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05/05/1976 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._558

Canada | Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558 (5 mai 1976)


Cour suprême du Canada

Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558

Date: 1976-05-05

Maple Leaf Mills Limited Appelante;

et

Le ministre du Revenu national Intimé.

1975: les 21 et 22 octobre; 1976: le 5 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558

Date: 1976-05-05

Maple Leaf Mills Limited Appelante;

et

Le ministre du Revenu national Intimé.

1975: les 21 et 22 octobre; 1976: le 5 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 558 ?
Date de la décision : 05/05/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Impôt sur le revenu - Cotisation d’impôt - Revenu imputé à l’année d’imposition où il a été touché - Achat d’un navire - Revenu minimum garanti par le vendeur au cours de la période d’affrètement - Investissement d’une partie du prix d’achat aux fins de cette garantie - L’acheteur reçoit, à la vente du navire, le solde des montants garantis - Montants cotisés à titre de revenu touché au cours de cette année-là.

En 1961, l’appelante a acheté un navire, qui était affrété par Imperial Oil Limited, et obtenu de la part des vendeurs des garanties relatives au revenu que devait rapporter le navire durant la période d’affrètement. A titre de protection, une partie du prix d’achat a été déposée en fiducie et investie dans des biens productifs de revenus qui devaient revenir à l’appelante dans l’éventualité où le revenu tiré de l’exploitation du navire s’avérerait inférieur au montant minimum garanti. En 1963, les accords ont été restructurés. L’appelante s’est alors engagée à acheter à la compagnie fiduciaire toutes les actions en circulation et toutes les obligations, à un prix fixé en fonction du revenu net de l’exploitation du navire au cours des années, et exigible à l’expiration des contrats d’affrètement ou à la vente du navire. Le navire a été vendu en 1966 et l’intimé a inclus dans le calcul du revenu de l’appelante pour cette année-là la différence entre la valeur des actions et obligations et le déficit d’exploitation et les dividendes. Les appels interjetés devant la Cour fédérale, en première instance et en appel, ont été rejetés.

Arrêt (le juge Judson étant dissident): Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence et de Grandpré:

Les accords de 1961 et de 1963 visaient essentiellement à garantir à l’appelante un revenu annuel minimum. L’appelante avait droit à toutes les indemnisations qui, ensemble, devaient porter son revenu au niveau du minimum garanti. De plus, ce droit au montant de la dette résultant du déficit pour une année donnée était un

[Page 559]

droit inconditionnel. L’appelante était assurée de toucher ce montant quoique pas nécessairement sur le champ. Par conséquent, le manque à gagner net non récupéré pour chacune des années d’imposition 1962, 1963, 1964 et 1965 n’aurait pas dû être inclus dans le calcul du revenu pour l’exercice financier 1966.

Le juge Judson, dissident: Pour les motifs formulés par le juge Thurlow en Cour d’appel fédérale, le présent pourvoi devrait être rejeté. Le Ministre ne pouvait pas cotiser l’appelante au regard des remboursements de déficits à recevoir pour les années 1962 à 1965 avant que le navire soit vendu, en 1966, et que le montant du remboursement du déficit soit finalement déterminé. Il n’y a rien qui puisse appuyer l’allégation qu’un contribuable peut, lorsqu’il a touché un revenu, le reporter à une année antérieure à l’époque où cette somme a été déterminée et est devenue exigible.

[Arrêt appliqué: Le ministre du Revenu national c. John Colford Contracting Company Limited, [1960] R.C.E. 433, confirmé à [1962] R.C.S. viii; arrêts mentionnés: Le ministre du Revenu national c. Benaby Realties Ltd., [1968] R.C.S. 12; Vaughan Construction Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 55]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] rejetant l’appel d’un jugement du juge Gibson[2] qui rejetait l’appel d’une cotisation d’impôt sur le revenu. Pourvoi accueilli, le juge Judson étant dissident.

Claude R. Thomson et A.B. Waugh, pour l’appelante.

G.W. Ainslie, c.r. et N. Nichols, pour l’intimé.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Spence et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRÉ — Le présent pourvoi vise un arrêt de la Cour d’appel fédérale1, qui a confirmé pour l’essentiel un jugement du juge Gibson2, qui avait rejeté l’appel que l’appelante avait interjeté d’une cotisation d’impôt pour l’année d’imposition 1966. La question en litige est la suivante: compte tenu des faits révélés par la

[Page 560]

preuve, le bénéfice réalisé par l’appelante lorsqu’elle a acquis, au cours de l’année d’imposition en question, certaines actions de Bessbulk Limited à un prix inférieur à leur juste valeur marchande (en raison du manque à gagner net du navire Federal Monarch, comme l’explique l’exposé des faits), constitue-t-il un bénéfice à inclure dans le calcul du revenu de l’appelante pour cette année-là?

Les jugements des tribunaux d’instance inférieure sont publiés et je me contenterai donc de faire ici un résumé des faits:

(1) deux compagnies américaines, Federal Bulk Carriers, Inc. (ci-après appelée «Federal Bulk») et Bessemer Securities Corporation (ci-après appelée «Bessemer») étaient, par l’intermédiaire de filiales, les propriétaires réels du navire Federal Monarch; ce navire était affrété par Imperial Oil Limited;

(2) le 31 juillet 1961, l’appelante a acheté à Federal Bulk et à Bessemer les actions et les billets en circulation de compagnies de portefeuille, pour le prix de $2,325,000; puis elle a acheté à ces compagnies le navire en question;

(3) l’appelante a exigé des garanties de la part des vendeurs relativement au revenu que devait rapporter le navire durant la période d’affrètement; à titre de protection, on a donc déposé en fiducie une partie du prix d’achat et l’on a instauré un mécanisme permettant d’ajuster le prix d’achat selon l’évolution du revenu annuel de l’investissement;

(4) ensemble, Federal Bulk et Bessemer ont créé Bessbulk Limited, la fiduciaire (ci-après appelée «Bessbulk»), et lui ont transféré la somme de $1,943,550 sur le prix d’achat que l’appelante leur avait versé; Bessbulk devait investir cette somme dans des biens productifs de revenus dont la totalité ou une partie devait être versée à l’appelante dans l’éventualité où le revenu tiré de l’exploitation du navire s’avérerait inférieur au montant prévu faisant l’objet de la garantie mentionnée précédemment;

(5) selon cet accord de 1961, si, en raison de la rentabilité insuffisante du navire, le total du revenu net de son exploitation et du revenu d’investissement versé par Bessbulk s’avérait

[Page 561]

inférieur au revenu minimum garanti, le déficit, défini dans l’accord comme le manque à gagner net, serait alors considéré comme une dette de Bessbulk envers l’appelante et cette dette ne pourrait être éteinte que par le remboursement du déficit ou par compensation provenant des profits tirés de l’exploitation future du navire;

(6) l’accord de 1961 a été restructuré par un nouvel accord en date du 20 juin 1963; l’appelante s’engageait dès lors à acheter à Federal Bulk et Bessemer toutes les actions en circulation et toutes les obligations de Bessbulk, à un prix fixé en fonction du revenu net de l’exploitation du navire au cours des années, et exigible à l’expiration des contrats d’affrètement ou à la vente du navire, suivant celui de ces deux événements qui se produirait le premier;

(7) pour chaque année d’exploitation, le navire a accusé un déficit se chiffrant, pour les années d’imposition pertinentes, à:

1962

$ 206,932

1963

362,108

1964

307,255

1965

129,482

1966

195,302

$1,201,079

(8) conformément à l’accord d’indemnisation de 1961, l’appelante a reçu de Bessbulk la somme de $36,058 au cours de l’année d’imposition 1963;

(9) conformément à l’accord d’achat de 1963, l’appelante a reçu de Bessbulk les sommes suivantes:

exercice financier 1964

$ 55,826

exercice financier 1965

60,834

exercice financier 1966

63,717

$180,377

(10) le 19 novembre 1965 (au cours de l’exercice 1966), l’appelante a vendu le navire à Oswego Unity Corporation;

(11) l’appelante a alors versé le prix d’achat des actions et obligations de Bessbulk qu’elle avait acquises en exécution de l’accord d’achat de 1963; le prix d’achat a été établi de la façon suivante:

[Page 562]

Valeur nette de Bessbulk Limited au 19 novembre 1965

$2,178,953

Moins la déduction pour la durée de l’affrètement

984,644

Prix d’achat de base

$1,194,309

(12) la déduction pour la période de durée de l’affrètement a été calculée comme suit:

Différence entre le revenu réel tiré de l’exploitation du navire et le revenu prévu

$1,201,079

Moins Bénéfices à distribuer de Bessbulk Ltd. et reçus par Maple Leaf

216,435

Manque à gagner net non récupéré représentant la déduction pour la durée de l’affrètement

$ 984,644

C’est ce dernier chiffre de $984,644, moins le montant régulièrement imputable à l’année d’imposition 1966, qui est en litige devant cette Cour. La cotisation porte sur le montant total de $1,201,-079, sans aucune déduction pour les gains de $216,435 que Bessbulk a versé à Maple Leaf; la Division de première instance de la Cour fédérale a confirmé ce montant. Toutefois, l’intimé a admis, dans l’exposé de ses arguments soumis à la Cour d’appel fédérale, que le montant du profit ne pouvait être la somme de $1,201,079.

Devant les tribunaux d’instance inférieure, l’appelante a fait valoir les deux points suivants:

a) cette somme est une augmentation de capital et ne doit pas, à ce titre, être comprise dans le calcul du revenu; et

b) de toute façon, cette somme ne peut être ajoutée au revenu imposable pour Tannée d’imposition 1966 mais uniquement au revenu imposable pour les années d’imposition 1962 à 1965.

Le juge de première instance et la Cour d’appel ont tous les deux rejeté ces deux prétentions, et la première n’est plus en litige dans le présent pourvoi.

En ce qui concerne la seconde prétention, le savant juge de première instance a conclu (à la p. 193):

[Page 563]

Aux termes du contrat de 1963, ce revenu ou avantage a été fixé et est devenu exigible en novembre 1965, lorsque le navire a été vendu, et l’appelante l’a reçu pendant l’année d’imposition 1966. Le montant de ce revenu ou de cet avantage doit donc être inclus dans le revenu de l’appelante lorsqu’on calcule son bénéfice de l’année d’imposition 1966.

En Cour d’appel, le juge Thurlow, parlant aussi au nom du juge MacKay, a déclaré (à la p. 554):

En ce qui concerne les années d’imposition 1963, 1964 et 1965, auxquelles s’applique l’accord de 1963, je n’arrive pas à comprendre comment on aurait pu effectuer à la fin de chaque année le calcul des montants à verser à la compagnie appelante, étant donné que le contrat d’affrètement restait valide pour les nombreuses années au cours desquelles le déficit pouvait être comblé et que le navire n’avait pas encore été vendu.

A mon sens, ces sommes n’ont eu le caractère et la nature d’une dette exigible qu’à la vente du navire, leur montant exact étant alors fixé en accord avec les dispositions du contrat. Comme il n’y avait eu aucune augmentation des revenus, le montant net était le même que le montant brut. Par conséquent, je ne pense pas qu’on puisse, à partir de ces chiffres, faire un calcul du revenu qui tiendrait compte de ces sommes avant 1966.

L’appelante allègue que la Cour d’appel a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce que les accords d’indemnisation garantissaient un revenu minimum déterminé pour chacune des années 1962 à 1966 inclusivement de sorte que le manque à gagner net non récupéré pour chacune de ces années ne pouvait être considéré comme un revenu réalisé uniquement au cours de l’année d’imposition 1966.

Pour étudier cette allégation, il convient d’examiner d’abord, sans entrer dans les détails, l’intention des parties aux accords de 1961 et de 1963. En réponse à l’avis d’appel déposé par l’appelante à l’égard de la cotisation, le Ministre a déclaré que l’entente conclue entre les parties quant à la vente du navire était [TRADUCTION] «un accord aux termes duquel l’appelante devait recevoir certaines sommes d’argent lui assurant un revenu minimum garanti». Il est vrai que le Ministre répondait alors à l’allégation (maintenant abandonnée, comme je

[Page 564]

l’ai déjà dit) que les montants en cause n’étaient pas un revenu mais une augmentation de capital. Néanmoins, je suis d’avis que ces mots reflètent la véritable raison d’être des ententes complexes conclues entre les parties et qu’il faut en tenir compte dans l’examen du litige.

Ayant ainsi déterminé que l’intention des parties aux accords était de garantir à l’appelante un revenu minimum provenant de l’exploitation du navire, la prochaine étape consiste à déterminer si les deux accords mènent essentiellement au même résultat, l’unique différence étant au niveau du mécanisme. A cet égard, il convient de citer l’extrait suivant des motifs du juge de première instance (à la p. 192):

L’intimé soutient qu’il se dégage de toutes ces opérations que l’intention de l’appelante était que l’abattement sur le prix d’achat desdites actions et debentures soit considéré comme un revenu et que les modifications apportées en 1963 au contrat de 1961, au bénéfice de la Federal Bulk et de la Bessemer, ne changent en rien la nature de la somme en cause dans le présent appel, ladite somme représentant un revenu garanti dans l’exploitation du navire.

A mon avis, les contrats de 1961 et de 1963 garantissaient tous deux, dans leur principe, un certain revenu de l’exploitation du navire.

Il convient également de se reporter à un extrait des motifs du juge d’appel Thurlow (à la p. 553):

Cet accord était censé restructurer les accords de 1961 et son but était d’obtenir d’une autre manière les mêmes résultats économiques. On peut par conséquent dire que ses dispositions venaient remplacer les dispositions de 1961, que cela était un moyen de combler le déficit des revenus ou d’augmenter les revenus, moyen différent de celui prévu dans l’accord de 1961 mais qui, en fait, arrivait au même résultat, à savoir satisfaire à l’exigence initiale de la compagnie appelante de se voir garantir que les revenus tirés de l’exploitation du navire ne seraient pas inférieurs à la somme prévue. Cela me mène à penser que ce que la compagnie appelante a obtenu en vertu de cet accord avait également le caractère d’un revenu.

Bien que ces deux passages traitent de l’allégation de l’appelante devant les tribunaux d’instance inférieure selon laquelle la cotisation du Ministre porte sur un montant afférent au capital, je suis d’avis que les deux tribunaux ont eu raison de considérer les accords de 1961 et de 1963 comme essentiellement similaires.

[Page 565]

Nous voici donc au nœud du problème: les sommes versées à l’appelante pour combler le déficit annuel du revenu net devaient-elles faire l’objet d’une cotisation dans l’année même de ce déficit? Les tribunaux d’instance inférieure ont répondu par la négative, comme l’illustrent les propos suivants du juge d’appel Thurlow (à la p. 554):

… je considère que l’argument de la compagnie appelante est encore plus faible pour ces années que pour l’année d’imposition 1962, à laquelle s’appliquait l’accord de 1961. Mais même pour 1962, bien qu’il ait été possible de déterminer, à la fin de cette année‑là, le déficit qui constituait une dette exigible au sens de l’accord, ce montant était, jusqu’à la fin de la période d’affrètement ou la vente du navire, sujet à révision ou à compensation selon les résultats de l’exploitation du navire dans les années ultérieures ou selon que le navire était vendu pour un prix permettant de faire jouer les dispositions de l’accord sur le remboursement à la Bessbulk.

Cette réponse est-elle valable? Avec respect, je ne le crois pas.

L’accord de 1961 crée une dette envers Maple Leaf dans l’éventualité d’une insuffisance du revenu annuel. Cette dernière est assurée de recevoir le montant de cette dette dont une partie est payable au comptant et le reste payable de la manière prévue dans l’accord. Il y a même des intérêts attachés à la partie de la dette qui n’est pas payable au comptant. Bien que le mécanisme de l’accord de 1963 soit différent, en ce qu’il porte sur le prix d’achat des actions et obligations de Bessbulk, le fond de l’accord demeure le même. Ce dernier accord est parallèle au premier lorsqu’il établit un rapport entre le prix d’achat et le total du «manque à gagner net», expression que l’on a définie en ces termes:

[TRADUCTION] pour toute année se soldant par des gains réels, la fraction des gains prévus pour cette année-là qui est en sus de ces gains réels et, pour toute année se soldant par des pertes réelles, le total des gains prévus pour cette année-là et des pertes réelles.

En substance, ces accords ont pour effet de garantir à Maple Leaf un revenu minimum annuel. Si, au cours d’une année, l’exploitation du navire est déficitaire, ce revenu garanti doit provenir d’au moins deux sources:

[Page 566]

(1) du revenu réel tiré de l’exploitation quotidienne du navire;

(2) d’un montant en argent comptant versé par Bessbulk.

Si le montant total provenant de ces deux sources est inférieur au minimum garanti, on puise alors à une troisième source, c’est-à-dire la dette de Bessbulk envers Maple Leaf. C’est cette dette qui nous intéresse en l’espèce et je suis d’avis qu’elle doit être considérée comme une somme à recevoir au cours de l’année où elle a pris naissance. Le droit de recourir à cette troisième source pour atteindre le montant du revenu minimum garanti n’a jamais été un droit précaire. Il est évident qu’à toutes les époques en cause, l’appelante avait droit à toutes les indemnisations qui, ensemble, devaient porter son revenu au niveau du minimum garanti. Il est également certain que le droit de l’appelante au montant de la dette, résultant du déficit pour une année donnée était un droit inconditionnel. Elle était assurée de toucher ce montant quoique pas nécessairement sur le champ. J’accepte sans aucune hésitation le critère formulé par le juge Kearney dans Le ministre du Revenu national c. John Colford Contracting Company Limited[3], aux pp. 440 et 441. Cette Cour a rejeté sans motif écrit le pourvoi interjeté à l’encontre de cet arrêt.

Ce critère est celui que cette Cour a appliqué aux affaires fiscales découlant d’expropriations; pour qu’un montant soit considéré comme une somme à recevoir au cours d’une année d’imposition, il y a deux conditions à remplir:

(1) un droit à l’indemnité;

(2) un accord obligatoire entre les parties ou un jugement fixant le montant.

Le principe est énoncé dans Le ministre du Revenu national c. Benaby Realties Limited[4] et dans Vaughan Construction Company Limited c. Le ministre du Revenu national[5]. Mais nous sommes aux prises ici avec des faits très différents. Toutefois, en ce qui a trait au revenu minimum garanti, les conditions prescrites étaient remplies: le droit

[Page 567]

au revenu minimum n’est pas contesté et l’accord obligatoire entre les parties stipule le montant de ce revenu.

A mon avis, cette conclusion vaut toujours même dans l’éventualité où un déficit dans l’exploitation fait place l’année suivante à un profit et que les gains tirés de l’exploitation quotidienne du navire viennent à dépasser le revenu minimum garanti de l’investissement. Il est vrai qu’un tel profit aurait pour effet de créer, à la charge de l’appelante, une dette envers Bessbulk qui serait exigible au moment de la vente du navire; il en résulterait ainsi deux situations débit-crédit parallèles qui ne prendraient fin qu’au moment de la vente du navire. Toujours est-il que la nature des accords n’en serait pas modifiée et Maple Leaf toucherait chaque année au moins son revenu minimum garanti.

Pour ces motifs, je suis d’avis que la cotisation visée par le présent pourvoi est erronée et ne doit pas porter sur le manque à gagner net non récupéré pour chacune des années d’imposition 1962, 1963, 1964 et 1965 de l’appelante. De l’aveu général, le montant non récupéré de $195,302 pour l’année d’imposition 1966 n’est aucunement visé par le présent pourvoi qui porte uniquement sur les quatre années d’imposition que je viens de mentionner. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de modifier l’arrêt dont il est fait appel en déférant la cotisation au Ministre pour nouvelle cotisation, afin que soit incluse dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année 1966 la somme de $195,302, plutôt que la somme de $984,644 dont il est fait mention dans l’arrêt attaqué. Il y a adjudication des dépens en cette Cour contre l’intimé. Il en est de même des dépens devant les tribunaux d’instance inférieure dans la mesure où ils n’ont pas déjà été adjugés à l’appelante.

LE JUGE JUDSON (dissident) — Je souscris aux motifs formulés par le juge Thurlow en Cour d’appel fédérale[6], à la p. 554. Il traite dans le passage suivant de la question de l’année d’acquisition du revenu:

[Page 568]

L’autre argument est que, de toute manière, la somme n’avait pas été comprise à juste titre dans le calcul du revenu de la compagnie appelante pour l’année 1966 car elle s’était accumulée année par année et les droits qu’avait la compagnie appelante de se faire rembourser les déficits de son revenu net de chaque année devaient faire l’objet d’une cotisation dans l’année même de ce déficit. En ce qui concerne les années d’imposition 1963, 1964 et 1965, auxquelles s’applique l’accord de 1963, je n’arrive pas à comprendre comment on aurait pu effectuer à la fin de chaque année le calcul des montants à verser à la compagnie appelante, étant donné que le contrat d’affrètement restait valide pour de nombreuses années au cours desquelles le déficit pouvait être comblé et que le navire n’avait pas encore été vendu. Pour cette raison je considère que l’argument de la compagnie appelante est encore plus faible pour ces années que pour l’année d’imposition 1962, à laquelle s’appliquait l’accord de 1961. Mais même pour 1962, bien qu’il ait été possible de déterminer, à la fin de cette année-là, le déficit qui constituait une dette exigible au sens de l’accord, ce montant était, jusqu’à la fin de la période d’affrètement ou la vente du navire, sujet à révision ou à compensation selon les résultats de l’exploitation du navire dans les années ultérieures ou selon que le navire était vendu pour un prix permettant de faire jouer les dispositions de l’accord sur le remboursement à la Bessbulk. A mon sens, ces sommes n’ont eu le caractère et la nature d’une dette exigible qu’à la vente du navire, leur montant exact étant alors fixé en accord avec les dispositions du contrat. Comme il n’y avait eu aucune augmentation des revenus, le montant net était le même que le montant brut. Par conséquent, je ne pense pas qu’on puisse, à partir de ces chiffres, faire un calcul du revenu qui tiendrait compte de ces sommes avant 1966.

Ce raisonnement est conforme à deux décisions de cette Cour — Le ministre du Revenu national c. Benaby Realties Limited[7] et Vaughan Construction Company Limited c. Le ministre du Revenu national[8], à la p. 62.

Dans l’affaire Benaby, le montant était exigible au cours d’une année mais il n’avait été déterminé que l’année suivante. On a jugé ce montant imposable au cours de l’année où il a été déterminé.

En l’espèce, le Ministre ne pouvait pas cotiser l’appelante au regard des remboursements de déficits à recevoir pour les années 1962 à 1965 jusqu’à

[Page 569]

ce que le navire soit vendu en 1966 et que le montant du remboursement du déficit soit finalement déterminé. Je ne vois rien dans la Loi qui puisse appuyer l’allégation qu’un contribuable peut, lorsqu’il a touché un revenu, le reporter à une année antérieure à l’époque où cette somme a été déterminée et est devenue exigible.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Appel accueilli avec dépens, le juge JUDSON dissident.

Procureurs de l’appelante: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

Procureur de l’intimé: D.S. Thorson, Ottawa.

[1] [1973] C.F. 549.

[2] [1972] C.T.C. 188.

[3] [1960] R.C.E. 433, appel rejeté [1962] R.C.S. viii.

[4] [1968] R.C.S. 12.

[5] [1971] R.C.S. 55.

[6] [1973] C.F. 549.

[7] [1968] R.C.S. 12.

[8] [1971] R.C.S. 55.


Parties
Demandeurs : Maple Leaf Mills Ltd.
Défendeurs : Ministre du Revenu national
Proposition de citation de la décision: Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558 (5 mai 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-05-05;.1977..1.r.c.s..558 ?
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