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30/01/1976 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._51

Canada | Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et al., [1977] 1 R.C.S. 51 (30 janvier 1976)


Cour suprême du Canada

Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et al., [1977] 1 R.C.S. 51

Date: 1976-01-30

La ville de Le Pas (Défenderesse) Appelante;

et

Porky Packers Ltd. (Demanderesse) Intimée;

et

Russell Bruce Tawse, Vallen Joseph Melnick et Albert Lutz (Mis-en-cause) Intimés.

1975: le 20 novembre; 1976: le 30 janvier.

Présents: le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

Cour suprême du Canada

Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et al., [1977] 1 R.C.S. 51

Date: 1976-01-30

La ville de Le Pas (Défenderesse) Appelante;

et

Porky Packers Ltd. (Demanderesse) Intimée;

et

Russell Bruce Tawse, Vallen Joseph Melnick et Albert Lutz (Mis-en-cause) Intimés.

1975: le 20 novembre; 1976: le 30 janvier.

Présents: le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA


Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 51 ?
Date de la décision : 30/01/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli et l’action rejetée

Analyses

Négligence - Corporations municipales - Dommages-intérêts réclamés pour perte résultant de déclarations de fonctionnaires municipaux - Renseignements fournis par le secrétaire-trésorier à un conseiller municipal quant à la disponibilité de terrains à usage industriel - Le maire et des associés d’un conseiller municipal ont informé le maire et le conseil qu’une compagnie était en cours de constitution pour la construction d’une usine de conserves - Annulation des résolutions du conseil autorisant la vente de terrains - Intention exprimée par le maire de passer outre à la décision - Conseiller en contravention avec l’art. 326 du Municipal Act, R.S.M. 1954, c. 173 - Dispositions du plan d’urbanisme défendant l’usage de terrains pour un abattoir - Opposition à la modification de règlements accueillie par la commission municipale - Pas de responsabilité de la municipalité.

T, qui était membre du conseil municipal de l’appelante et de sa commission d’urbanisme faisait du commerce de la viande en gros, mais à cause d’un changement de politique de son fournisseur, il fut privé de sa source d’approvisionnement. Après avoir étudié un rapport du gouvernement sur l’utilité d’une usine de traitement de la viande dans le nord du Manitoba, T décida d’installer une usine de traitement dans la ville de Le Pas, ou ses environs. Il s’entretint avec M, le secrétaire-trésorier de Le Pas, et se renseigna sur la disponibilité d’un terrain à usage industriel appartenant à la municipalité. M lui montra un plan de zonage et désigna certains lots qui appartenaient à la ville et étaient destinés à l’industrie légère.

Par la suite, deux associés de T adressèrent une lettre au maire et au conseil municipal de Le Pas, dans laquelle ils identifiaient les terrains et déclaraient qu’ils étaient en train de constituer une compagnie en vue

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d’installer une usine de conserves. Finalement, une résolution adoptée par le conseil autorisa la vente à T et ses associés de certains lots à un prix déterminé. Un contrat officiel fut rédigé et signé en date du 1er août 1969. Ce contrat était considéré conclu entre la ville de Le Pas et Porky Packers Ltd. et il était signé par T «au nom de Porky Packers Ltd.» En fait, Porky Packers Ltd. ne fut constituée en corporation que le 31 octobre 1969.

En dépit de l’opposition formulée par deux propriétaires d’un motel voisin de l’emplacement de la future usine de conserves, opposition basée sur l’article du plan d’urbanisme concernant les usages nocifs et désagréables, M délivrait, le 30 août 1969, un permis de construction de l’usine.

Les deux opposants présentèrent leur cause à la séance du conseil municipal du 3 septembre 1969, mais le lendemain ce dernier entérinait par un vote sa décision antérieure qui autorisait la vente des terrains. Le 27 octobre 1969, fut entendue une requête en annulation des résolutions du conseil en faveur du projet, mais le prononcé du jugement fut remis au 8 mai 1970. Dans l’intervalle, agissant en vertu de contrat du 1er août 1969, la compagnie intimée, après sa constitution en corporation, avait demandé le transfert des terrains. L’appelante effectua le transfert qui fut dûment enregistré. D’importantes sommes d’argent ont été engagées dans cette entreprise.

Les résolutions du conseil furent annulées au motif que (1) T, en tant que membre du conseil, avait des intérêts personnels et financiers dans les résolutions autres que ceux d’un simple contribuable, du fait qu’il était un des acheteurs, et que, lorsqu’il a voté sur les résolutions ou pris part aux délibérations du conseil qui ont amené l’adoption des résolutions, il a enfreint l’art. 326 du Municipal Act, R.S.M. 1954, c. 173 et que (2) les dispositions du plan d’urbanisme interdisent l’usage des terrains pour un abattoir. Aucun appel ne fut interjeté de cette décision.

Lorsqu’il fut informé de l’avis de requête déposé le 6 octobre 1969, T s’est entretenu avec le maire et ce dernier a exprimé l’intention de prendre les mesures nécessaires pour permettre l’établissement et l’exploitation de l’industrie quels que soient les résultats de la requête en annulation. Presque aussitôt après le jugement sur la requête, le conseil adopta une résolution aux fins de modifier les articles litigieux du règlement de son plan d’urbanisme.

La commission municipale accueillit par la suite des oppositions faites à la modification du règlement. La commission décida que la modification proposée ne

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reposait pas sur de sains principes de planification et que la procédure suivie par le conseil ne permettait pas d’atteindre un tel résultat. La commission invoqua également un règlement sanitaire promulgué en 1961 aux termes duquel les abattoirs étaient interdits dans les limites de la ville.

La compagnie introduisit alors une action en dommages-intérêts pour la perte de son investissement et ses bénéfices manqués. Elle basa son action sur la négligence résultant de déclarations erronées des fonctionnaires municipaux. Le juge de première instance accueillit la demande à concurrence des dépenses effectivement encourues par la compagnie ou pour lesquelles elle s’était irrévocablement engagée pour la construction de ses installations jusqu’au 10 octobre 1969. La Cour d’appel aurait fait droit à toutes les demandes de dommages-intérêts dont la compagnie pouvait faire la preuve sous dix rubriques différentes.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli et l’action rejetée.

Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré: La doctrine établie dans Hedley Byrne & Co., Ltd. c. Heller & Partners, Ltd., [1963] 2 All E.R. 575, ne s’applique pas à l’intimée et celle-ci n’a pas droit à un jugement contre l’appelante. Selon les principes énoncés dans Hedley Byrne, il faut, pour qu’il y ait responsabilité, que la déclaration d’opinion visant à une personne qui n’est pas experte procède d’une autre qui, aux yeux de la première, possède une compétence ou un jugement particuliers en la matière et que la première personne subisse un préjudice du fait qu’elle s’est fondée sur cette déclaration. La personne que visait la déclaration, soit T, possédait plus de connaissances en la matière que celle qui l’a faite, en l’occurrence, M. Ce dernier n’a probablement émis aucune opinion ou, s’il l’a fait, T ou la compagnie intimée ne s’y sont pas fiés.

T ne comptait pas sur la compétence ou le jugement de M. Ce qu’il voulait savoir, ce n’était pas s’il existait des terrains disponibles pour une usine de traitement de la viande, mais s’il y avait des terrains appartenant à la ville dans la zone réservée à l’industrie légère, et également si la municipalité était en mesure de fournir les services d’aqueduc et d’égoût.

Aucune faute ne peut être imputée à l’appelante parce que M n’a pas attiré l’attention de T sur les dispositions du règlement sanitaire promulgué en 1961 qui interdisait l’usage de tout édifice comme abattoir à l’intérieur des limites de la ville. Il y a eu substitution de l’empêchement absolu antérieur par un nouveau système de règlements, d’inspections et de permis.

[Page 54]

Une lettre adressée par l’inspecteur des bâtiments de la ville à l’intimée, dans laquelle il déclarait que le bâtiment en question était conforme aux règlements de zonage, ne constituait pas une déclaration ayant valeur d’un certificat de zonage en règle. Le bâtiment était conforme aux règlements de zonage car c’était un bâtiment entièrement fermé destiné à l’industrie légère. La lettre ne tenait pas compte de l’article du plan d’urbanisme au sujet des usages entraînant des effets nocifs ou désagréables, mais elle était postérieure à l’acquisition des terrains par l’intimée et au commencement de la construction et il fallait une opinion beaucoup plus éclairée que celle d’un simple inspecteur des bâtiments pour déterminer si un certain usage était interdit.

Quant à la conduite du maire qui, après l’audition de la requête en annulation et avant le prononcé du jugement sur cette dernière, a exprimé l’intention de prendre toutes mesures nécessaires pour permettre à l’entreprise de continuer son exploitation, ses promesses ne peuvent lier ni la ville ni son conseil et, par conséquent, elles ne sauraient engager la responsbilité de la ville.

Pour ce qui est de l’initiative de la ville, après le jugement annulant les règlements, de modifier le plan d’urbanisme dans l’espoir de faire entrer l’entreprise dans le cadre de leurs dispositions, elle était en tous points conforme aux désirs de l’intimée et c’est la commission municipale, qui, en refusant de les sanctionner, a neutralisé leurs conséquences éventuelles.

Les juges Martland, Ritchie et Pigeon: La compagnie intimée n’a pas droit à des dommages-intérêts en raison de ce que des municipaux ont pu dire quand cela avait trait à un contrat qui a été déclaré illégal à cause de la conduite répréhensible de son principal promoteur.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], rejetant un appel d’un jugement du juge Wilson et accueillant l’appel incident de l’intimée. Pourvoi accueilli.

J.W. Brown, c.r. et E.B. Leonard, pour la défenderesse, appelante.

H.K. Irving, c.r., et R.C. Dixon, pour la demanderesse, intimée.

[Page 55]

L’arrêt du juge en chef Laskin et des juges Judson, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré, a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba rendu le 16 janvier 1974. Dans cet arrêt, cette dernière rejetait l’appel interjeté par les premiers défendeurs, à l’encontre du jugement prononcé par le juge Wilson le 18 avril 1973 en première instance, et accueillait l’appel incident de la demanderesse en augmentant considérablement les dommages-intérêts qui lui avaient été accordés.

Un certain R.B. Tawse s’occupait de commerce de la viande en gros, mais à cause d’un changement de politique de son fournisseur, il fut privé de sa source d’approvisionnement. Le ministère de l’Industrie et du Commerce de la province du Manitoba publiait en mars 1969, les résultats de son étude relative à l’utilité d’une usine de traitement de la viande dans le nord du Manitoba. Tawse étudia ce rapport et décida d’essayer d’installer une usine de traitement de la viande dans la ville de Le Pas, ou dans ses environs. Il était membre du conseil municipal de Le Pas et également membre de la commission d’urbanisme de la ville. Tawse se rendit à l’hôtel de ville dès le 13 juin 1969 et il s’entretint avec M. Moule qui était, depuis de nombreuses années, le secrétaire-trésorier de cette municipalité.

Interrogé par son avocat en première instance, Tawse témoigna comme suit:

[TRADUCTION] R. Je ne me suis pas rendu au conseil municipal, mais à l’hôtel de ville; j’ai rencontré M. Moule, le secrétaire-trésorier, à ce sujet et je lui ai demandé s’il y avait des terrains disponibles dans la ville de Le Pas pour construire un abattoir, conformément à l’étude que nous avions analysée.

R. Et M. Moule m’a fait entrer dans son bureau. Au mur, il y a, du moins il y avait à cette époque, un grand plan montrant la division en zones.

Exact. J’ai regardé ce plan et il m’a expliqué le zonage et indiqué les terrains appartenant à la ville et ceux qui appartenaient à des particuliers, dont les noms m’échappent.

[Page 56]

Q. M. Moule connaissait-il l’usage auquel étaient destinés ces terrains?

R. Oui, je lui ai expliqué qu’on y construirait un abattoir.

Le témoignage de Tawse fut encore plus explicite au contre-interrogatoire, et je cite:

[TRADUCTION] R. Il me fit entrer dans son bureau et me montra un plan de la ville de Le Pas; je crois que les diverses zones ainsi que les terrains appartenant à la ville ou à des particuliers y sont indiqués au moyen de couleurs différentes.

Q. Et qui a indiqué le premier les lots un à quatre du bloc 81?

R. Je crois que M. Moule connaissait mieux le plan que moi, et même s’il y a quatre ans de cela, je crois qu’il a souligné que ces lots appartenaient à la ville et étaient destinés à l’industrie légère.

Q. Étiez-vous intéressé seulement à des lots appartenant à la ville ou à n’importe quel lot?

R. Bien, nous étions intéressés à tous les lots disponibles, mais M. Moule, de par ses fonctions, était en mesure de nous montrer les lots de la ville.

Q. Vous avez employé le terme «industrie»; j’en déduis donc que vous avez demandé un terrain de zone industrielle, n’est-ce pas?

R. Oui, il fallait que ce soit un terrain industriel.

Q. Je sais quelle sorte de terrain il fallait, mais dites-moi ce que vous avez demandé.

R. Bon, nous avons demandé un terrain industriel.

Q. Avez-vous précisé une zone M-1?

R. Non, nous ne l’avons pas précisée.

Q. Vous savez pourtant que les terrains en question, que vous avez fini par acheter, étaient dans une zone M-1?

R. C’est exact car, à ma connaissance, il n’y avait presque plus de terrains disponibles dans une zone M-2 de la ville de Le Pas, sauf des terres réservées aux Indiens.

Q. Connaissiez-vous, à cette époque, l’article 7.9?

R. Il s’agit encore des odeurs désagréables, il s’agit des mauvaises odeurs?

Q. Oui.

R. Oui, je le connaissais à l’époque.

Q. Et M. Moule ne vous a rien dit de ce que prévoyait le plan d’urbanisme de Le Pas?

R. Non, il ne nous en a pas parlé; nous ne le lui avons pas demandé et il ne nous a parlé de rien.

[Page 57]

Après que Moule eut montré à Tawse les quatre lots qui ont fait l’objet de la transaction MM. Lutz et Melnick, les associés de Tawse, adressèrent une lettre au maire ainsi qu’au conseil municipal de Le Pas, dans laquelle ils désignaient les terrains et déclaraient qu’ils étaient en train de constituer une compagnie en vue de construire une usine pour [TRADUCTION] «approvisionner le nord du Manitoba en produits de salaison préemballés». Dans leur lettre, Lutz et Melnick précisaient que la ville devrait leur fournir des terrains viabilisés et demandaient que la ville [TRADUCTION] «établisse le prix de la propriété en question et indique la façon dont elle fournirait les services exigés». Au cours d’une réunion du conseil, peu après, il fut décidé de ne pas donner suite à la lettre du 13 juin 1969 avant que la commission d’urbanisme ait étudié la question. En outre, le directeur de l’administration municipale devait faire des recommandations sur la possibilité de fournir les services.

Suite à la lettre du 13 juin, Moule écrivit à Melnick le 25 juin 1969 l’informant que, selon les directives qu’il avait reçues, il lui conseillait de faire une demande à la commission consultative d’urbanisme de Le Pas. Le 2 juillet 1969, cette commission recommandait l’acceptation de l’offre [TRADUCTION] «car elle est conforme à l’art. 16-«M1» du plan d’urbanisme de la ville de Le Pas». Plus tard, une résolution autorisant la vente à Tawse, Lutz et Melnick des lots 1, 2, 3 et 4 du bloc 81-2 pour la somme de $2,200 fut soumise au conseil qui l’adopta. Un contrat en bonne et due forme fut rédigé et signé en date du 1er août 1969. Ce contrat était considéré conclu entre la ville de Le Pas et Porky Packers Ltd., et il était signé par Tawse [TRADUCTION] «au nom de Porky Packers Ltd.». En fait, Porky Packers Ltd. ne fut constituée en corporation que le 31 octobre 1969.

Il faut se rappeler que, pendant toute la durée de ces négociations, Tawse était membre du conseil municipal et assistait aux diverses réunions, bien qu’en plusieurs occasions, on constate qu’il s’est abstenu de voter. Les responsables municipaux, tant les conseillers élus que les fonctionnaires nommés, approuvèrent à l’unanimité la tran-

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saction par laquelle la ville allait vendre ces terrains à Tawse et à ses associés agissant au nom de Porky Packers Ltd. Tout le monde semblait se féliciter de voir cette nouvelle industrie s’établir dans la ville, à l’exception de deux personnes, MM. Gibson et Kennedy, propriétaires d’un motel voisin de l’emplacement de la future usine de conserves. Le 11 août 1969, Gibson et Kennedy écrivaient à la commission d’urbanisme de la ville pour lui signifier leur opposition et, le 26 août, leur avocat adressait au secrétaire-trésorier de la ville, M. Moule, une lettre dont le dernier paragraphe disait:

[TRADUCTION] En conséquence, nous vous avisons par la présente que, si la construction est autorisée comme prévu, nos clients ont l’intention de demander une injonction interdisant aux propriétaires éventuels d’agir à l’encontre du plan, et les présentes constituent un avis.

En 1966 la ville de Le Pas avait établi un plan d’urbanisme qu’elle avait sanctionné par le règlement 1487 adopté le 2 février 1966. Ce plan est considérable et très détaillé et je n’en mentionnerai que quelques extraits. L’article 16 indique ce qui est autorisé dans une zone M.l, industrie légère, et le par. (1) de l’art. 16 expose à quoi peuvent servir les bâtiments d’une zone M.1. Le premier usage autorisé se lit comme suit: [TRADUCTION] «toute fabrication ou usage industriel ayant lieu à l’intérieur d’un immeuble ou bâtiment entièrement fermé». C’était sur cet usage autorisé que comptait Tawse lorsqu’il a demandé à Moule des renseignements sur les terrains disponibles dans la zone réservée à l’industrie légère. Les avocats de Gibson et de Kennedy ont soutenu qu’une pareille utilisation des locaux dans une zone M.1 était interdite par le texte de l’art. 7.9 du plan d’urbanisme, sanctionné par le règlement 1487. Voici l’art. 7.9:

[TRADUCTION] 7.9 Usages entraînant des effets nocifs ou désagréables

Nonobstant toute stipulation des présentes, on ne permettra dans aucun secteur, sauf le secteur «M2», des usages entraînant des effets nocifs ou désagréables, causés par l’émission ou la production d’odeurs, de poussières, d’ordures, de déchets, de vapeurs, de fumées, de gaz, de vibrations ou de bruits. Cette disposition ne doit pas être interprétée comme annulant la clause suivante ni comme interdisant les usages expressément autorisés dans le secteur rural «A».

[Page 59]

Malgré la lettre des avocats de Gibson et de Kennedy, Moule délivrait, le 30 août 1969, un permis qui autorisait Porky Packers Ltd. à construire une usine de conserves de viande [TRADUCTION] «sous réserve des dispositions des règlements de construction».

A une réunion du conseil le 3 septembre 1969, l’avocat de Gibson et de Kennedy présenta son opposition au projet de conserverie, mais le lendemain, le conseil entérinait par un vote sa décision antérieure qui autorisait la vente des terrains municipaux à ces fins. Le 6 octobre 1969, l’avocat déposa pour le compte de Gibson et de Kennedy un avis de requête aux fins d’annuler les résolutions du conseil favorables au projet. Tawse ainsi que les responsables municipaux furent informés de cette demande presque aussitôt après son dépôt et sa signification. Toutefois, ni Porky Packers Ltd., ou avant sa constitution en corporation, Tawse et ses associés agissant à titre de fiduciaires, ni le conseil municipal ne prirent de mesures pour suspendre la construction de l’usine. On n’annula pas le permis de construction. L’emplacement fut dégagé et les fondations coulées; la construction se poursuivit alors rapidement.

L’audition de la requête eut lieu le 27 octobre 1969, mais le prononcé du jugement fut remis au 8 mai 1970. Dans l’intervalle, agissant en vertu du contrat du 1er août 1969, l’intimée, après sa constitution en corporation, avait demandé le transfert des terrains. L’appelante effectua le transfert qui fut dûment enregistré. D’importantes sommes d’argent ont été engagées dans cette entreprise.

Dans ses motifs en date du 8 mai 1970, le juge Hunt prononce un jugement annulant les résolutions qui autorisaient la transaction. Le juge Hunt s’est surtout fondé sur les circonstances entourant la conduite de Tawse. Comme je l’ai déjà indiqué, il était durant tout ce temps conseiller municipal, et, au cours de toutes les négociations, il assistait aux réunions où l’on étudiait ces questions, mais il s’abstenait de voter à leur sujet. Le juge Hunt cite le par. (1) de l’art. 391 du Municipal Act, R.S.M. 1954, c. 173, qui permet l’annulation d’un règle-

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ment pour cause d’illégalité et il invoque Fart. 326 du Municipal Act pour établir cette dernière:

[TRADUCTION] 326. Nul membre d’un conseil ne doit prendre part aux délibérations sur une question dans laquelle il a des intérêts personnels et financiers autres que ceux d’un simple contribuable ni ne doit voter sur cette question; toutefois le présent article ne s’applique pas à la nomination d’un président, d’un chef intérimaire du conseil ni à la formation des commissions.

Le juge Hunt conclut que Tawse, en tant que membre du conseil, avait des intérêts personnels et financiers dans les résolutions autres que ceux d’un simple contribuable, du fait qu’il était un des acheteurs, et que, lorsqu’il votait sur les résolutions ou prenait part aux délibérations du conseil qui ont amené l’adoption des résolutions, il enfreignait la loi. Le juge Hunt poursuit:

[TRADUCTION] Outre l’art. 326, il faut s’arrêter aux dispositions du plan d’urbanisme de 1966 de la ville de Le Pas, qui a été adopté et approuvé conformément au Planning Act, 1964 (Man.), c. 39. Ce plan est en vigueur à Le Pas depuis 1966. Les terrains faisant l’objet des deux résolutions y sont désignés comme faisant partie d’un secteur «M.1». Les paragraphes (2), (9) et (11) de l’art. 7 du plan stipulent ce qui suit:

Il s’appuie alors sur l’art. 7.9 du plan d’urbanisme que j’ai déjà cité et l’interprète comme interdisant l’usage des terrains pour un abattoir. Le savant juge conclut ainsi:

[TRADUCTION] A mon avis, les dispositions du plan interdisent l’usage de ces terrains pour l’exploitation d’un abattoir. Pour cet autre motif, il faut annuler les deux résolutions.

Aucun appel ne fut interjeté de la décision du juge Hunt. Lorsqu’il fut informé de l’avis de requête déposé le 6 octobre 1969, Tawse s’est entretenu avec le maire et ce dernier a exprimé l’intention de prendre les mesures nécessaires pour permettre l’établissement et l’exploitation de l’industrie, quels que soient les résultats de la requête en annulation. Presque aussitôt après le jugement du juge Hunt, soit le 29 mai 1970, le conseil adopta une résolution aux fins de modifier les articles litigieux du règlement 1487 du plan d’urbanisme. Conformément aux dispositions du Municipal Act, la modification fut communiquée à la commission municipale. Gibson et Kennedy

[Page 61]

intervinrent encore une fois. Après audition, la commission municipale rendit jugement le 6 novembre 1970. Dans ses motifs, la commission énonce, avec force détails, les circonstances que j’ai exposées plus haut et elle conclut ainsi:

[TRADUCTION] Sur la foi de la preuve produite et des plaidoiries soumises, la commission est tenue de conclure que la modification proposée ne repose pas sur de sains principes de planification et que la procédure suivie par le conseil ne permet pas d’atteindre un tel résultat.

Il semble que la commission s’appuyait sur le fait que le plan d’urbanisme initial reposait sur de sains principes de planification et que le conseil apportait la modification sans aucune intervention ni recommandation de la commission d’urbanisme et sans avoir demandé l’aide de la direction provinciale d’urbanisme. Je ne commenterai pas ces motifs. La commission conclut ainsi:

[TRADUCTION] Pour toutes les raisons susmentionnées, les objections sont ACCUEILLIES.

La commission juge utile d’attirer l’attention du conseil sur l’article 26 de son règlement 1284A, qui se lit comme suit:

«26. ABATTOIRS

Il est interdit à quiconque d’utiliser un endroit ou bâtiment comme abattoir ou pour fins d’abattage d’animaux dans les limites de la ville de Le Pas».

[pièce 22]

Il est suggéré que le conseil demande avis sur le point de savoir si ce règlement est contraire aux dispositions du plan d’urbanisme.

Le règlement 1284A, appelé le règlement sanitaire et adopté au cours de 1961, n’a été mentionné dans aucune conversation entre Moule et Tawse, ni dans les plaidoiries à l’occasion de la requête devant le juge Hunt. Dans ses motifs de jugement en première instance, le juge Wilson déclare:

[TRADUCTION] On peut seulement supposer que, avant d’être découvert au cours des procédures devant la commission municipale, ce règlement avait été oublié depuis longtemps, même si les personnes mêmes qui l’avaient signé au moment de son adoption en mai 1961, n’ont jamais cessé de remplir les fonctions de maire et de secrétaire-trésorier de la ville défenderesse.

[Page 62]

En première instance, le juge Wilson s’est appuyé sur cette disposition pour motiver en partie son jugement en faveur de l’intimé contre la ville appelante. Le juge Wilson expose ses conclusions dans ses motifs de jugement comme suit:

[TRADUCTION] Naturellement, on n’aurait jamais dû inciter ni autoriser la demanderesse à construire son abattoir dans les limites de la ville. Article 26, précité. Dans cette mesure, la demanderesse a établi un fondement à sa réclamation: «Une municipalité est responsable des actes de ses fonctionnaires, selon le même principe et dans la même mesure qu’un particulier»; Lewis v. City of Toronto (1876), 39 U.C.Q.B. 343, à la p. 351. Le fait que la défenderesse soit une municipalité n’accorde cependant pas à la demanderesse des droits plus étendus que si elle était un particulier; Darby v. The Corporation of Cropland (1876), 38 U.C.Q.B. 338, à la p. 343, et voir en général Rogers: The Law of Canadian Municipal Corporations, (2d), art. 243.1.

Le savant juge de première instance a limité les indemnités aux dommages subis avant le 10 octobre 1969, c’est-à-dire une période raisonnable après la signification et le dépôt de l’avis de requête aux fins d’annuler les règlements.

Le juge Matas, porte-parole de la Cour d’appel, déclare dans ses motifs:

[TRADUCTION] Respectueusement, je ne partage par l’opinion qu’il incombait à la compagnie d’arrêter la construction lorsque la requête en annulation a été introduite, pas plus que dès l’instant où Kennedy et Gibson ont soulevé des objections (comme l’a suggéré Me Bancroft).

et il aurait fait droit à toutes les demandes en dommages-intérêts dont Porky Packers pouvait faire la preuve sous dix rubriques différentes. Pour les motifs que j’exposerai plus tard, je ne crois pas nécessaire d’examiner cette augmentation du montant des dommages-intérêts accordés.

Au premier paragraphe de ses motifs de jugement, le juge Wilson déclare:

[TRADUCTION] Dans sa réclamation, la demanderesse prétend que, rassurée à tort à cause de la négligence ou de la mauvaise foi de l’intimée, elle a perdu le coût de son investissement ainsi que les possibilités de profit qu’elle pouvait en retirer, à savoir: les coûts de construction et d’exploitation d’un abattoir construit dans les limites de la ville intimée, mais sur des terrains où, malheureusement, les règlements de zonage interdisent l’exploitation d’une telle entreprise.

[Page 63]

Le savant juge de première instance a accordé des dommages-intérêts pour ce motif.

Voici ce qu’a déclaré le juge Matas en rendant l’arrêt de la Cour d’appel:

[TRADUCTION] Packers Ltd. a invoqué la déclaration fausse et négligente des responsables municipaux, tant des conseillers élus que des fonctionnaires, pour appuyer sa réclamation. Deux causes en particulier furent citées à l’appui: Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners, Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 et Windsor Motors Ltd. v. Corporation of Powell River (1969), 68 W.W.R. 173, 4 D.L.R. (3d) 155 (C.A. C.-B.).

J’estime, en accord avec le juge Matas, que si la réclamation de la demanderesse doit être accueillie, ce doit être sur le fondement de la doctrine exposée dans l’arrêt important de la Chambre des lords dans Hedley Byrne. Je cite Charlesworth on Negligence 5e éd., par. 49, p. 32, où on a bien formulé le principe appliqué dans cet arrêt:

[TRADUCTION] La Chambre des lords a donc déclaré que si, dans le cours ordinaire des affaires ou des relations professionnelles, on demande un renseignement ou un conseil à quelqu’un qui n’est pas tenu de les donner aux termes d’une obligation contractuelle ou fiduciaire, dans des circonstances où une personne raisonnable ainsi consultée sait qu’on lui fait confiance et qu’on se fie à sa compétence ou à son jugement, et si cette dernière décide de donner le renseignement ou le conseil demandés sans clairement se dégager de toute responsabilité, elle accepte, ce faisant, l’obligation d’exercer la diligence requise par les circonstances; en cas de préjudice, toute omission à cet égard pourra entraîner des poursuites pour négligence.

Je suis par conséquent d’avis que le droit de la demanderesse au recouvrement doit être analysé en fonction des exigences mentionnées par le savant auteur. Je prends pour acquis que Tawse doit être considéré comme le mandataire de Porky Packers Ltd., compagnie qui n’avait pas encore d’existence juridique à l’époque, et que les renseignements qu’il voulait obtenir doivent être considérés comme des renseignements recherchés et obtenus par Porky Packers Ltd. Comme je l’ai déjà souligné, Tawse connaissait le commerce de la viande; il était aussi conseiller municipal et membre de la commission d’urbanisme. Selon moi, le but véritable de sa démarche auprès de Moule était simplement de savoir si ce dernier pouvait lui

[Page 64]

indiquer des terrains appartenant à la ville et situés dans la zone réservée à l’industrie légère. Tawse avait déjà vu et avait une connaissance générale des dispositions du plan d’urbanisme que contenait le règlement 1487 et il avait décidé que l’usine de traitement des viandes entrait dans la catégorie des usages permis sur les terrains faisant partie de la zone réservée à l’industrie légère. Il connaissait également les dispositions de l’art. 7.9 du plan et il en avait conclu que s’il entourait l’usine de murs afin de se conformer aux exigences prévues pour une zone M.1, il ne serait pas touché par les dispositions de cet article. En fait, Tawse admet que lui-même et ses associés ont modifié le plan initial de leur bâtiment de façon qu’il soit entièrement fermé et donc conforme aux exigences prescrites pour une zone M.1 réservée à l’industrie légère. Il est vrai que Tawse a bien fait savoir à Moule, et plus tard il l’a indiqué explicitement dans la lettre signée par Lutz et Melnick, que l’entreprise qui allait occuper le bâtiment était une usine de traitement de la viande. Cependant, ce que Tawse voulait savoir, ce n’était pas s’il existait des terrains disponibles pour une usine de traitement de la viande, mais s’il y avait des terrains appartenant à la ville dans une zone M.1 réservée à l’industrie légère, et également si la municipalité était en mesure de fournir les services d’aqueduc et d’égout. Par conséquent, je ne puis établir qu’il s’agit d’une demande de conseils ou de renseignements comme celle visée dans Hedley Byrne.

Le juge d’appel Matas a conclu à la négligence de la ville pour ne pas avoir tenu compte de l’art. 26 du règlement 1284A et avoir omis d’informer Tawse de ces dispositions. Comme je l’ai souligné, l’art. 26 du règlement 1284A était une disposition du règlement sanitaire adopté en mai 1961 qui interdisait l’usage de tout bâtiment comme abattoir à l’intérieur des limites de la ville. Ni Moule ni Tawse n’ont fait état de cette disposition. Le juge Hunt ne l’a pas non plus étudiée à l’occasion de l’audition de la requête en annulation présentée par Gibson et Kennedy. On semble l’avoir mentionnée pour la première fois simplement à titre subsidiaire, à la fin des motifs de la commission municipale, et encore seulement pour suggérer que le conseil obtienne un avis sur le point de savoir si le règlement était incompatible avec les disposi-

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tions du plan d’urbanisme. Dans ses motifs en première instance, le juge Wilson semble estimer que l’art. 26 du règlement 1284A interdit effectivement d’utiliser les terrains pour construire un abattoir et il semble laisser entendre que le silence de Moule à cet égard constitue, en partie du moins, un fondement à la responsabilité de la ville.

En 1962, la ville a aussi adopté un règlement sur les permis, le règlement 1326, qui, à l’art. 0, exige un permis et fixe une redevance dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Toute personne, société ou corporation qui exploite un abattoir, une redevance annuelle de cinq dollars ($5).

Le plan d’urbanisme, promulgué par le règlement 1487, délimite des zones et expose en détail l’usage autorisé des terrains à l’intérieur de chacune d’elles. L’intimée Porky Packers Ltd. a obtenu un permis en vertu de ce règlement le 15 février 1970, c’est-à-dire après l’audition de la requête en annulation de Gibson et de Kennedy et avant le jugement sur celle‑ci. Après le jugement, le 29 mai 1970, le conseil municipal adoptait les modifications aux règlements que la commission municipale a subséquemment annulées et suspendait le permis commercial [TRADUCTION] «jusqu’à ce que le nouveau zonage de l’emplacement de l’usine ait été examiné par le conseil et que ce dernier ait réglé d’autres questions en suspens».

Porky Packers Ltd. continua son exploitation malgré la suspension de son permis jusqu’au moment où elle en demanda le renouvellement pour 1971 qui lui fut refusé.

Il a été soutenu devant la Cour d’appel du Manitoba que l’art. 26 du règlement 1284A ne constituait pas un obstacle car il s’appliquait aux abattoirs situés dans les cours des terrains résidentiels et non aux exploitations commerciales. Je suis respectueusement d’accord avec le juge d’appel Matas quand il dit n’avoir rien trouvé dans l’art. 26 du règlement 1284A qui justifie une telle restriction. Le juge Matas est d’avis que l’art. 26 du règlement 1284A n’a pas été implicitement révoqué par l’adoption ultérieure du règlement 1326 qui dit:

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[TRADUCTION] Si les règlements municipaux en vigueur sont modifiés pour permettre l’exploitation d’un abattoir, il ne sera pas nécessaire d’adopter de nouvelles dispositions relatives aux redevances.

A mon avis, c’est exactement ce qui est arrivé.

En juin 1966, la ville a adopté le plan d’urbanisme et elle a réparti les terrains sis en ville en zones en stipulant de façon précise les usages autorisés dans chacune d’elles. Par les transactions que j’ai indiquées, l’intimée a acheté des terrains d’une zone M.1 et a demandé un permis d’exploitation pour une usine de traitement de la viande. Après inspection des locaux, l’inspecteur lui a accordé un permis. Je ne puis imaginer un meilleur exemple que celui-ci pour illustrer la substitution, à un empêchement absolu antérieur, d’un système de règlements, d’inspections et de permis. En conséquence, avec respect, je suis en désaccord avec le juge d’appel Matas lorsqu’il conclut que la ville est responsable de l’omission de Moule qui n’a pas attiré l’attention de Tawse sur les dispositions de l’art. 26 du règlement 1284A.

Le juge d’appel Matas a statué que la ville s’est rendue responsable

[TRADUCTION] …en indiquant à Tawse les terrains municipaux disponibles et utilisables, le cas échéant, pour un abattoir, en émettant à la compagnie, en décembre 1969, un certificat de zonage en règle, en incitant la compagnie à commencer la construction de son édifice et en facilitant l’exploitation de l’entreprise jusqu’à la fin de 1970.

J’ai déjà traité de la question de responsabilité relative au fait d’avoir signalé les terrains municipaux disponibles pour la construction d’un abattoir. Les mots [TRADUCTION] «en émettant à la compagnie, en décembre 1969, un certificat de zonage en règle» se rapportent à une lettre en date du 22 décembre 1969 que le juge Matas avait déjà mentionnée dans ses motifs, adressée par l’inspecteur des bâtiments, un certain T.A. Earley, à Porky Packers Ltd., et dont voici le texte:

[TRADUCTION] Objet: Lots l, 2, 3, 4, bloc 81-2, plan 508

Messieurs,

La présente certifie que, à ma connaissance, les fondations et le bâtiment érigés sur les lots susmentionnés sont entièrement situés dans les limites légales du terrain et

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qu’ils sont conformes aux règlements de zonage de la ville.

Veuillez agréer, Messieurs, l’assurance de mes meilleurs sentiments.

T.A. Earley, Inspecteur des bâtiments.

A mon avis, cette lettre ne contient absolument aucune déclaration d’opinion. Pour les raisons que j’ai déjà données, le bâtiment était conforme aux règlements de zonage car c’était un bâtiment entièrement fermé destiné à une industrie légère dans une zone M.1. Si le juge d’appel Matas est d’avis que la lettre était dans l’erreur parce qu’elle ne mentionnait pas les dispositions de l’art. 7.9 du règlement 1487 du plan d’urbanisme, il faut alors se rappeler qu’elle est en date du 22 décembre 1969, donc postérieure à l’acquisition des terrains et au commencement de la construction, et qu’il aurait fallu une opinion beaucoup plus éclairée que celle d’un simple inspecteur des bâtiments pour déterminer si un certain usage était interdit par l’art. 7.9 dudit règlement. En fait, il est prouvé qu’un inspecteur provincial de la santé avait informé les membres du conseil que, dans toute la province, des abattoirs étaient situés en plein milieu des villes et ne causaient aucun inconvénient. Il est difficile de comprendre comment, vu la déclaration d’un inspecteur provincial, on puisse exiger d’un inspecteur municipal des bâtiments qu’il formule une opinion suivant laquelle ce bâtiment, contrairement à d’autres dans la province, constitue une nuisance interdite par le règlement. Je suis d’avis qu’on ne peut imputer de responsabilité à la ville pour un aussi faible motif.

La conclusion du juge d’appel Matas sur la responsabilité [TRADUCTION] «en incitant la compagnie à commencer la construction de son bâtiment et en facilitant l’exploitation de l’entreprise jusqu’à la fin de 1970», abstraction faite des questions que j’ai examinées, doit se rapporter à la conduite du maire qui, après l’audition de la requête en annulation de Gibson et de Kennedy et avant le prononcé du jugement sur cette dernière, a exprimé l’intention de prendre toutes mesures nécessaires pour permettre à l’entreprise de continuer son exploitation. Cette conclusion doit également se rapporter aux mesures que la ville a prises,

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après le jugement qui annulait les règlements, pour modifier le plan d’urbanisme dans l’espoir de faire entrer l’entreprise dans le cadre de ses dispositions. Quant à la conduite du maire, il ne faisait qu’exprimer un désir qui semble, comme je l’ai dit, avoir été celui de tous, sauf Gibson et Kennedy, soit de permettre à une industrie de s’implanter dans la ville avec tous les avantages que cela comporte pour les contribuables, non seulement comme perspective d’emploi, mais aussi comme source d’approvisionnement. Comme le juge Wilson l’a souligné dans ses motifs, des promesses comme celles qu’a faites le maire ne peuvent lier ni la ville ni son conseil et, par conséquent, elles ne sauraient engager la responsabilité de la ville. Pour ce qui est des modifications aux règlements, l’initiative de la ville à cet égard était en tous points conforme aux désirs de l’intimée, et c’est la commission municipale qui, en refusant de les sanctionner, a neutralisé leurs conséquences. Encore une fois, je ne puis trouver, dans l’un ou l’autre de ces deux points, de négligence pouvant servir de fondement à l’action de l’intimée en vertu des principes énoncés dans Hedley Byrne.

Pour qu’il y ait responsabilité selon les principes énoncés dans Hedley Byrne, il faut que la déclaration d’opinion visant une personne qui n’est pas experte, procède d’une autre qui, aux yeux de la première, possède une compétence ou un jugement particuliers en la matière, et que la première personne subisse un préjudice du fait qu’elle s’est fondée sur cette déclaration. Comme je l’ai indiqué, la personne que visait la déclaration d’opinion en l’espèce, soit Tawse, possédait plus de connaissances en la matière que celui qui l’a faite, en l’occurrence Moule. A mon avis, Moule n’a probablement émis aucune opinion ou, s’il l’a fait, Tawse ou Porky Packers Ltd. ne s’y sont pas fiés et n’ont subi de ce fait aucun préjudice. Dans toute cette affaire, Tawse a plutôt compté sur ses propres connaissances et son propre jugement.

Pour ces motifs, je conclus que la doctrine établie dans Hedley Byrne ne s’applique pas à l’intimée et que celle-ci n’a pas droit à un jugement contre l’appelante. Étant donné cette conclusion, je n’ai pas à examiner les diverses autres questions dont a traité le juge d’appel Matas dans son arrêt

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soigneusement motivé et je ne me prononce pas à leur sujet.

Si, appliquant les principes formulés dans Hedley Byrne, j’avais tiré une autre conclusion sur les droits de la demanderesse à une indemnité, il m’aurait alors fallu examiner un autre problème, tout à fait différent, qui n’a pas été étudié, à ce que je sache, dans le jugement de première instance ni dans l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba. Il se serait agi de déterminer si l’intimée Porky Packers Ltd. aurait eu droit à des dommages-intérêts en raison de ce que les responsables municipaux ont pu déclarer de façon négligente puisque cela a conduit à la signature d’un contrat qui était en soi illégal. Il faut se rappeler que, dans son jugement, le juge Hunt a annulé le règlement qui autorisait ce contrat, parce qu’il était illégal à cause de la conduite de Tawse. On n’a pas interjeté appel de ce jugement et ce dernier n’a pas été touché par la litige ultérieur. Même s’il y a eu fausses déclarations au sens de l’arrêt Hedley Byrne, et que l’intimée s’y soit fiée, comment peut-on dire alors qu’il existe un droit à des dommages-intérêts lorsque le contrat qui en est résulté est illégal? Je n’avais pas l’intention de traiter de ce problème étant donné ma conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas réussi à prouver que les principes formulés dans Hedley Byrne s’appliquaient à son cas, mais si j’avais conclu différemment sur cette question, j’aurais eu à faire face à ce grave problème.

J’accueille le pourvoi avec dépens et rejette l’action. L’appelante a droit aux dépens dans toutes les cours. Elle ne demande que ce redressement dans son factum et, par conséquent, je n’ai pas à me prononcer sur la demande reconventionnelle qu’elle a soutenue devant les cours d’instance inférieure.

Le jugement des juges Martland, Ritchie et Pigeon a été rendu par

LE JUGE PIGEON — A mon avis, l’intimée Porky Packers Ltd. n’a pas droit à des dommages‑intérêts en raison de ce que des municipaux ont pu dire quand cela avait trait à un contrat qui a été déclaré illégal à cause de la conduite répréhensible de son principal promoteur. Sur ce point, je suis

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d’accord avec les conclusions du juge Spence. Je n’exprime aucune opinion sur les autres questions soulevées par le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Bancroft, Whidden, Mayer, Le Pas.

Procureurs des intimés: D’Arcy et Deacon, Winnipeg.

[1] (1974) 2 W.W.R. 673, 46 D.L.R. (3d) 83.


Parties
Demandeurs : Le Pas (Ville de)
Défendeurs : Porky Packers Ltd. et al.
Proposition de citation de la décision: Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et al., [1977] 1 R.C.S. 51 (30 janvier 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-01-30;.1977..1.r.c.s..51 ?
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