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05/05/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._996

Canada | Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996 (5 mai 1976)


Cour suprême du Canada

Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996

Date: 1976-05-05

Martin Service Station Ltd. Appelante;

et

Le ministre du Revenu national Intimé;

et

Le procureur général de Terre-Neuve Intervenant.

1975: les 18 et 19 juin; 1976: le 5 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996

Date: 1976-05-05

Martin Service Station Ltd. Appelante;

et

Le ministre du Revenu national Intimé;

et

Le procureur général de Terre-Neuve Intervenant.

1975: les 18 et 19 juin; 1976: le 5 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 996 ?
Date de la décision : 05/05/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Assurance-chômage - Emploi assurable résultant d’un contrat de louage de services - Règlements étendant la portée de l’emploi assurable - Loi sur l’assurance-chômage, 1955 (Can.) c. 50, art. 26(1)d) - Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, 1 (Can.), c. 48, art. 4(1)c) - Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 91(2A).

L’appelante est propriétaire de véhicules à moteur qu’elle loue comme taxis. L’intimé, le ministre du Revenu national, a considéré les conducteurs de ces véhicules soumis à la Loi sur l’assurance-chômage et évalué les cotisations dues par l’appelante à l’égard de ces derniers à la somme de $49,476.92. Ce montant est réclamé conformément aux Règlements sur l’assurance-chômage adoptés en vertu de l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi sur l’assurance-chômage de 1955 et l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage. L’appelante prétend que ces dispositions, qui autorisent la Commission d’assurance-chômage à établir des règlements en vue d’inclure dans les emplois assurables les emplois indépendants ou les emplois ne résultant pas d’un contrat de louage de services, sont ultra vires du Parlement du Canada. Le juge Heald, agissant à titre d’un juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage a renvoyé la question constitutionnelle à la Cour d’appel fédérale, conformément au par. (4) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour d’appel fédérale ayant décidé que lesdits règlements étant intra vires, l’appelante, avec autorisation de la Cour d’appel fédérale, se pourvoit devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Même si l’on accepte la prétention selon laquelle la compétence du Parlement en vertu du par. (2A) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique doit

[Page 997]

être limitée par un aspect assurance, il ne s’ensuit pas que les personnes établies à leur propre compte n’encourent jamais de risque assurable de chômage. D’ailleurs les règlements attaqués n’ont qu’une portée limitée et ne vont pas à rencontre du but général de la Loi, à savoir de ne viser que les personnes liées par un contrat de service. Toutefois, pour éviter que certaines personnes, en donnant à leur relation contractuelle une forme autre que le contrat de service, puissent se soustraire à la Loi, la Commission d’assurance-chômage peut décréter que certains emplois ne résultant pas d’un contrat de louage de services sont des emplois assurables, lorsque «la nature du travail accompli est semblable à la nature du travail accompli par des personnes s’adonnant à un emploi assurable». Même en écartant toute intention de se soustraire aux lois, ces personnes, comme, en l’espèce, les conducteurs de taxi, qu’ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d’un contrat de service, sont exposés au risque de manquer de travail. Il s’agit là d’un risque assurable dans le cadre d’une assurance publique obligatoire pourvu qu’elle respecte en gros la nature d’un système d’assurance, y compris la protection contre le risque et un régime de cotisations.

Il est exact que les premières lois canadiennes, aussi bien celles promulgées avant la modification de la Constitution qu’après, et que la législation britannique de l’époque sur l’assurance-chômage s’appliquaient strictement aux personnes employées en vertu d’un contrat de service. L’historique d’une législation ne fournit qu’un point de départ, mais elle est rarement décisive quant à la détermination de la nature d’une compétence législative car celle-ci est essentiellement dynamique. Puisque les règlements attaqués en l’espèce constituent une véritable législation sur l’assurance-chômage, la validité constitutionnelle n’est pas amoindrie du fait qu’ils touchent des droits civils autres que ceux régis par un contrat de service.

Arrêt appliqué: R. c. Scheer Ltd., [1974] R.C.S. 1046.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] qui avait déclaré valide certains règlements édictés en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage. Pourvoi rejeté.

J.A. Robb, c.r., et Peter R. O’Brien, pour l’appelante.

P.M. Olivier, c.r., pour l’intimé.

W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’intervenant.

[Page 998]

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Ce pourvoi interjeté avec l’autorisation de la Cour d’appel fédérale attaque un arrêt où cette dernière a répondu négativement à une question renvoyée aux termes du par. (4) de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale (1970-71-72 (Can.), c. 1) par le juge Heald agissant à titre de juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, (1970‑71‑72 (Can.), c. 48, art. 92 et 93). La question est la suivante:

«Compte tenu de l’exposé conjoint des faits joint aux présentes, daté du 24 septembre 1973 et portant les signatures des avocats des deux parties, peut-on dire que l’article 26(1)d) de la Loi de 1955 sur l’assurance-chômage et l’article 4(1)c) de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage sont ultra vires du Parlement du Canada en ce qu’ils autorisent la Commission d’assurance-chômage à établir des règlements en vue d’inclure dans les emplois assurables les emplois indépendants où les emplois ne résultant pas d’un contrat de louage de services?»

Cette Cour a accordé au procureur général de Terre-Neuve l’autorisation d’intervenir et il s’est joint à l’intimé pour soutenir la validité des deux dispositions contestées. Aucune autre province n’a demandé la permission d’intervenir.

L’exposé conjoint des faits mentionné dans la question renvoyée à la Cour d’appel fédérale se lit comme suit:

[TRADUCTION] 1. L’appelante est propriétaire à Montréal d’un certain nombre de véhicules à moteur qu’elle met en location aux fins de transport de passagers.

2. Conformément aux dispositions de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, le ministre du Revenu national a évalué les cotisations d’assurance-chômage dues par l’appelante à l’égard des conducteurs de ses véhicules à moteur à la somme totale de $49,476.92, incluant des amendes pour les années 1969, 1970, 1971 et 1972, le tout tel qu’il ressort d’une copie des avis d’évaluation pour lesdites années jointe aux présentes comme pièce 1.

3. Les montants évalués pour les années 1969, 1970 et 1971 sont réclamés à titre de montants dus en vertu de l’article 64B des Règlements sur l’assurance-chômage approuvés par l’arrêté en conseil C.P. 1966-610 en date du 4 avril 1966, modifié par l’arrêté en conseil C.P. 1968-1181 en date du 19 juin 1968, dont voici un extrait:

[Page 999]

«64B. (1) Sauf les emplois exceptés, doit être classé parmi les emplois assurables l’emploi de toute personne qui

a) est employée en qualité de conducteur de taxi, d’autobus commercial ou d’autobus d’écoliers ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou un établissement public pour le transport de personnes, et

b) n’est pas le propriétaire du véhicule, ni le propriétaire ou l’exploitant de l’entreprise privée ou de l’établissement public qui utilise le véhicule pour le transport des personnes,

peu importe que cette personne travaille à son compte ou autrement qu’en vertu d’un contrat de service.

(2) A toutes les fins de la Loi et des présents règlements, l’exploitant ou le propriétaire de l’entreprise privée ou de l’établissement public qui utilise un des véhicules dont il est question au paragraphe (1) pour transporter des personnes est censé être l’employeur de toute personne dont l’emploi constitue un emploi assurable aux termes du paragraphe (1).»

4. Ledit article 64B a été adopté en vertu de l’article 26(1)d) de la Loi sur l’assurance-chômage de 1955, telle que modifiée (Statuts du Canada, 1955, c. 50).

5. L’évaluation au titre de l’année 1972 est fondée sur l’article 53e) des Règlements sur l’assurance-chômage adoptés le 17 décembre 1971 (C.P. 1971-2795-SOR/ DORS 657). Il se lit comme suit:

«53. Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus en vertu du paragraphe 3(2) de la Loi ou d’une disposition des présents règlements, les emplois suivants:

e) l’emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi, d’autobus commercial, d’autobus scolaire ou d’un autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou une administration publique pour le transport de passagers, lorsque cette personne n’est pas le propriétaire du véhicule ni l’exploitant, ni le patron de l’entreprise privée ou de l’administration publique.»

6. Ledit article 53 a été adopté en vertu de l’article 4(1)c) de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage.

7. Suivant l’argument principal de l’appelante, l’article 26(1)d) de la Loi sur l’assurance‑chômage de 1955 et l’article 4(1)c) de la Loi de 1971 sont ultra vires du Parlement du Canada parce qu’ils autorisent la Commission à établir des règlements pour inclure dans les

[Page 1000]

emplois assurables les emplois ne résultant pas d’un contrat de louage de services, et les évaluations établies à son égard sont, pour ce motif, nulles et non avenues.

8. Subsidiairement, l’appelante soutient que, même si les dispositions des lois sur lesquelles sont fondées les évaluations sont intra vires, les articles 64B et 53 des Règlements ne lui sont pas applicables parce qu’elle n’exploite pas une entreprise de transport de passagers au sens desdits règlements, mais une entreprise de location de véhicules à moteur qui sont utilisés comme taxis.

9. L’argument subsidiaire de l’appelante soulève des questions de fait que les parties aimeraient laisser en suspens jusqu’à ce que la question principale de la constitutionnalité ait été tranchée de façon définitive.

La question constitutionnelle est très étroite; le savant juge-arbitre lui a donné la forme d’une question théorique se rapportant à deux dispositions spécifiques; non seulement la réponse à cette question doit-elle se limiter à ces deux dispositions: elle doit également viser uniquement à résoudre le problème pratique dont est saisi le juge-arbitre.

Le système d’assurance-chômage, établi en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage, 1955, maintenant abrogée, et de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, a pour but de constituer une caisse ou un compte alimenté en partie par les cotisations prélevées sur les employeurs et les employés et en partie par les sommes versées par le Parlement. En bénéficient les personnes occupant un «emploi assurable», ce dernier étant en principe un emploi résultant d’un contrat de louage de services. Toutefois, l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi de 1955 et l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971, dispositions dont la constitutionnalité est mise en question par l’appelante, permettent à la Commission d’assurance-chômage d’étendre la portée de l’expression «emploi assurable»:

26. (1) Avec l’approbation du gouverneur en conseil, la Commission peut édicter des règlements en vue d’inclure dans l’emploi assurable

d) tout emploi, s’il apparaît à la Commission que la nature du travail accompli par des personnes s’adonnant à cet emploi est semblable à la nature du travail accompli par des personnes s’adonnant à un emploi assurable. Loi sur l’assurance-chômage, 1955, c. 50.

[Page 1001]

4. (1) La Commission peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, établir des règlements en vue d’inclure dans les emplois assurables

c) tout emploi qui n’est pas un emploi aux termes d’un contrat de louage de services, s’il paraît évident à la Commission que les modalités des services rendus et la nature du travail exécuté par les personnes exerçant cet emploi sont analogues aux modalités des services rendus et à la nature du travail exécuté par les personnes exerçant un emploi aux termes d’un contrat de louage de services; Loi sur l’assurance-chômage, 1971, c. 48.

Dans l’affaire La Reine c. Scheer Ltd.[2], cette Cour a étudié l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi sur l’assurance-chômage, 1955, et a conclu à la validité du règlement 64B édicté sous son autorité. La constitutionnalité de l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 n’était cependant pas contestée. Le juge Spence, qui a rendu le jugement unanime de la Cour, a résumé l’historique de la législation et des règlements jusqu’à ce moment-là. Je ne peux faire mieux que citer un extrait de son résumé, à la p. 1048:

En 1935, le Parlement du Canada a adopté la Loi sur le placement et les assurances sociales, S.C. 1935, (Can.), c. 38. Par un décret du Conseil du 5 novembre 1935, la Cour suprême du Canada a été appelée à se prononcer sur le caractère ultra ou intra vires de cette loi, et, dans un jugement majoritaire publié à [1936] R.C.S. 427, cette Cour a statué que cette loi était ultra vires comme étant, par sa nature même, une loi touchant aux droits civils des patrons et employés dans chaque province. Le renvoi a été porté en appel devant le Conseil privé qui a confirmé le jugement de la Cour suprême du Canada dans un arrêt publié à [1937] A.C. 355. En prononçant le jugement au nom de Leurs Seigneuries, Lord Atkin a dit, p. 365:

[TRADUCTION] «Il ne peut y avoir de doute que, de prime abord, les dispositions relatives à une assurance de ce genre, surtout lorsqu’elles visent le contrat de travail, tombent dans la catégorie de la propriété et des droits civils de la province et sont du ressort exclusif de la législature provinciale.» A la fin de ses motifs, il a déclaré:

[TRADUCTION] «Dans le cas actuel, Leurs Seigneuries s’accordent avec la majorité de la Cour suprême à juger que, par sa nature même, cette loi est une loi d’assu-

[Page 1002]

ranee qui touche aux droits civils des patrons et employés dans chaque province, et que, à ce titre, elle est invalide.»

Par la suite, en 1940, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été modifié en ajoutant à l’art. 91 une nouvelle rubrique, désignée sous le numéro 2A et contenant simplement les mots «L’assurance-chômage». Après cela, la loi antérieurement déclarée nulle a été édictée de nouveau …

Il semblerait … que jusqu’en 1946, la loi ne visait que les personnes qui, en tant qu’employeurs ou employés, étaient liées par un contrat de service. Cependant, en 1946, le Parlement a ajouté l’art. 14A, adopté par la loi 10 Geo. VI, c. 68, qui se lit comme suit:

«14A. La Commission peut, par ordonnance spéciale, déclarer que les termes et conditions de service et la nature du travail d’une personne ou d’un groupe ou catégorie de personnes qui ne sont pas employées en vertu d’un contrat de service sont tellement semblables aux termes et conditions de service et à la nature du travail d’une personne ou d’un groupe ou catégorie de personnes employées en vertu d’un contrat de service qu’il peut en résulter des anomalies ou injustices dans l’application de la loi, et dès lors la personne ou le groupe ou la catégorie de personnes à l’égard de qui la déclaration est faite sont censées employées en vertu d’un contrat de service pour fins de la loi.»

Nous verrons que, par cette modification, c’était la première fois que le Parlement étendait la portée de la loi de manière que la Commission puisse, dans les circonstances prescrites à l’art. 14A, inclure dans le champ d’application de la loi des personnes qui n’étaient pas employées en vertu d’un contrat de service.

En 1955, par le c. 50 des Statuts du Canada de 1955, l’ancienne loi a été remplacée par une nouvelle loi dont l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 est cité plus haut.

En 1956, la Loi sur l’assurance-chômage, 1955, a été modifiée afin de permettre à la Commission d’assurance-chômage d’inclure dans les emplois assurables tout emploi dans la pêche même si les pêcheurs n’étaient pas des employés au service d’autres personnes (Statuts du Canada, 1956, c. 50).

La Loi sur l’assurance-chômage de 1955 a été incluse dans les Statuts révisés du Canada de 1970 au c. U-2 que remplace maintenant la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage dont l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 est également cité plus haut.

[Page 1003]

L’appelante soutient que l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi de 1955 et l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971 outrepassent le pouvoir du Parlement de légiférer relativement à l’assurance-chômage parce qu’ils permettent à la Commission d’assurance-chômage d’inclure dans les emplois assurables un emploi qui ne relève pas d’un contrat de service. Les principaux arguments avancés à l’appui de cette thèse sont, me semble-t-il, les suivants: la compétence du Parlement en vertu du par. (2A) de l’art. 91 de la Constitution est limitée à l’aspect assurance de ce pouvoir; or, l’assurance implique nécessairement un élément de risque, c’est-à-dire la possibilité qu’un événement survienne ou ne survienne pas indépendamment de la volonté de la personne assurée; il n’existe aucun risque de chômage dans le cas des personnes établies à leur propre compte qui décident seules de continuer à travailler à leur compte; en supposant qu’il existe un risque de chômage dans leur cas, il ne s’agit pas d’un risque assurable puisqu’elles règlent leurs activités à un tel point qu’il est impossible de déterminer avec la précision que requiert l’administration d’un système créé en vue d’effectuer des versements en cas de chômage, à quel moment elles travaillent et à quel moment elles ne travaillent plus; la seule façon de définir avec une certaine précision le pouvoir du Parlement est de le limiter à l’assurance, en cas de chômage, d’employés liés par un contrat de service; conclure autrement autoriserait le Parlement à s’ingérer dans les domaines d’assistance-chômage, de réglementation du salaire minimum et dans d’autres aspects de la sécurité sociale du ressort des provinces; l’appelante prétend que sa thèse est renforcée du fait que la Loi sur le placement et les assurances sociales, 1935 (Can.), c. 38, jugée ultra vires par cette Cour et par le Comité judiciaire, et promulguée de nouveau sous un titre différent après la modification constitutionnelle de 1940, ne s’appliquait qu’aux employés liés par un contrat de service; de même une loi britannique contemporaine comme l’Act to consolidate the Unemployment Insurance Acts, 1920 to 1934, (1935) 25 Geo. V, c. 8, établissait clairement une distinction entre l’assurance-chômage, qui ne s’appliquait qu’aux employés liés par un contrat de

[Page 1004]

service, et l’assistance-chômage; le libellé du par. (2A) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, dénote l’intention de restreindre la compétence du Parlement à la première catégorie.

Même si l’on accepte, comme je suis disposé à le faire, la prétention de l’appelante selon laquelle la compétence du Parlement en vertu du par. (2A) de l’art. 91 de la Constitution, isolée des autres pouvoirs du Parlement, doit être limitée par un aspect assurance, il ne s’ensuit pas, à mon avis, que les personnes établies à leur propre compte n’encourent jamais de risque assurable de chômage ou qu’en édictant l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi de 1955 et l’al c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971, le Parlement s’est éloigné du cadre de l’assurance.

Dans l’arrêt S cheer Ltd., le juge Spence soulignait que (à la p. 1054):

«le pouvoir d’ajouter accordé par l’art. 26(1)d) est un pouvoir très limité. Il ne s’applique à tout emploi que s’il apparaît à la Commission que la nature du travail accompli par des personnes s’adonnant à cet emploi est semblable à la nature du travail accompli par des personnes s’adonnant à un emploi assurable».

Les limites imposées par l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971 semblent être encore plus rigoureuses car il doit exister une similitude quant aux modalités des services rendus. A ce sujet, l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 se compare à l’art. 14A ajouté à l’ancienne loi en 1946 par 10 Geo. VI, c. 68. On n’a pas avancé que, aux fins de la présente affaire, la différence entre le libellé de l’al. d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi. de 1955 et celui de l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971 revêtait une importance particulière. Cependant, la portée limitée de ces deux dispositions reflète l’intention du Parlement de maintenir les lois dans la même optique, à savoir de ne viser, en règle générale, que les personnes liées par un contrat de service. Toutefois, pour éviter de verser des cotisations conformément à la législation, il est possible que certaines personnes décident de donner à leur relation contractuelle une forme autre que le contrat de service; les dispositions contestées, en ce qu’elles permettent à la Commission d’assurance-chômage d’assujettir ces personnes, appartiennent à la catégorie des dispositions relatives à l’exécu-

[Page 1005]

tion des lois et sont de toute évidence intra vires. Cependant, même en écartant toute intention de se soustraire aux lois, si les conditions qui prévalent sont telles que ceux qui sont embauchés par contrat pour exécuter un travail donné sont réduits au chômage, il est de plus probable que ces mêmes conditions privent de travail ceux qui accomplissent le même genre de tâche, mais à leur compte. C’est principalement dans le but de protéger ces derniers du risque de manquer de travail et d’être contraints à l’inactivité que la portée de la législation a été élargie. Qu’ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d’un contrat de service, les conducteurs de taxi et d’autobus par exemple sont exposés au risque de manquer de travail. A mon avis, c’est là un risque assurable, du moins dans le cadre d’une assurance publique obligatoire qui n’a pas été conçue pour être appliquée selon de rigoureux principes actuariels, pourvu qu’elle respecte en gros la nature d’un système d’assurance, y compris la protection contre le risque et un régime de cotisations.

Un principe fondamental de la Loi de 1955 (art. 59 et 60) et de la Loi de 1971 (art. 40 et 41) est que la perte de l’emploi couvert par l’assurance doit être involontaire; les prestataires sont exclus du bénéfice des prestations s’ils perdent leur emploi par suite de leur propre inconduite, s’ils quittent volontairement leur emploi sans justification ou s’ils négligent de profiter d’une occasion d’obtenir un emploi convenable. Les deux dispositions contestées sont, à mon avis, assujetties à ce principe et, en conséquence, les personnes dont l’emploi est assurable, même si elles ne travaillent pas en vertu d’un contrat de service, n’ont pas droit aux prestations si leur inactivité est volontaire ou, en d’autres termes, si leur chômage ne résulte pas du risque couvert par l’assurance. Des amendes peuvent également être imposées à ceux qui touchent des prestations sans y avoir droit. A mon avis, les difficultés éventuelles à appliquer les dispositions législatives à ceux dont l’emploi ne dépend pas d’un contrat de service ne rendent pas en elles-mêmes les dispositions ultra vires.

Le fait que le régime prévu par les deux lois soit de nature contributive n’a pas été nié ni discuté en l’espèce alors que l’objet même du litige concerne

[Page 1006]

la perception des cotisations qui seraient dues par l’appelante. On ne peut donc prétendre, du moins aux fins de ce litige, que le Parlement entendait s’ingérer dans le domaine de l’assistance-chômage gratuite. On pourrait se demander si le régime cesserait d’être un régime d’assurance si la caisse d’assurance-chômage, ou le compte d’assurance-chômage, ne recevait plus suffisamment de cotisations. Cette question n’a pas été soulevée.

Il est tout à fait exact que l’ancienne loi canadienne, qui put être de nouveau promulguée à la suite de la modification de la Constitution, et la législation britannique de l’époque portant sur l’assurance-chômage s’appliquaient strictement aux personnes employées en vertu d’un contrat de service. Mais cela reflétait tout simplement l’intention du législateur de l’époque et représentait peut-être des avantages administratifs. L’historique d’une législation fournit un point de départ qui peut s’avérer utile à la détermination de la nature d’une compétence législative particulière; mais, comme le révèlent l’historique de la législation relative à la faillite et à l’insolvabilité et l’interprétation de la compétence du Parlement dans ce domaine, elle est rarement décisive quant à l’étendue de cette compétence car la compétence législative est essentiellement dynamique.

Il est également vrai que le Comité judiciaire a jugé la Loi sur le placement et les assurances sociales, 1935, ultra vires du Parlement parce qu’elle portait atteinte au contrat de service et à l’assurance. C’était l’effet de cette loi particulière. Cependant, comme l’a souligné le juge Spence dans l’arrêt Scheer Ltd. (à la p. 1052):

…je ne vois rien dans le jugement de Lord Atkin, du Comité judiciaire, qui limite son jugement quant au caractère ultra vires de la loi aux seuls cas ou il y a un rapport de commettant à préposé et, d’autre part, je crois qu’un contrat entre un propriétaire de taxi et une personne qui conduit ce taxi en vertu d’un contrat autre qu’un contrat de service serait également un contrat visant la propriété et les droits civils des parties, et que toute intervention par une loi fédérale serait également ultra vires.

[Page 1007]

Si l’on conclut, comme je le fais, que l’al, d) du par. (1) de l’art. 26 de la Loi de 1955 et l’al. c) du par. (1) de l’art. 4 de la Loi de 1971, constituent une véritable législation sur l’assurance‑chômage, leur validité constitutionnelle n’est pas amoindrie du fait qu’ils touchent des droits civils autres que ceux régis par un contrat de service.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal.

Procureur de l’intimé: D.S. Thorson, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant: Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie, Ottawa.

[1] [1974] 1 C.F. 398.

[2] [1974] R.C.S. 1046.


Parties
Demandeurs : Martin Service Station Ltd.
Défendeurs : Ministre du Revenu national
Proposition de citation de la décision: Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996 (5 mai 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-05-05;.1977..2.r.c.s..996 ?
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