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30/01/1976 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._322

Canada | CNR c. Nor-Min Supplies, [1977] 1 R.C.S. 322 (30 janvier 1976)


Cour suprême du Canada

CNR c. Nor-Min Supplies, [1977] 1 R.C.S. 322

Date: 1976-01-30

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Plaignant) Appelante;

et

Nor-Min Supplies Limited (Défendeur) Intimée.

1975: le 17 décembre; 1976: le 30 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

CNR c. Nor-Min Supplies, [1977] 1 R.C.S. 322

Date: 1976-01-30

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Plaignant) Appelante;

et

Nor-Min Supplies Limited (Défendeur) Intimée.

1975: le 17 décembre; 1976: le 30 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Chemins de fer - Compagnie des chemins de fer nationaux - Carrière appartenant à la compagnie de chemins de fer - Carrière de pierre concassée servant au ballast age de lignes de chemins de fer - Applicabilité de la législation provinciale relative au privilège du fournisseur de matériaux - La carrière fait-elle partie intégrante du réseau de chemins de fer? - Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada, S.R.C. 1970, c. C-10, par. 18(1) - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c.R-2, par. 2(1).

Privilège du fournisseur de matériaux - Le privilège s’applique-t-il dans le cas d’une carrière appartenant à une compagnie de chemins de fer? - Carrière de pierre concassée servant au ballastage de lignes de chemins de fer - La carrière fait-elle partie intégrante du réseau de chemins de fer? - Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada, S.R.C. 1970, c. C-10, par. 18(1) - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, par. 2(1) - The Mechanics’ Lien Act, R.S.O. 1970, c. 267.

Des sous-traitants dans un contrat d’exploitation de carrière, accordé par le C.N. à un entrepreneur général qui a fait faillite, ont enregistré un privilège sur la carrière où le contrat devait être exécuté et sur l’emprise adjacente du C.N. La pierre devait être concassée et empilée le long de la voie ferrée, à environ 25 pieds de celle-ci, et on avait construit une voie de service afin de faciliter le chargement de la pierre concassée dans les wagons. Le juge de première instance a modifié les revendications pour exclure l’emprise. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le jugement accueillant les revendications de privilèges dans leur forme modifiée.

Dans un appel subséquent, on a plaidé que le Mechanics’ Lien Act, R.S.O. 1970, c. 267 n’est pas applicable parce que (1) l’entreprise d’extraction est un ouvrage à l’avantage général du Canada en vertu du par. 18(1) de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada, S.R.C. 1970, c. C-10; (2) ladite entreprise entre dans le champ de la définition de «chemins de fer»

[Page 323]

ou «voie ferrée» du par. 2(1) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2 et de ce fait, ou de toute manière, elle constitue une partie intégrante du chemin de fer en tant que réseau de transport; et (3) pour l’un quelconque des motifs précédents, les biens-fonds du C.N. sur lesquels on exploite la carrière ne peuvent être soumis à la législation provinciale relative aux privilèges du fournisseur de matériaux car il s’agirait alors d’une ingérence inadmissible dans l’exploitation d’une entreprise de transport relevant de la compétence fédérale.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Compte tenu de la conclusion du juge de première instance selon laquelle le C.N. conserve l’emplacement de la carrière pour des raisons de commodité, aucun de ces arguments n’est soutenable. La carrière ne relève pas de l’expression «autres ouvrages de transport» au par. 18(1) de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada ni de la définition de «chemin de fer» au par. 2(1) de la Loi sur les chemins de fer. Le fait que la carrière soit une source d’approvisionnement aux fins du chemin de fer ne la rend pas, dans les circonstances, une partie essentielle et intégrante du réseau de transport du C.N. de façon à la soustraire à l’application d’une loi provinciale sur le privilège du fournisseur de matériaux, particulièrement en l’absence d’une loi fédérale à cet effet.

En outre, le juge de première instance avait le pouvoir, en vertu du Mechanics’ Lien Act, de modifier la description des biens-fonds que l’on prétendait soumis au privilège.

Arrêts suivis: Le Conseil canadien des relations du travail et autres c. le C.N., [1975] 1 R.C.S. 786; C.P.R. v. A.-G. B.C. et al., [1950] A.C. 122; arrêts mentionnés: Wilson v. Esquimalt & Nanaimo Railway Co., [1922] 1 A.C. 202; Crawford v. Tilden et al. (1907), 14 O.L.R. 572; Johnson & Carey Co. v. Canadian Northern R. Co. (1918), 44 O.L.R. 533; Re Perini Ltd. v. Can-Met Explorations Ltd. et Guaranty Trust (1958), 15 D.L.R. (2d) 375, appel rejeté 17 D.L.R. (2d) 715; Campbell-Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd. et autres, [1954] R.C.S. 207; C.P.R. Co. v. Parish of Notre-Dame de Bonsecours, [1899] A.C. 367.

POURVOI interjeté d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario confirmant un jugement en faveur de créanciers privilégiés qui étaient des sous-traitants dans un contrat d’exploitation de carrière accordé par le C.N. à un entrepreneur général qui a fait faillite. Pourvoi rejeté.

[Page 324]

J.F. Laing, pour l’appelante.

R.E. Zelinski, c.r., et D.E. Johnson, pour les intimés, Nor-Min Supplies Ltd., Douglas Rentals Ltd., et Gilbert Cameron.

H. Michael Kelly, pour l’intimé Angelo Guerrieri.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt accueillant une action en revendication de privilège intentée contre l’appelante, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après appelée le C.N.) en faveur de créanciers privilégiés qui étaient sous-traitants dans un contrat d’exploitation de carrière accordé par le C.N. à un entrepreneur général qui a fait faillite. L’extraction devait avoir lieu sur une île appartenant au C.N. depuis 1910, adjacente à une voie ferrée. En 1969, on y découvrit une variété particulière de roche, servant au ballast, que la compagnie pourrait utiliser pour mettre en œuvre un programme de réfection d’envergure et assurer par la suite l’entretien de ses voies.

Le contrat sur lequel sont fondées les créances privilégiées a été conclu à la fin de décembre 1969. Il prévoyait l’extraction, le concassage et l’empilage de la pierre concassée à des endroits indiqués sur l’île et le chargement de la pierre dans des wagons. La pierre était empilée le long de la voie principale, à environ vingt-cinq pieds de celle-ci, et on avait construit une voie de service afin de faciliter le chargement et de disposer d’un plus grand espace pour l’empilage, tout en dégageant la voie principale pour le trafic régulier. Les créanciers privilégiés avaient fourni des matériaux et des services pour l’exécution du contrat et leurs revendications de privilège s’étendaient dans certains cas à l’emprise du C.N. et à la carrière. Le juge de première instance a modifié les revendications, dans la mesure où c’était nécessaire, pour exclure clairement l’emprise du chemin de fer des biens-fonds soumis au privilège. Je pense qu’il s’agit là d’une application des décisions rendues en Ontario, Crawford v. Tilden[1] et Johnson & Carey Co. v. Canadian Northern Railway Co.[2], selon lesquelles

[Page 325]

l’emprise des chemins de fer qui relèvent de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada, ne peut être soumise à la législation provinciale relative au privilège du fournisseur de matériaux. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé, sans motif écrit, le jugement accueillant les revendications de privilège.

J’estime que le juge de première instance pouvait légitimement modifier la description des biens-fonds que l’on prétendait soumis au privilège, en vertu du pouvoir que lui confère la Mechanics’ Lien Act, S.R.O. 1970, c. 267. On ne conteste pas la validité des créances privilégiées si les biens-fonds sur lesquels portent les revendications sont soumis à la législation provinciale relative au privilège du fournisseur de matériaux. La plaidoirie de l’appelant C.N. sur ce point comporte trois éléments; d’abord, il soutient que l’entreprise d’extraction sur l’île est un ouvrage à l’avantage général du Canada en vertu du par. 1 de l’art. 18 de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada, S.R.C. 1970, c. C-10; ensuite, il soutient que ladite entreprise sur l’île entre dans le champ de la définition de «chemin de fer» ou «voie ferrée» du par. 1 de l’art. 2 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2 et que de ce fait, ou de toute manière, elle constitue une partie intégrante du chemin de fer en tant que réseau de transport; en dernier lieu, il maintient que pour l’un quelconque des motifs précédents, les biens-fonds sur lesquels on exploite la carrière ne peuvent être soumis à la législation provinciale relative au privilège du fournisseur de matériaux car il s’agirait alors d’une ingérence inadmissible dans l’exploitation d’une entreprise de transport relevant de la compétence fédérale. A mon avis, les deux premières prétentions n’étant pas justifiées, nous n’avons pas à nous prononcer sur la troisième. Il est donc inutile de décider s’il y a lieu d’appliquer l’arrêt Re Perini Ltd. v. Can-Met Explorations Ltd. and Guaranty Trust[3] (appel cassé pour défaut de compétence). On a décidé dans cet arrêt que la loi provinciale sur le privilège du fournisseur de matériaux s’appliquait à une mine d’uranium située entièrement dans la province, bien que la

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mine ait été déclarée un ouvrage à l’avantage général du Canada. Ce jugement est fondé sur le fait que, même si la mine était vendue pour payer les créanciers privilégiés, cela n’entraînerait pas le morcellement ou le démembrement d’une exploitation ou d’une entreprise relevant de la compétence réglementaire exclusive du fédéral, comme ce serait le cas s’il s’agissait d’un pipe-line ou d’un chemin de fer interprovincial: voir Campbell-Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd.[4]

Le juge de première instance a établi certaines conclusions de fait et de droit, que l’appelant conteste. Les voici:

[TRADUCTION] Les biens-fonds en question, après la modification, sont une carrière que les Chemins de fer nationaux du Canada exploitent comme telle depuis peu de temps. Il ne s’y trouve aucun bâtiment et la voie ferrée de la défenderesse ne les traverse pas. Les Chemins de fer nationaux du Canada utilisent la pierre de la carrière pour réparer la superstructure de la voie ferrée.

Les éléments de preuve m’ont convaincu qu’au cours des années, les Chemins de fer nationaux du Canada ont vendu des parties de ces biens-fonds à des particuliers pour un usage privé; qu’ils ont également vendu de la pierre extraite à des particuliers. Une partie de ces biens-fonds a été vendue aux fins de la construction de routes et à des fins récréatives.

En outre, beaucoup d’autres emplacements dans les environs immédiats conviennent également à cette fin, c.-à-d. à une carrière.

Je suis également convaincu que les Chemins de fer nationaux du Canada ne conservent cet emplacement que pour des raisons de commodité et que celui-ci ne constitue pas une partie intégrante de leur chemin de fer comme tel. La vente de ces biens-fonds n’aura aucun effet sur l’exploitation par les Chemins de fer nationaux du Canada de leur réseau interprovincial et je suis convaincu que les biens-fonds ne sont pas nécessairement accessoires à l’exploitation du réseau interprovincial en tant que tel.

Je suis d’accord avec l’appelant que la preuve ne révèle pas qu’il ait vendu des parties de l’île ni de la pierre extraite de l’île à des particuliers. En outre, je suis prêt à atténuer la portée de la conclusion du juge de première instance selon laquelle d’autres emplacements dans les environs

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immédiats conviennent à l’extraction de la pierre dont l’appelant a besoin; j’estime que la preuve ne révèle pas l’existence, dans les environs immédiats, d’un pareil emplacement. Toutefois, ceci ne contredit pas la conclusion du juge de première instance selon laquelle le C.N. conserve l’emplacement de la carrière pour des raisons de commodité. En admettant comme situation de fait que le C.N. possède un bien-fonds adjacent à sa voie ferrée et qu’il l’utilise comme carrière à ballast pour entretenir ses voies ferrées, il s’agit en premier lieu de déterminer si l’entreprise d’extraction relève du par. (1) de l’art. 18 de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada dont voici le texte:

18. (1) Sont par les présentes déclarés être à l’avantage général du Canada les ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport, au Canada, de la Compagnie du National et de chaque compagnie mentionnée ou visée dans la Partie I ou la Partie II de l’annexe, et de chaque compagnie formée par la réunion ou fusion de deux ou plusieurs de ces compagnies.

La prétention de l’appelant selon laquelle la carrière entre dans le champ de l’expression «autres ouvrages de transport, au Canada de la Compagnie du National» est insoutenable. Bien que la Loi ne définisse pas l’expression «autres ouvrages de transport», la présente Cour l’a examinée dans l’affaire Le Conseil Canadien des Relations du Travail et la Fraternité Canadienne des Cheminots, Employés des Transports et Autres Ouvriers c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada[5], où elle a également dressé l’historique du par. (1) de l’art. 18 en déterminant la portée de l’expression. Alors qu’en 1919, la première loi organique du C.N. contenait une disposition déclaratoire visant les «ouvrages» de l’une quelconque des compagnies intégrées au réseau du C.N., depuis 1955, la Loi précise «ouvrages de transport». J’estime que le raisonnement suivi par la Cour pour conclure que le Jasper Park Lodge n’était pas couvert par la déclaration du par. (1) de l’art. 18 vaut également en l’espèce pour exclure la carrière. Ni le droit de propriété ni le pouvoir d’acquérir une carrière ou des biens-fonds convenant à l’exploitation d’une carrière ne peuvent

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étayer la prétention fondée sur le par. (1) de l’art. 18. Un argument connexe relatif au par. (1) de l’art. 18 semble être fondé sur la définition de «chemin de fer» au par. (1) de l’art. 2 de la Loi sur les chemins de fer et sur l’application de certaines déclarations du juge Duff (alors juge puîné), qui a rendu le jugement du Conseil privé dans Wilson v. Esquimalt and Nanaimo Railway[6]. Voici le texte du par. (1) de l’art. 2, invoqué par l’appelant à l’appui de son second argument que nous étudierons plus loin:

«chemin de fer» ou «voie ferrée» signifie tout chemin de fer que la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter, et comprend tous les embranchements et prolongements, toutes les voies de garage et d’évitement, toutes les gares et stations, tous les dépôts et quais, tout le matériel roulant, tout l’équipement, toutes les fournitures, tous les biens meubles ou immeubles, et tous les ouvrages qui en dépendent, et aussi tout pont de chemin de fer, tout tunnel ou toute autre construction que la compagnie est autorisée à ériger; et, sauf lorsque le contexte ne le permet pas, comprend le chemin de fer urbain et le tramway;

Cette définition reprend les termes de la définition de «chemin de fer» au par. (21) de l’art. 2 de la Loi sur les chemins de fer, 1919 (Can.), c. 68, qui était en vigueur quand l’arrêt Wilson a été rendu.

L’affaire Wilson résulte des circonstances suivantes. Le gouvernement fédéral avait concédé à Esquimalt and Nanaimo Railway Co. certains biens-fonds à titre de subvention pour la construction d’une ligne de chemin de fer sur l’île de Vancouver. Les biens-fonds faisaient partie d’une bande de terrain (la ceinture ferroviaire) concédée antérieurement par la province au gouvernement fédéral. En 1904, la province a édicté une loi relative aux colons, applicable à la ceinture ferroviaire et permettant au premier occupant d’un terrain ou à celui qui l’améliore d’en obtenir la concession si la demande en était faite dans les douze mois de la date d’entrée en vigueur de la Loi. En 1905, le chemin de fer de Esquimalt and Nanaimo Railway Co. a été déclaré un ouvrage à l’avantage général du Canada et par conséquent, la définition de «chemin de fer» a pris de l’importance pour établir la portée de la déclaration. En 1917, la province a prorogé sa loi

[Page 329]

relative aux colons afin de permettre la présentation de demandes de concessions jusqu’au premier septembre de cette année-là et, en conséquence, une concession a été accordée à l’appelante. En 1918, après la concession, le gouvernement fédéral a désavoué la Loi provinciale de 1917 et la question débattue au premier chef devant le Conseil privé consistait à savoir si le désaveu avait pour effet d’annuler les concessions accordées antérieurement.

Le Conseil privé a répondu à cette question par la négative et a par conséquent accueilli le pourvoi (interjeté directement d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique), mais, dans ses motifs, il a fait des déclarations sur lesquelles le C.N. s’appuie en l’espèce. Le juge Duff dit (aux p. 207 et 208, [1922] 1 A.C.):

[TRADUCTION] Quand la Loi de 1905 a été adoptée, en raison de la promulgation du par. 29 de l’art. 91 et du par. 10 de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, le «chemin de fer» de la compagnie intimée est entré dans le champ de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada, et, par conséquent, leurs Seigneuries sont d’avis que la législature de la province a perdu la compétence, que lui conféraient auparavant les par. 10 et 13 de l’art. 92 de l’Acte, de déposséder la compagnie de chemin de fer de son droit de propriété sur les éléments faisant réellement partie du «chemin de fer» déclaré être «un ouvrage à l’avantage général du Canada», et de conférer ce droit à une autre personne. Toutefois, il ne s’ensuit pas que les biens-fonds, acquis par la compagnie de chemin de fer suite à une subvention accordée pour venir en aide à la construction du chemin de fer et que la compagnie ne détient pas à titre d’élément de son «chemin de fer» ou de son entreprise comme compagnie de chemin de fer, ont été soustraits à la compétence législative de la province relative à «la propriété et les droits civils»; et, de l’avis de leurs Seigneuries, nonobstant l’adoption de la Loi fédérale de 1905, cette compétence pouvait toujours être exercée relativement à ces sujets.

Par contre, comme l’ont déjà souligné leurs Seigneuries, en vertu des stipulations du contrat de cession en faveur de Ganner, la compagnie de chemin de fer conservait certains droits (droit de prendre du bois pour le chemin de fer, droits de passage du chemin de fer, droit d’utiliser le terrain pour les gares et les ateliers), droits, on ne peut le nier, que la compagnie détenait à titre d’élément de son entreprise de chemin de fer. Qu’ils aient ou non réellement fait partie de l’«ouvrage»,

[Page 330]

c’est-à-dire du «chemin de fer» déclaré être «un ouvrage à l’avantage général du Canada», ces droits formaient une partie intégrante de l’entreprise de chemin de fer au point que nous sommes en droit de douter très sérieusement qu’ils aient pu être valablement supprimés ou restreints par une loi provinciale. C’est d’ailleurs à juste titre que Me Taylor, l’avocat de l’appelante, a convenu que tous les biens-fonds et les droits qu’il faut considérer comme partie de l’entreprise de chemin de fer doivent être traités comme exclus de la concession.

En fait, la véritable controverse ne semble porter que sur le charbon qui, d’ailleurs, dû à la façon dont il a été considéré, ne peut plus dorénavant être traité comme une partie de l’entreprise de chemin de fer, cependant, dans la mesure où le traitement du charbon peut toucher le chemin de fer, toutes les parties sont bien sûr soumises à la surveillance de la Commission des chemins de fer du Canada.

La distinction du juge Duff entre les «droits» détenus par la compagnie dans le cadre de son entreprise de chemin de fer et les «droits» qui faisaient partie des ouvrages déclarés à l’avantage général du Canada (les «droits» visant l’appropriation du bois pour le chemin de fer, les droits de passage du chemin de fer et le terrain pour les gares et les ateliers) n’est fondée, à mon avis, sur aucun principe constitutionnel, mais plutôt sur ce qui constituait la portée de la déclaration faite en vertu de l’al. c) du par. 10 de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. L’appelant s’appuie en l’espèce sur les mots «tous les biens meubles ou immeubles, et tous les ouvrages qui en dépendent» de la définition de «chemin de fer», définition n’apparaissant pas dans la Loi sur les chemins de fer et qui, au mieux, ne peut s’appliquer qu’indirectement à la première loi. Cet argument est invoqué à la fois pour rendre le par. (1) de l’art. 18 de la Loi sur les chemins de fer nationaux du Canada applicable et pour étayer l’argument selon lequel la carrière fait partie intégrante du chemin de fer comme tel.

A mon avis, la question de savoir si la définition de «chemin de fer» comprend «tous les biens meubles ou immeubles, et tous les ouvrages qui en dépendent» afin d’assujettir la carrière au par. (1) de l’art. 18 est effectivement résolue dans l’arrêt

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du Conseil privé, Le Canadien Pacifique c. Le procureur général de la Colombie-Britannique[7], la célèbre affaire de l’Hôtel Empress, où le Conseil privé a déclaré à la p. 147 [TRADUCTION] «il n’y a rien dans la définition (de chemin de fer) qui révèle l’intention d’inclure quelque chose qui ne fait pas partie du réseau de chemin de fer ou qui n’est pas utilisé en relation avec l’exploitation de celui-ci»; et il a ajouté que [TRADUCTION] «les mots ‘qui en dépendent’ concernent l’expression toute entière et se rapportent aux mots qui les précèdent et qu’en conséquence, les biens qui ne dépendent pas du réseau de chemin de fer ne sont pas inclus». Je vais revenir à l’affaire de l’Hôtel Empress et à la définition de «chemin de fer» en étudiant le second argument de l’appelant.

Le juge Duff n’a pas spécifié dans l’affaire Wilson si les biens-fonds utilisés par le chemin de fer, mentionnés dans cet arrêt, faisaient partie des «ouvrages» déclarés être à l’avantage général du Canada; toutefois, qu’il ait été indécis ou non à ce sujet aux termes de la Loi en vigueur à l’époque, il n’y a aucun doute, à mon avis, qu’en vertu de la formulation actuelle de l’expression «autres ouvrages de transport», l’exploitation de la carrière n’en fait pas partie.

Venons-en au second argument du C.N. Celui-ci s’appuie sur la définition de «chemin de fer» pour étayer sa prétention selon laquelle la carrière forme une partie intégrante du réseau de chemin de fer et, par conséquent, aux fins de l’application de la loi provinciale, doit être considérée au même titre que la ligne de chemin de fer elle-même. Bien sûr, aucun principe n’accorde aux chemins de fer relevant du pouvoir réglementaire exclusif fédéral une immunité absolue les soustrayant aux lois provinciales. Cette règle a été exposée pour la première fois par lord Watson dans C.P.R. v. Notre-Dame de Bonsecours[8], à la p. 372. Les lois provinciales peuvent, dans une certaine mesure, s’appliquer aux réseaux de chemin de fer interprovinciaux et internationaux, même aux lignes de chemin de fer elles-mêmes et, a fortiori, elles peuvent s’appliquer à des entreprises qui ne font

[Page 332]

pas partie intégrante de l’entreprise de transport. La question s’est à nouveau posée cinquante ans plus tard, dans des circonstances qui ressemblent plus à celles de l’espèce, dans l’affaire Hôtel Empress susmentionnée. Le Conseil privé a alors statué, confirmant la présente Cour et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, que la Loi provinciale sur les heures de travail s’appliquait aux employés d’un hôtel appartenant au Canadien Pacifique, exploité par lui et construit dans l’intérêt de son chemin de fer et de sa compagnie de paquebots, mais ouvert au grand public. Parlant au nom du Conseil privé, lord Reid a, dans ses motifs (à la p. 143), posé en ces termes une question adaptable au présent litige:

[TRADUCTION] La question à trancher est donc,… celle de savoir si l’hôtel Empress est un élément des ouvrages et de l’entreprise de chemin de fer de l’appelante reliant la province de la Colombie-Britannique à d’autres provinces ou s’il constitue une entreprise distincte. Une compagnie peut être autorisée à exploiter et peut en fait exploiter plus d’une entreprise. Parce qu’il s’agit d’une compagnie de chemin de fer, il ne s’ensuit pas que tous ses ouvrages doivent être des ouvrages de chemin de fer ou que toute son activité doive se rapporter à son entreprise de chemin de fer…

Si l’approvisionnement prévu en pierre pour le ballast d’une ligne de chemin de fer fait de cette entreprise d’extraction une partie de l’entreprise de chemin de fer, ne devrait-on pas en venir à la même conclusion pour l’approvisionnement en carburant et pour les usines de fabrication de wagons, de locomotives ou de rails qui sont posés sur l’emprise? A ce point de vue, la proximité de la ligne de chemin de fer n’a aucune importance et l’avocat du C.N. a déclaré être de cet avis. Sans pour autant prétendre que la simple possession par le C.N. d’une entreprise ou de bien-fonds suffise à les soustraire à la réglementation provinciale, l’avocat maintient que la production de la carrière étant destinée à la ligne de chemin de fer, l’entreprise et les biens-fonds sur lesquels elle est exploitée font partie intégrante de l’entreprise de chemin de fer et du réseau de transport.

Nous ne sommes pas saisis en l’espèce d’une loi fédérale valide qui vise à empêcher l’application d’une loi provinciale comme la Mechanics’ Lien Act of Ontario. Il n’est pas question non plus, en

[Page 333]

dehors l’existence de pareille loi fédérale, d’une immunité soustrayant à l’application d’une loi provinciale, à moins que l’on démontre que la carrière est plus qu’une commodité, plus qu’une source d’approvisionnement aux fins du chemin de fer, mais forme en fait une partie essentielle de l’entreprise de transport dans son fonctionnement quotidien. Dans les circonstances présentes, je ne peux pas tirer cette conclusion. Le simple lien économique entre la carrière du C.N. et l’utilisation de la pierre concassée pour le ballast de la ligne de chemin de fer ne font pas de la carrière un élément de l’entreprise de transport au sens où les hangars de chemin de fer ou les gares de triage en font partie. Le fait que la production de la carrière soit destinée exclusivement au chemin de fer convient au C.N., comme le ferait n’importe quelle autre relation économique pour l’approvisionnement en carburant, en équipement ou en matériel roulant, mais ceci ne fait pas entrer les raffineries de pétrole, les entrepôts ou les usines qui fabriquent l’équipement ou le matériel roulant dans le réseau de transport.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Blackwell, Law, Threadgold & Co., Toronto.

Procureurs de l’intimée, Nor-Min Supplies Limited: Carrel, Pustina & Zelinski, Thunder Bay.

Procureurs de l’intimée, Douglas Rentals Limited: Bradley & Wolder, Fort Frances.

Procureurs de l’intimée, A. Guerrieri: H. Michael Kelly, Toronto.

[1] (1907), 14 O.L.R. 572.

[2] (1918), 44 O.L.R. 533.

[3] (1958), 15 D.L.R. (2d) 375, appel cassé (1959), 17 D.L.R. (2d) 715.

[4] [1954] R.C.S. 207.

[5] [1975] 1 R.C.S. 786.

[6] [1922] 1 A.C. 202.

[7] [1950] A.C. 122.

[8] [1899] A.C. 367.


Parties
Demandeurs : CNR
Défendeurs : Nor-Min Supplies

Références :
Proposition de citation de la décision: CNR c. Nor-Min Supplies, [1977] 1 R.C.S. 322 (30 janvier 1976)


Origine de la décision
Date de la décision : 30/01/1976
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 322 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-01-30;.1977..1.r.c.s..322 ?
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