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07/10/1975 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._629

Canada | Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629 (7 octobre 1975)


Cour suprême du Canada

Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629

Date: 1975-10-07

Industrial Teletype Electronics Corporation

et

International Teletype Corporation Appelantes;

et

La Ville de Montreal Intimée.

1975: les 20 et 21 février; 1975: le 7 octobre.

Présents: Les juges Judson, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629

Date: 1975-10-07

Industrial Teletype Electronics Corporation

et

International Teletype Corporation Appelantes;

et

La Ville de Montreal Intimée.

1975: les 20 et 21 février; 1975: le 7 octobre.

Présents: Les juges Judson, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 629 ?
Date de la décision : 07/10/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Dommages-intérêts - Quantum - Offre des effets avariés - Obligation de mitiger les dommages - Appel - Contradictions dans la preuve de la demande - Obligation du premier juge d’expliquer ses conclusions.

Les appelantes entreposaient dans le sous-sol d’un immeuble qu’elles occupaient à Montréal des pièces d’équipement électronique, quelques télétypes et plusieurs milliers de pièces de rechange pour télétypes. Ces dernières étaient vendues comme pièces neuves. Une partie de l’équipement fut endommagée par l’eau à la suite d’une inondation du sous-sol. La Cour supérieure trouva l’intimée responsable de l’inondation et la condamna au plein montant de la réclamation, soit $75,818.77. La Cour d’appel confirma la responsabilité de la Ville mais réduisit le montant des dommages à $28,510.83. L’intimée ne contestant plus la responsabilité, le seul point en litige en cette Cour est la réduction par la Cour d’appel du montant des dommages.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Même s’il est bien établi qu’une cour d’appel ne doit pas intervenir pour modifier le montant des dommages accordés en première instance, sauf s’il existe des circonstances extraordinaires, il faut noter que, dans la plupart des arrêts qui ont invoqué cette règle, il s’agissait de liquider des dommages résultant de blessures corporelles, d’incapacité, de perte de soutien. De tels dommages sont d’ordinaire plus difficiles à évaluer que ceux qui peuvent avoir été causés à de la marchandise. En revanche, lorsque cette Cour trouve justifiée l’intervention de la Cour d’appel, elle ne revise généralement pas l’évaluation de dommages faite par cette dernière.

De plus, «pour que l’on soit en mesure de donner aux conclusions du premier juge tout le poids qu’il appartient, il est indispensable qu’il soit suffisamment explicite». En l’espèce, l’absence de commentaire sur les

[Page 630]

circonstances particulières et importantes soulevées par la preuve justifiait la Cour d’appel de douter que le premier juge ait proprement apprécié la preuve et de procéder à la révision de celle-ci. Ces circonstances sont les contradictions majeures contenues dans le dossier et en bonne partie dans la preuve même de la demande. Aussi, selon l’opinion d’un expert de la défense, les dommages auraient pu être substantiellement diminués par une simple opération après l’inondation. L’offre faite par les appelantes de remettre à l’intimée les pièces endommagées ne peut sûrement pas les dispenser de mitiger leurs dommages: si ceux-ci ont augmenté après l’inondation en raison de la négligence des appelantes, la réclamation pouvait être diminuée dans la même mesure. Étant donné que la Cour d’appel était fondée à réviser la preuve, elle en a fait, à juste titre, une révision complète et il n’y a pas de motif d’augmenter les dommages-intérêts qu’elle a fixés.

Enfin, même s’il n’est pas nécessaire pour cette Cour de se prononcer sur la question de droit soulevée par l’offre des effets avariés faite à l’intimée par les appelantes, on peut noter que cela équivaudrait à traiter l’auteur du dommage comme un assureur et que dans la mesure où le premier juge a pu considérer ainsi l’intimée, il a erré en droit. La Cour d’appel aurait eu alors une raison additionnelle d’intervenir.

Arrêts mentionnés: Dorval c. Bouvier, [1968] R.C.S. 288; Nance v. British Columbia Railway Company Ltd., [1951] A.C. 601; Fagnan c. Ure et al., [1958] R.C.S. 377; Gorman c. Hertz Drive Yourself Stations of Ontario Ltd. et al., [1966] R.C.S. 13; Watt c. Smith, [1968] R.C.S. 177; Alexandrof c. La Reine et al., [1970] R.C.S. 770; Lang et al. c. Pollard, [1957] R.C.S. 858; Hossack et al. c. Hertz Drive Yourself Stations of Ontario Ltd., [1966] R.C.S. 28; Martin Cable Stannard et al. c. Kidner, [1973] R.C.S. 493; Maryland Casualty c. Roy Fourrures Inc., [1974] R.C.S. 52; Alva Fashions Inc. c. Schwartz, [1962] C.S. 348; Belleza c. Cie des Autocars Blideens et autres, Gaz. Pal. 1960.1.111.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel qui a réduit le montant des dommages accordé par la Cour supérieure. Pourvoi rejeté avec dépens.

Judah L. Wolofsky, pour les appelantes.

Neuville Lacroix et Jean Badeaux, c.r., pour l’intimée.

[Page 631]

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Les appelantes entreposaient dans le sous-sol d’un immeuble qu’elles occupaient à Montréal des pièces d’équipement électronique, quelques télétypes et plusieurs milliers de pièces de rechange pour télétypes. Elles avaient acheté ces stocks de pièces de rechange aux États-Unis et au Canada et elles les revendaient comme pièces neuves.

Le 31 mars 1968, le sous-sol fut inondé. De l’équipement appartenant aux appelantes fut endommagé par l’eau. Les appelantes poursuivirent la Ville de Montréal, lui réclamant $75,818.77 de dommages-intérêts. Monsieur le juge Puddicombe de la Cour supérieure trouva la Ville responsable de l’inondation et la condamna au plein montant de la réclamation. La Ville interjeta appel tant sur la responsabilité que sur le quantum des dommages. La Cour d’appel confirma la Cour supérieure sur la responsabilité mais réduisit le montant des dommages à la somme de $28,510.83. Les appelantes nous demandent de rétablir le jugement de la Cour supérieure. La Ville ne conteste plus sa responsabilité. Il faut donc uniquement décider si la Cour d’appel était justifiée d’intervenir pour réduire le montant des dommages accordés aux appelantes par la Cour supérieure.

Nombre d’arrêts de cette Cour ont traité de la pratique régissant l’intervention d’une cour d’appel dans des questions qui relèvent d’abord du tribunal de première instance telles la crédibilité des témoins, la détermination des faits et la liquidation des dommages. La revue de ces arrêts a été faite plus d’une fois ces dernières années. Il n’est pas nécessaire d’y revenir; quelques illustrations suffiront. Les principes généraux qui inspirent la pratique ont été exprimés par M. le juge Fauteux, — il n’était pas encore Juge en chef — , dans l’arrêt Dorval c. Bouvier[1]:

En raison de la position privilégiée du juge qui préside au procès, voit, entend les parties et les témoins et en apprécie la tenue, il est de principe que l’opinion de celui-ci doit être traitée avec le plus grand respect par la Cour d’appel et que le devoir de celle-ci n’est pas de refaire le procès, ni d’intervenir pour substituer son

[Page 632]

appréciation de la preuve à celle du juge de première instance à moins qu’une erreur manifeste n’apparaisse aux raisons ou conclusions du jugement frappé d’appel. Encore faut-il, cependant, comme l’a noté M. le juge Brossard après avoir cité les commentaires du juge Casey dans Gagnon c. Gauthier, [1958] B.R. 401, que ces raisons soient en termes suffisamment explicites pour permettre à une Cour d’appel d’en apprécier la valeur au point de vue juridique. Aussi bien et si les raisons données n’ont pas ce caractère, ou si l’ayant, elles ne sont pas valides, la Cour doit nécessairement intervenir, procéder à l’examen du dossier et former sa propre opinion sur la preuve au dossier. (aux pp. 293, 294).

De façon plus particulière, pour ce qui est de la liquidation des dommages, le vicomte Simon a énoncé la règle suivante dans Nance v. British Columbia Railway Company Ltd.[2], à la p. 613:

[TRADUCTION] Que l’appréciation des dommages soit effectuée par un juge ou par un jury, la cour d’appel n’est pas autorisée à remplacer le montant alloué par une cour d’instance inférieure par un montant calculé par elle, simplement parce qu’elle aurait elle-même accordé un montant différent si elle avait jugé l’affaire en première instance. Même si le tribunal de première instance était constitué par un juge siégeant seul, la cour d’appel ne peut intervenir à bon droit que si elle est convaincue: soit que le juge, en évaluant les dommages, a appliqué un principe juridique erroné (en tenant compte par exemple d’un facteur non pertinent, ou en ne tenant pas compte d’un élément pertinent), soit, si tel n’est pas le cas, que le montant accordé est si excessivement bas ou si excessivement élevé qu’il doit constituer une estimation entièrement fausse des dommages.

Cette règle a été citée et adoptée par cette Cour dans plusieurs affaires notamment Fagnan c. Ure et al.[3] et Gorman c. Hertz Drive Yourself Stations of Ontario Ltd. et al.[4] Dans Fagnan c. Ure et al., M. le juge Cartwright, — lui non plus n’était pas encore Juge en chef — , s’exprime comme suit:

[TRADUCTION] Les dommages-intérêts dans les causes d’accidents mortels ne peuvent s’évaluer en chiffres précis, et, en général la Cour d’appel ne modifiera pas l’estimation faite par le juge de première instance à moins qu’il n’apparaisse qu’on se soit fondé sur un principe erroné, ou qu’on n’ait pas pris en considération un facteur dont on aurait dû tenir compte, ou qu’on ait

[Page 633]

mal interprété quelque aspect de la preuve, ou que le montant accordé soit trop élevé ou trop bas de sorte qu’il n’y a pas de rapport raisonnable avec les dommages subis; (aux pp. 383, 384).

C’est la même règle, je crois, qui a été appliquée par cette Cour dans Watt c. Smith[5] et dans Alexandrof c. La Reine et al.[6]. Il faut noter cependant que dans la plupart de ces arrêts il s’agissait de liquider des dommages résultant de blessures corporelles, d’une incapacité, de la perte de jouissance de la vie ou de la perte de soutien. De tels dommages sont d’ordinaire plus difficiles à évaluer de façon précise que ceux qui peuvent avoir été causés à des effets ou à de la marchandise.

En revanche, lorsque cette Cour trouve justifiée l’intervention de la Cour d’appel, elle ne revise généralement pas l’évaluation des dommages faite par cette dernière: Lang et al. c. Pollard[7]; Hossack et al. c. Hertz Drive Yourself Stations of Ontario Ltd.[8]; Martin Cable Stannard et al. c. Kidner[9].

Dans la présente cause, les appelantes réclament les montants suivants de la Ville:

1 — dommages divers (machinerie, équipement, accessoires et travail supplémentaire)

$ 5,113.00

2 — coût de remplacement de 30,922 pièces endommagées de télétype

66,080.16

3 — nouvel emballage de ces pièces

4,625.61

Total:

$75,818.77

Le président des corporations appelantes a produit une liste, avec numéros de série, des pièces de télétypes qu’il prétend endommagées par l’inondation. Selon lui, il suffit que les pièces aient été le moindrement touchées par l’eau pour qu’il soit impossible de les revendre comme si elles étaient neuves. Il considère leur perte comme une perte totale et il en demande la valeur de remplacement selon les prix du catalogue de Teletype Corporation of America majorés de cinquante pour cent

[Page 634]

pour tenir compte de certains frais tels les frais de douane et de transport. Les appelantes offrent à la Ville, par le paragraphe II de leur déclaration, toutes les pièces endommagées de télétype dont elles demandent le coût de remplacement.

La Cour supérieure motive assez longuement sa décision sur la responsabilité de la Ville. Mais quoique la partie la plus considérable de la preuve et du dossier ait été consacrée aux dommages, c’est plutôt sommairement que le premier juge en dispose. Ses considérations sur la question tiennent toutes dans l’avant-dernier alinéa de son jugement:

[TRADUCTION] Une fois établie la responsabilité de la défenderesse pour les dommages causés à la machinerie et aux marchandises des demanderesses, il reste à fixer le quantum des dommages-intérêts. La preuve révèle que les marchandises et la machinerie étaient à revendre. Les demanderesses ne réclament pas de dommages spéculatifs, c.-à-d. un montant équivalent à la différence entre son prix coûtant et ce qu’elles s’attendent à recevoir à la revente. Elles demandent simplement la valeur de remplacement selon les prix d’acquisition tels qu’ils apparaissent au catalogue. La Cour est d’avis qu’il est parfaitement établi que le montant réclamé représente les dommages qu’elles ont subis.

Le premier juge ne dit absolument rien de l’étendue du préjudice subi et qu’il importe d’apprécier avant d’en liquider la réparation par la fixation d’un quantum de dommages‑intérêts. Il ne se demande pas non plus si tout le préjudice découle de la faute de la Ville. Or le dossier contient des contradictions majeures sur ces questions; qui plus est, ces contradictions se trouvent en bonne partie dans la preuve de la demande.

La demande a fait comparaître un ingénieur et un technicien qui, après l’inondation, et pendant plusieurs jours, en présence du président des corporations-appelantes, ont examiné l’équipement endommagé pour en contrôler l’inventaire et en mesurer l’endommagement. Or, au départ, ces témoins contredisent la demande sur l’inventaire même des pièces endommagées. La liste des pièces soumises à leur examen est plus courte que la liste produite par le président des corporations-appelantes: la différence, exprimée en valeur de remplacement calculée comme la demande le suggère, est de $11,696.71. Le procureur des appelantes plaide que ces deux témoins n’ont pas compté chacune

[Page 635]

des pièces. C’est exact pour les fins de l’évaluation qu’ils ont faite de l’étendue de l’endommagement car dans ce cas ils ont procédé par échantillonnage. Mais, pour l’inventaire, ils pouvaient compter par lots et constater s’il manquait des lots de pièces pour la perte desquels on faisait une réclamation.

De plus, il ressort du témoignage et du rapport de ces deux témoins de la demande qu’un nombre important de pièces au sujet desquelles les inventaires concordent et pour lesquelles on réclame une indemnité n’ont pas en fait été endommagées. Selon leur calcul, fait par le moyen d’un échantillonnage, la valeur de remplacement des pièces vraiment endommagées computée suivant les prix de catalogue majorés de cinquante pour cent, est de $23,846.45.

Enfin, selon un expert de la défense, les dommages auraient pu être substantiellement diminués et des pièces neuves auraient continué de pouvoir être considérées comme telles après l’inondation par l’accomplissement diligent d’une opération de séchage et de nettoyage simple et peu coûteuse. Or les pièces exposées à l’eau demeuraient aux risques des appelantes qui en conservaient la garde et la propriété. Si l’opinion de cet expert est exacte, l’offre faite par les appelantes ne peut sûrement pas les dispenser de mitiger leurs dommages en apportant à cette tâche les soins d’un bon père de famille. Permettre en effet à un demandeur de se libérer de la sorte par le biais d’une telle offre et lui accorder la valeur de remplacement des marchandises équivaudrait à traiter l’auteur du dommage comme un assureur. Je ne crois pas que tel soit l’état de notre droit. Cet aspect du litige est évidemment susceptible d’affecter le quantum des dommages-intérêts mais il va au-delà de la question du quantum; il rejoint le rapport de causalité entre la faute de la Ville et le préjudice subi par les appelantes: la réclamation de celles-ci, en effet, pourrait être diminuée dans la mesure où leur propre négligence après l’inondation aurait pu contribuer à augmenter le dommage.

Des circonstances aussi particulières et, dans leur ensemble, aussi importantes, rendaient des explications indispensables:

«Pour que l’on soit en mesure de donner aux conclusions du premier juge tout le poids qu’il appartient, il est

[Page 636]

indispensable qu’il soit suffisamment explicite». (Monsieur le juge Pigeon dans Maryland Casualty c. Roy Fourrures Inc.[10], à la p. 55).

L’absence de commentaire sur ces circonstances de la part du premier juge fait douter qu’il ait proprement apprécié toute la preuve qui lui était soumise et justifiait selon moi la Cour d’appel de procéder à la révision de la preuve. Puisqu’elle devait réviser, il n’y avait pas de raison non plus pour qu’elle ne révise pas complètement, ce qu’elle a fait.

La Cour d’appel s’est appuyée sur le témoignage de l’ingénieur et du technicien produits par la demande pour réduire de $66,080.16 à $23,846.45 la partie la plus importante de la réclamation, le coût de remplacement des pièces de télétype. C’était sur ce point la seule autre preuve dont elle disposait au dossier lequel ne contient aucun renseignement sur le prix d’achat de ces pièces et ne permet pas d’établir la perte de profit des appelantes.

Quant à la première partie de la réclamation — $5,113 de dommages divers, — elle contient un poste de $1,000 pour graissage et emballage de télétypes et pièces de télétypes non immergés mais affectés par l’humidité. La Cour d’appel a supprimé ce poste au motif que le président des corporations-appelantes s’en était tenu, sur ce sujet, «aux plus banales généralités» et n’avait pu «fournir absolument aucune précision au soutien de sa prétention». Je ne vois pas d’erreur manifeste dans cette appréciation.

Enfin, la Cour d’appel a réduit de $4,625.61 à $551.38 la troisième partie de la réclamation, les frais d’emballage des pièces de télétypes. Je ne serais pas nécessairement arrivé à ce montant précis si j’avais eu à statuer en premier lieu mais ce n’est pas là une raison pour laquelle nous devrions intervenir. Les deux témoins de la demande dont la Cour d’appel a retenu l’opinion avaient déjà alloué un tiers de la valeur de remplacement pour le seul fait d’ouvrir des contenants même si le contenu n’était pas endommagé.

De plus, la Cour d’appel, tout en référant au fait que les conséquences de l’inondation auraient pu

[Page 637]

être effacées dans bien des cas par une opération de séchage et de nettoyage ne déduit rien, pour cette raison, des dommages réclamés par les appelantes.

Bref, il n’y a pas de motif selon moi d’augmenter les dommages-intérêts fixés par la Cour d’appel.

Un sujet qui soulève une question de droit revient dans les pièces de procédures, dans le jugement de la Cour supérieure, dans l’arrêt de la Cour d’appel et dans les mémoires que les procureurs nous ont soumis. Il s’agit de l’offre des effets avariés faite par les appelantes à la Ville. Il n’est pas indispensable de statuer sur la question mais elle appelle certaines observations. Monsieur le juge Puddicombe a pris note de cette offre:

[TRADUCTION] Lesdites marchandises ont été offertes à la défenderesse et par conséquent la réclamation des demanderesses est de $72,393.16. (Effectivement les dommages-intérêts, selon la preuve des demanderesses, s’élèvent à $75,818.77).

Les demanderesses ont demandé par requête de modifier leur déclaration afin d’augmenter le montant réclamé à ladite somme. La requête est accordée.

En accordant pratiquement sans explication aux appelantes le plein montant de leur réclamation, le premier juge ne s’est-il pas cru justifié par cette offre? Ne lui a-t-il pas reconnu un effet et n’en a-t-il pas implicitement donné acte aux appelantes, comme elles le demandaient dans leurs conclusions — encore qu’il n’ait pas ordonné la remise des pièces endommagées à la Ville — ? Or cette offre était destinée non pas à éteindre une dette mais à porter au maximum les dommages réclamés par les victimes en assimilant leur perte à une perte totale et en les débarassant de l’objet avarié lequel, avant même que le litige ne soit tranché, était mis à la charge de la Ville, dont on alléguait la responsabilité.

Dans un jugement antérieur, Alva Fashions Inc. c. Schwartz[11], où il s’agissait il est vrai d’un bail et de responsabilité contractuelle pour les dommages causés à des marchandises par l’eau s’écoulant d’un toit défectueux, le même juge, après avoir cité

[Page 638]

Mazeaud et Tunc sur la doctrine du «laissé pour compte», exprime les vues suivantes:

[TRADUCTION] La Cour est d’avis qu’il ne serait pas judicieux de formuler la règle que dans toutes les affaires de dommages, la victime devrait avoir le droit de les — (les marchandises endommagées) — offrir à la partie responsable, d’exiger leur valeur et de laisser à cette dernière le soin de recouvrer ce qu’elles peuvent encore valoir.

Ainsi, il semblerait absurde de permettre de faire pareille offre lorsque, par exemple, la chose endommagée a perdu, disons, une valeur de seulement cinq pour cent.

Si cet argument est bien fondé, il semblerait que le droit d’offrir les marchandises endommagées à la partie responsable et d’exiger leur pleine valeur de remplacement, pourrait être exercé seulement dans le cas d’une perte totale, ou au moins, pour emprunter une expression d’amirauté, d’une perte totale implicite. (aux pp. 350, 351).

En France, pour assurer à la victime la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi dans certaines circonstances tout en évitant de lui procurer un bénéfice additionnel par rapport à sa situation antérieure, on s’est servi en matière délictuelle et quasi-délictuelle, de ce que l’on a appelé également le «laissé pour compte»: Belleza c. Cie des Autocars Blideens et autres[12]. Lors d’un accident de la route, une voiture avait été réduite à l’état d’épave et le propriétaire en avait réclamé la valeur vénale. La Cour d’appel avait déduit, de la valeur vénale, la valeur de l’épave laissée à la victime. La décision de la Cour d’appel fut cassée au motif, entre autres:

…que la victime du dommage qui a droit à la réparation intégrale de son préjudice, n’a pas à courir le risque de la vente de l’épave, laquelle, sauf accord des parties sur ce point, doit être «laissée pour compte» au responsable; (à la p. 112).

Quoi qu’il en soit du «laissé pour compte» dans ce cas, on ne l’a pas poussé, que je sache, jusqu’au point de donner à la victime le choix d’offrir l’épave à celui qu’elle recherche en responsabilité. Autrement on aboutirait presque au délaissement qui est possible en matière d’assurance maritime au cas de perte totale implicite. Monsieur le juge Puddicombe avait d’ailleurs souligné cette analogie

[Page 639]

dans Alva Fashions Inc. c. Schwartz. Or des difficultés théoriques et pratiques considérables paraissent faire obstacle à cette conséquence. Par exemple, en matière d’assurance et généralement en matière contractuelle, l’obligation est certaine quoique le dommage résultant de son inexécution, ne soit pas toujours liquidé; en matière délictuelle et quasi délictuelle, au contraire, la cause même de la dette, la responsabilité, est habituellement contestée en plus du quantum. Celui que l’on recherche en responsabilité peut-il accepter l’épave avant jugement sans reconnaître sa responsabilité? S’il l’a refusée, peut-on lui en tenir rigueur? Qu’advient-il s’il y a partage de responsabilité et s’il y a plus d’une épave? L’offre de l’épave affecterait-elle l’obligation qu’a la victime de minimiser le dommage?

D’ailleurs même l’arrêt Belleza réfère à une autre difficulté qu’il ne tranche pas: quel principe habilite les tribunaux à transférer la propriété de l’épave au responsable du délit ou du quasi‑délit, s’il n’en veut pas?

En matière d’assurance maritime, le Code civil résout un certain nombre de difficultés de ce genre aux art. 2647 et 2663 à 2675 qui traitent de la perte totale implicite et du délaissement. Mais il est significatif que ces dispositions régissent les rapports entre l’assureur et l’assuré et non pas, par exemple, le dommage pouvant résulter de la responsabilité des propriétaires de deux navires qui seraient entrés en collision.

Dans la mesure où le premier juge a pu traiter la Ville comme l’assureur des appelantes, il a selon moi erré en droit ce qui serait une raison pour laquelle la Cour d’appel aurait dû intervenir. Mais il s’agit d’une raison additionnelle sur laquelle, encore une fois, il n’est pas nécessaire de se prononcer.

Je rejetterais le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur des appelantes: Judah L. Wolofsky, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Côté, Péloquin & Bouchard, Montréal.

[1] [1968] R.C.S. 288.

[2] [1951] A.C. 601.

[3] [1958] R.C.S. 377.

[4] [1966] R.C.S. 13.

[5] [1968] R.C.S. 177.

[6] [1970] R.C.S. 770.

[7] [1957] R.C.S. 858.

[8] [1966] R.C.S. 28.

[9] [1973] R.C.S. 493.

[10] [1974] R.C.S. 52.

[11] [1962] C.S. 348.

[12] Gaz. Pal. 1960.1.111.


Parties
Demandeurs : Industrial Teletype Electronics Corp. et al.
Défendeurs : Ville de Montréal
Proposition de citation de la décision: Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629 (7 octobre 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-10-07;.1977..1.r.c.s..629 ?
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