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27/10/1975 | CANADA | N°[1976]_2_R.C.S._308

Canada | R. c. Popovic and Askov, [1976] 2 R.C.S. 308 (27 octobre 1975)


Cour suprême du Canada

R. c. Popovic and Askov, [1976] 2 R.C.S. 308

Date: 1975-10-27

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Nicholas Popovic et Elija Askov (Défendeurs) Intimés.

1975: le 20 mars; 1975: le 27 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

R. c. Popovic and Askov, [1976] 2 R.C.S. 308

Date: 1975-10-27

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Nicholas Popovic et Elija Askov (Défendeurs) Intimés.

1975: le 20 mars; 1975: le 27 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 308 ?
Date de la décision : 27/10/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Lois - Interprétation - Ambiguïtés - Refontes successives des versions françaises et anglaises - Code criminel, S.R.C 1970, c. C-34, art. 213 et 306 - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. , art. 36.

Droit criminel - Meurtre - Vol avec effraction - Signification de «vol avec effraction» - Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 213 et 306 - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. , art. 36.

A leur procès par jury, à Toronto, les intimés, ainsi que Radco Govedarov et Sreto Dzambas, ont été déclarés coupables de meurtre. La Cour d’appel a rejeté les appels de Govedarov et Dzambas mais elle a ordonné un nouveau procès pour les intimés puisque, selon l’opinion majoritaire, le juge de première instance avait commis une erreur en instruisant le jury que l’introduction par effraction dans le restaurant pouvait être considérée comme un vol avec effraction au sens de l’art. 213 du Code criminel, tandis que, de l’avis de la majorité, «vol avec effraction» signifie une «effraction» dans une maison d’habitation seulement. Le pourvoi subséquent se fonde uniquement sur la dissidence exprimée en Cour d’appel: l’expression «vol avec effraction» dans la version française de l’art. 213 ne comporte pas cette restriction.

Arrêt (les juges Judson et de Grandpré étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz: A l’art. 228 du Code criminel de 1892, où l’on traite du meurtre imputé, l’«effraction nocturne» correspond au «burglary» de la version anglaise; dans la partie XXX intitulée «Des effractions et escalades», où l’on définit l’expression «effraction nocturne», la version française désigne l’acte criminel dont il s’agit par l’expression «effraction nocturne» suivie du mot «burglary» entre parenthèses. Il est donc clair que l’«effraction nocturne» mentionnée dans ces dispositions n’est pas le «burglary» de la common law mais l’acte criminel qualifié d’effraction nocturne dans le Code. Les refontes successives du Code ont engendré des divergences importantes entre ses deux versions. Toute-

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fois, un examen des diverses refontes et de la législation relative aux Statuts révisés démontre que les dispositions de ce qui est aujourd’hui l’art. 213 du Code criminel sont substantiellement les mêmes que celles de ce qui était l’art. 228 du Code criminel, 1892, reproduit dans les deux refontes successives de 1906 et de 1927 et auquel la renfonte de 1970 n’a apporté aucune modification. En l’absence de la moindre indication que le Parlement ait voulu apporter quelque changement à cette disposition, il s’ensuit que le «vol avec effraction» («burglary») signifie toujours l’acte criminel décrit à l’art. 410 du Code criminel, 1892, complété par les définitions de «maison d’habitation» et «effraction» à l’art. 407.

Cette conclusion, fondée sur la nécessité de se référer au Code criminel antérieur vu l’ambiguïté des versions françaises et anglaises du Code présentement en vigueur, applique intégralement la règle relative aux effets de la codification énoncée par lord Herschell dans l’arrêt Bank of England v. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107, aux pp. 144 et 145.

Les juges Judson et de Grandpré, dissidents: Les motifs de dissidence exprimés en Cour d’appel devraient être adoptés sans restriction, le pourvoi devrait être accueilli et les déclarations de culpabilité inscrites au procès devraient être maintenues.

[Arrêts mentionnés: R.v. Lachance (1963), 39 C.R. 127; Procureur général du Canada c. Reader’s Digest Association (Canada) Ltd., [1961] R.C.S. 775; Bank of England v. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a ordonné un nouveau procès à la suite des appels interjetés par les intimés à l’encontre des déclarations de culpabilité pour meurtre prononcées contre eux. Pourvoi rejeté, les juges Judson et de Grandpré étant dissidents.

D.A. McKenzie, pour l’appelante.

Patricia Peters, pour l’intimé, Nicholas Popovic.

Michael Lynch, pour l’intimé, Elija Askov.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par

LE JUGE PIGEON — A leur procès par jury, à Toronto, les intimés, ainsi que Radco Govedarov et

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Sreto Dzambas, ont été déclarés coupables du meurtre d’un certain Trevor Poll. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté les appels de Govedarov et de Dzambas mais elle a ordonné un nouveau procès pour les deux autres1. Selon l’opinion majoritaire, le juge de première instance a commis une erreur en instruisant le jury que l’introduction par effraction dans le restaurant où le meurtre a été commis pouvait être considérée comme un «vol avec effraction» au sens de l’art. 213 du Code criminel. De l’avis de la majorité «vol avec effraction» dans cet article signifie une «effraction» dans une maison d’habitation seulement. Le juge d’appel Schroeder a exprimé sa dissidence sur ce point en disant que cette expression «vol avec effraction» qu’emploie la version française de l’art. 213 ne comporte pas cette restriction.

Le pourvoi à cette Cour se fonde uniquement sur cette dissidence, l’avis signifié par le Procureur général de l’Ontario énonçant l’unique moyen que voici:

[TRADUCTION] Que la Cour d’appel a commis une erreur en droit en statuant que s’introduire par effraction dans un restaurant avec l’intention d’y commettre un acte criminel ne constitue pas le «vol avec effraction» mentionné à l’art. 213 du Code criminel.

En l’espèce, j’estime nécessaire de faire un examen complet des deux versions de la législation pertinente.

Dans le Code Criminel de 1892 (Can.), c. 29, la partie pertinente de l’art. 228 qui définissait les cas où l’homicide devient meurtre imputé se lisait comme suit:

228. L’homicide coupable est aussi qualifié meurtre dans chacun des cas suivants, que le coupable ait l’intention de donner la mort ou non, ou qu’il sache ou non que la mort peut en résulter: —

a) S’il a l’intention de faire une lésion corporelle grave dans le but de faciliter la perpétration de quelqu’un des crimes mentionnés au présent article, ou la fuite du coupable après la perpétration ou la tentative de perpétration de ce crime, et si la mort résulte de cette lésion; ou…

2. Les crimes suivants sont ceux auxquels il est référé dans le présent article: la trahison et les autres

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crimes mentionnés en la partie IV du présent acte, la piraterie et les crimes qualifiés piraterie, l’évasion ou la délivrance d’un prisonnier ou d’une personne confiée à la garde légale de quelqu’un, la résistance à une arrestation légale, le meurtre, le viol, le rapt, le vol à main armée, l’effraction nocturne, l’incendie.

L’«effraction nocturne» correspond au «burglary» de la version anglaise.

L’effraction nocturne était définie comme suit dans la partie XXX sous le titre «Des effractions et escalades»:

410. Est coupable de l’acte criminel qualifié effraction nocturne (burglary), et passible de l’emprisonnement à perpétuité, celui qui —

(a) S’introduit par effraction, de nuit, dans une maison d’habitation, avec l’intention d’y commettre un acte criminel; ou

(b) Sort par effraction d’une maison d’habitation, de nuit, soit après y avoir commis un acte criminel, soit après s’y être introduit, de jour ou de nuit, avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

Dans cette version française, on voit que l’acte criminel dont il s’agit était, comme dans l’art. 228, appelé «effraction nocturne» mais, de plus, cette expression était suivie du mot «burglary» entre parenthèses.

Il était donc parfaitement clair que l’«effraction nocturne» mentionnée dans la disposition relative au meurtre imputé n’était pas le «burglary» de common law mais l’acte criminel défini dans le Code. A ce sujet, je soulignerai qu’alors qu’il n’y avait pas de dispositions correspondant à l’art. 228 dans les lois canadiennes antérieures au Code, le meurtre n’étant pas défini dans l’Acte concernant les crimes et délits contre les personnes, S.R.C., 1886, c. 162, l’«effraction nocturne» ou «burglary» était définie dans l’Acte du Larcin, S.R.C. 1886, c. 164, comme suit:

37. Quiconque entre dans une maison d’habitation appartenant à autrui, avec l’intention d’y commettre une félonie, ou étant dans cette maison, y commet quelque félonie, et dans l’un ou l’autre cas en sort la nuit par effraction, est coupable d’effraction nocturne (burglary).

Dans la version française de l’Acte du Larcin, on trouvait donc les mêmes mots que dans le Code

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soit «effraction nocturne (burglary)». Dans cet acte-là, «la nuit» était définie à l’ai, k) de l’art. 2 comme dans le Code (entre 9h du soir et 6h du matin), mais on n’y avait pas donné aux expressions «maison d’habitation» et «effraction» le sens large qu’elles avaient à l’art. 407 du Code.

Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas de doute qu’à l’art. 228, «effraction nocturne» signifiait certainement «l’acte criminel qualifié effraction nocturne (burglary)», défini à l’art. 410 et aux autres dispositions connexes, en d’autres termes, l’effraction nocturne définie dans le Code et non pas le «burglary» de la common law. Malgré l’extension donnée par le Code, il s’agissait encore d’un acte criminel susceptible d’être commis la nuit dans une maison d’habitation seulement.

Par la refonte de 1906, qui n’était pas l’œuvre du Parlement mais d’une commission, on a beaucoup modifié la rédaction des deux versions. Cela fut fait en vertu des pouvoirs conférés par l’Acte concernant les Statuts révisés du Canada 1903 (Can.), c. 61, dont le premier paragraphe de l’art. 3 se lisait comme suit:

3. La dite commission, dans le travail de la refonte des dits statuts et de l’incorporation aux dits statuts des actes ou parties d’actes rendus subséquemment aux dits statuts et choisis pour y être compris, ainsi qu’il est ci-dessus édicté, peut y faire, sous le rapport du langage, les changements qu’il convient dans l’intérêt de l’uniformité, et y opérer telles légères modifications dont besoin est pour rendre plus clair ce qu’elle juge avoir été l’intention du parlement, et pour faire concorder des dispositions apparemment incompatibles ou y corriger des erreurs d’écriture ou de typographie.

La mise en vigueur de la refonte n’a pas été faite par proclamation en vertu de cette loi-là mais par l’Acte concernant les Statuts révisés, 1906, 1907 (Can.), c. 43, dont je citerai quelques dispositions:

3. Les Statuts révisés du Canada, 1906, sont par le présent acte confirmés et déclarés avoir et avoir eu, le et à compter du trente et unième jour de janvier 1907, force de loi comme s’ils étaient édictés dans le présent acte…

7. Les dits Statuts révisés ne seront pas censés faire office de lois nouvelles, mais ils seront interprétés et auront force de loi à titre de refonte et comme énonçant la loi telle qu’elle se trouve dans les dits actes et parties d’actes ainsi abrogés, et que les dits Statuts revisés remplacent.

[Page 313]

2. Mais si, sur quelque point, les dispositions des dits Statuts révisés ne sont pas effectivement les mêmes que celles des actes et parties d’actes auxquelles elles sont substituées, alors en ce qui regarde toutes les transactions, affaires et choses subséquentes à l’époque où les dits Statuts révisés sont entrés en vigueur, les dispositions y contenues doivent prévaloir, mais quant à toutes les transactions, affaires et choses antérieures à cette époque, les dispositions des dits actes et parties d’actes abrogés doivent prévaloir.

10. Le Gouverneur en conseil pourra nommer deux personnes compétentes ou plus pour préparer la version française des dits Statuts révisés, et elles devront, avec toute la diligence possible, faire et compléter cette version et en faire rapport au Gouverneur en conseil.

2. Le Gouverneur général fera alors déposer au bureau du greffier des parlements un rôle imprimé, attesté du seing du Gouverneur général et de celui du greffier des parlements, de la version ainsi complétée et rapportée, et ce rôle sera réputé être l’original authentique de la version française des dits Statuts et comme tel aura force de loi comme s’il avait été édicté par le présent Acte.

Les Statuts révisés de 1906 ont donc ainsi été d’abord déclarés en vigueur en version anglaise seulement. La version française a été faite avec si peu de soin que dans le nouvel art. 260, correspondant à l’art. 228, du Code de 1892, quatre actes criminels ont été omis savoir, «le meurtre, le viol, le rapt, le vol à main armée». Alors que dans la version anglaise le mot «burglary» demeurait tel quel, dans la version française, l’expression «effraction de nuit» remplaçait «effraction nocturne». De plus, sous le titre «Effractions» que l’on substitua à «Des effractions et escalades», (dans la version anglaise «Burglary and Housebreaking» sans changement) on retrancha de l’art. 457 (ancien art. 410) les mots «qualifié effraction nocturne (burglary)», (dans la version anglaise «called burglary»). De même on retrancha de l’art. 458 les mots «qualifié effraction diurne (housebreaking)», (dans la version anglaise «called housebreaking»). Rien n’indique les motifs de ces modifications.

Par suite de ces modifications, les deux versions comportaient des divergences importantes. Dans la version anglaise, le mot «burglary» ne demeurait qu’à l’art. 260 et dans le titre coiffant les art. 455 à 465 où on le trouvait avec «housebreaking» de sorte qu’il n’y avait plus rien pour indiquer ce qui était

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«burglary» et ce qui était «housebreaking». A moins de retourner à l’ancien Code, on pouvait penser que dans l’art. 260 (définition du meurtre imputé) «burglary» devait désormais s’interpéter dans son sens ordinaire, rien n’indiquant que sous le titre «Burglary and Housebreaking» le premier mot désignait l’acte criminel décrit à l’art. 457. En revanche, dans la version française de l’art. 260, «effraction de nuit» signifiait clairement toute introduction par effraction de nuit, «Effractions» étant le titre sous lequel étaient définies l’introduction par effraction dans un magasin, aussi bien que l’introduction par effraction de jour ou de nuit dans une maison d’habitation.

Selon le sens littéral des deux versions de l’art. 260 du Code de 1906, il y aurait donc eu quant aux effractions une modification importante, mais en des directions opposées. En anglais, la disposition n’aurait plus visé que le «burglary» de la common law et non plus le «burglary» défini par le Code de 1892 alors qu’en français l’«effraction de nuit» aurait compris toute introduction par effraction de nuit.

Il me semble évident que, ni le Parlement, ni la Commission n’ont eu l’intention d’effectuer par la refonte de 1906 aucune modification dans la nature des actes criminels définis au Code. Même si le par. (2) de l’art. 16 de l’Acte concernant les Statuts révisés, 1906, a abrogé la loi de 1903, il est assez clair qu’en réalité il ne l’a pas abrogée mais plutôt remplacée par la nouvelle loi. Cela ressort du premier paragraphe de l’art. 16 qui modifie la loi de 1903; si l’on avait entendu la supprimer entièrement, il aurait été inutile de la modifier. En face des divergences entre les deux versions du Code criminel de 1906, il faut conclure qu’on n’avait pas l’intention de faire de modifications de fond et qu’il s’agit seulement de la maladresse de scribes qui, visant à améliorer la rédaction, n’ont réussi qu’à introduire de graves défauts dans les deux versions du Code criminel.

Ce que n’ont pas compris les responsables de ces modifications maladroites — dont les effets malencontreux se font encore sentir — c’est qu’ils ne pouvaient pas apporter aux changements qu’ils effectuaient l’examen approfondi qu’avaient fait les auteurs du texte primitif. Ils n’ont pas tenu compte

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non plus d’un facteur que ces derniers n’avaient pas oublié, savoir, l’importance que des lois de ce genre soient bien lisibles. Je veux dire par là que les dispositions en soient facilement compréhensibles par ceux auxquels on les lit à haute voix. Cela s’avère particulièrement souhaitable pour les définitions de crimes qu’on doit lire aux jurés. Pour être bien lisibles, il faut que les phrases soient courtes et ne soient pas encombrées d’incidentes et d’énumérations. L’article 228 du Code original répondait essentiellement à ces exigences en donnant séparément, dans l’al. 2, la liste des actes criminels visés. De plus, il est évident que la lecture sera beaucoup plus compréhensible si l’on désigne les actes criminels par leur nom plutôt qu’un numéro d’article, pourvu que les noms employés soient assez précis et ne s’écartent pas trop du langage courant. L’article 410 du Code original rencontrait ces exigences, les mots «l’acte criminel qualifié effraction nocturne (burglary)» rendaient non équivoque l’expression «effraction nocturne» dans l’art. 228.

Les Statuts révisés du Canada 1927 ont été rédigés et proclamés conformément aux dispositions de la Loi concernant les Statuts révisés du Canada, 1924 (Can.), c. 65. L’article 3 de cette loi était identique à l’art. 3 de la loi de 1903 et l’art. 8 identique à l’art. 7 de la loi de 1906. La numérotation des art. 260 et 457 du Code criminel est demeurée la même. Il n’y a eu aucune modification dans le texte de la version anglaise. Toutefois, dans la version française de l’art. 260, les mots qu’on avait par inadvertance omis en 1906 ont été rétablis, mais en retranchant les mots «de nuit» après «effraction» de sorte que cette infraction ne correspond plus au «burglary» du texte anglais mais signifie toute «introduction par effraction», aucune modification n’étant effectuée à l’art. 457 ni dans le titre «Effractions» qui précède l’art. 455.

Il est évident que la refonte de 1927 ne tendait pas à modifier les dispositions relatives au meurtre imputé de façon à viser toute introduction par effraction, comme le comporterait littéralement le texte de la version française. Le fait que la version anglaise demeure inchangée indique clairement qu’on n’a eu l’intention d’effectuer aucune modifi-

[Page 316]

cation dans les dispositions qui nous intéressent. Juridiquement la situation est donc demeurée la même qu’après la refonte de 1906, savoir, que malgré les malheureuses ambiguïtés introduites par le texte modifié, l’art. 260 conservait le même sens que l’art. 228 du Code criminel de 1892 en ce qui a trait à l’«effraction» ou «burglary».

En 1947, par les art. 6 et 7, c. 55, l’«attentat à la pudeur» a été inséré dans la liste des crimes mentionnés à l’art. 260 et on a ajouté l’al. (d). Ces modifications ne sont pas pertinentes à la question en litige.

En 1950, par l’art. 5 du c. 11, les art. 457, 458 et 459 ont été remplacés par un seul article qui réunit en un même acte criminel, passible de la même peine, les infractions qui, dans le Code de 1892, étaient appelées effraction nocturne (burglary) et effraction diurne (housebreaking), ainsi que l’acte criminel innomé décrit à l’art. 412 (alors l’art. 459). Le nouvel article se lit comme suit:

457. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité, quiconque

a) S’introduit, par effraction, dans une maison d’habitation avec l’intention d’y commettre un acte criminel; ou

b) S’introduit, par effraction, dans une maison d’habitation et y commet un acte criminel, ou

c) Sort, par effraction, d’une maison d’habitation, après y avoir commis un acte criminel, ou après y être entré avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

(2) Tout individu déclaré coupable d’une infraction visée au présent article et qui, au moment de son arrestation ou lorsqu’il a commis cette infraction, portait sur lui une arme offensive, est passible, outre l’emprisonnement ci-dessus prescrit, de la peine du fouet.

(3) L’entrée avec effraction dans une maison d’habitation ou la sortie avec effraction d’une maison d’habitation, après s’y être introduit, constitue une preuve prima facie de l’intention d’y commettre un acte criminel.

Aucune modification n’a été apportée au titre «Effractions» ni à l’art. 260.

Respectueusement, le juge d’appel Martin commet une erreur, à mon avis, lorsqu’il opine (à la p. 27) que [TRADUCTION] «par la suite, l’«ef-

[Page 317]

fraction» de l’art. 260 visa l’introduction, par effraction, dans une maison d’habitation de jour aussi bien que de nuit». Cette conclusion va à l’encontre de l’opinion exprimée antérieurement par la Cour d’appel de l’Ontario dans Regina v. Lachance[2], comme suit (à la p. 133):

[TRADUCTION] Les art. 292, 295 du Code criminel actuel ont aboli la distinction entre l’introduction par effraction la nuit (burglary) et l’introduction par effraction le jour, mais puisque les auteurs du présent Code criminel ont continué à employer le mot «effraction» (burglary) dans le texte relatif au meurtre imputé législativement, le présent article 202, on doit donner au mot le sens qui lui était attribué par l’art. 410 joint aux art. 3(q), 407 (b) et 407 (b) (i) (ii) du Code criminel de 1892, 55-56 Vict., c. 29 mentionné ci‑dessus.

Dans l’art. 260, le mot crucial est «effraction» (burglary). Pour les motifs déjà mentionnés, ce mot signifiait réellement lorsque les modifications de 1950 ont été apportées, l’introduction par effraction de nuit (burglary), selon la définition de ce crime au Code de 1892. Pour modifier la portée de l’art. 260 et rendre cette disposition applicable aussi à ce qui était alors appelé «effraction diurne» (housebreaking) ainsi qu’à un autre crime innommé, il aurait fallu que le Parlement manifeste de quelque manière l’intention d’effectuer ce changement. Le meurtre imputé est un crime des plus graves, alors passible de la peine de mort, aujourd’hui de condamnation obligatoire à l’emprisonnement à perpétuité. Il n’y a aucun indice de pareille intention.

Il est vrai que conformément à l’art. 7 de l’Acte des Statuts révisés du Canada, 1906, et à l’art. 8 de la Loi concernant les Statuts révisés du Canada, 1927, il faut donner à l’art. 260 le même effet qu’à l’art. 228 du Code de 1892, malgré le retranchement des mots «qualifié effraction nocturne (burglary)», dans ce qui était l’art. 410 et est devenu l’art. 457. Si ces mots se trouvaient dans le nouvel art. 457 édicté en 1950, on pourrait penser que le Parlement était alors conscient que le mot «effraction» (burglary) se trouvait à l’art. 260 et voulait que ce dernier article soit interprété à l’avenir comme visant l’acte criminel désormais décrit sous ce nom. Il n’en est pas ainsi. Non

[Page 318]

seulement les mots «qualifié effraction nocturne (burglary)» ont été retranchés dans la refonte de 1906 et omis dans celle de 1927, mais ils n’ont pas été rétablis dans le nouvel art. 457 édicté en 1950. Celui-ci ne visait pas à définir l’«effraction» («burglary»); il réunissait simplement en un même acte criminel ce qu’on avait jadis appelé «effraction nocturne» et «effraction diurne» ainsi qu’un autre crime innommé. Et cela restait sous le titre «Effractions» («Burglary and Housebreaking»). Quoique les Statuts révisés de 1906 et de 1927 ne doivent pas être interprétés comme des lois nouvelles mais à titre de refontes, il faut aussi appliquer le paragraphe énonçant que les dispositions nouvelles doivent prévaloir à l’avenir même si elles diffèrent de celles qui existaient antérieurement. Même en admettant que l’acte criminel défini à l’acte 457 était encore «l’effraction» («burglary»), il n’y a rien qui indique que la nouvelle infraction englobant les trois anciens crimes soit l’«effraction» («burglary») au sens de l’art. 260. Il n’y a rien à cet effet dans la loi elle-même ou dans les notes explicatives citées dans le Criminal Code, 1955, de Martin (p. 514). D’ailleurs je ne pense pas que dans l’interprétation on puisse tenir compte de ces notes plus que de n’importe quel autre élément de l’historique parlementaire de la loi. (Procureur général du Canada c. Reader’s Digest Association (Canada) Ltd.[3]

Passons maintenant à la refonte législative effectuée par le c. 51 des Statuts du Canada 1953-54. Dans le Code criminel alors adopté, la disposition ayant trait au meurtre imputé est à l’art. 202. Même si le texte est complètement refait en une seule longue phrase avec plusieurs alinéas et sous-alinéas, il n’y a aucune modification notable dans la version anglaise. Mais, la version française comporte un changement important. Comme équivalent de «burglary» le français emploie maintenant «un vol avec effraction» au lieu d’«effraction». Évidemment, «effraction» dans le sens de toute introduction par effraction avait une portée beaucoup trop étendue, mais la nouvelle expression n’est pas plus exacte.

Comme le juge d’appel Schroeder le souligne (à la p. 14), Harrap’s New Shorter French Diction-

[Page 319]

ary définit «burglary», «vol de nuit avec effraction». Du point de vue lexicographique, c’est tout à fait juste parce que, dans un dictionnaire anglais, c’est selon le vocabulaire de la législation française qu’on doit donner l’équivalent français des termes juridiques anglais. Mais le sens des mots employés pour définir des concepts juridiques n’est pas lié seulement à l’usage courant dans un pays. Inévitablement, il dépend en grande partie de la rédaction des textes législatifs, en France de celle du Code pénal. Dans ce Code-là, l’«effraction» est définie à l’art. 393, mais ce n’est pas un crime en soi, seulement une «circonstance aggravante»; les art. 381 à 389 prescrivent différentes peines pour le vol, selon les «circonstances». On y trouve non seulement l’effraction, mais aussi la nuit, les armes, la maison habitée, etc. Pour décrire le crime de «burglary» avec le vocabulaire du Code pénal français, il faudrait donc parler de «vol de nuit avec effraction dans une maison habitée». Même cette définition ne serait pas tout à fait juste, puisqu’elle viserait uniquement le vol et non pas la perpétration de tout acte criminel comme c’est le cas pour le «burglary».

Dans l’art. 228 du Code criminel de 1892, l’expression «effraction nocturne» ne prêtait pas à équivoque simplement parce qu’à l’art. 410 qui le définissait, on donnait expressément ce nom-là à ce crime-là. Mais dans la version française de l’art. 202 (aujourd’hui l’art. 213) du Code criminel actuel, l’expression «vol avec effraction» ne décrit pas un acte criminel ainsi nommé ailleurs dans notre Code. La seule conclusion possible c’est que cette expression utilisée dans la version française est imprécise et ambiguë.

Il faut maintenant aller à l’art. 292 (aujourd’hui l’art. 306). Les mots effraction nocturne et effraction diurne ont disparu et le titre qui coiffe les art. 292 à 295 (aujourd’hui les art. 306 à 311) est devenu «Introduction par effraction». L’article 292 se lit comme suit:

Introduction par effraction

292. (1) Quiconque

a) s’introduit en un endroit par effraction avec l’intention d’y commettre un acte criminel;

b) s’introduit en un endroit par effraction et y commet un acte criminel; ou

[Page 320]

c) sort d’un endroit par effraction,

(i) après y avoir commis un acte criminel, ou

(ii) après s’y être introduit avec l’intention d’y commettre un acte criminel,

est coupable d’un acte criminel et passible

d) de l’emprisonnement à perpétuité, si l’infraction est commise relativement à une maison d’habitation; ou

e) d’un emprisonnement de quatorze ans, si l’infraction est commise relativement à un endroit autre qu’une maison d’habitation.

(2) Aux fins de procédures intentées en vertu du présent article, la preuve qu’un accusé

a) s’est introduit dans un endroit par effraction, est une preuve prima facie qu’il s’y est introduit par effraction, avec l’intention d’y commettre un acte criminel; ou

b) est sorti d’un endroit par effraction, constitue une preuve prima facie qu’il en est sorti par effraction

(i) après y avoir commis un acte criminel, ou

(ii) après s’y être introduit avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

(3) [Abrogé, 1972, c. 13, art. 24.]

(4) Aux fins du présent article, l’expression «endroit» signifie

a) une maison d’habitation;

b) un bâtiment ou une construction, ou toute partie de bâtiment ou de construction, autre qu’une maison d’habitation;

c) un véhicule de chemin de fer, un navire, un aéronef ou une remorque; ou

d) un parc ou enclos où des animaux à fourrure sont gardés en captivité pour fins d’élevage ou de commerce.

Il convient de souligner que l’introduction par effraction dans un magasin a été jointe à l’effraction nocturne, l’effraction diurne et plusieurs autres infractions connexes, dans un même acte criminel qui vise l’introduction en «un endroit par effraction». Cependant la peine varie selon que l’«endroit» est une maison d’habitation ou non. La définition de «maison d’habitation» au par. (14) de l’art. 2 est substantiellement la même que dans les lois antérieures.

J’ai fait la revue des dictionnaires en usage en 1954 afin de voir s’il se pouvait que par suite de l’adoption par de nombreaux états de lois où «burglary» est défini de façon à viser toute introduction

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par effraction, le mot ait pris dans l’usage une nouvelle signification. Les résultats de cette recherche se sont avérés si négatifs que je ne crois pas nécessaire d’élaborer ou de citer quoi que ce soit.

Quant à la version française en particulier, il suffit de dire que le titre est devenu «Introduction par effraction», ce qui est loin de constituer une amélioration par rapport au seul mot «Effractions» qui était un titre approprié. Le mot «introduction» semble avoir été ajouté simplement dans le but de ne pas avoir un seul mot dans la version française, là où il y en a deux dans le texte anglais. C’est, à mon avis, une conception erronée. Chaque version doit être rédigée conformément au génie de la langue. Si dans une langue un seul mot convient, je considère gravement fautif d’en employer deux ou plusieurs parce que cela s’avère souhaitable ou nécessaire dans l’autre langue. Dans notre Code actuel, cette façon d’agir a été poussée à l’absurde. Dans la version anglaise, le titre au-dessus de l’art. 374 (aujourd’hui l’art. 389) est «Arson and Other Fires». Dans la version française on lit: «Crime d’incendie et autres incendies».

Bien qu’il s’agisse d’un raisonnement par analogie, de valeur douteuse au surplus, on a argué fortement que dans l’article relatif au meurtre imputé, le «crime d’incendie» (arson) n’avait plus la même signification qu’en common law et embrassait maintenant tous les actes criminels énumérés à l’art. 374 du Code de 1955 (aujourd’hui 389). Il ne me paraît pas nécessaire d’exprimer mon opinion sur cette question, mais je ferai remarquer que dans la refonte de 1906, le nom de cet acte criminel n’a pas été éliminé comme on l’a fait pour l’«effraction nocturne» (burglary). L’article 511 du Code révisé de 1906 se lit comme l’art. 482 du Code criminel de 1892:

511. Est coupable de l’acte criminel d’incendie…

De même, dans la refonte de 1927 on a conservé les mots «l’acte criminel d’incendie». Nous n’avons pas à déterminer quelles ont été les conséquences du retranchement de l’expression «d’incendie» dans la description de l’acte criminel visé à l’art. 374 (aujourd’hui 389) en regard de l’extension qu’on lui donne. Il convient toutefois de souligner que

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dans le Criminal Code de Martin et celui de Cartwright la rubrique «Arson» est en réalité la note marginale du texte officiel. En vertu de l’art. 13 de la Loi d’interprétation cette note «ne fait pas partie du texte législatif».

Il faut toutefois tenir compte des dispositions suivantes de l’art. 36 de la Loi d’interprétation:

36. Lorsqu’un texte législatif (au présent article appelé «texte antérieur») est abrogé et qu’un autre texte législatif (au présent article appelé «nouveau texte») y est substitué,…

f) sauf dans la mesure où les dispositions du nouveau texte ne sont pas, en substance, les mêmes que celles du texte antérieur, le nouveau texte ne doit pas être réputé de droit nouveau; il doit s’interpréter comme une codification et une manifestation de la loi que le texte antérieur renfermait et avoir l’effet d’une semblable codification et manifestation;

Il me semble clair que les dispositions de ce qui est aujourd’hui l’art. 213 du Code criminel visant le «vol avec effraction» (burglary) sont substantiellement les mêmes que celles de ce qui était l’art. 228 du Code criminel, 1892, reproduit dans les deux refontes successives de 1906 et 1927. Aucune modification n’a été effectuée dans la refonte de 1970 et je ne puis trouver nulle part la moindre indication que le Parlement ait voulu y apporter quelque changement. Il s’ensuit, selon moi, que le «vol avec effraction» («burglary») signifie toujours l’acte criminel décrit à l’art. 410 du Code criminel, 1892, complété par les définitions de «maison d’habitation» et «effraction» à l’art. 407.

Cette conclusion applique intégralement la règle relative aux effets de la codification énoncée par lord Herschell dans l’arrêt Bank of England v. Vagliano Brothers[4] aux pp. 144-5. Je ne retourne pas à la définition du «burglary» de la common law et je ne vois aucune raison de le faire. Il n’existe plus aujourd’hui de crimes de common law. Toutefois, par suite de l’imprécision des refontes successives, il faut malheureusement remonter à la loi originaire qui seule permet de comprendre la véri-

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table signification du texte actuel. Une pareille situation est certes très déplorable quand la règle est qu’il faut faire l’impossible pour saisir l’intention du Parlement par le seul examen du Code présentement en vigueur. En l’espèce, cependant, la disposition est tellement ambiguë qu’on doit de toute nécessité se référer aux lois antérieures. Il est particulièrement regrettable que depuis 1906, les deux versions de ce qui est aujourd’hui l’art. 213 aient été aussi ambiguës, pour ne pas dire trompeuses; j’aime à croire qu’on ne jugera pas mal à propos que je formule l’espoir qu’il sera bientôt remédié à cette situation et que mes remarques seront de quelque utilité à cet égard.

Je conclus au rejet du pourvoi.

Le jugement des juges Judson et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE JUDSON (dissident) — Je suis d’accord avec les motifs de dissidence du juge d’appel Schroeder en Cour d’appel[5]. Je les fais miens sans restriction.

J’accueillerais donc le pourvoi et maintiendrais les déclarations de culpabilité inscrites au procès.

Appel rejeté, les JUGES JUDSON et DE GRANDPRÉ dissidents.

Procureur de l’appelante: F.W. Callaghan, Toronto.

Procureur de l’intimé, Popovic: J.D. Morton, Toronto.

Procureurs de l’intimé, Askov: Austin, Murphy, Lewis & Proctor, Toronto.

[1] (1973), 3 O.R. (2d) 23.

[2] (1963), 39 C.R. 127.

[3] [1961] R.C.S. 775.

[4] [1891] A.C. 107.

[5] (1973), 3 O.R. (2d) 23.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Popovic and Askov
Proposition de citation de la décision: R. c. Popovic and Askov, [1976] 2 R.C.S. 308 (27 octobre 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-10-27;.1976..2.r.c.s..308 ?
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