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05/05/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._271

Canada | Silburn c. Antagon Construction Co. Ltd., [1977] 2 R.C.S. 271 (5 mai 1976)


Cour suprême du Canada

Silburn c. Antagon Construction Co. Ltd., [1977] 2 R.C.S. 271

Date: 1976-05-05

William Thomas Silburn Appelant;

et

Antagon Construction Company Ltd. Intimée.

1976: le 12 mars; 1976: le 5 mai.

Présents: Les juges Judson, Spence, Pigeon, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Silburn c. Antagon Construction Co. Ltd., [1977] 2 R.C.S. 271

Date: 1976-05-05

William Thomas Silburn Appelant;

et

Antagon Construction Company Ltd. Intimée.

1976: le 12 mars; 1976: le 5 mai.

Présents: Les juges Judson, Spence, Pigeon, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 271 ?
Date de la décision : 05/05/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Véhicules automobiles - Travaux de voirie - Automobiliste heurtant un amoncellement de gravier sur la chaussée - Responsabilité partagée - Quantum - Intervention justifiée de la Cour d’appel.

Le 9 mai 1967, vers 23h 25, l’appelant conduisait son automobile vers l’est sur le boulevard Henri Bourassa, à Montréal, lorsqu’il a heurté un amoncellement de gravier qui obstruait une des trois voies de circulation. Le tas de gravier avait été laissé à cet endroit par l’intimée, qui y effectuait des travaux de voirie. Deux barricades indiquaient la présence de l’obstacle mais, selon la prépondérance de la preuve, il n’y avait pas de signaux lumineux. Il pleuvait ce soir là mais l’endroit était bien éclairé. L’appelant a été blessé dans l’accident et la Cour supérieure, déclarant l’intimée seule responsable, a condamné celle-ci à payer $96,208 en dommages-intérêts. La majorité de la Cour d’appel (le juge dissident considérant que seul l’appelant étant en faute aurait renvoyé l’action) a modifié le jugement de la Cour supérieure en partageant également la responsabilité et en réduisant les dommages à $71,208. D’où la demande à cette Cour de rétablir le jugement de première instance.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Il ne s’agit pas en l’espèce de déterminer s’il y a eu erreur de fait de la part du juge de première instance mais, plutôt, si la conclusion qu’il a tirée de faits prouvés est entachée d’une erreur. La Cour d’appel a décidé dans l’affirmative et cette Cour considère son intervention justifiée. Il est impossible de retenir le critère de prévisibilité mentionné par le premier juge et en vertu duquel il a conclu que l’appelant aurait été partiellement en faute si au lieu d’entrer en collision avec un tas de gravier, il avait heurté un véhicule stationné. Le critère de l’homme raisonnable vaut pour les deux situations.

La réduction des dommages par la Cour d’appel de $70,000 à $45,000 semble, à la lumière des principes reconnus par cette Cour, également justifiée. La conclusion du premier juge est fondée sur une mauvaise lecture des témoignages, surtout lorsqu’il a considéré l’appelant

[Page 272]

comme un pilote en activité dont l’accident avait mis fin à la carrière, alors que l’aviation n’était plus son gagne-pain principal depuis quatre ans. Cette Cour est d’accord avec la Cour d’appel que la preuve que cette situation devait bientôt changer n’est aucunement convaincante. Par ailleurs la somme de $70,000 à titre de dommages généraux résultant de Sa perte d’un œil, que la Cour supérieure avait accordée, dépasse considérablement ce qui, à l’époque, était accordé par les tribunaux, compte tenu de l’âge et des revenus de l’appelant. La Cour d’appel a eu raison de diminuer de $25,000 les dommages sous ce chef.

Arrêts mentionnés: Dorval c. Bouvier, [1968] R.C.S. 288; Hood c. Hood, [1972] R.C.S. 244; Alexandroff c. R., [1970] R.C.S. 753; Watt c. Smith, [1968] R.C.S. 177; Fanjoy c. Keller, [1974] R.C.S. 315.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a modifié un jugement de la Cour supérieure[2]. Pourvoi rejeté.

J. Gibb Stewart, c.r., pour l’appelant.

Guy Pépin, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRE — L’appelant a été blessé le 9 mai 1967, vers 23 h 25, alors que l’automobile qu’il conduisait sur le boulevard Henri Bourassa, à Montréal, a frappé un amoncellement de gravier laissé sur la chaussée par l’intimée, avec le résultat que l’appelant a perdu le contrôle et que sa voiture a continué sur une distance de 300 pieds avant de s’écraser contre un poteau.

En Cour supérieure, l’intimée a été condamnée à payer la totalité des dommages qui furent évalués à $96,208. En appel, ce jugement fut modifié, la majorité étant d’avis

a) que la responsabilité devait être divisée également entre les parties;

b) que les dommages devaient être réduits à la somme de $71,208;

M. le juge Casey, dissident, aurait renvoyé l’action étant donné que, à ses yeux, l’appelant «was the author of his own misfortune». D’où le présent pourvoi qui soulève tant la question de responsabilité que la question des dommages.

[Page 273]

L’accident est arrivé immédiatement à l’est du boulevard Lacordaire. A cet endroit, le boulevard Henri-Bourassa est constitué de six voies de circulation séparées par un mail central en béton. Sur ce mail, à tous les 105 pieds, sont installés des lampadaires modernes. L’appelant circulait vers l’est à une vitesse de 30-35 milles à l’heure en empruntant la voie de circulation longeant le mail central. C’est cette voie qui était bloquée par l’amoncellement de gravier, les deux autres, soit une largeur totale de 22 pieds, étaient libres de tout obstacle. La preuve a révélé qu’avant de venir en contact avec le tas de gravier, la voiture de l’appelant frappa deux barricades qui avaient été installées là par les employés de l’intimée. Bien que ceux-ci affirment aussi avoir indiqué la présence du gravier par des signaux lumineux, cette preuve a été écartée par le premier juge et par M. le juge Deschênes en Cour d’appel et j’examinerai la responsabilité à partir de ce constat.

Il faut ajouter que ce soir-là il pleuvait et que la chaussée était mouillée avec le résultat que le pavé miroitait, rendant la visibilité plus difficile. Toutefois, l’appelant, dans son témoignage, a reconnu que la question visibilité «was no big problem». Cependant, l’appelant ne vit rien avant le contact, ni barricade, ni gravier.

Sur ces faits, le premier juge a conclu à la seule responsabilité de l’intimée en soulignant que l’automobiliste ne pouvait être tenu de faute vu qu’il s’agissait d’une soirée pluvieuse rendant la visibilité difficile. Le savant juge d’ajouter que si l’appelant était entré en collision avec une voiture stationnée, il l’aurait trouvé partiellement en faute parce que la présence d’une telle voiture était prévisible.

La Cour d’appel n’a pas partagé cette conclusion. J’ai déjà souligné que M. le juge Casey, dissident, aurait renvoyé l’action purement et simplement. De leur côté, MM. les juges Rinfret et Deschênes en viennent à la conclusion que l’appelant doit supporter la moitié de la faute. Pour M. le juge Rinfret, l’appelant a été négligent en ne voyant pas le tas de gravier, nonobstant les feux clignotants laissés par les employés de l’intimée, les lampadaires au milieu du boulevard et l’illumination générale provenant d’un poste d’essence

[Page 274]

situé au coin sud-est de l’intersection. De son côté, M. le juge Deschênes ne croit pas que la preuve révèle l’existence de clignotants fonctionnant dans les minutes qui ont précédé l’accident. J’ai déjà indiqué qu’il est préférable d’étudier la responsabilité à partir de cette prémisse. Toutefois, vu l’aveu de l’appelant que la visibilité n’était pas tellement mauvaise et vu l’existence de divers foyers d’illumination qui auraient certainement permis au demandeur‑appelant de voir l’obstacle s’il avait prêté attention à la conduite de son véhicule, M. le juge Deschênes conclut lui aussi à la responsabilité partielle de l’automobiliste. Voici comment il s’exprime:

Il ne s’agit plus là d’une question de fait, mais de la conclusion qu’il faut tirer en droit des faits prouvés.

En toute déférence pour le premier Juge, après mûre considération de toute la preuve, je me sens bien incapable d’accepter sa conclusion que l’entière responsabilité de cet accident doit reposer sur l’appelante. Dans mon opinion, l’intimé se trouvait dans des conditions où il aurait dû normalement réagir devant l’obstacle et son absence de toute manœuvre même in extremis me force à conclure qu’il ne portait certes pas à la conduite de sa voiture l’attention d’un conducteur diligent.

La Cour d’appel a-t-elle eu raison d’intervenir? En d’autres termes, sommes-nous devant une situation où la conclusion du premier juge est entachée d’une erreur telle qu’il faille la mettre de côté? Les critères sont bien connus et il suffit de référer pour mémoire à Dorval c. Bouvier[3], et à la revue de la jurisprudence faite par M. le juge Laskin, tel qu’il était alors, dans Hood c. Hood[4], à la p. 251.

A mon avis, la cour d’appel a eu raison de modifier le jugement de première instance. Certes, la faute de l’intimée ne peut être mise en doute et d’ailleurs il n’y a pas d’appel incident devant nous. Mais la faute de l’automobiliste-appelant me semble aussi évidente (Alexandroff c. La Reine[5]). Il m’est impossible d’accepter le critère de prévisibilité auquel s’est arrêté le premier juge et de conclure avec lui que l’appelant aurait été partiel-

[Page 275]

lement en faute si, au lieu d’entrer en collision avec un tas de gravier, il avait frappé un véhicule stationné. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de la même conduite de l’appelant. Le critère de l’homme raisonnable est valable pour les deux situations.

Reste la question des dommages. La Cour d’appel a réduit de $70,000 à $45,000 les dommages généraux pour incapacité partielle permanent de 25% et perte de jouissance de la vie en découlant. A la lumière des principes pertinents, je suis d’accord. Au contraire de la situation dans les arrêts Watt c. Smith[6] et Fanjoy c. Keller[7], les circonstances du présent dossier justifiaient l’intervention de la Cour d’appel.

Au moment de l’accident, l’appelant faisait un revenu total de $11,000. Le premier juge, donnant à la preuve de la demande un aspect positif qu’elle n’avait pas, en vint à la conclusion que l’incapacité permanente devait être calculée sur une capacité de gain de $15,000 par année. Cette conclusion est fondée sur une mauvaise lecture des témoignages. L’erreur du premier juge, comme le souligne M. le juge Deschênes, a été d’avoir envisagé l’affaire comme si l’appelant était un pilote en activité et calculé les dommages comme si l’accident avait mis fin à sa carrière. Or, l’appelant n’avait pas depuis quatre ans fait de l’aviation son gagne-pain principal, se contentant de gagner environ $2,000 par année à titre de pilote de réserve de l’aviation militaire. Pour établir que cette situation devait changer bientôt, l’appelant offrit le témoignage d’un M. George, président d’une compagnie de construction ayant des chantiers à plusieurs endroits du Canada. M. le juge Deschênes analyse ce témoignage pour souligner qu’au moment de l’accident, seules des conversations préliminaires avaient eu lieu et qu’au moment du procès, à la fin de 1970, le témoin George n’avait pas encore engagé de pilote permanent. Je partage l’avis de M. le juge Deschênes que rien n’est moins convaincant que la preuve relative à cette possibilité d’emploi.

Deux autres points sont à souligner. D’abord une erreur de calcul: après avoir conclu à une

[Page 276]

capacité de gain de $15,000 par année et à une incapacité permanente de 25%, le premier juge fixe l’indemnité à partir d’une perte d’au moins $4,000 par année. Par ailleurs, le chiffre de $70,000 à titre de dommages généraux résultant de la perte d’un œil dépasse considérablement ce qui, à l’époque, était accordé par les tribunaux, compte tenu de l’âge (34 ans au moment de l’accident) et des revenus du blessé. Comme la Cour d’appel, il faut donc conclure que les chiffres retenus par le premier juge doivent être diminués de $25,000.

Pour ces raisons, je rejetterais le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Stewart, McKenna, Gagné, Kisilenko & Kohl, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Pépin & Barrette, Montréal.

[1] [1973] C.A. 743.

[2] [1971] C.S. 396.

[3] [1968] R.C.S. 288.

[4] [1972] R.C.S. 244.

[5] [1970] R.C.S. 753.

[6] [1968] R.C.S. 177.

[7] [1974] R.C.S. 315.


Parties
Demandeurs : Silburn
Défendeurs : Antagon Construction Co. Ltd.
Proposition de citation de la décision: Silburn c. Antagon Construction Co. Ltd., [1977] 2 R.C.S. 271 (5 mai 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-05-05;.1977..2.r.c.s..271 ?
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