La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/10/1975 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._429

Canada | Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne c. Commissaires d’écoles (Grand’pré), [1977] 1 R.C.S. 429 (7 octobre 1975)


Cour suprême du Canada

Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne c. Commissaires d’écoles (Grand’pré), [1977] 1 R.C.S. 429

Date: 1975-10-07

La Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne, district Saint-François-Xavier, La Pointe-du-Lac Appelante;

et

Les Commissaires d’écoles pour la municipalité de Grand’pré Intimés.

1975: le 28 mai; 1975: le 7 octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne c. Commissaires d’écoles (Grand’pré), [1977] 1 R.C.S. 429

Date: 1975-10-07

La Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne, district Saint-François-Xavier, La Pointe-du-Lac Appelante;

et

Les Commissaires d’écoles pour la municipalité de Grand’pré Intimés.

1975: le 28 mai; 1975: le 7 octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Sens de l'arrêt : Les pourvois doivent être rejetés

Analyses

Droit scolaire - Convention non autorisée par le lieutenant-gouverneur en conseil - Pouvoirs des commissaires d’écoles - Loi de l’Instruction publique, S.R.Q. 1941, c. 59, art. 236, 238, 242.

Bail — Tacite reconduction — Code civil, art. 1609.

La Congrégation avait reçu de la Fabrique de Louiseville une école qui nécessitait un agrandissement. En 1949, les intimés, les Commissaires, ont obtenu une subvention gouvernementale de $200,000 payable en 10 versements annuels pour la construction d’un nouveau bâtiment d’environ $300,000. La Congrégation leur céda, pour le prix nominal de $1, le terrain sur lequel ce bâtiment devait être érigé et s’engagea à payer $100,000 sur l’emprunt de $300,000 contracté pour en payer le prix. En réalité les Commissaires servaient de prête‑nom à la Congrégation car ils lui avaient consenti une option de rachat, au prix de $1, qu’elle pourrait exercer dès que l’emprunt aurait été remboursé.

A la suite d’un incendie survenu le 13 décembre 1954, la Congrégation ne désirant pas reconstruire le vieux bâtiment et le gouvernement provincial n’acceptant de donner une subvention additionnelle que si la Congrégation cédait ses actifs aux Commissaires, les parties signèrent, le 21 mars 1955, deux actes. Le premier était une cession par la Congrégation aux Commissaires des immeubles et meubles servant à l’enseignement à la charge par ces derniers de payer les $200,000 qui restaient dus sur l’emprunt. Le second acte était une convention pour cinq ans fixant les conditions de l’enseignement à être dispensé par la Congrégation.

Quinze ans plus tard, le 16 juin 1970, la Congrégation demanda que les deux actes soient déclarés nuls et qu’elle soit déclarée propriétaire de tous les biens qui avaient fait l’objet du premier. La Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure qui avait déclaré nuls les actes. D’où le premier pourvoi en cette Cour.

[Page 430]

Quant au second pourvoi, il attaque l’arrêt de la Cour d’appel qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure en vertu duquel les intimés ont obtenu que l’appelante soit condamnée à leur payer $16,000, soit le loyer pour la résidence fournie aux membres de la Congrégation pour la période de quatre années de 1966 à 1970.

Arrêt: Les pourvois doivent être rejetés.

Le Surintendant de l’Instruction publique n’ayant pas approuvé le second acte, les parties ont reconnu dans une convention signée le 19 décembre 1955 qu’il était annulé et résilié tout en spécifiant que le premier demeurait en vigueur. Cette stipulation dispose de la prétention que l’invalidité du second acte entraînait celle du premier.

Il ne faut pas voir dans l’art. 238 de la Loi de l’Instruction publique, une disposition impliquant que des commissaires d’écoles ne peuvent conclure aucune convention sans l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil. L’article 236 prévoit, entre autres, que les commissaires ont le devoir d’acquérir des biens immeubles, des terrains, etc. La seule restriction imposée est relative aux acquisitions ou constructions qui nécessitent un emprunt. En l’espèce, l’emprunt a été contracté en 1949 et les autorisations requises obtenues alors. Le premier acte, qui visait une cession du terrain, relevait donc des pouvoirs des commissaires dans le cadre de l’art. 236.

En outre, la Congrégation a reçu des Commissaires tout ce qu’ils lui avaient promis en considération des biens cédés. C’est le gouvernement qui, en 1955, après avoir appris la supercherie pratiquée en 1949, a exigé avant d’accorder une subvention additionnelle, que la propriété soit cédée aux Commissaires. On ne saurait voir là ni un abus de pouvoir ni une injustice. C’est le résultat que la Congrégation recherche qui serait injuste, puisqu’elle deviendrait propriétaire de bâtiments payés avec les deniers publics et destinés aux Commissaires et reprendrait les biens cédés sans rendre ce qu’elle a elle-même reçu en retour.

Quant au second pourvoi, la prétention que les Commissaires en s’engageant à fournir le logement aux membres de la Congrégation, s’engageaient à le faire gratuitement n’est pas sérieuse. La Congrégation ayant payé jusqu’en 1966 un loyer annuel de $4,000, il y a eu tacite reconduction du seul fait de l’occupation durant les quatre années suivantes.

Arrêt suivi: Hébert c. Les Commissaires d’écoles de St-Félicien (1921), 31 B.R. 458, conf. 62 R.C.S. 174, arrêts mentionnés: L’Alliance des Professeurs catholiques de Montréal c. La Commission des Relations ouvrières, [1953] 2 R.C.S. 140; J.E. Verreault & Fils

[Page 431]

Ltée c. Le Procureur général de la province de Québec, [1977] 1 R.C.S. 41; Olivier c. Village de Wottonville, [1943] R.C.S. 118.

POURVOIS à l’encontre de deux arrêts de la Cour d’appel du Québec, l’un infirmant un jugement de la Cour supérieure, l’autre confirmant un jugement de la même Cour. Pourvois rejetés avec dépens.

J. Vaillancourt, pour l’appelante.

Y. Godin et G. Lacoursière, pour les intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — La Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne, district Saint‑François-Xavier, La Pointe-du-Lac (la Congrégation) attaque ici deux arrêts de la Cour d’appel du Québec. Le premier a infirmé un jugement de la Cour supérieure qui déclare nul un acte du 21 mars 1955 par lequel la Congrégation a cédé aux Commissaires d’Écoles de Louiseville (les Commissaires) tous les immeubles qu’elle y possédait ainsi que tous les biens meubles s’y trouvant et servant à l’enseignement. Les intimés sont les ayant-droit des Commissaires comme conséquence d’une fusion de commissions scolaires effectuée depuis. L’autre arrêt a confirmé un jugement de la Cour supérieure condamnant la Congrégation à payer aux Commissaires la somme de $16,000 pour loyer d’une résidence, de 1966 à 1970.

Un rapport d’inspecteur en date du 28 mars 1949 débute comme suit:

Louiseville Comté de Maskinongé École supérieure St-Louis-de-Gonzague, — ou — Collège des Frères de l’Instruction Chrétienne.

Cette institution a été fondée, il y a un peu plus d’un demi-siècle par la Fabrique de la paroisse de St-Antoine de Rivière-du-Loup, aujourd’hui Louiseville.

En 1942, la Fabrique s’est départie de tous ses droits et a remis bâtisse et terrain à la communauté des Frères de l’Instruction Chrétienne. La même année, la Commission scolaire de la ville de Louiseville signait avec la Communauté un contrat qui obligeait celle-ci à recevoir tous les garçons de la ville, à partir de la quatrième (4e) année jusqu’à la douzième (12e) inclusivement. Le contrat a été renouvelé en 1946, mais faute d’espace la

[Page 432]

Communauté ne fut pas obligée de donner renseignement après la dixième année.

A la suite de ce rapport, on décida de construire un nouveau bâtiment au coût d’environ $300,000 et le Département de l’instruction publique consentit à accorder une subvention de $200,000 payable en dix versements annuels de $20,000. Mais une telle subvention ne pouvait être versée qu’à des commissaires d’écoles et de fait, c’est aux Commissaires que la subvention fut promise. Ces derniers firent donc comme s’ils construisaient eux-mêmes une école qui leur appartiendrait. La Congrégation leur consentit par acte notarié du 30 mai 1949, pour le prix nominal de $1, une cession du terrain sur lequel le nouveau bâtiment devait être érigé et ils en firent état dans une résolution transmise au Département. Ils transmirent également une copie d’un acte notarié en date du 29 juillet 1949 dans lequel la Congrégation, la partie de seconde part, prenait les engagements suivants envers les Commissaires, partie de première part:

La partie de seconde part s’engage à payer à la partie de première part, qui accepte, les sommes suivantes, pour la construction de l’école précitée, laquelle appartiendra à la partie de première part et demeurera sa propriété:

a) Une somme capitale de $100,000.00, répartie en cinq versements annuels de $20,000.00 chacun, à compter de 1960, le tout conformément à l’acte d’emprunt et au tableau de remboursement faisant partie du dit acte d’emprunt qui sera passé entre la partie de première part et la Caisse Populaire de Louiseville;

b) Les intérêts annuels accrus et dus par la partie de première part à la Caisse Populaire de Louiseville sur le dit emprunt de $300,000.00,…

On notera les mots que j’ai soulignés dans ce texte. Mais la convention véritable entre les parties c’était que la Congrégation reprendrait le terrain avec le bâtiment aussitôt que l’émission d’obligations faite pour payer le coût de la construction serait remboursée, les Commissaires ayant convenu dès leur première résolution, d’accorder à la Congrégation une option de rachat au prix de $1. C’est pourquoi dans un acte notarié du 28 juillet 1949, on trouve la clause suivante:

Et lorsque la présente émission de trois cent mille piastres aura été payée en entier, la partie de première part s’engage à remettre aux Revds Frères de l’Instruc-

[Page 433]

tion Chrétienne, le terrain sur lequel sera construit l’école projetée, et sur lequel la partie de seconde part a une option pour son rachat.

Le 13 décembre 1954, la vieille construction fut détruite dans un incendie. Le 12 février 1955, la Congrégation adressait aux Commissaires une lettre où l’on lit:

Les lourdes charges financières que nous imposent les constructions de nos maisons de formation et l’entretien de nos jeunes, nous empêchent d’envisager la reconstruction à nos frais de la partie brûlée par l’incendie du 13 décembre 1954 à notre Collège de Louiseville. Nous nous voyons dans l’obligation de vous proposer ce qui suit.

Notre Communauté consent à céder à votre Commission Scolaire les biens-fonds, meubles et immeubles du Pensionnat Saint-Louis-de-Gonzague à condition que votre Commission Scolaire prenne nos dettes et obligations actuelles y relatives, qu’elle mette à notre disposition pour septembre 1956 au plus tard un Pensionnat pour cent soixante‑qinze internes environ et une résidence pour les Frères, le tout à l’épreuve du feu, et que les obligations financières et autres des prochains contrats favorisent notre œuvre d’éducation.

En date du 26 février 1955, on voit au dossier du Département de l’Instruction publique la note suivante:

Lors d’une entrevue avec l’Honorable Secrétaire de la Province à laquelle assistaient M. Omer-Jules Desaulniers et M. Germain Caron, député de Maskinongé, il a été convenu qu’un octroi additionnel de $100,000 serait accordé à la municipalité scolaire de Louiseville à condition que les frères cèdent tout leur actif à la commission scolaire.

Le 21 mars 1955, la Congrégation signa avec les Commissaires deux actes notariés: le premier, portant le n° 4577, est une cession par la Congrégation de tous ses immeubles à Louiseville ainsi que des meubles servant à l’enseignement officiel, cette cession est consentie à la charge par les Commissaires de payer les $200,000 qui restaient alors dus sur l’émission d’obligations de $300,000 ainsi que les intérêts, avec la stipulation suivante:

EN CONSÉQUENCE LA CONGRÉGATION et LA COMMISSION SCOLAIRE annulent et résilient à toutes fins que de droit toutes conventions antérieures à ce contraire intervenues entre elles, et notamment un Acte reçu devant Me J.H.M. Coutu, Notaire, le vingt-huit (28) juillet, mil neuf cent quarante-neuf (1949),

[Page 434]

sous le Numéro 2839 de ses minutes, — et un autre Acte reçu devant le même Me J.H.M. Coutu, le vingt-neuf (29) juillet, mil neuf cent quarante-neuf (1949), sous le Numéro 2841 de ses minutes.

Le second acte, portant le n° 4578, est une convention pour cinq ans fixant les conditions auxquelles l’enseignement sera désormais dispensé par la Congrégation. On y déclare avoir signé l’acte de vente précité et annulé toutes autres conventions antérieures.

Les conclusions recherchées par l’action intentée par la Congrégation quinze ans plus tard, le 16 juin 1970, sont à l’effet que les deux actes du 21 mars 1955 soient déclarés nuls et que la Congrégation soit déclarée propriétaire de tous les biens qui ont fait l’objet du premier.

Il n’y a pas lieu de s’attarder longtemps au second acte. Le Surintendant de l’Instruction publique ne l’ayant pas approuvé, les parties signèrent, le 19 décembre 1955, une convention comportant ce qui suit:

8. — Que la présente convention annule et résilie à toutes les fins que de droit toutes conventions et tous contrats antérieurs à ce contraire et relatifs aux présentes, intervenus entre les mêmes parties et, en particulier, la convention signée le 21 mars 1955, devant Me Jean-Paul Chevalier, N.P., sous le numéro 4578 de ses minutes, à l’exception de l’acte de vente intervenu entre les mêmes parties le 21 mars 1955.

Cette stipulation parfaitement claire me paraît disposer de la prétention que l’invalidité du second acte entraînait celle du premier, motif sur lequel le premier juge s’est fondé pour statuer comme il l’a fait, en disant:

L’article 238 de la Loi se lisait comme suit:

«Avec l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil donnée sur la recommandation du surintendant, les commissaires et les syndics peuvent conclure des conventions, pour des fins scolaires, avec toute personne, institution ou corporation.»

A l’examen des contrats P-1 et P-2, on constate que ce sont deux actes reliés l’un à l’autre, pour former l’ensemble des conventions intervenues entre les parties et qui sont à la base du présent litige; en d’autres termes, on ne peut voir dans l’acte P-1 un simple contrat de vente de meubles et d’immeubles par la demanderesse à

[Page 435]

la Commission Scolaire; la vente est un des éléments des conventions arrêtées entre les parties par le contrat P-2; telles conventions avaient pour objet des fins scolaires et, suivant la preuve, elles n’ont pas été autorisées par le Lieutenant-gouverneur en conseil.

C’est à bon droit que la Cour d’appel, s’appuyant sur les arrêts rendus dans Hébert c. Les Commissaires d’écoles de St-Félicien[1], a. statué qu’il ne fallait pas voir dans l’art. 238 une disposition impliquant que des commissaires d’écoles ne peuvent conclure aucune convention sans l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil. Dans cette affaire-là, en effet, M. le juge Duff a dit (à la p. 177):

[TRADUCTION] Je partage l’avis de la Cour du Banc du Roi que le pouvoir accordé par le troisième paragraphe de l’art. 2723 S.R.Q. n’est pas subordonné à l’art. 2724 de façon à obliger les commissions scolaires à obtenir l’autorisation du lieutenant‑gouverneur en conseil avant d’exercer ce pouvoir. A mon avis, l’art. 2724 confère des pouvoirs supplémentaires.

En 1955, les art. 2723 et 2724 étaient devenus les art. 236 et 238 de la Loi de l’Instruction publique respectivement. L’interprétation donnée par le premier juge vient donc directement à l’encontre de celle qui a été admise tant par la Cour d’appel que par cette Cour, dans l’affaire de St-Félicien.

Comme cette Cour l’a jugé dans l’affaire de L’Alliance des Professeurs catholiques de Montréal c. La Commission des Relations ouvrières[2] et comme nous l’avons rappelé à diverses reprises, tout récemment dans J.E. Verreault & Fils Ltée c. Le Procureur général de la province de Québec[3], la maxime expressio unius est exclusio alterius est loin d’être une règle d’application générale. Dans le contexte de la Loi de l’Instruction publique, il est particulièrement évident qu’elle n’est pas applicable à l’art. 238. Tout ce que ce texte signifie c’est qu’avec l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil donnée sur la recommandation du surintendant, les commissaires ou syndics peuvent faire des conventions, il ne dit pas qu’ils ne peuvent en faire sans cela. Cette règle ne peut pas être destinée à limiter tous les pouvoirs de contracter qui sont accordés par d’autres dispositions, car cela

[Page 436]

voudrait dire que chaque engagement d’instituteur ou d’employé requiert cette autorisation, de même que tous les achats et ce serait manifestement absurde.

C’est donc à juste titre que M. le juge en chef Tremblay, exprimant l’opinion unanime de la Cour d’appel en la présente cause, a statué qu’il fallait examiner non pas l’art. 238, mais bien l’art. 236 dont les dispositions pertinentes se lisaient comme suit en 1955:

236. Il est du devoir des commissaires ou des syndics d’écoles, dans chaque municipalité:

2° D’acquérir et de posséder, pour le compte de leur corporation, des biens meubles ou immeubles, sommes d’argent ou rentes, et d’en user suivant les fins de leur destination;

3° De choisir et d’acquérir les terrains nécessaires pour les emplacements de leurs écoles, de bâtir, réparer, entretenir leurs maisons d’école et leurs dépendances, d’acheter ou réparer le mobilier scolaire, de louer temporairement ou accepter gratuitement l’usage de maisons ou autres bâtiments ayant les conditions requises par les règlements des comités, pour y tenir des écoles;

Mais si elles nécessitent un emprunt, les acquisitions, constructions ou réparations mentionnées dans les paragraphes 2° ou 3° du présent article ne peuvent être faites que si la corporation scolaire s’est, au préalable, conformée aux dispositions de la loi relative aux emprunts et a négocié les emprunts qu’elle a été autorisée à faire pour ces fins.

J’ai souligné les mots «au préalable» vu que l’avocat de la Congrégation a fait grand état de ce que ces mots ont été ajoutés par une loi du 19 mars 1921 (1921 (Que.) c. 47, art. 11), c’est-à-dire après l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire de St-Félicien lequel est en date du 26 février 1921, M. le juge Allard y ayant dit (à la p. 470):

…Ainsi donc, si les appelants empruntent pour payer le prix d’achat ils devront procéder suivant l’art. 2728 et devront obtenir l’autorisation du Lieutenant-Gouverneur en conseil, et s’ils font l’imposition qui est mentionnée dans ladite résolution, ils devront la faire suivant l’art. 2747, sans être tenus d’obtenir l’autorisation du Lieutenant-Gouverneur et rien n’empêche que cette imposition ou cet emprunt soit fait après la passation de ladite résolution si les termes de paiement leur donnent amplement le temps de le faire.

[Page 437]

A mon avis, l’argument porte à faux pour plusieurs raisons. En premier lieu, il faut signaler qu’ici l’emprunt de $300,000 a été dûment autorisé par la Commission municipale de Québec, le ministre des Affaires municipales et le Secrétaire de la Province sur la recommandation du Surintendant de l’Instruction publique, la dernière de ces autorisations portant la date du 14 décembre 1949. Le tout a été fait en conformité de l’art. 242 de la Loi de l’Instruction publique alors en vigueur et dont le premier alinéa se lisait alors comme suit:

242. Toute corporation scolaire peut également, avec autorisation du secrétaire de la province et du ministre des affaires municipales, emprunter des deniers, et, à cette fin, émettre des obligations ou des billets, mais seulement en vertu et sous l’autorité d’une résolution indiquant:

1° Les fins pour lesquelles l’emprunt doit être contracté;

2° Le montant total de l’émission;

3° Le terme de l’emprunt;

4° Le taux maximum de l’intérêt qui pourra être payé;

5° Tous les autres détails se rattachant à l’émission et à l’emprunt.

On notera que ce texte ne renferme pas les mots «au préalable». C’est donc dire qu’il n’y a aucun motif de ne pas appliquer le raisonnement fait dans l’affaire de St-Félicien car, ce qui est en litige ici, ce n’est pas la validité de l’emprunt, mais bien celle de l’acte de 1955. Je ne puis voir comment la Congrégation peut prétendre que les Commissaires n’ont pas satisfait au dernier alinéa de l’art. 236. En effet, ils avaient obtenu toutes les autorisations requises avant la fin de l’année 1949. Ils s’étaient donc conformés à toutes les dispositions de la loi relative aux emprunts bien avant de signer l’acte de 1955. De plus, l’emprunt a été entièrement remboursé bien avant l’institution des procédures.

En outre, il ne faut pas oublier que la Congrégation a reçu des Commissaires tout ce qu’ils lui ont promis en considération des biens qu’elle leur a cédés. Quand l’acte a été signé, elle était débitrice des quelque $200,000 qui restaient dus sur le coût de construction du bâtiment érigé en 1949. Elle s’était obligée envers l’entrepreneur en signant le

[Page 438]

contrat. De plus, elle avait convenu d’acquitter à la décharge des Commissaires, les $100,000 excédant la subvention de $200,000 promise par le gouvernement. En outre elle n’ignorait pas que seule une commission scolaire pouvait avoir droit à cette subvention. Celui qui était alors son Provincial, le Frère Armand Tassé, témoignant au procès, a dit:

…nous ne pouvions pas avoir l’octroi du gouvernement parce que c’est une communauté religieuse et la Commission Scolaire a consenti à servir de prête-nom,…

La supercherie étant venue officiellement à la connaissance des autorités gouvernementales en 1955, le paiement de la subvention promise était sûrement devenu douteux. C’est dans cette situation que le marché a été conclu aux conditions arrêtées par le gouvernement. Comme on l’a vu, celui-ci a accepté de payer la totalité des $300,000 en accordant une subvention additionnelle de $100,000. Mais il a exigé qu’en retour, la propriété entière soit cédée aux Commissaires.

On ne saurait voir là ni un abus de pouvoir, ni une injustice. C’est à bon droit que l’autorité publique voulait empêcher qu’une subvention destinée à une commission scolaire serve en réalité à payer le prix d’une construction dont la Congrégation serait propriétaire, les Commissaires ne la possédant que comme son prête-nom. Dans les circonstances, il n’y avait pas d’injustice à exiger que tout l’actif de la Congrégation soit cédé aux Commissaires, car elle gardait l’indemnité d’assurance de plus de $100,000 qu’elle avait perçue à la suite de l’incendie qui avait détruit les vieux immeubles cédés gratuitement par la Fabrique en 1942, mais non l’édifice construit en 1949.

Ce qui serait injuste ce serait le résultat que la Congrégation recherche. Elle deviendrait propriétaire de bâtiments payés avec les deniers publics et destinés aux Commissaires. Elle reprendrait une étendue de terrain sur laquelle ceux-ci ont érigé d’importantes constructions d’une valeur dépassant le million de dollars, après que la Congrégation le leur eut cédé par acte signé de ses représentants autorisés. De plus, la Congrégation reprendrait dans ces conditions-là tous les biens qu’elle a cédés sans rendre ce qu’elle a elle-même reçu en retour,

[Page 439]

c’est-à-dire l’acquittement de sa dette envers les Commissaires. Même s’il s’agissait d’une nullité absolue, comment la Congrégation pourrait-elle obtenir qu’on lui remette ce qu’elle a reçu en vertu d’un contrat bilatéral sans qu’elle ne rende ce qu’elle a reçu en retour? Même les incapables sont obligés de rendre en pareil cas ce dont ils ont profité.

L’avocat de la Congrégation a cité dans son mémoire l’arrêt Olivier c. Village de Wottonville[4]. Cette décision est fondée sur une loi qui ne s’applique pas aux commissaires d’écoles et renferme une disposition dont on n’a pas ici l’équivalent. De plus, la situation n’y était pas la même: ce qui a été déclaré non recouvrable par l’entrepreneur c’est le coût excédant la dépense autorisée, ici toute la dépense a été autorisée.

Vu ce qui précède, je m’abstiens de considérer si ce que l’avocat de la Congrégation a appelé la «supercherie» pratiquée en 1949 envers l’administration publique ne constitue pas une fraude qui rend la Congrégation irrecevable à invoquer la nullité de l’acte de 1955.

Il me faut cependant dire quelques mots du second pourvoi. En 1963, les Commissaires ayant fait construire une résidence pour loger les membres de la Congrégation, celle-ci commença à payer un loyer de $4,000 par année, soit $400 par frère logé, mais elle a refusé de payer pour quatre années de 1966 à 1970. A l’audition, son avocat a invoqué deux moyens à l’encontre du jugement de la Cour supérieure, confirmé en appel.

En premier lieu, on a dit que dans la convention du 19 décembre 1955, les Commissaires s’étaient engagés à fournir le logement aux membres de la Congrégation, ce qui voudrait dire le leur fournir gratuitement. Ce moyen est futile, la convention dont il s’agit était une entente pour un an. Elle est de la nature d’un contrat de louage de services. Elle ne lie pas les parties indéfiniment. Tout comme l’on a modifié ultérieurement la rémunération versée par les Commissaires aux membres de la Congrégation, les conditions auxquelles le logement leur a été fourni ont été, d’un commun

[Page 440]

accord, modifiées après la construction de la résidence.

Le second moyen n’est pas plus sérieux. On dit que pour les années faisant l’objet de la réclamation il n’y a pas de preuve d’entente quant au loyer, mais seulement une résolution des Commissaires le fixant à $4,000. Cela importe peu car dès qu’il est admis que pour les années antérieures on a convenu d’un loyer de $4,000 effectivement payé, il faut dire que pour les années suivantes il y a eu tacite reconduction du seul fait de l’occupation (art. 1609 C.c.) à défaut d’autre convention.

Je crois devoir ajouter que, même si la Congrégation avait eu gain de cause sur le premier pourvoi, cela ne lui aurait pas fourni un moyen de défense sur le second, car la résidence a été construite par les Commissaires. En supposant que la Congrégation aurait été déclarée propriétaire du terrain sur lequel l’édifice est érigé, cela n’aurait pu lui donner le droit de répudier l’obligation de payer loyer pour l’occuper pendant les années dont il s’agit en vertu d’un bail dûment consenti ou présumé.

Sur le tout, je conclus qu’il y a lieu de rejeter les pourvois avec dépens, les dépens du second ne devant cependant comprendre que les déboursés, vu que les deux affaires ont été entendues en même temps.

Pourvois rejetés avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Guy, Vaillancourt, Bertrand, Bourgeois & Laurent, Montréal.

Procureurs des intimés: Godin, Lacoursière & Zonato, Trois-Rivières.

[1] (1921), 31 B.R. 458; conf. 62 R.C.S. 174.

[2] [1953] 2 R.C.S. 140.

[3] [1977] 1 R.C.S. 41.

[4] [1943] R.C.S. 118.


Parties
Demandeurs : Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne
Défendeurs : Commissaires d’écoles (Grand’pré)

Références :
Proposition de citation de la décision: Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne c. Commissaires d’écoles (Grand’pré), [1977] 1 R.C.S. 429 (7 octobre 1975)


Origine de la décision
Date de la décision : 07/10/1975
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 429 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-10-07;.1977..1.r.c.s..429 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award