, si, peu de temps après la perpétration du crime, une personne est trouvée en possession des biens volés, cette personne est appelée à expliquer comment il se fait qu’elle se trouve en leur possession, c’est-à-dire, à donner une explication qui ne soit ni absurde ni improbable.

Dans une note en marge de l’affaire précitée à la page 850 du volume 176 des English Reports, l’arrêtiste fait mention de l’affaire R. v. Muller mentionnée à la page 385 du même volume. Dans Muller, un meurtre avait été commis un samedi soir dans une voiture de chemin de fer: le lundi suivant, l’accusé était trouvé en possession de la montre de la victime, qu’il affirmait avoir achetée d’un colporteur sur les quais de Londres. S’est posée la question de savoir si, en supposant que le jury n’était pas convaincu de la culpabilité de l’accusé d’après la preuve considérée indépendamment de la possession récente du chapeau et de la montre, cette possession serait une preuve suffisante que l’accusé était coupable de meurtre. La note en marge de l’affaire Regina v. Exall se lit ainsi:

Il ne serait pas contesté que ç’aurait été une preuve suffisante si aucune explication n’avait été présentée. Car le défaut d’explication serait l’équivalent d’un aveu.

[Page 305]

A la lumière de ces énoncés sur ce que peut l’effet de la possession récente d’articles volés, non seulement en relation avec un vol des articles eux-mêmes, mais aussi en relation avec la preuve concernant la perpétration d’un autre crime, je ne crois pas que soit un motif valable de renverser la décision du jury le fait que le juge de première instance peut avoir insisté sur les exigences de l’art. 3, par. (4), quant à l’établissement de la possession des quatre articles qu’il a mentionnés. En l’espèce, tout comme dans le renvoi Coffin, on a recours à une règle relative à la possession de certains articles pour relier les accusés à des morceaux de preuve relativement à un crime ou leur possession n’est pas, autrement, un élément important. L’application de l’art. 3, par. (4), était un élément important lorsque l’appelante a tenté de rattacher l’accusé à la preuve concernant la voiture volée et le vol qualifié, et il y avait lieu d’y accorder une attention entière dans les directives du jury. Il n’est pas allégué que l’application donnée quant au sens et à l’effet de l’art. 3, par. (4), était erronée, et le juge de première instance a équitablement présenté au jury les prétentions de l’avocat des intimés faisant valoir pourquoi l’application du par. (4) ne saurait amener à conclure que les intimés étaient en possession.

En conséquence, je suis d’avis de faire droit à l’appel, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le verdict rendu en première instance.

Appel accueilli.

Procureur de l’appelante: George L. Murray, Vancouver.

Procureur de l’intimé, Lucien Raymond Moncini: Sidney B. Simons, Vancouver.

[1] [1973] 5 W.W.R. 622, 13 C.C.C. (2d) 48, 23 C.R.N.S. 336.

[2] [1956] R.C.S. 191.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Lovis

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Lovis, [1975] 2 R.C.S. 294 (28 juin 1974)


Origine de la décision
Date de la décision : 28/06/1974
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 294 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-06-28;.1975..2.r.c.s..294 ?
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