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01/04/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._218

Canada | Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218 (1 avril 1976)


Cour suprême du Canada

Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218

Date: 1976-04-01

George Hubert Powell (Plaignant) Appelant;

et

Viola M. Cockburn (Défendeur) Intimée.

1975: le 7 mai; 1976: le 1er avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Spence, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218

Date: 1976-04-01

George Hubert Powell (Plaignant) Appelant;

et

Viola M. Cockburn (Défendeur) Intimée.

1975: le 7 mai; 1976: le 1er avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Spence, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 218 ?
Date de la décision : 01/04/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit international privé - Divorce - Reconnaissance d’un jugement étranger - Compétence - Fraude dans l’obtention du divorce - La fraude porte sur le fond du litige - Fraude affectant la compétence du tribunal.

Preuve - Présomptions - Fardeau de la preuve - Présomptions successives - Alternance du fardeau de la preuve - Effet de la preuve sur les présomptions - Force probante des présomptions.

En défense à une action intentée par l’appelant en vue de faire annuler son mariage en raison du mariage existant de l’intimée avec Cockburn, l’épouse a déclaré que son union avec ce dernier avait été dissoute par un jugement de divorce rendu dans l’État du Michigan le 24 avril 1947. Le juge de première instance a conclu que Cockburn était domicilié en Ontario et non au Michigan lorsqu’il a présenté sa requête en divorce, qu’il n’avait pas rempli les conditions de résidence pour obtenir un divorce dans l’État du Michigan, où il n’avait pas résidé de bonne foi pendant les douze mois précédant immédiatement le dépôt de la requête et que sa requête devant la Cour du Michigan était entièrement frauduleuse. Pour ces motifs, le juge de première instance a refusé de reconnaître le jugement de divorce, a déclaré Powell dégagé des liens du mariage et a annulé une ordonnance de soutien en faveur de l’épouse. La Cour d’appel n’était pas convaincue que la preuve justifiait les conclusions selon lesquelles Cockburn n’avait pas abandonné son domicile d’origine en Ontario pour élire domicile au Michigan et n’avait pas résidé dans l’État du Michigan pendant la période de douze mois.

Arrêt (le juge Judson étant dissident): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Beetz: Trois présomptions sont pertinentes: (i) la présomption de la validité du mariage, (ii) la présomption de la validité d’un jugement de divorce étranger et (iii) la présomption en faveur du domicile d’origine. Elles ne sont pas incompatibles et elles ne s’annulent pas; leur effet est d’obliger la partie visée à présenter une preuve.

[Page 219]

En conséquence, chaque point ayant été couvert par des éléments de preuve, les présomptions ont été repoussées. L’ultime fardeau de la preuve incombait à l’appelant depuis le début.

Lorsqu’un tribunal étranger est induit frauduleusement à croire que les faits pertinents sont tels qu’ils lui confèrent la compétence voulue quand, en réalité, ils n’ont pas cet effet, le tribunal domestique considérera ce motif suffisant pour ne pas reconnaître le jugement étranger. Pour des raisons pratiques et de courtoisie, les tribunaux ont jusqu’à présent refusé de se pencher sur la fraude portant sur le fond d’un litige. Même dans le cas de fraude relative à la compétence, il faut hésiter avant de conclure à la fraude. Cependant, lorsque comme en l’espèce, un juge de première instance a conclu à la fraude relative à la compétence, en se fondant sur des preuves, la Cour d’appel ne devrait pas intervenir.

Dans une demande de pension alimentaire, présentée en conformité de l’art. 1 de la Matrimonial Causes Act, S.R.O. 1970, c. 265, aucune distinction ne doit être faite entre les mariages nuls et annulables. Cette distinction ne ressort ni du texte de la Loi ni du fait que l’on reconnaît le mariage de facto, résultant de plusieurs années de vie commune dans le cadre d’un mariage apparemment régulier.

Le juge Judson, dissident: Pour les motifs retenus par la Cour d’appel, le pourvoi devrait être rejeté.

[Arrêts suivis: lndyka v. Indyka, [1969] 1 A.C. 33 (H.L.); Armitage v. Attorney General, [1906] P. 135, Travers v. Holley, [1953] P. 246; Arrêt non suivi; Le Mesurier v. Le Mesurier, [1895] A.C. 517; Arrêts mentionnés: Bater v. Bater, [1906] P. 209; Crowe v. Crowe, [1937] 2 All E.R. 723; Bonaparte v. Bonaparte, [1892] P. 402; Shaw v. Gould (1868), L.R. 3 E. & I. App. 55; Pemberton v. Hughes, [1899] 1 Ch. 781; Harvey v. Farnie (1880), 5 P.D. 153; Salvesen v. Administrator of Austrian Property, [1927] A.C. 641; MacAlpine v. MacAlpine, [1958] P. 35; Middleton v. Middleton, [1967] P. 62; Williams v. North Carolina (1944), 325 U.S. 226; Ramsay v. Ramsay (1913), 108 L.T. 382 (Prob. D.); Barnet v. Barnet, [1934] O.R. 347 (C.A.).]

POURVOI interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] infirmant une décision du juge de première instance Cromarty[2] déclarant le mariage des parties nul et de nul effet. Pourvoi accueilli, le juge Judson étant dissident.

[Page 220]

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson et Beetz a été rendu par

LE JUGE DICKSON — Il s’agit de déterminer en l’espèce si le mariage de l’appelant, George Hubert Powell, avec l’intimée, Viola M. Cockburn (que j’appellerai l’«épouse»), contracté le 5 avril 1951 dans la ville de Guelph (Ontario), est nul en raison du mariage existant et valide de cette dernière avec James Collier Cockburn.

I

En défense à une action intentée par Powell en vue de faire annuler son mariage avec l’épouse en raison du mariage existant avec Cockburn, l’épouse a déclaré que son union avec ce dernier avait été dissoute par un jugement de divorce rendu dans l’État du Michigan le 24 avril 1947. Elle a allégué, en outre, qu’au moment du divorce, Cockburn était domicilié dans l’État du Michigan où il avait résidé pendant plus de deux ans avant le jugement de divorce. Après avoir délibéré, le juge de première instance Cromarty a rendu un jugement dans lequel il examinait attentivement les dépositions ainsi que la jurisprudence. Il y formulait trois conclusions très importantes: (i) Cockburn était domicilié en Ontario et non au Michigan lorsqu’il a présenté sa requête en divorce à la Cour du Michigan le 22 novembre 1946; (ii) Cockburn n’avait pas rempli les conditions de résidence pour obtenir un divorce dans l’État du Michigan, où il n’avait pas résidé de bonne foi pendant les douze mois précédant immédiatement le dépôt de sa requête; (iii) la requête de Cockburn devant la Cour du Michigan était entièrement frauduleuse. Pour ces motifs, le juge de première instance a refusé de reconnaître le jugement de divorce étranger et déclaré Powell dégagé des liens du mariage avec l’épouse. Il a aussi annulé une ordonnance de soutien en faveur de l’épouse. Toutefois, la décision a été infirmée en Cour d’appel. Dans l’arrêt rendu oralement au nom de ladite Cour, le juge Schroeder dit:

[TRADUCTION] Les deux avocats ont fait une revue exhaustive de la preuve; après un examen soigneux de tous les témoignages, nous sommes loin d’être convaincus que, considérés dans leur ensemble, ils justifient les conclusions du savant juge de première instance selon

[Page 221]

lesquelles a) ledit Collier [sic] n’avait pas abandonné son domicile d’origine en Ontario pour élire domicile au Michigan et b) qu’il n’avait pas résidé dans l’État du Michigan pendant la période obligatoire de douze mois précédant l’introduction de la procédure de divorce.

et plus loin:

[TRADUCTION] Il faut se rappeler que la preuve exigée pour repousser la présomption de la validité du mariage entre les parties en cause doit être convaincante et péremptoire, vu l’importance du jugement sur leur statut et toutes les conséquences qui en découlent. Compte tenu des éléments de preuve à l’effet contraire, il est tout à fait possible que James Collier Cockburn ait résidé dans deux ressorts pendant toute la période exigée par la Michigan Divorce Law.

pour conclure:

[TRADUCTION] La preuve ne répond pas à tous les points d’interrogation sur la question du domicile et sur le fait de savoir si l’appelant a satisfait aux exigences de la période de résidence au Michigan. Si James Collier Cockburn avait témoigné, soit devant la Cour soit devant une commission rogatoire dont le compte-rendu aurait été versé au procès, il aurait pu répondre à cette question fondamentale. Le jugement dépend essentiellement des déductions appropriées à tirer de tous les faits exposés au dossier et nous ne sommes pas prêts à dire que les déductions sur lesquelles se fonde le savant Juge de première instance trouvent une justification suffisante dans la preuve produite.

Les divergences d’opinions à l’égard des déductions appropriées à tirer de la preuve nous obligent à présenter en détail la preuve produite en première instance avant de pouvoir examiner les questions de droit que soulève l’espèce.

II

Cockburn est né le 26 janvier 1916 à Ottawa. Il vécut en Ontario jusqu’à son enrôlement dans l’armée canadienne en 1939. Il fut envoyé outremer deux ans plus tard. En 1943, il fut démobilisé et revint au Canada. Il résida à Toronto jusqu’en octobre 1944 et ce mois-là, contracta mariage avec l’épouse dans la ville de New York. Immédiatement après le mariage ils se rendirent tous deux à Vancouver, où, selon ses dires, il était rédacteur d’un journal de cette ville. Trois jours plus tard, il quitta l’hôtel où il était descendu avec l’épouse,

[Page 222]

emportant son sac à main qui contenait ses économies, pour ne plus revenir. En décembre 1944, il s’enrôla dans l’armée américaine et devint citoyen américain six mois plus tard. Après sa démobilisation en novembre 1945, il se rendit à Detroit (Michigan) où il habita chez une tante qui y demeurait. Son frère, Robert Cockburn, le retrouva à la gare centrale de Detroit en novembre ou en décembre 1945 et séjourna quelques jours avec lui dans cette ville. Robert Cockburn n’a jamais revu son frère à Detroit. Durant son service militaire aux États-Unis, Cockburn correspondit de temps en temps avec l’épouse; après sa démobilisation, il lui demanda, dans une lettre envoyée de Detroit, de reprendre la vie commune, ce qu’elle refusa.

La suite de l’histoire est tirée du témoignage de Robert Cockburn devant la Cour. Il déclare qu’à la fin de janvier 1946, il rejoignit ses parents à Lima, Ohio, pour célébrer l’anniversaire de son frère. James Cockburn occupait alors un petit appartement et exploitait à Lima une entreprise du nom de Marburn Beauty Supply. Ces faits, admis sans réserve par le juge de première instance, sont corroborés par l’une des pièces produites au procès, à savoir trois pages de l’annuaire téléphonique de Lima de juillet 1946 où sont inscrits l’adresse du domicile d’un certain James C. Cockburn, 216½ East Market Street et l’adresse d’un établissement commercial, «Beauty Shop Equipment & Supplies. Marburn Beauty Supplies Co., 216 East Market St.».

Ce sont donc des preuves de résidence et d’attaches certaines dans l’État de l’Ohio. En revanche, Marvin K. Rosen, avocat à Detroit, a déclaré au procès qu’il avait été chargé de représenter Cockburn en avril 1946 pour une accusation au criminel pour laquelle il y eut un non-lieu. A cette époque, Cockburn s’était renseigné sur la possibilité d’obtenir un divorce et Rosen l’avait informé que la loi au Michigan exigeait un an de résidence avant l’introduction de la requête. Rosen a ajouté que Cockburn était revenu le voir en novembre 1946 et qu’une requête en divorce avait alors été déposée. Cette preuve de rattachement au Michigan est renforcée par les dossiers d’une compagnie appelée International Milling Co., lesquels indiquent que

[Page 223]

Cockburn y a travaillé du 3 mai 1946 au 8 octobre 1946 comme vendeur et que son adresse était alors «803 Seward, Detroit». Le juge de première instance a conclu que lorsqu’il travaillait chez International Milling Co., Cockburn vivait à Lima (Ohio) et non au Michigan, bien qu’il eût donné l’adresse de sa tante comme lieu de résidence.

Une autre déposition situe Cockburn à l’extérieur de l’État du Michigan. Mike Bige a témoigné qu’en mai ou en juin 1946, il avait loué une maison située au 3730 Belleview Road à Toledo (Ohio) à Cockburn et à une femme du nom de Ruth Mary, avec laquelle celui-ci vivait et qu’il a épousée par la suite. Bige a affirmé sous serment que Cockburn avait habité cette maison de juin 1946 jusqu’à son éviction en mai 1948. Cockburn était alors président de Saner Supply Co., distributeur de produits de beauté, et avait demeuré à Lima (Ohio) auparavant.

Voilà la situation au moment où Cockburn dépose à Detroit une requête en divorce contre l’épouse. La preuve touchant les événements postérieurs ne revêt pas beaucoup d’importance parce que les douze mois décisifs sont ceux précédant immédiatement l’introduction de la procédure de divorce. Entre cette date et celle du jugement de divorce, Rosen a vu Cockburn quatre ou cinq fois. Il avait une adresse et un numéro de téléphone à Detroit où rejoindre son client et il communiquait avec lui en laissant des messages auxquels Cockburn donnait suite soit par téléphone, soit en se rendant à son bureau. Le juge de première instance a conclu que Cockburn se servait de cette adresse simplement pour y recevoir du courrier et des appels téléphoniques et qu’il vivait à cette époque à Lima (Ohio) où il exploitait un commerce probablement depuis décembre 1945. Rosen a déclaré aussi qu’après la présentation de la requête, Cockburn lui avait dit que sa compagnie l’envoyait à Lima (Ohio). Rosen lui écrit à Lima pour l’aviser de la date d’audition du divorce.

Cockburn, notre requérant itinérant, obtint un jugement de divorce de la Cour de circuit du comté de Wayne, dans l’État du Michigan, le 27 avril 1947 pour sévices graves répétés et abandon

[Page 224]

de l’épouse. Cette dernière fut avertie par lettre du dépôt de la requête en divorce. Elle retint les services d’un avocat, mais ne contesta pas les allégations de Cockburn. La Cour du Michigan considéra comme un aveu le défaut de comparution de l’épouse après signification en bonne et due forme. En juillet ou en août 1947, le frère de Cockburn rendit visite à plusieurs reprises à ce dernier et à Ruth Mary au 3730 Belleview Road à Toledo.

Quatre ans plus tard, l’épouse se mariait avec Powell dont elle se sépara à la fin de 1958, après sept ans de mariage. En août 1959, l’épouse assigna Powell en justice pour obtenir une pension alimentaire. Le 4 juillet 1959, en se fondant sur les minutes de l’accord de séparation, le juge Ferguson lui accorda $600 d’arrérages de pension alimentaire et fixa celle-ci à $40 par semaine à partir du 3 décembre 1959. En septembre 1969, l’épouse présenta une demande d’augmentation de cette pension hebdomadaire et, en décembre 1969, Powell intenta les présentes procédures afin de faire annuler le mariage contracté avec elle. Le 29 mai 1970, l’action étant toujours en instance, le juge Lacourcière rendit une ordonnance portant la pension alimentaire à $60 par semaine à compter de ce jour-là.

En mai 1971, Powell se rendit dans l’État du Michigan pour faire annuler le divorce de 1946 au motif que Cockburn n’avait jamais résidé dans cet état et que la Cour du Michigan n’était pas compétente en la matière. La requête fut rejetée pour le motif que Powell n’avait pas qualité pour contester la validité d’une action en divorce à laquelle il n’était pas partie. Au moment du procès dans l’affaire présente, il semble que Cockburn avait divorcé d’avec Ruth Mary en Californie et qu’il vivait dans l’État du New Jersey.

Ces faits résument bien, à mon avis, la preuve sur laquelle s’est fondée le juge Cromarty pour conclure que Cockburn n’avait pas résidé au Michigan durant les douze mois précédant l’introduction de la procédure de divorce à Détroit, en novembre 1946.

[Page 225]

III

Les factums parlent fréquemment de «présomptions», chaque partie essayant d’imposer à l’autre le fardeau de la preuve. Les effets juridiques des présomptions semblent soulever une certaine confusion. En l’espèce, trois présomptions peuvent être considérées pertinentes: (i) la présomption de la validité du mariage (Powell et l’épouse; Cockburn et l’épouse); (ii) la présomption de la validité d’un jugement de divorce étranger (Cockburn et l’épouse) et (iii) la présomption en faveur du domicile d’origine (Cockburn). Au sens strict, elles ne sont pas incompatibles et elles ne s’annulent pas mutuellement ni n’ajoutent à la valeur probante. Elles ont pour seul effet d’obliger la partie visée à présenter une preuve (voir 9 Wigmore on Evidence, S. 2487 à la p. 281). Elles peuvent également, comme en l’espèce, faire alterner le fardeau de la preuve entre les parties, processus que Wigmore appelle «présomptions successives» (S. 2493 à la p. 292). Au départ, le mariage de l’appelant Powell avec l’épouse faisait l’objet d’une présomption de validité. Powell a repoussé cette présomption en prouvant l’existence du mariage précédent de l’épouse. Ce mariage aussi faisait l’objet d’une présomption de validité, mais les deux présomptions n’étaient pas incompatibles. Par contre, l’épouse devait fournir la preuve de la dissolution de son premier mariage et elle l’a fait en produisant le jugement de divorce étranger. Chaque point ayant été couvert par des éléments de preuve, les présomptions se sont trouvées repoussées. Il appartenait donc au juge des faits de trancher les questions litigieuses à la lumière de toute la preuve produite. Dans ce cas, si le juge des faits n’était pas convaincu, vu la prépondérance des probabilités, que Powell avait établi la nullité du mariage Powell-Cockburn, alors Powell ne pouvait avoir gain de cause. L’ultime fardeau de la preuve, le risque de ne pas convaincre le juge des faits, incombait à Powell depuis le début.

A la lumière de la preuve, le juge de première instance a statué que Powell s’était acquitté de la charge de la preuve. Comme je l’ai indiqué, la Cour d’appel a soutenu que les questions de domicile et de résidence de Cockburn soulevaient encore trop de doutes pour pouvoir affirmer que

[Page 226]

Powell avait repoussé la présomption de la validité du mariage des parties. En arrivant à cette conclusion, le juge Schroeder parle de [TRADUCTION] «la preuve nécessaire pour repousser la présomption de la validité du mariage des parties en cause»; il semble alors donner à la présomption une valeur probante artificielle, ajoutant un autre élément que Powell devait réfuter. Si je saisis bien le sens des paroles du juge Schroeder, alors je dirais respectueusement qu’il s’est trompé. Par la preuve qu’il a apportée, Powell a détruit la présomption de validité de son mariage et il appartenait donc au juge de donner effet, comme il l’e jugeait à propos, à l’ensemble de la preuve. Une preuve a été présentée sur chaque point soulevé en Cour et les présomptions ont été ainsi repoussées.

IV

L’avocat de l’épouse a soutenu que le domicile n’est pas le seul critère de reconnaissance des jugements de divorce étrangers (LeMesurier v. LeMesurier[3]) et que nos tribunaux reconnaissent les jugements étrangers prononcés par un tribunal du ressort avec lequel le requérant ou l’intimé a un [TRADUCTION] «lien réel et solide» (Indyka v. Indyka[4]). L’avocat a soutenu que Cockburn avait un lien réel et solide avec l’État du Michigan ou alors avec l’État de l’Ohio. S’il s’agit de l’Ohio, nos tribunaux devraient, en s’inspirant de l’affaire Armitage v. Attorney General[5], reconnaître le jugement du Michigan parce que l’Ohio aurait agi ainsi en vertu de la Full Faith and Credit Clause de la constitution américaine (exequatur réciproque des jugements dans tous les États).

Dans l’affaire Indyka, les lords juges ont longuement examiné les divers motifs de reconnaissance des jugements de divorce étrangers par les tribunaux anglais. Dans cette affaire-là, un jugement de divorce tchécoslovaque accordé à une épouse résidant en Tchécoslovaquie a été reconnu en Angleterre. L’époux, un Tchèque, avait acquis un domicile anglais au moment du divorce. Par la suite, il épousa sa deuxième femme en Angleterre. A la demande en divorce de cette dernière, il opposa

[Page 227]

une demande reconventionnelle en nullité de mariage, soutenant que le divorce tchécoslovaque ne pouvait pas être reconnu en Angleterre, domicile des parties en cause. Il est difficile de tirer une ratio decidendi des motifs de jugement dans l’affaire Indyka. Leurs Seigneuries ont décidé, pour des raisons diverses, que le jugement étranger avait dissout le premier mariage à l’égard du droit anglais. On a tenu compte de multiples autres motifs pour reconnaître les jugements de divorce étrangers, notamment, le domicile, le lieu du domicile conjugal, la résidence de l’une ou des deux parties, le pays de citoyenneté, le «domicile» défini moins strictement, le pays où les conjoints résident le plus souvent, le lieu où le mariage a été célébré et un endroit avec lequel existe un lien réel et solide. La décision aurait pu se fonder sur l’application de la règle de la réciprocité établie dans l’affaire Travers v. Holley[6], mais la Cour, en examinant les divers motifs de reconnaissance, a préféré élargir la portée et l’effet de la décision. A mon avis, on a interprété avec raison l’arrêt comme établissant (i) que l’affaire LeMesurier ne constitue plus un précédent valable dans la mesure où elle établit que seuls sont reconnus les jugements de divorce prononcés dans le lieu du domicile car ce n’est qu’un des nombreux critères de compétence et (ii) qu’un tribunal anglais devrait reconnaître un jugement étanger [TRADUCTION] «lorsqu’il existe un lien réel et solide entre le requérant et le pays ou le territoire exerçant sa compétence» (Cheshire, Private International Law, 8e éd. (1970) à la p. 363).

Avant de décider si l’exercice de la compétence en matière de divorce au Canada devrait se fonder sur le critère du lien réel et solide, il serait préférable de régler la question de la fraude. Si l’on peut annuler le jugement de divorce pour ce motif, l’étude du lien réel et solide devient inutile. Il est aussi évident que si le domicile était le seul critère de reconnaissance des jugements étrangers, il ne serait même pas nécessaire d’examiner la question de la fraude. La conclusion du juge de première instance que Cockburn était domicilié en Ontario trancherait la question au détriment de l’épouse.

[Page 228]

V

On trouve une déclaration générale sur l’effet des manœuvres frauduleuses pour obtenir un jugement étranger dans l’ouvrage de Castel, Canadian Conflict of Laws (1975), à la p. 448:

[TRADUCTION] Le principe de fraus omnia corrumpit est bien établi. Le juge en chef de Grey l’a formulé dans l’affaire Duchess of Kingston de la manière suivante:

«La fraude est une attaque extrinsèque indirecte qui vicie les procédures les plus solennelles des tribunaux.»

et à la p. 498:

[TRADUCTION] La fraude utilisée pour qu’un tribunal se déclare compétent à l’égard d’un défendeur constitue un bon moyen de défense contre l’exécution d’un jugement étranger. Les tribunaux estiment que les faits relatifs à la compétence sont si importants qu’on doit toujours pouvoir les contester en raison de leur fausseté. Cette règle s’applique même si le tribunal étranger s’est déclaré compétent en jugeant le litige. Cette position reflète la thèse que la validité d’un jugement étranger peut toujours être contestée pour défaut de compétence du tribunal étranger. Biggar v. Biggar, [1930] 2 D.L.R. 940.

Il faut nuancer cet exposé du droit lorsqu’il s’agit de la reconnaissance des jugements de divorce étrangers. Si la fraude dans l’obtention du jugement étranger porte sur le fond de la requête, les tribunaux nationaux ne lui accordent pas d’importance, étant donné que les motifs de fond sur lesquels repose un jugement n’intéressent pas les tribunaux appelés à le reconnaître. (Bater v. Bater[7] et Crowe v. Crowe[8] à la p. 558). Il en est autrement si la fraude vise la compétence du tribunal étranger (Bonaparte v. Bonaparte[9]), Si celui-ci est induit frauduleusement à croire que les faits pertinents sont tels qu’ils lui confèrent la compétence voulue quand, en réalité, ils n’ont pas cet effet, le tribunal domestique considérera ce motif suffisant pour ne pas reconnaître le jugement étranger. (Cheshire, Private International Law (8e éd.) à la p. 372.) Cette distinction n’a pas échappé à la critique. (Voir Dicey et Morris, The Conflict of Laws, 7e éd. (1958), à la p. 306, ainsi que la 8e

[Page 229]

éd. (1967), à la p. 318 et la 9e éd. (1973), à la p. 326.) Nonobstant les doutes exprimés à ce sujet, la jurisprudence semble appuyer pareille distinction. Ainsi dans Shaw v. Gould[10], où il est question d’un divorce écossais, lord Westbury dit, à la p. 81:

[TRADUCTION] Pour qu’un jugement étranger soit valide, il est essentiel qu’il soit prononcé par une cour compétente à l’égard de parties agissant de bonne foi, sous réserve de la jurisprudence…

Dans l’arrêt Bonaparte v. Bonaparte, précité, le tribunal écossais avait fait l’objet de manœuvres frauduleuses, car on l’avait laissé agir sur la présomption que le demandeur était domicilié en cosse et qu’il n’y avait pas de collusion. Il a été décidé que le tribunal écossais n’était pas habilité à rendre jugement dans cette action collusoire et le jugement a été déclaré nul et non avenu. Alors que le litige portait sur l’absence de compétence, on l’a abordé comme un cas de fraude à l’égard du tribunal. A remarquer qu’on a utilisé le mot «compétence» dans l’affaire Bonaparte v. Bonaparte dans le sens du droit international privé plutôt que dans un sens de «compétence interne», mais, à mon avis, cela ne rend pas l’arrêt inapplicable.

Une autre affaire souvent citée est celle de Pemberton v. Hughes[11], où le maître des rôles Lindley dit, à la p. 790:

[TRADUCTION] Si un jugement est prononcé par un tribunal étranger à l’égard de personnes qui relèvent de sa juridiction, et sur une question qui relève de sa compétence, les tribunaux anglais ne contesteront jamais la validité des procédures du tribunal étranger à moins qu’elles n’aillent à l’encontre des principes anglais de justice fondamentale. Lorsque rien n’est contraire à la justice fondamentale, selon les principes anglais, les tribunaux anglais n’examineront que l’irrévocabilité du jugement et la compétence de la cour, en ce sens et dans cette mesure, c’est-à-dire sa compétence à connaître du genre d’affaires qu’elle a traité et à obliger le défendeur à comparaître devant elle. SI la cour avait compétence en ce sens et dans cette mesure, nos tribunaux ne se demandent jamais si elle exerce régulièrement ou non sa compétence, à condition, toujours, qu’il n’y ait pas d’injustice fondamentale, au sens des principes anglais.

Il est certain que nos tribunaux n’appliqueront pas les décisions des tribunaux étrangers qui n’ont pas compétence au sens indiqué plus haut, c’est-à-dire en raison de

[Page 230]

la question qui leur est soumise ou des personnes assignées devant eux: arrêts Schibsby v. Westenholz, L.R. 6 Q.B. 155; Rousillon v. Rousillon, (1880), 14 Ch. D. 351; Price v. Dewhurst, (1838), 4 My. & Cr. 76; Buchanon v. Rucher, 9 East 192; Sirdar Gurdyal Singh v. Rajah of Faridkote (1894) A.C. 670. La seule juridiction qui compte dans ces affaires est la compétence du tribunal au sens international, c’est-à-dire sa compétence territoriale sur la question en litige et sur le défendeur. [J’ai mis les italiques].

On cite parfois l’arrêt Bater v. Bater, précité, à l’appui de l’argument suivant: lorsque le divorce est prononcé par un tribunal étranger, une personne qui n’était pas partie à l’action ne pent le faire déclarer nul par la cour du lieu où le jugement a été rendu, même pour raison de fraude: Johnson, Conflicts of Laws, 2e éd. (1962) à la p. 400. Selon le sommaire, les faits de cette affaire se présentent ainsi. En 1880, deux personnes contractèrent mariage en Angleterre. En 1886, l’époux présenta une requête en divorce contre sa femme pour cause d’adultère avec B, mais sa demande fut rejetée lorsqu’on établit que lui-même avait commis l’adultère. En 1889, il prit le bateau pour New York où il élit domicile et vécut dans l’adultère avec une autre femme. L’épouse et B continuèrent de vivre dans l’adultère et, en 1890, celle‑ci partit pour New York où elle obtint un divorce pour cause d’adultère de son mari, mais sans révéler ses relations adultérines en Angleterre. En 1893, elle épousa B à New York. En 1903, B présenta aux tribunaux anglais une requête visant à faire annuler son mariage contracté à New York pour le motif que l’épouse, en ne révélant pas certains renseignements qui auraient constitué une fin de non-recevoir à son action, avait obtenu son divorce du tribunal de New York frauduleusement. Sa requête fut rejetée. Le tribunal anglais décida qu’en vertu du droit de l’État de New York et de l’Angleterre, le tribunal de New York était compétent pour prononcer un jugement de divorce puisque l’époux y avait élu domicile et que l’adultère dont l’accusait l’épouse avait été commis dans cet état; l’épouse y avait aussi élu domicile aux fins du divorce et y avait établi son lieu de «résidence», conformément à la loi de New York. En première instance, le président, sir Gorell Barnes, dont le jugement a été confirmé en appel, a cité un pas-

[Page 231]

sage de l’arrêt Harvey v. Farnie[12]:

[TRADUCTION] Les tribunaux anglais reconnaissent la décision d’un tribunal chrétien étranger compétent qui dissout le mariage d’un ressortissant domicilié dans le pays où ledit tribunal a compétence et d’une Anglaise lorsque le jugement de divorce n’est pas vicié par quelque collusion ou fraude.

Il a ajouté [TRADUCTION] «Personnellement, je pense que ce principe est maintenant bien établi en droit…». Sur la question de la fraude, le Président a dit, à la p. 218:

[TRADUCTION)]…M. Duke a soutenu que, dans plusieurs arêts, on a dit que les tribunaux ne reconnaissent pas le jugement d’une cour étrangère obtenu par collusion ou fraude des parties. A mon sens toutefois, il ressort de l’examen de ces arrêts que la collusion ou la fraude dont il était question touchait dans chaque cas, dans la mesure où j’ai pu faire le tour de la question, au cœur du problème, c’est-à-dire à la compétence de la cour. Autrement dit, prenons, à titre d’exemple, le cas où les parties se rendent dans un pays étranger et déclarent y être domiciliées, alors que c’est faux, et réussissent ainsi à obtenir un jugement de divorce du tribunal du lieu. Dans de tels cas, la collusion ou la fraude touchent à la compétence même. S’il n’y a pas de domicile, il n’y a pas de compétence et il en découle que dans beaucoup de causes, la collusion ou la fraude ont renforcé le principe selon lequel il n’y a pas de compétence sans domicile. Mais dans l’hypothèse qu’on ait dissimulé des renseignements qui auraient modifié le jugement de la cour, je ne vois pas pourquoi, dans les décisions prononcées dans des affaires portant sur le statut des parties, on considérerait le jugement comme nul à moins qu’il ne soit infirmé. Dans de nombreuses affaires soumises à cette cour des faits sont dissimulés. [J’ai mis les italiques].

En appel, le maître des rôles Collins s’exprime en ces termes, à la p. 228:

[TRADUCTION] Le Président a considéré comme totalement satisfaisante la défense apportée à la prétention de Duke, savoir qu’il s’agit d’un jugement qui même s’il n’est pas formellement un jugement in rem, y est assimilable. Une jurisprudence fournie démontre qu’il ne se distingue vraiment pas d’un jugement in rem. Certains juges semblent avoir pensé que, d’une certaine façon, il ne s’agit pas d’un jugement in rem absolu, mais qu’à toutes fins utiles, il lui est assimilable, c’est-à-dire que c’est un jugement qui affecte le statut des parties. S’il s’agit d’un jugement in rem ou d’un jugement assimila-

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ble, ce dont je suis convaincu, pourrait-il être attaqué par un recours intenté dans ce pays par un tiers? Peut-on vraiment intenter des procédures dans ce pays alors que le jugement reste incontesté dans le pays où il a été prononcé? Il existe une jurisprudence qui démontre clairement que c’est impossible et c’est sur cette jurisprudence que s’est fondé le Président.

Il est clair, d’après ce passage, que le Président a fait une distinction entre la collusion ou la fraude portant sur la question de la compétence même et la collusion ou la fraude qui n’y touchent pas. L’affaire qui lui était soumise avait trait à cette deuxième éventualité et ses remarques portaient sur une situation différente de celle qui nous occupe. De même, les remarques du maître des rôles Collins à l’égard du droit d’un tiers de contester un jugement de divorce portent sur une affaire où la seule fraude alléguée proviendrait du fait que l’épouse elle-même avait commis l’adultère. Comme l’indique le lord juge Romer à la p. 236, on ne peut pas dire que cela touche à la question de la compétence.

Mentionnons aussi la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Salvesen v. Administrator of Austrian Property[13], où le litige entre une certaine Mlle Salvesen et l’administrateur des biens autrichiens portait sur la validité d’un jugement annulant un mariage. Voici un passage du sommaire de l’arrêt:

[TRADUCTION] Par conséquent, lorsque les parties sont domiciliées dans un pays étranger, un jugement en nullité du mariage prononcé par une cour compétente de ce pays est considéré, s’il n’y a ni collusion ni fraude, comme irrévocable et péremptoire par les tribunaux anglais et écossais à moins qu’il ne contrevienne aux principes anglais de justice fondamentale.

J’aimerais citer un passage assez court de la décision du juge Sachs, tel était alors son titre, dans l’affaire MacAlpine v. MacAlpine[14], à la p. 42 du recueil; il fait une distinction entre les cas où une preuve frauduleuse est produite à un procès et ceux où [TRADUCTION] «la fraude conduit un tribunal étranger à connaître de la question en

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litige, ce qu’il n’aurait pas fait sans cela»:

[TRADUCTION] Il est clair depuis l’arrêt Bater v. Bater (alias Lowe) (1906) P. 209 que lorsqu’un jugement étranger est obtenu par suite de preuves frauduleuses produites au procès devant une cour compétente, nos tribunaux n’en considéreront pas moins le jugement valide aussi longtemps qu’il le sera dans le pays étranger en question. Il est tout aussi clair que lorsque la fraude conduit un tribunal étranger à connaître de la question en litige, ce qu’il n’aurait pas fait sans cela, nos tribunaux considéreront tout jugement qui en découle comme nul: voir l’arrêt Bonaparte v. Bonaparte (1892) P. 402; 8 T.L.R. 759, où le requérant avait fait toutes les démarches possibles pour induire le tribunal écossais à croire qu’il était domicilié en Ècosse.

Le dernier précédent anglais que j’aimerais citer est l’affaire Middleton v. Middleton[15], où les faits ressemblent d’assez près à ceux en l’espèce. Dans sa requête présentée à la Cour de circuit de l’Illinois et dans son témoignage à l’audience, l’époux prétendait qu’il avait résidé dans l’Illinois plus d’un an précédant la présentation de sa requête et que son épouse l’avait abandonné. Les deux allégations étaient fausses. L’épouse n’a pris part aux procédures, mais ses avocats ont écrit en son nom pour contester les allégations de l’époux. Ce dernier a obtenu un jugement de divorce. Le juge Cairns, juge de première instance en Angleterre, a examiné la jurisprudence pertinente et conclu que le jugement de l’Illinois n’était pas valide, car il était entaché de fraude relativement à la compétence.

La jurisprudence américaine précise quant à elle que l’État du domicile d’origine ne doit pas être lié par une déclaration non fondée à l’égard d’un fait relatif à la compétence qui se trouve dans le dossier d’un autre État exerçant sa compétence judiciaire. Le juge Frankfurter de la Cour suprême des États-Unis a statué en ce sens dans l’affaire Williams v. North Carolina[16]. Il a confirmé, nonobstant la clause Full Faith and Credit de la Constitution, le droit de contester indirectement un jugement de divorce prononcé dans un autre État en prouvant que le tribunal n’avait pas com-

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pétence, même si le dossier indiquait le contraire. La fraude n’était pas en cause dans les procédures. Il s’agissait d’un homme et d’une femme domiciliés en Caroline de Nord qui avaient abandonné leur conjoint respectif, obtenue un divorce au Nevada après y avoir résidé six mois, s’étaient mariés et étaient revenus habiter en Caroline du Nord. Accusés de bigamie, ils produisirent le jugement de divorce du Nevada, mais ils n’en furent pas moins déclarés coupables. Il fut décidé que le jugement de divorce était un jugement péremptoire sur tous les points, à l’exception des faits relatifs à la compétence sur lesquels il était fondé. L’État du domicile avait le droit de s’assurer de la véracité de ce fait essentiel lorsqu’il a été contesté.

En refusant de reconnaître les jugements entachés de fraude, les tribunaux essaient d’empêcher que l’on abuse du système judiciaire. Je n’aborderai pas la question de la compétence des tribunaux à examiner les cas de fraude touchant le fond d’un litige puisqu’il ne s’agit pas de cela ici. Lorsqu’ils cherchent à savoir si la compétence interne du tribunal qui a prononcé le jugement a été viciée par la fraude, les tribunaux appliquent la notion d’ordre publique du lieu.

Les motifs pour lesquels un jugement de divorce prononcé dans un état peut être attaqué dans un autre sont, en fait, peu nombreux. Cependant, la tendance de la jurisprudence est d’admettre l’infirmation du jugement lorsque les faits qui ont donné compétence à l’état où a été prononcé ledit jugement, ne la lui auraient pas conférée si la vérité avait été connue. La fraude portant sur le fond d’un litige peut être aussi exécrable que la fraude portant sur la compétence, mais jusqu’à présent nous avons refusé, pour des raisons pratiques et par courtoisie, de nous pencher sur la première. Même dans le cadre restreint de ce que l’on pourrait appeler la fraude relative à la compétence, il faut hésiter avant de conclure à la fraude pour des raisons évidentes. En l’espèce, le juge de première instance en est arrivé à une conclusion formelle qui s’appuyait indubitablement sur des preuves. Sa conclusion était bien claire. En infirmant ce jugement, la Cour d’appel a parlé de déductions logiques, mais elle n’a pas mis en doute les faits sur lesquels se fonde le jugement de première instance.

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A mon avis, cette Cour n’a pas à remplir le rôle de juge des faits. A défaut de démontrer que le juge de première instance a mal interprété la preuve ou mal appliqué des principes de droits pertinents, cette Cour, à mon sens, se doit de respecter lesdites conclusions. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens.

VI

L’intimée a demandé l’autorisation, au cas où le pourvoi serait accueilli, de faire une demande reconventionnelle en vertu de l’art. 1 de la Matrimonial Causes Act, R.S.O. 1970, c. 265 pour obtenir une pension alimentaire de $60 par semaine ou d’un montant à être fixé par cette Cour. L’appelant soutient que l’intimée ne peut prétendre à ce redressement accessoire puisque l’art. 1 s’applique seulement aux actions en divorce et en annulation des mariages entachés de nullité relative. En l’espèce, le mariage invalidé pour raison de bigamie est nul plutôt qu’annulable, ce qui dépasse, aux dires de l’appelant, la portée de la Loi.

L’article 1 de la Matrimonial Causes Act se lit ainsi:

[TRADUCTION] 1. Dans toute action en divorce ou en annulation d’un mariage, le tribunal peut ordonner que l’époux verse à l’épouse, à moins qu’elle ne soit coupable d’adultère, une somme forfaitaire ou un paiement annuel, qu’il juge raisonnable pour une certaine période, qui ne pourra se prolonger au-delà du décès de l’épouse en tenant compte des biens qu’elle peut avoir, des ressources de l’époux ainsi que de la conduite des parties en cause et le tribunal peut suspendre le jugement définitif jusqu’à ce que tous les actes et documents aient été signés.

L’appelant prétend qu’un mariage nul, d’une nullité ab initio, n’exige pas d’action en annulation pour entraîner sa nullité. En outre, les mots «mariage», «époux», «épouse» dans la Loi signifient qu’un mariage a existé à un moment donné alors que dans le mariage nul, le statut d’«époux» ou d’«épouse» n’existe pas. Je ne peux accepter ces affirmations, car elles sont contraires au texte et à l’esprit de cette Loi. L’article mentionne «toute» action visant à annuler un mariage sans se limiter aux mariages annulables. L’emploi des mots «époux» et «épouse» est raisonnable parce que les

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parties à un mariage non existant apparaissent de facto comme mari et femme en dépit de leur statut de jure. Je ne vois pas pourquoi on n’accorderait pas le même soutien pécuniaire dans un mariage annulable et dans un mariage nul. Même si les conjoints d’un mariage annulable sont mari et femme en droit jusqu’à ce que le mariage soit déclaré nul, ils perdent rétroactivement leur statut conjugal après l’annulation et ils ont alors le même statut que les parties à un mariage nul

L’intention du législateur sous-jacente à la Loi vient en renforcer la formulation. En common law, les tribunaux ne pouvaient pas ordonner le versement d’une pension alimentaire à l’«épouse» dont le mariage était annulable ou nul. La Matrimonial Causes Act, 1907, rédigée dans les mêmes termes que la loi de l’Ontario a modifié cette situation en Angleterre. Elle a servi de fondement à une action pour pension alimentaire dans un mariage nul (voir Ramsay v. Ramsay[17]). En common law, on pouvait ordonner une pension alimentaire provisoire dans une action en nullité. L’intention sous-jacente est bien exprimée par le juge MacDonnell dans l’affaire Barnet v. Barnet[18], à la p. 353:

[TRADUCTION] Quelle que soit la situation de la demanderesse de jure, celle-ci avait manifestement de facto le statut d’épouse à la suite de plusieurs années de vie commune, dans le cadre d’un mariage apparemment régulier, et non d’une relation frivole ou de ce qu’on appelle couramment «concubinage».

La Matrimonial Causes Act donne plus ample effet à ce statut de facto. Que cela soit ou non pleinement conforme à la notion moderne du mariage, qui impose aux partenaires une obligation alimentaire réciproque, la loi respecte toutefois les principes traditionnels en matière de soutien. L’époux devait subvenir aux besoins matériels de l’épouse en échange de ses services et de sa présence. Il n’est pas exagéré d’étendre l’application de ce principe au mariage entaché de nullité. L’épouse putative a normalement fourni ses services et a été présente pendant une période donnée. L’«époux» se voit donc demander, lorsque c’est nécessaire, de contribuer au bien-être économique

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de la femme à la fin de leur relation et ce, pour l’indemniser des avantages économiques auxquels elle a renoncé.

Bien que l’art. 1 de la Loi permette à l’intimée de demander une pension alimentaire, je n’examinerai pas sa requête au fond. En demandant une pension alimentaire, l’intimée cherche à présenter des faits qui n’ont pas été produits au procès et qui n’apparaissent pas au dossier. Bien que cette Cour ait le pouvoir de recevoir de nouveaux éléments de preuve en vertu de l’art. 67 de la Loi sur la Cour suprême, l’intimée n’a pas demandé la permission d’en présenter ni fait valoir de motifs particuliers pour ce faire, comme l’exige l’art. 67. Par conséquent, je renvoie le dossier à la Cour suprême de l’Ontario afin qu’elle prenne une décision au fond.

VII

En définitive, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et de rétablir le jugement de première instance avec dépens dans toutes les cours. J’autorise aussi l’intimée à présenter une demande reconventionnelle pour une pension alimentaire et je renvoie le dossier à la Cour suprême de l’Ontario pour qu’elle prenne une décision au fond.

LE JUGE JUDSON (dissident) — Je rejetterais le pourvoi et je souscrirais aux motifs énoncés par la Cour d’appel[19] pour infirmer le jugement de première instance.

Pourvoi accueilli, jugement de première instance rétabli, avec dépens dans toutes les cours, le juge JUDSON dissident.

Procureurs de l’appelant: Gent & Park, London.

Procureurs de l’intimée: Lerner & Associates, London.

[1] [1973] 2 O.R. 188.

[2] [1973) 1 O.R. 497.

[3] [1895] A.C. 517.

[4] [1969] 1 A.C. 33 (H.L.).

[5] [1906] P. 135.

[6] [1953] P. 246.

[7] [1906] P. 209.

[8] (1937), 157 L.T. 557; [1937] 2 All E.R. 723.

[9] [1892] P. 402.

[10] (1868), L.R. 3 E. & I. App. 55.

[11] [1899] 1 Ch. 781.

[12] (1880), 5 P.D. 153.

[13] [1927] A.C. 641.

[14] [1958] P. 35.

[15] [1967] P. 62.

[16] (1944), 325 U.S. 226.

[17] (1913), 108 L.T. 382 (Prob. D.).

[18] [1934] O.R. 347 (C.A.).

[19] [1973] 2 O.R. 188.


Parties
Demandeurs : Powell
Défendeurs : Cockburn
Proposition de citation de la décision: Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218 (1 avril 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-04-01;.1977..2.r.c.s..218 ?
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