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28/06/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._381

Canada | Crosby c. O’Reilly et al., [1975] 2 R.C.S. 381 (28 juin 1974)


Cour suprême du Canada

Crosby c. O’Reilly et al., [1975] 2 R.C.S. 381

Date: 1974-06-28

Douglas R. Crosby, administrateur de la succession de Douglas Kim Crosby (Défendeur) Appelant;

et

Victor Vincent O’Reilly et Gulf Oil Company Ltd. (Défendeurs) Intimés.

1974: le 30 mai; 1974: le 28 juin.

Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA

Cour suprême du Canada

Crosby c. O’Reilly et al., [1975] 2 R.C.S. 381

Date: 1974-06-28

Douglas R. Crosby, administrateur de la succession de Douglas Kim Crosby (Défendeur) Appelant;

et

Victor Vincent O’Reilly et Gulf Oil Company Ltd. (Défendeurs) Intimés.

1974: le 30 mai; 1974: le 28 juin.

Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 381 ?
Date de la décision : 28/06/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Dommages-intérêts - Le de cujus est mort dans un accident d’automobile - Dommages‑intérêts pour perte d’expectative de vie - Quantum - La Perte des agréments de la vie ne peut être considérée comme un chef de dommages additionnel - The Trustee Act, R.S.A. 1955, c. 346, art. 32 (devenu The Administration of Estates Act, R.S.A. 1970, c. 1, art. 51).

Le de cujus est mort presque sur le coup à l’âge de 22 ans dans une collision impliquant deux automobiles de laquelle les intimés ont reconnu être responsables. Il était une personne exceptionnelle tant par ses succès académiques que par la variété de ses domaines d’intérêt, et une brillante carrière de physicien spécialisé dans la recherche s’ouvrait à lui. Dans une action intentée en vertu de l’art. 32 du Trustee Act (Alberta), le jury a prononcé un verdict de $90,000 pour perte d’expectative de vie. La Division d’appel a réduit l’indemnité à $10,000. L’administrateur de la succession a alors interjeté appel devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Concernant la question de la perte des agréments de la vie comme second chef de dommages dans une action de survivance intentée par le représentant personnel du de cujus pour un délit civil, la Division d’appel a, à juste titre, rejeté les prétentions que celui qui est l’appelant en cette Cour avait fait valoir en faveur de la reconnaissance de ce chef de dommages en tant que tel. Lorsque ce chef de dommages est réclamé dans une action de survivance, il ne fait que double emploi avec le chef de dommages reconnu de diminution d’expectative de vie.

La Cour ne peut être d’accord avec la Division d’appel que lorsqu’une action de survivance en faveur de la succession d’un de cujus est instruite devant un juge et jury il faille dire au jury, comme question de droit, que la somme de $10,000 représente actuelle-

[Page 382]

ment la limite maximale de l’indemnité. Plutôt que de fixer, comme une question de droit, la limite maximale d’une indemnité, le juge de première instance devrait dire au jury, à la lumière de la preuve concernant le de cujus, homme ou femme, dans toutes ses qualités, manières de vivre et perspectives d’avenir, à la lumière de son âge et de son état de santé, qu’un chiffre excédant une certaine somme, pouvant être inférieure à $10,000, peut être considéré comme excessif.

Arrêt suivi: Rose v. Ford, [1937] A.C. 826. Arrêts mentionnés: Benham v. Gambling, [1941] A.C. 157; Bechtold c. Osbaldeston, [1953] 2 R.C.S. 177.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel[1] de la Cour suprême de l’Alberta réduisant le montant des dommages généraux accordés par un jury sur une demande déposée en vertu de l’art. 32 du Trustee Act. Pourvoi rejeté.

K.L. Crockett, c.r., pour le demandeur, appelant.

J.B. Cregan, c.r., pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — La présente cause découle d’une action intentée en vertu de l’art. 32 du Trustee Act, R.S.A. 1955, c.346 (devenu l’art. 51 du Administration of Estates Act, R.S.A. 1970, c.1) par l’administrateur de la succession de Douglas Crosby qui est mort presque sur le coup dans une collision impliquant deux automobiles de laquelle les intimés ont reconnu être responsables. La demande a été jugée par M. le Juge Manning et un jury à qui on a dit d’évaluer les dommages sur le seul chef de perte d’expectative de vie. Le jury prononça un verdict de $90,000. En appel, la Division d’appel de l’Alberta a réduit l’indemnité à $10,000. Le demandeur a interjeté appel devant cette Cour à l’effet, en autres choses, de faire rétablir le verdict du jury et de soutenir, en outre, qu’on aurait dû dire au jury de tenir compte de deux chefs de dommages, à savoir, perte d’expectative de vie et perte des agréments de la vie.

[Page 383]

L’article 32 du Trustee Act se lit comme suit:

[TRADUCTION] 32. (1) Les exécuteurs ou administrateurs du de cujus peuvent introduire une action pour tout délit civil ou préjudice dont ont souffert la personne ou les biens meubles ou immeubles du de cujus, les cas de diffammation écrite ou orale exceptés, de la même façon et avec les mêmes droits et recours que si le de cujus avait vécu.

(2) Les dommages-intérêts recouvrés font partie de la succession personnelle du de cujus.

(3) L’action se prescrit par un an après le décès du de cujus.

Cette disposition, héritée de la Trustee Ordinance des Territoires du Nord-Ouest, 1903 (2e session), c.1, art. 29, l’Alberta l’a continuée, et par conséquent elle était en vigueur bien longtemps avant l’adoption par le Parlement britannique de la loi dite Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act, 1934(R.-U.), c 41, une loi qui prévoyait, par l’art. 1, par. (1), que les causes d’action qui, au décès, appartenaient à la personne décédée ou lui étaient opposables devaient survivre en faveur ou à l’encontre de sa succession. Dans l’affaire Rose v. Ford[2], la Chambre des lords a statué que le représentant personnel d’un de cujus tué par la faute d’autruit pouvait réclamer pour diminution d’expectative de vie en faisant valoir que le de cujus était déjà investi de ce recours au moment de son décès et que le recours était par conséquent visé par la «loi de survivance» précitée. Cette décision fut ensuite suivie dans diverses provinces du Canada qui, déjà pourvues d’une législation semblable à celle qu’on venait seulement d’adopter pour l’Angleterre, reconnurent alors un chef de dommages qui jusque là n’avait pas été apparent à leurs tribunaux. La question du bien-fondé de la décision rendue dans l’affaire Rose v. Ford, qui a eu pour effet d’accorder des dommages-intérêts pour cause de décès autrement qu’en vertu de la législation sur les accidents mortels (Fatal Accidents Acts), a été un sujet d’articles de revues dans notre pays. Voir par exemple: Wright, «The Abolition of Claims for Shortened Expectation of Life by a

[Page 384]

Deceased’s Estate», (1938) 16 Rev. Bar. Can. 193; Bowker, «The Uniform Survival of Actions Act» (1964) 3 Alta. L. Rev. 197; Laycraft, «Survival of Claims for Loss of Expectation of Life», (1964) 3 Alta L. Rev. 202; et cf. Dunlop, «The High Price of Sympathy, Damages for Personal Injuries», (1967) 17 U. of T.L.J. 51 aux pp. 55 et suiv. Il suffit de dire ici qu’un tel recours n’existe actuellement au Canada qu’en Alberta et au Manitoba, où l’arrêt Rose v. Ford a été constamment suivi du fait qu’on en a pas abrogé le principe par voie législative comme on l’a fait ailleurs au Canada. En l’espèce présente, les parties n’ont pas demandé que le principe de l’arrêt Rose v. Ford soit remis en cause. En fait, l’avocat de l’appelant demande qu’il soit étendu. Je passe donc aux questions soulevées en l’appel, acceptant le bien-fondé de l’arrêt Rose v. Ford pour ce qu’il décide.

D’après la preuve, il est évident que le de cujus, âgé de 22 ans au moment de son décès le 21 mars 1967, était une personne exceptionnelle tant par ses succès académiques que par la variété de ses domaines d’intérêt, et qu’une brillante carrière de physicien spécialisé dans la recherche s’ouvrait à lui. Vu qu’il était célibataire et sans personne à charge, il n’existe, par conséquent, aucune possibilité de réclamation concurrente ou chevauchante en vertu d’un Fatal Accidents Act. Dans la mesure où une indemnité importante devrait être accordée dans une «action de survivance» au profit de la succession d’un défunt, il s’agit d’un cas où, eu égard aux facteurs favorables qu’il recèle, elle devrait l’être.

Dans la mesure où les dommages-intérêts ne sont accordés que pour diminution d’expectative de vie, la question en litige est celle de l’importance de l’indemnité recouvrable par le représentant personnel du de cujus à l’égard d’une perte qui est personnelle au de cujus. Le caractère anormal d’un tel dédommagement, quelle que soit son importance, est évident si l’on admet que le principe directeur est de dédommager la partie lésée et non de pénaliser ou d’infliger une peine à l’auteur du dommage.

[Page 385]

Nous n’avons pas à juger d’un cas où c’est l’auteur du dommage qui est décédé, qui présenterait une situation toute à fait différente du point de vue du dédommagement de la partie lésée.

En l’espèce, la Division d’appel de l’Alberta, se fondant sur le jugement de la Chambre des Lords rendu dans l’affaire Benham v. Gambling[3], a conclu que la somme à accorder doit être déterminée comme une question de droit car on ne peut la justifier par des faits. Ceci est à mon avis une position trop rigide car, acceptant qu’une diminution d’expectative de vie peut donner lieu à dédommagement en faveur d’une succession, il faut encore qu’il y ait différence dans les indemnités, si étroite que soit la gamme, en fonction de ce que Lord Simon décrivait dand l’affaire Benham v. Gambling comme [TRADUCTION] «les aléas prévisibles du bonheur durant les années que le défunt aurait pu vivre autrement». La Division d’appel a accordé $10,000 d’indemnité en adoptant comme indemnité de convention la somme de $7,500, confirmée par cette Cour dans l’affaire Bechtold c. Osbaldeston[4], et en l’augmentant de façon à tenir compte de la dévaluation de l’argent depuis l’arrêt Bechtold. Il est clair qu’on n’a pas voulu par là faire preuve de précision mathématique, mais choisir un montant qui représenterait la limite maximale à laquelle pourrait donner droit ce chef de dommages en Alberta suivant une approche d’évaluation convenue. Sous réserve de la question de savoir s’il fallait considérer comme un chef de dommages supplémentaire la perte des agréments de la vie, et de l’affirmation de la Division d’appel de l’Alberta selon laquelle le juge de première instance aurait dû dire au jury que la limite maximale était de $10,000, je ne modifierais pas l’indemnité réduite de la Division d’appel, s’agissant d’une question devenue d’intérêt local provincial au Canada.

[Page 386]

Passant à la question de la perte des agréments de la vie comme second chef de dommages dans une action de survivance intentée par le représentant personnel du de cujus pour un délit civil, j’estime que la Division d’appel de l’Alberta a, à juste titre, rejeté les prétentions que celui qui est l’appelant en cette Cour avait fait valoir en faveur de la reconnaissance de ce chef de dommages en tant que tel. Je ne dis rien de ce chef de dommages en tant qu’article de réclamation distinct dans une action intentée par une personne blessée mais en vie, quelle soit ou non inconsciente de façon permanente, ni du lien qu’il peut avoir à cet égard avec une réclamation pour diminution d’expectative de vie. Toutefois, lorsque ce chef de dommages est réclamé dans une action de survivance, comme c’est le cas en l’espèce, je ne puis que constater qu’il fait double emploi avec le chef de dommages reconnu de diminution d’expectative de vie, même s’il est vrai que pour une personne en vie la perte d’agréments peut exiger une indemnité plus importante que celle que l’on accorderait pour la simple perte d’expectative de vie: cf. Fleming, Law of Torts, 4e éd., 1971, aux pp. 207-8.

Je ne peux être d’accord avec la Division d’appel de l’Alberta que lorsqu’une action de survivance en faveur de la succession d’un de cujus est instruite devant un juge et un jury il faille dire au jury, comme question de droit, que la somme de $10,000 représente actuellement la limite maximale de l’indemnité. Je ne pense pas qu’on puisse définir des dommages de manière aussi exacte en leur imposant une limite juridique. Par ailleurs, lorsqu’une cour d’appel doit avoir le dernier mot sur ce qu’est le chiffre approprié qu’il est convenu de fixer, il est tout à fait normal qu’on guide avec soin le jury pour éviter qu’il n’aboutisse, comme ici, à un chiffre extravagant propre à faire l’objet d’appels successifs qui risquent d’avaler complètement l’indemnité finale. Plutôt que de fixer, comme une question de droit, la limite maximale d’une indemnité, le juge de première instance devrait dire au jury, à la lumière de la preuve concernant le de cujus, homme ou femme, dans toutes

[Page 387]

ses qualités, manière de vivre et perspectives d’avenir, à la lumière de son âge et de son état de santé, qu’un chiffre excédant une certaine somme, pouvant être inférieure à $10,000, peut être considéré comme excessif.

Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

Procureurs du demandeur, appelant: Crockett, Hattersley, Ketchum & Niziol, Edmonton.

Procureurs des défendeurs, intimés: Milner & Steer, Edmonton.

[1] [1973] 6 W.W.R. 632, 43 D.L.R. (3d) 571.

[2] [1937] A.C. 826.

[3] [1941] A.C. 157.

[4] [1953] 2 R.C.S. 177.


Parties
Demandeurs : Crosby
Défendeurs : O’Reilly et al.
Proposition de citation de la décision: Crosby c. O’Reilly et al., [1975] 2 R.C.S. 381 (28 juin 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-06-28;.1975..2.r.c.s..381 ?
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