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01/10/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._599

Canada | Eady c. Tenderenda, [1975] 2 R.C.S. 599 (1 octobre 1974)


Cour suprême du Canada

Eady c. Tenderenda, [1975] 2 R.C.S. 599

Date: 1974-10-01

Sylvia Eady Appelante;

et

Dr T. Tenderenda Intimé.

1974: Les 12 et 13 mars; 1974: le 1er octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

Cour suprême du Canada

Eady c. Tenderenda, [1975] 2 R.C.S. 599

Date: 1974-10-01

Sylvia Eady Appelante;

et

Dr T. Tenderenda Intimé.

1974: Les 12 et 13 mars; 1974: le 1er octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Médecins et chirurgiens - Négligence - Norme de soin - Res ipsa loquitur - Nerf facial paralysé après une mastoïdectomie - Éclats d’os dans le nerf du canal - Responsabilité du chirurgien.

L’intimé, un spécialiste en chirurgie des oreilles, du nez et de la gorge, a pratiqué une mastoïdectomie sur l’appelante en utilisant la méthode du marteau et du ciseau avec une loupe binoculaire chirurgicale donnant un grossissement de deux fois et demi plutôt que la nouvelle méthode de micro-chirurgie qui utilise la fraise dentaire. L’appelante a souffert de paralysie faciale à la suite de l’opération. La micro-chirurgie pratiquée pour trouver la cause précise de la paralysie a révélé la présence de deux petits éclats d’os qui étaient pressés contre le nerf facial. Au procès, le jury a conclu premièrement qu’il y avait eu négligence de la part du défendeur, l’intimé, envers la demanderesse, l’appelante, et deuxièmement que la négligence a consisté en ce que l’intimé n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire. En appel ce verdict a été infirmé parce qu’il n’y avait pas, selon la Division d’appel, de preuve permettant de conclure à la négligence de l’intimé.

Arrêt (Les juges Ritchie et de Grandpré étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Les juges Spence et Dickson: La conclusion du jury selon laquelle l’intimé a été négligent était une réponse par un jury portant sur une question de fait et on ne peut modifier cette réponse à moins qu’elle ne soit si nettement déraisonnable et injuste qu’aucun jury examinant l’ensemble de la preuve et agissant de façon judiciaire n’aurait pu donner cette réponse. L’intimé, en utilisant la loupe binoculaire chirurgicale, le marteau et le ciseau, savait que la vision avec un microscope était de beaucoup supérieure à celle que permettait la loupe chirurgicale binoculaire qu’il devait employer et aurait dû par conséquent exercer un plus grand degré de prudence afin d’être certain que les éclats d’os trouvés dans l’incision avaient été

[Page 600]

enlevés. Ayant été incapable au cours de son inspection de la zone opératoire de voir dans la région du nerf facial de tels éclats d’os si nuisibles, l’intimé n’a pas accordé à son patient le degré raisonnable de soin requis.

Le juge Beetz: Une fois admis que le jury a reçu les directives appropriées et que la règle res ipsa loquitur s’applique, on ne peut s’empêcher de conclure qu’il existait certains éléments de preuve sur lesquels un jury pouvait se fonder pour décider correctement qu’il y avait eu négligence.

Les juges Ritchie et de Grandpré, dissidents: Il n’y a pas de preuve directe que l’intimé n’a pas, en pratiquant la mastoïdectomie, agi comme l’aurait fait un médecin raisonnable en des circonstances semblables. Les appelants sont donc obligés d’invoquer la règle res ipsa loquitur. Les deux minuscules éclats d’os provenant de l’opération étaient approximativement de la même couleur que la région où ils étaient situés et ils ont seulement pu être trouvés au cours de la deuxième opération qui a duré trois heures et qui avait été entreprise précisément pour trouver la cause du malaise. La preuve dans son ensemble ne justifiait pas une conclusion de négligence.

[Arrêts mentionnés: McCannell c. McLean, [1937] R.C.S. 341; Feener c. McKenzie, [1972] R.C.S. 525; Gent v. Wilson, [1956] O.R. 257; Crits and Crits v. Sylvester, [1956] O.R. 132, confirmé [1956] R.C.S. 991]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse accueillant un appel d’un jugement rendu par le juge Dubinsky, à la conclusion du procès, d’après les réponses du jury aux questions soumises. Pourvoi accueilli, les juges Ritchie et de Grandpré étant dissidents.

Harold F. Jackson, c.r., et George W. MacDonald, pour l’appelante.

John M. Barker, pour l’intimé.

Le jugement des juges Ritchie et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRE (dissident) — Dans leur action les demandeurs appelants réclament des dommages-intérêts de l’intimé, un médecin, qui a effectué une mastoïdectomie sur la personne de la demanderesse. La déclaration allègue plusieurs moyens fondés sur la négligence

[Page 601]

mais le litige a été limité à un seul comme le feront voir immédiatement les questions et réponses pertinentes que renferme le verdict du jury:

[TRADUCTION] Q. 1. Y a-t-il eu négligence de la part du défendeur envers la demanderesse?

Réponse «oui» ou «non».

Réponse: Oui.

Q. 2. Si votre réponse à la question 1 est affirmative, en quoi consiste cette négligence?

Réponse: Sachant qu’une mastoïdectomie radicale était probablement nécessaire après l’examen du patient et des radiographies; sachant la possibilité de complications à la suite de ce genre d’intervention chirurgicale en employant la méthode du ciseau et du marteau, il n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire.

Le montant des dommages n’est pas contesté ici.

Le verdict a été confirmé par le juge de première instance qui a rendu jugement en faveur des demandeurs. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse en est venue à une conclusion différente et elle a infirmé le verdict du jury parce que, selon l’opinion de la Cour, il n’y avait pas de preuve sur laquelle tirer une conclusion de négligence contre l’intimé. On demande maintenant à cette Cour de rétablir le verdict du jury ou subsidiairement d’ordonner un nouveau procès.

En examinant le verdict du jury, nous devons garder devant nous les principes énoncés dans nombre d’arrêts décidés par cette Cour. Les principaux sont mentionnés dans les motifs de jugement préparés par mon collègue Spence et je ne les répéterai pas ici.

Qu’est-ce que la négligence? La réponse à cette question est bien connue mais elle mérite d’être énoncée à nouveau. C’est négliger d’exercer [TRADUCTION] «les compétences ordinaires d’un homme compétent ordinaire exerçant cet art particulier» — Bolam v. Friern Hospital[1], à la

[Page 602]

p. 121. La même idée est exprimée par M. le juge Abbott dans Donald McCormick c. Gaston Marcotte[2], à la p. 21:

Le critère de diligence raisonnable s’applique aux affairés de responsabilité médicale comme aux autres affaires où il y a allégation de faute. Le médecin doit posséder et utiliser le même degré raisonnable de science et d’habileté que possèdent ordinairement les praticiens de milieux semblables dans des cas semblables. Savoir si l’on a satisfait ou non à ce critère dépend bien entendu des circonstances particulières de chaque affaire.

Dans Cardin c. La Cité de Montréal et al.[3], à la p. 658, le juge Taschereau, alors jugé puîné, disait:

Certainement, les médecins ne doivent pas être tenus responsables d’accidents imprévisibles qui peuvent se produire dans le cours normal de l’exercice de leur profession. Il arrive nécessairement des cas où, malgré l’exercice de la plus grande vigilance, des accidents surviennent et dont personne ne doit être tenu responsable. Le médecin n’est pas un garant de l’opération qu’il fait ou des soins qu’il procure. S’il déploie une science normale, s’il donne les soins médicaux que donnerait un médecin compétent dans des conditions identiques, s’il prépare son patient avant l’intervention suivant les règles de l’art, il sera difficilement recherché en dommages, si par hasard un accident se produit. Pas plus pour le médecin que pour les autres professionnels, avocats, ingénieurs, architectes, etc., le standard de perfection est l’exigence de la loi. Il faut nécessairement tenir compte des accidents, des impondérables, de tout ce qui est prévisible et de tout ce qui ne l’est pas.

Il est évident que dans la plupart des cas où l’on allègue la négligence d’un médecin, il n’est pas possible de prouver directement la faute. L’espèce présente ne fait pas exception. Seulement deux témoins ont été entendus relativement à l’aspect médical de l’affaire, l’intimé lui-même et un docteur Shane qui a vu la demanderesse quelques jours après l’opération dans des circonstances dont on parlera plus loin. Il n’est pas possible de trouver dans leurs témoignages des preuves directes que l’intimé n’a pas agi comme l’aurait fait un médecin raisonnable agissant en des circonstances semblables.

[Page 603]

Les appelants sont donc obligés d’invoquer en leur faveur la règle de preuve connue sous la désignation de res ipsa loquitur. La nature de celle-ci dans une cause de responsabilité non médicale a été étudiée par le juge Ritchie, parlant au nom de la Cour, dans Frank Hellenius et Rock Leclerc c. Thomas Lees[4] à la p. 171:

On a soutenu au nom des appelants que c’était un cas de res ipsa loquitur et que, pour ce motif, c’est au défendeur qu’il incombait au départ de prouver qu’il n’y avait pas eu négligence. Je dois tout d’abord dire qu’à mon avis les faits de cette affaire ne permettent pas de fonder cette prétention. La soi-disant règle contenue dans l’expression latine res ipsa loquitur n’est rien de plus qu’une règle de preuve et n’exprime aucun principe de droit. Le juge en chef Erle, dans son jugement dans Scott v. London & St. Katherine Docks Co., (1865) 3 H. & C. 596, à la page 601, 159 E.R. 665, a commodément et péremptoirement exprimé la règle lorsqu’il a dit:

[TRADUCTION] Il doit y avoir une preuve raisonnable de négligence.

Mais lorsqu’il apparaît que la chose est sous la direction du défendeur ou de ses préposés, et que l’accident est de ceux qui n’arrivent ordinairement pas si ceux qui ont la direction prennent des précautions convenables, cela présente, faute d’explication de la part des défendeurs, une preuve raisonnable que l’accident est imputable à un manque de précaution.

Je trouve que les restrictions inhérentes à la théorie ainsi énoncée sont correctement formulées dans Clerk & Lindsell on Torts, 13e éd., par. 967, à la p. 968, où il est dit ceci:

[TRADUCTION] La théorie entre en jeu: (1) lorsque la chose qui a causé le dommage est uniquement sous la direction et en le pouvoir du défendeur, ou de quelqu’un dont il est responsable ou qu’il a le droit de diriger; (2) les circonstances sont telles que l’accident n’aurait pu se produire s’il n’y avait eu négligence. Si ces deux conditions se rencontrent, il s’ensuit, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur ou la personne dont il est responsable a dû être négligent. Il existe cependant une autre condition de caractère négatif; (3) il ne doit exister aucune preuve quant aux causes ou aux circonstances de ce qui s’est produit. Si cette preuve-là existe, il ne convient pas de recourir à la règle res ipsa loquitur, car c’est sur cette preuve que Ta détermination de la question de négligence doit se fonder.

[Page 604]

Dans une affaire de responsabilité médicale, à savoir l’arrêt Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier[5], le juge Pigeon, parlant au nom de la Cour, a dit ce qui suit au sujet de cette règle: (à la p. 749)

Il faut donc uniquement rechercher si la preuve faite était suffisante pour permettre de conclure qu’en toute probabilité ce qui s’est produit ne serait pas arrivé en l’absence de faute. Je dis «en toute probabilité» car il est clair que lorsque dans le texte ci-dessus cité le Juge Taschereau dit «il est évident», il n’entend pas exiger un degré de certitude autre que celui qui doit servir à juger les causes civiles, soit une probabilité raisonnable. Il ne s’agit pas d’une certitude hors de tout doute raisonnable qui est exigée en matière criminelle seulement. Encore moins peut-on exiger une certitude mathématique, une démonstration qui exclut toute autre probabilité.

La règle res ipsa loquitur a été appliquée récemment dans une affaire de responsabilité médicale, à savoir l’arrêt William Gordon Finlay et Nancy Jean Finlay c. Benson Auld[6]. Ayant examiné l’ensemble de la preuve, cette Cour en est venue à la conclusion, confirmant la décision des cours d’instance inférieure, que le médecin avait réfuté toute présomption de négligence créée par l’application de la règle.

Pour être complet, je désire mentionner l’arrêt Hôtel-Dieu de Montréal c. Couloume[7], où la règle a encore une fois été examinée mais dans un contexte différent.

A mon avis, la règle s’applique en l’espèce et le jury avait droit de la prendre en considération. Néanmoins la preuve entière doit être étudiée afin de déterminer si le jury, agissant de façon judiciaire, pouvait rendre un verdict de négligence.

La preuve a été minutieusement analysée par M. le juge Cooper et je désire citer le passage suivant de ses notes:

[TRADUCTION] L’appelant a employé au cours de la première opération la méthode du marteau et du ciseau pour pratiquer une mastoïdectomie, utilisant

[Page 605]

une loupe binoculaire chirurgicale décrite comme étant des verres grossissants enchâssés dans une monture. Les verres, à une distance de huit à neuf pouces des yeux, donnent un grossissement de deux fois et demie. L’opération a été faite sous anesthésie générale.

Il s’ensuivit une paralysie faciale et l’intimé a fait appel au Dr Shane pour remédier à la situation si cela était possible. Celui-ci a décrit comme suit son intervention:

[TRADUCTION] Q. Avez-vous examiné le nerf dans la région du pont?

R. Oui et j’ai procédé ensuite à séparer l’os du nerf en suivant ce que nous appelons la fenêtre ovale — au-dessus de ce que nous appelons la fenêtre ovale et le labyrinthe et je ne pouvais voir comment le nerf aurait pu être endommagé à cet endroit et j’ai ensuite procédé vers le bas autour du canal du trou sterno-mastoïdien-ce canal et ce trou parce que j’avais de la peine à déterminer ce qui s’était réellement produit et j’ai passé près de trois heures avant de pouvoir trouver qu’il y avait deux petits éclats d’os dans le nerf, mais j’ai retiré le nerf de ce canal pour regarder et c’est là que j’ai vu ces deux petits éclats d’os à cet endroit et ils étaient très difficiles à voir parce que vous êtes en présence d’un os blanc et d’un nerf blanc et d’un éclat d’os blanc.

En contre-interrogatoire il a de nouveau expliqué ce qu’il a fait:

[TRADUCTION] Q. Pouvez-vous me dire encore ce qui est arrivé, alors?

R. Bien, nous avons ouvert la mastoïde à l’arrière cette fois parce qu’on avait déjà opéré à l’avant; nous sommes passés à travers différents muscles afin de parvenir à la zone visée; j’ai enlevé ce qui restait du pansement du Docteur Tenderenda; et je dois dire que mes notes sur cette opération sont brèves. D’abord, le nerf qu’on se serait attendu à voir coupé ou endommagé était éraillé et je n’étais pas exactement certain de ce qui s’était produit là, aussi nous sommes allés plus loin dans l’oreille moyenne et nous avons ensuite mis le nerf à découvert au-dessus de l’étrier et je ne pouvais rien voir d’anormal dans cette partie-là du nerf non plus et alors j’ai décidé d’aller plus loin. Je suis descendu dans le canal stylo-mastoïdien et je ne pouvais rien voir là et je suis donc retourné où j’aurais pensé que le malaise aurait été situé dans la région du pont

[Page 606]

ou la région de l’attique autour du canal semi-circulaire et en déplaçant et regardant autour j’ai finalement trouvé deux éclats d’os, qui ont été envoyés au laboratoire.

Il avait auparavant souligné [TRADUCTION] «combien vous êtes près des différentes structures lorsque vous travaillez dans cet endroit exigu de un à deux ou trois millimètres et où le nerf est de la grosseur d’un gros fil, disons, et alors qu’au départ vous faites face à un os malade.»

Lorsqu’on lui a demandé de commenter les procédures suivies par le Dr Tenderenda dans les premières phases de l’opération, le Dr Shane a déclaré qu’il approuvait ces procédures. Plus tard, dans son témoignage lors du contre-interrogatoire, nous trouvons la question suivante: [TRADUCTION] «Selon vous, Docteur, l’opération qu’a pratiquée le Docteur Tenderenda a‑t‑elle été faite avec compétence?» Réponse: «Je répondrais par l’affirmative, oui».

Ces réponses par le Dr Shane règlent le sort de la prétention des appelants que la méthode du marteau et du ciseau n’aurait pas dû être employée. Pour être juste, je dois ajouter que cette prétention n’a pas été réellement mise de l’avant devant cette Cour.

Cependant, on a prétendu à maintes reprises qu’ayant employé cette méthode, l’intimé était dans une situation plus difficile et qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait s’attendre à ce qu’il y ait des éclats d’os sur le nerf, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait employé une autre méthode, soit la fraise et la micro-chirurgie. Ici encore, le Dr Shane a eu quelque chose à dire, cette fois en répondant à une question du tribunal:

[TRADUCTION] Q. Est-ce qu’il pourrait y avoir des éclats si l’intervention est faite de l’autre façon?

R. Quoi, avec la fraise? Non.

Q. Oui, oui, avec la fraise?

R. Bien, non, alors vous n’avez pas d’éclats d’os mais vous avez de la poussière d’os qui en elle-même est autant nuisible que des éclats d’os à cet endroit, si vous voulez regarder cela de cette façon, bien qu’aujourd’hui un collègue

[Page 607]

recueille la poussière d’os pour construire une nouvelle paroi de passage. Ils font aujourd’hui toutes sortes de choses qu’ils n’auraient pas faites il y a deux ans, vous savez.

Lorsqu’ils ont traité de la provenance des éclats d’os, l’intimé et le Dr Shane ont été incapables de faire plus que d’offrir une liste de possibilités. Une chose est certaine, cependant, les éclats d’os provenaient de l’opération. On doit encore renvoyer au témoignage du Dr Shane:

[TRADUCTION] Q. Très bien. Maintenant, revenez à ma question: les éclats d’os peuvent avoir été produits par quoi? Par la ciselure à la gouge de —

R. Par la ciselure de cette région ou par une gouge ou un ciseau et vous utilisez habituellement un ciseau.

Q. Et de quelle autre façon?

R. Et aussi avec une fracture dans cette région vous pouvez rompre le nerf facial et lorsque vous la ciselez vous pouvez aussi la fracturer.

Q. Vous pouvez la fracturer?

R. Oui et vous devez descendre cette partie pour procéder à la mastoïdectomie radicale et mettre à découvert la cavité complète.

Q. Maintenant, les éclats peuvent-ils avoir d’autres causes?

R. Oui. Nous avons des cellules d’air et cette mastoïde se trouvait à être très, très sclérosée; j’en ai eu connaissance. Vous pouvez faire tomber un autre morceau et il glisse hors de votre champ de vision.

Q. Hors de votre quoi?

R. Hors de votre champ de vision. Ici vous êtes en présence d’une cavité tubulaire, qui a exactement la forme d’un haricot nain, et le pont est le centre de ce haricot et, afin de joindre ces deux-là ensemble, le haricot nain dont l’oreille moyenne, ou le tympan comme il l’appelle, et la région de l’antre mastoïdien, vous devez enlever le pont entre les deux.

Q. Alors ce sont là les seules façons qui peuvent produire des éclats d’os?

R. Ou lorsque vous faites le curetage des cellules d’air qui sont là ou que vous les frappez avec un ciseau et une gouge vous pouvez briser de petits morceaux d’os dur et dense. Je ne connais aucune autre façon qui pourrait produire des éclats d’os et je pense que peut-être celle-là serait la seule façon.

[Page 608]

Quelle que soit la provenance exacte des éclats, la preuve, à mon avis, ne justifie pas une conclusion de négligence. Les deux minuscules éclats d’os étaient approximativement de la même couleur que la région où ils étaient situés et ils ont seulement pu être trouvés au cours de la deuxième opération qui a duré trois heures et qui avait été entreprise précisément pour trouver la cause du malaise. Pour parvenir à ces petits éclats d’os, le Dr Shane a dû soulever le nerf.

Encore selon le témoignage du Dr Shane, il apparaît que la paralysie du nerf facial n’est pas malheureusement une chose inhabituelle dans une opération de ce genre et le Dr Shane a déclaré que [TRADUCTION] «une opération sur cent» donne naissance à des complications d’un genre ou d’un autre.

Considérant l’ensemble de la preuve et non pas seulement les parties de celle-ci qui sont mentionnées dans les présentes notes, je ne puis qu’en arriver à la conclusion qu’a exprimée comme suit M. le juge Cooper à la Cour d’appel:

[TRADUCTION] Je réitère que la conclusion du jury n’a pas été que le Dr Tenderenda avait été négligent en décidant de recourir à la méthode du marteau et du ciseau pour pratiquer l’opération mais a été plutôt que le docteur n’avait pas respecté, en utilisant cette méthode, les normes de précaution qu’on requérait de lui. Je ne puis trouver aucune preuve d’un tel manquement. Sa procédure a été approuvée par le Dr Shane, le seul témoin médical en plus du Dr Tenderenda lui-même. Cette procédure n’implique l’usage d’un microscope en aucun moment mais plutôt l’usage de la loupe binoculaire chirurgicale en tout temps. A mon avis, par conséquent, la réponse du jury à la première question doit être rejetée comme une réponse que le jury, examinant l’ensemble de la preuve et agissant de façon judiciaire, ne pouvait donner.

Un dernier mot. Les demandeurs-appelants ont invoqué avec insistance l’arrêt Crits c. Sylvester[8]. Je désire simplement souligner que cette

[Page 609]

Cour à cette occasion-là s’est limitée à décider la responsabilité selon les faits révélés par la preuve: un gaz dont s’était servi un anesthésiste avait fait explosion dans une salle d’opération. Cette Cour n’est pas allée plus loin et elle n’a pas non plus fait siens tous les motifs du tribunal dont appel.

Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je serais d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Le jugement des juges Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse prononcé le 15 juin 1973. Par cet arrêt, ladite Division d’appel a accueilli un appel du jugement que le juge Dubinsky a rendu après avoir entendu la cause, d’après les réponses aux questions soumises au jury. Le juge Dubinsky a rendu jugement en faveur du demandeur pour $104.35 et en faveur de la demanderesse, l’appelante en cette Cour, pour $20,000 pour dommages généraux. L’action a été rejetée par l’arrêt de la Division d’appel.

Un avis d’appel à cette Cour a été produit au nom de l’appelante Sylvia Eady seulement et il n’y a pas eu de requête pour autorisation d’appeler faite au nom de Delbert Eady, son mari, dont le jugement de $104.35 obtenu en première instance pour dommages spéciaux avait, évidemment, été infirmé par la Division d’appel.

La demanderesse, une jeune femme mariée, souffrait fréquemment de graves maux d’oreilles. Elle consulta son médecin de famille, le Dr Weir, qui après l’avoir traitée l’envoya voir l’intimé, le Dr T. Tenderenda, qui était un spécialiste en chirurgie des oreilles, du nez et de la gorge. Je parlerai plus loin des compétences professionnelles de ce dernier. L’intimé a procédé à des tests cliniques qui l’ont convaincu que l’appelante souffrait d’exacerbation de l’oreille gauche allant jusqu’à l’infection et atteignant la région mastoïde. Il a fait prendre des radiographies de l’appelante au centre médical de Dartmouth, le 21 août 1969. Celles-ci ont montré que l’os était en grande partie sclérosé;

[Page 610]

cela signifie qu’il y avait absence de cellules ou s’il y en avait quelques-unes, elles étaient anormalement petites de sorte que les rayons X ne pouvaient pas les déceler. Le Dr Tenderenda a témoigné que cette condition s’accompagne d’une infection de longue durée et que la région qu’il a appelée l’«attique», située juste au-dessus de la caisse du tympan de l’oreille, était en apparence translucide. Il a témoigné que ceci indique normalement l’existence d’un processus actif de destruction dans cette région et comme celle-ci est contiguë à la membrane du cerveau et très près d’un demi-cercle de canaux faciaux, il s’agit d’une région critique. Le Dr Tenderenda a conseillé à l’appelante de se soumettre à une opération pour remédier à cette condition de la mastoïde et l’a prévenue des dangers tels que la méningite, l’encéphalite, etc. qui pourraient s’ensuivre si une intervention chirurgicale n’était pas effectuée. Le Dr Tenderenda n’a pas mentionné à l’appelante les dangers que présentait l’opération et l’appelante a témoigné qu’elle ne lui a pas posé de question à ce sujet.

L’intimé a pratiqué l’intervention chirurgicale sur la personne de l’appelante le 8 octobre 1969. Il a paru évident à l’intimé que l’appelante souffrait de paralysie faciale à la suite de l’opération et sans délai il a fait appel au Dr Arthur G. Shane, un chirurgien otologiste de renom à Halifax, lequel a examiné l’appelante et a conclu que l’oreille devrait être réouverte afin de trouver la cause de la paralysie faciale. Cette opération, effectuée par le Dr Shane lui‑même, en présence de l’intimé, a eu lieu six jours plus tard. Au cours de cette opération, le Dr Shane a découvert la présence de deux petits éclats d’os blancs qui étaient pressés contre le nerf facial. Le Dr Shane a enlevé ces petits éclats d’os. Depuis, la demanderesse ne s’est rétablie que partiellement de sa paralysie faciale et elle souffre encore de graves déficiences.

Le jury a alloué à l’appelante $20,000 en dommages généraux et bien que le montant ait fait l’objet de l’appel à la Division d’appel, la question des dommages n’a pas été débattue en cette Cour.

[Page 611]

L’intimé est né en Pologne et a obtenu son diplôme médical en 1934 de l’université médicale de Varsovie. Après son service comme officier régulier du corps médical, il est arrivé en Angleterre en mai 1947. Après un certain laps de temps durant lequel il fit des périodes de stage et d’internat dans différents hôpitaux et cliniques, il passa ses examens pour un diplôme en laryngologie et en otologie.

Détenteur du diplôme en laryngologie et otologie, l’intimé est arrivé à Dartmouth, en Nouvelle‑Écosse, en août 1954. Il est un spécialiste certifié des oreilles, du nez, des yeux et de la gorge dans la province de Nouvelle-Écosse, ayant obtenu son brevet professionnel en 1965. Il avait pratiqué dans différentes institutions médicales d’Halifax et de la région jusqu’au moment de l’opération en octobre 1969.

On a passé beaucoup de temps dans toutes les cours, incluant cette Cour, à débattre les méthodes employées par l’intimé lorsqu’il a opéré l’appelante le 9 octobre 1969. L’intimé avait pratiqué environ quarante-cinq opérations de la mastoïde, parmi lesquelles vingt-cinq dans la province de Nouvelle-Écosse entre 1954 et 1969. L’intimé avait appris à opérer dans la partie étroitement restreinte de l’oreille, et particulièrement de l’oreille interne, en utilisant la méthode connue comme celle de la loupe binoculaire chirurgicale. Cette loupe consistait en une monture de lunettes dans laquelle était insérée une lentille grossissante qui, lorsque placée à environ huit ou neuf pouces des yeux du chirurgien, donnait ce qui a été décrit comme une «modification», le mot semblerait signifier «grossissement», de deux fois et demie. Cette méthode était employée par tous les chirurgiens otologistes jusqu’à récemment et elle semble être encore utilisée par nombre d’entre eux. L’intimé connaissait l’existence d’une autre méthode qui est appelée micro-chirurgie mais il a déclaré ne pas la connaître suffisamment pour employer lui-même cette nouvelle technique. La technique a été décrite par le Dr Shane, l’otologiste expérimenté qui a procédé à la seconde opération effectuée sur l’appelante et qui a témoigné en faveur de l’intimé.

[Page 612]

Au cours des dernières années, le Dr Shane a pratiqué beaucoup plus d’opérations visant à améliorer l’audition plutôt que des opérations visant à soulager d’une mastoïdite chronique. Dans les opérations auxquelles le Dr Shane consacre la plus grande partie de son temps, il est nécessaire d’employer la micro-chirurgie. Il a témoigné que pratiquement tous les médecins emploient maintenant cette méthode de chirurgie et qu’elle est la seule qui est enseignée aujourd’hui dans les écoles de médecine. Cependant, le Dr Shane n’admettrait pas que la chirurgie à l’aide de la loupe binoculaire n’était pas une méthode parfaitement régulière et, en fait, il l’a lui-même employée au début de son opération parce qu’il considérait que cette méthode, qui permettait l’utilisation du marteau et du ciseau, aboutissait à une élimination beaucoup plus rapide de la membrane osseuse avant de rejoindre l’endroit précis de l’intervention. Avec la méthode de micro-chirurgie de l’oreille, la fraise dentaire est utilisée et le Dr Shane a fait remarquer que l’usage de cet instrument peut présenter certaines difficultés; ainsi un médecin peut se trouver avec une fraise émoussée, ou encore, la fraise, si elle n’est pas maniée attentivement, peut faire en sorte que l’os sur lequel le médecin opère devienne surchauffé. Il a, cependant, admis qu’il était du devoir du chirurgien de s’assurer que la fraise n’était pas émoussée et de prendre les précautions pour éviter la surchauffe.

Le fait que le Dr Shane, dans la seconde opération, alors qu’il a pénétré à l’intérieur de l’oreille par une ouverture différente plutôt que de simplement ouvrir les points de suture de l’incision précédente, n’a pas utilisé une loupe pour percer l’os mais a procédé selon la méthode de micro-chirurgie et s’est servi d’une fraise dentaire, peut avoir quelque signification.

Naturellement, le grand avantage de la microchirurgie est, comme le nom l’indique, que vous regardez une région très petite en utilisant un microscope qui donne une amplification de beaucoup supérieure au grossissement de deux et demi que permet la loupe binoculaire. Par

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conséquent, sur quoi le Dr Shane et l’intimé ont tous deux été d’accord, vous pouvez voir l’endroit de façon beaucoup plus claire.

Après ce très bref renvoi à une preuve abondante relative aux deux méthodes chirurgicales, je retourne à la première opération de l’appelante. L’intimé a témoigné qu’après s’être frayé un chemin à travers les tissus mous, il a mis à découvert l’os qui se trouve juste derrière le canal auditif, ce qui est la façon normale de rejoindre l’os mastoïdien. Il a coupé l’os au ciseau jusqu’à ce qu’il arrive à des cellules un peu plus grandes qui normalement représentent l’antre mastoïdien et il a poursuivi le long de cet antre, dans sa partie supérieure et sa partie inférieure, jusqu’à ce qu’il trouve le tympan et enlève l’os près de celui-ci. L’intimé a insisté qu’à cet endroit particulier, les nerfs faciaux sont très près, à seulement un vingt‑cinquième de millimètre de l’endroit où il travaillait. L’intimé a témoigné que les nerfs faciaux sont habituellement dans une structure osseuse de forme tubulaire et qu’il n’a en aucun temps durant l’opération vu le nerf facial et qu’il n’a certainement pas sectionné le nerf. Il est certain qu’il n’a pas mis à découvert le nerf facial mais il ne peut dire que le nerf n’était pas à découvert, car il a dû en toute probabilité l’être par l’évolution de la maladie. Au cours de son opération, l’intimé a repéré et enlevé beaucoup d’os, de l’os qu’il a décrit comme cassant de sorte qu’en appliquant le ciseau à l’os celui-ci ne brisait pas dans le sens dans lequel il tentait de le tailler mais plutôt déviait dans une direction différente. La condition osseuse qu’il a décrite comme «sclérosée» résultait de l’évolution de la maladie. L’intimé a enlevé tout l’os affecté qu’il a pu trouver jusqu’à ce qu’il atteigne l’os solide et, dans l’attique de l’oreille moyenne, il a trouvé le mal qui avait été antérieurement diagnostiqué par les rayons X et il a enlevé du tissu à cet endroit. La caisse du tympan elle-même était pratiquement détruite mais les débris de celle-ci étaient là de sorte qu’il les a enlevés et ensuite il a effectué une inspection. L’intimé a complété l’opération en se servant de peroxyde d’hydrogène afin de contrôler le saignement et nettoyer la région, particulièrement l’attique où

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l’écoulement du sang était trop considérable pour être contrôlé autrement et ensuite il a témoigné: [TRADUCTION] «…et je n’ai pu rien trouver après avoir fait cette inspection et j’ai mis le pansement dans l’oreille et…». L’intimé a témoigné qu’il n’a pas vu le nerf facial au cours de cette inspection.

Comme je vais le décrire ci-après, lors de la seconde opération, le Dr Shane a trouvé deux petits éclats d’os blancs, et l’intimé, dans son témoignage, a déclaré qu’à son avis ces éclats d’os provenaient de la région autour de l’os mastoïdien. Il se peut qu’ils aient été de petites particules rongées par l’évolution de la maladie et ressortant, je suppose que le témoin veut dire «faisant saillie», et ils ont pu être facilement délogés au cours de l’opération ou en introduisant le pansement dans l’oreille.

Il y a contradiction entre les témoignages de l’appelante et du Dr Shane relativement à ce qui s’est produit lorsque le médecin Shane a procédé à son premier examen de l’appelante à la demande de l’intimé. L’appelante a déclaré que lorsque le Dr Shane a examiné l’état de son visage paralysé et l’a fait se regarder dans un miroir, il lui a dit qu’il soupçonnait la présence d’éclats d’os au lieu de l’opération. En revanche le Dr Shane ne peut pas se rappeler avoir fait cette déclaration mais était plutôt d’avis qu’il aurait d’abord songé à trois autres raisons. Ce qu’a dit le Dr Shane à l’appelante est sans importance puisque lorsqu’il a opéré il a découvert les éclats d’os. Cette opération comme je l’ai dit, s’est effectuée six jours après la première, et le Dr Shane a pratiqué l’opération selon la méthode de micro-chirurgie et en se servant de la fraise dentaire.

Le Dr Shane a témoigné qu’aussitôt qu’il a ouvert la région il a vu le nerf facial à découvert mais il n’a pas pu dire si le nerf était à découvert à cause d’un acte chirurgical ou à cause de l’évolution de la maladie, étant porté à favoriser ce dernier point de vue. Il a déclaré que le nerf à l’endroit où l’on se serait attendu qu’il soit coupé ou endommagé, était éraillé mais il ne pouvait être certain de ce qui s’était produit là de sorte qu’il continua plus loin dans l’oreille

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moyenne et en fait travailla presque trois heures avant qu’il ne puisse trouver deux petits éclats d’os dans le nerf. Il a déclaré qu’il a [TRADUCTION] «retiré le nerf du canal pour regarder et que c’est alors que j’ai vu deux petits éclats d’os à cet endroit et ils étaient très difficiles à voir lorsque vous êtes en présence d’un os blanc et d’un nerf blanc et d’un éclat d’os blanc.» Je suis d’avis qu’on insiste trop sur le fait que le Dr Shane a découvert ces deux petits éclats d’os seulement après trois heures de recherche parce que ces trois heures de recherche ont été passées non pas à chercher les éclats d’os mais à examiner le long du nerf pour voir si celui-ci avait été sectionné à quelque endroit et c’est seulement lorsqu’il n’a pu, après une recherche très minutieuse, trouver de sectionnement, qu’il est retourné à l’endroit où, comme il l’a mentionné, on pouvait soupçonner l’existence d’une affection, c’est-à-dire, là où le nerf avait été éraillé et c’est à cet endroit, en soulevant le nerf, qu’il a trouvé les éclats d’os pressés contre le nerf. L’intimé, qui était présent lorsque le Dr Shane a effectué la seconde opération, a déclaré que ces deux éclats d’os étaient entre le pansement et le nerf et a dit qu’il était probable qu’ils avaient été tassés contre le nerf par le pansement, bien qu’il s’agisse normalement d’un pansement lâche et non pas d’un pansement serré. Le Dr Shane a enlevé les deux éclats d’os, cause du malaise, mais la demanderesse n’a pu se remettre complètement de sa paralysie faciale et le jury, en se fondant sur l’ensemble de la preuve, lui a accordé des dommages généraux de $20,000.

Les directives du juge au jury à la fin de la preuve au procès ont été le sujet de quelques commentaires et critiques devant la Division d’appel par l’avocat de l’intimé mais la Division d’appel n’a pas trouvé d’erreur dans les directives et je n’en vois pas non plus en ce qui concerne l’énoncé des règles de droit. Le savant juge de première instance a de façon particulière dit au jury que ce dernier avait le droit de recourir à la théorie de la res ipsa loquitur en considérant la preuve. Cette façon de voir a été approuvée par le juge d’appel Cooper à la Divi-

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sion d’appel et je suis d’avis que l’application de la maxime est justifiée en l’espèce.

Le savant juge de première instance était libre, cependant, de dire quels faits, selon lui, la preuve avait établis pourvu qu’il prît soin de spécifier au jury que c’était là son opinion personnelle et le savant juge de première instance a certainement agi de la sorte. Je cite:

[TRADUCTION] Je dis toujours ceci de façon qu’il n’y ait pas de doute dans vos esprits, mais, à mon avis, toute la preuve médicale qui a été présentée soigneusement et systématiquement par le défendeur et par le Dr Shane, et que vous avez encore fraîche à la mémoire, m’entraîne à dire et m’entraîne à croire que la mastoïdectomie radicale que le Dr Tenderenda a pratiquée a démontré qu’il n’y a eu aucune négligence que ce soit dans l’opération elle-même, ni dans le traitement post-opératoire de sa patiente.

Le savant juge de première instance a aussi fait remarquer au jury qu’il n’y avait aucune preuve que le délai de six jours entre la première opération par l’intimé et la seconde par le Dr Shane ait causé quelque dommage à l’appelante. Il est ensuite passé à ce qu’il a appelé le noeud de la question, à savoir, si le Dr Tenderenda aurait dû opérer l’appelante ou s’il aurait dû, réalisant les déficiences de la méthode plus ancienne de la loupe binoculaire chirurgicale, avec le marteau et le ciseau, la seule méthode que lui-même pouvait employer, faire appel à quelque autre chirurgien en vue d’utiliser la méthode moderne de micro-chirurgie. Le savant juge de première instance a soumis au jury la question suivante:

[TRADUCTION] Le Docteur Tenderenda a-t-il manqué à son devoir de prudence, autant que sa patiente, Mme Eady, est concernée lorsqu’il se rendit dans la salle d’opération et pratiqua sur elle l’opération, de la façon qu’il était habitué de le faire et comme il l’avait fait environ cinquante fois auparavant au cours de sa pratique?

Le savant juge de première instance a soumis les questions suivantes au jury:

[TRADUCTION] QUESTIONS POUR LE JURY

Q. 1 Y a-t-il eu négligence de la part du défendeur envers la demanderesse? Réponse «Oui» ou

«non».

Réponse: Oui.

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Q. 2 Si votre réponse à la question 1 est affirmative, en quoi consiste cette négligence?

Réponse: Sachant qu’une mastoïdectomie radicale était probablement nécessaire après l’examen du patient et des radiographies; sachant la possibilité de complications à la suite de ce genre d’intervention chirugicale en employant la méthode du ciseau et du marteau, il n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire.

Q. 3 Si vous avez répondu affirmativement à la question 1, quel est le montant des dommages subis par la demanderesse?

Réponse: $20,000.

A la suite de ces réponses, malgré une requête de l’avocat de la défense pour faire radier la réponse à la question numéro 2 comme ne s’appuyant pas sur la preuve, le savant juge de première instance a rendu jugement en faveur de l’appelante pour $20,000 et en faveur de son mari pour $104.35.

Le juge d’appel Cooper a rédigé pour la Division d’appel des motifs très bien détaillés. Il a résumé les questions telles qu’énoncées par l’avocat de l’appelant, qui est ici intimé, de la façon suivante:

[TRADUCTION] 1. Qu’il n’y a pas de preuve à l’appui du verdict que l’appelant a été négligent «en ce qu’il n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire».

2. Subsidiairement, que le verdict était inique et à l’encontre du poids de la preuve.

3. Que le savant juge de première instance a donné au jury une directive erronée en lui disant que l’omission du défendeur d’employer la technique utilisant le microscope et la fraise automatique en pratiquant sur la demanderesse une opération appelée mastoïdectomie, constituant une négligence de la part du défendeur.

4. Que de toute façon les dommages accordés étaient excessifs.

Étant disposé à faire droit à l’appel, le savant juge d’appel n’a pas traité de la question numéro 4. Il a traité de la question numéro 3 en faisant remarquer que la conclusion du jury n’a pas été que l’intimé, appelant en cette cour-là, avait été

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négligent en décidant de recourir à la méthode du marteau et du ciseau pour pratiquer l’opération, mais a été plutôt que l’intimé n’avait pas respecté, en utilisant cette méthode, les normes de précaution qu’on requérait de lui. Respectueusement, je partage cette opinion et, à mon avis, on a trop insisté au cours de ce litige sur la méthode de la loupe binoculaire chirurgicale, avec le marteau et le ciseau, comme procédure opératoire distincte de la méthode de la microchirurgie, qui utilise la fraise dentaire. Le juge d’appel Cooper a situé la véritable question en litige devant la Cour d’appel et devant cette Cour de façon très succincte lorsqu’il a déclaré:

[TRADUCTION] Ceci m’amène à la question vitale en cet appel, à savoir s’il y avait preuve sur laquelle le jury pouvait fonder sa conclusion selon laquelle l’appelant n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire.

On doit se rappeler que le jury avait répondu aux questions 1 et 2 en décidant que l’intimé en l’espèce avait été négligent dans la façon dont il avait traité l’appelante et en concluant que la négligence consistait en:

Réponse: Sachant qu’une mastoïdectomie radicale était probablement nécessaire après l’examen du patient et des radiographies; sachant la possibilité de complications à la suite de ce genre d’intervention chirurgicale en employant la méthode du ciseau et du marteau, il n’a pas pris les précautions nécessaires en s’assurant que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire.

Il s’agit là d’une réponse d’un jury portant sur une question de fait.

Je suis, respectueusement, d’accord avec le juge d’appel Cooper lorsqu’il énonce le principe souvent répété selon lequel il n’y a pas lieu de modifier la réponse à moins qu’elle ne soit si nettement déraisonnable et injuste qu’elle convainc la Cour qu’aucun jury examinant l’ensemble de la preuve et agissant de façon judiciaire

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n’aurait pu donner cette réponse. Le juge d’appel Cooper a cité l’arrêt McCannell c. McLean[9].

Comme le juge Ritchie le note dans l’arrêt Feener c. McKenzie[10], à la p. 540, le juge en chef Duff a poursuivi, dans l’arrêt McCannell c. McLean, comme suit:

[TRADUCTION] A ma connaissance, c’est le principe que cette Cour applique depuis au moins trente ans et il a été énoncé de diverses façons dans les arrêts publiés et non publiés.

Trente-sept ans plus tard, je peux dire la même chose.

Notre tâche, par conséquent, est de décider si, selon nous, le jury pouvait conclure que l’intimé n’a pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que tous les éclats d’os avaient été enlevés de la zone opératoire. Les normes de prudence qu’a fait siennes le juge d’appel Cooper étaient celles que le juge d’appel Schroeder avait énoncées dans l’arrêt Gent v. Wilson[11]; dans cet arrêt-là, le juge d’appel Schroeder suit l’arrêt antérieur de Crits v. Sylvester[12]. Cette dernière décision a été confirmée par cette Cour [1956] R.C.S. 991, qui ne fait de renvoi à aucun précédent, se contentant simplement de faire l’analyse de la preuve. Le juge d’appel Schroeder déclarait à la p. 165:

[TRADUCTION] Les principes juridiques relatifs au degré de prudence et d’habileté qu’on doit attendre des médecins ou chirurgiens sont biens établis mais il est difficile de les appliquer aux circonstances particulières. Chaque practicien doit apporter à sa tâche un degré raisonnable de compétence et de connaissance et il doit exercer un degré raisonnable de prudence. Il est obligé de faire preuve de ce degré de prudence et de compétence que l’on peut raisonnablement attendre d’un practicien ordinaire et prudent ayant la même expérience et réputation, et s’il se présente comme un spécialiste, on requiert de lui un plus grand degré de compétence que d’un autre qui ne prétend pas à cette qualification en raison de son habileté et de son entraînement en un domaine particulier. Je ne crois pas que les critères de prudence

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aient été énoncés de façon plus claire ou succincte que par le Juge en chef Lord Hewart à la p. 559 de l’arrêt R. v. Bateman (1925), 41 T.L.R. 557, d’où je cite: [TRADUCTION] «Si quelqu’un se présente comme ayant une compétence et une connaissance particulière et qu’il est consulté, parce qu’il a cette compétence et cette connaissance, par un patient ou au nom de celui-ci, il a envers ce patient un devoir de prendre les précautions nécessaires en appliquant le traitement. S’il accepte la responsabilité et entreprend le traitement et que le patient se soumet à ses directives et à son traitement d’une manière conforme, il a envers ce patient le devoir d’agir avec diligence, prudence, connaissance, compétence et précaution en administrant le traitement… La loi exige de justes et raisonnables normes de prudence et compétence.»

Chaque cas doit, évidemment, tenir compte des faits particuliers. Si un médecin a administré un traitement d’une façon qui est conforme aux critères reconnus et à la pratique suivie par les membres de sa profession, à moins qu’on ne démontre que cette pratique est risquée ou dangereuse, ce fait fournit une preuve convaincante qu’il a exercé le degré raisonnable de prudence et de compétence qu’on peut exiger de lui.

A coup sûr, le jury a compris la véritable situation et a considéré à juste titre les conséquences de la preuve lorsqu’il a répondu à la question 2. L’intimé, le Dr Tenderenda, sachant qu’il pouvait opérer seulement en utilisant la loupe binoculaire chirurgicale et le marteau et le ciseau et sachant qu’il devait effectuer une mastoïdectomie radicale, aurait dû prendre sur lui d’apporter un très grand soin en examinant le lieu de l’opération avec ses moyens limités de vision. Je suis d’avis que la négligence du Dr Tenderenda ne consiste aucunement à avoir effectué l’opération mais à avoir procédé à l’opération en employant la méthode, qu’il connaissait bien, sans y apporter toute l’habileté dont il était capable. J’ai déjà mentionné l’opinion du Dr Shane relativement à la difficulté de percevoir ces éclats d’os. Comme le Dr Shane l’a mentionné il était très difficile de voir les éclats d’os, étant en présence d’un os blanc, d’un nerf blanc et d’un éclat d’os blanc. Le Dr Shane à ce moment-là travaillait avec l’aide d’un microscope. Le Dr Tenderenda sachant que la vision avec un microscope était de beaucoup supérieure à celle que permettait la loupe chirurgicale binoculaire qu’il a employée, aurait dû, à

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mon avis, exercer un plus grand degré de prudence afin d’être certain qu’il ne restait rien dans l’incision qui aurait pu avoir les conséquences nuisibles que les éclats d’os ont eues.

Lors de son interrogatoire principal le Dr Tenderenda a témoigné que l’os était très cassant et «lorsque vous appliquiez le ciseau à l’os celui-ci ne brisait pas dans le sens où vous tentiez de le tailler mais plutôt il déviait dans une direction différente, vous voyez».

Dans de telles circonstances, alors qu’on pouvait s’attendre de retrouver des éclats de l’os cassant provenant de la taille au ciseau, le Dr Tenderenda a cependant terminé l’opération de la façon qu’il a décrite, dans son interrogatoire principal, comme suit:

Q. Avez-vous dit «tympaniceas» tout à fait sèches»?

R. Non, des cavités propres et tout à fait sèches reliant le tympan de l’oreille moyenne à l’os mastoïde ouvert. Maintenant, nous utilisons habituellement la succion pour faciliter l’opération parce que les vaisseaux sanguins sont ouverts durant l’intervention chirurgicale et ils saignent, et vous, le chirurgien, ne pouvez pas opérer dans cet endroit rempli de sang de sorte que nous retirons le sang par succion et, dans les endroits plus à l’étroit nous enlevons le sang avec l’aide d’éponge et de gaze pour panser les endroits où l’espace est très restreint. Moi-même, j’aime à utiliser le peroxyde d’hydrogène lorsque le saignement est trop abondant afin de nettoyer la zone et, particulièrement, l’attique où le saignement est trop abondant pour qu’on puisse le contrôler et je l’ai fait, dans son cas, également, et je n’ai pas pu trouver autre chose après cette inspection et j’ai mis le pansement dans l’oreille et —

Q. Juste avant de continuer avec cela, docteur, au cours de cette inspection avez-vous vu le nerf facial?

R. Je ne pouvais pas voir le nerf facial, non.

Q. Y avait-il quelqu’un pour faire le pansement?

R. J’ai mis le pansement moi-même à l’intérieur.

Q. Est-ce que c’était la fin de l’opération?

R. Oui.

La description du nettoyage faite par le Dr Tenderenda est vraiment très brève et il semble

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que le nettoyage ait simplement été un nettoyage par jet et giclement de peroxyde d’hydrogène. La déposition du Dr Tenderenda, que j’ai citée ci-dessus, me donne l’impression que l’inspection qu’il a effectuée visait particulièrement l’attique et qu’il y a eu apparemment peu de recherches faites ailleurs dans la zone opératoire pour des éclats d’os presque inévitables, et particulièrement à l’endroit où, d’après l’ensemble de la preuve, le nerf facial a été mis à découvert soit par intervention chirurgicale soit par maladie. A cet endroit, comme l’a fait observer le Dr Shane, le chirurgien fait face à un nerf blanc, à un os blanc et à des éclats d’os blanc, et c’est là que les recherches les plus attentives auraient dû être effectuées. Selon le Dr Tenderenda le grossissement de deux fois et demi donné par la loupe chirurgicale binoculaire lui permettait de voir; pourquoi alors, pourrait-on lui demander, n’a-t-il pas vu ces deux éclats d’os des plus nuisibles? Avoir failli dans cette recherche équivaut, à mon avis, à ne pas avoir accordé à son patient le degré raisonnable de soin que le savant juge d’appel a reconnu à juste titre comme étant la norme.

Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi.

Le savant juge de première instance a accordé aux demandeurs des dommages-intérêts conformes aux réponses du jury. La question des dommages n’a pas été traitée dans le jugement de la Division d’appel. L’appelante, dans son factum à cette Cour, a déclaré:

[TRADUCTION] Le montant des dommages n’a pas été considéré par la cour d’appel et il n’est pas contesté bien qu’il ait été mis en question devant la cour d’appel.

Dans le factum de l’intimé, il n’est pas fait mention de la question des dommages.

C’est pourquoi à mon avis, la décision logique de cette Cour serait d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance. L’appelante a droit à ses dépens en Division d’appel et en cette Cour.

[Page 623]

LE JUGE BEETZ — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de M. le juge Spence et ceux de M. le juge de Grandpré.

Une fois admis que le jury a reçu les directives appropriées, comme il les a reçues, et que la règle res ipsa loquitur s’applique en l’espèce, comme il se doit, on ne peut, à mon avis, s’empêcher de conclure qu’il existait certains éléments de preuve sur lesquels un jury pouvait se fonder pour décider correctement qu’il y avait eu négligence de la part de l’intimé.

Si cette cause avait été entendue par un juge seul, j’aurais été enclin à la réviser en me basant sur l’ensemble de la preuve. Mais elle a été entendue par un juge et un jury et je ne puis conclure que la réponse du jury à la première question en est une qu’aucun jury examinant l’ensemble de la preuve et agissant de façon judiciaire n’aurait pu possiblement donner.

Je souscris aux conclusions de M. le juge Spence.

Appel accueilli avec dépens, les juges RITCHIE et DE GRANDPRE étaient dissidents.

Procureurs de l’appelante: Harold F. Jackson et George W. MacDonald, Halifax.

Procureur de l’intimé: Ronald J. Downie, Halifax.

[1] [1957] 2 All E.R. 118.

[2] [1972] R.C.S. 18.

[3] [1961] R.C.S. 655.

[4] [1972] R.C.S. 165.

[5] [1969] R.C.S. 745.

[6] [1975] 1 R.C.S. 338.

[7] [1975] 2 R.C.S. 115.

[8] [1956] R.C.S. 991.

[9] [1937] R.C.S. 341.

[10] [1972] R.C.S. 525.

[11] [1956] O.R. 257.

[12] [1956] O.R. 132, conf. [1956] R.C.S. 991.


Parties
Demandeurs : Eady
Défendeurs : Tenderenda

Références :
Proposition de citation de la décision: Eady c. Tenderenda, [1975] 2 R.C.S. 599 (1 octobre 1974)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/10/1974
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 599 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-10-01;.1975..2.r.c.s..599 ?
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