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05/10/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._915

Canada | United Trust c. Dominion Stores et al., [1977] 2 R.C.S. 915 (5 octobre 1976)


Cour suprême du Canada

United Trust c. Dominion Stores et al., [1977] 2 R.C.S. 915

Date: 1976-10-05

United Trust Company (Plaignant) Appelante;

et

Dominion Stores Limited (Défendeur) Intimée;

et

Molly Geller et Bella Granatstein (Défendeurs) Intimées.

1976: les 31 mars et 1er avril; 1976: le 5 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

United Trust c. Dominion Stores et al., [1977] 2 R.C.S. 915

Date: 1976-10-05

United Trust Company (Plaignant) Appelante;

et

Dominion Stores Limited (Défendeur) Intimée;

et

Molly Geller et Bella Granatstein (Défendeurs) Intimées.

1976: les 31 mars et 1er avril; 1976: le 5 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Ritchie, Spence et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 915 ?
Date de la décision : 05/10/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Titres de propriété - Priorités - Connaissance actuelle - Charge - Bail - Renouvellement de bail non enregistré - Acquéreur d’une tenure libre ayant connaissance d’un droit de tenure à bail - Droit du cessionnaire assujetti au droit de tenure à bail - The Land Titles Act, S.R.O. 1970, c. 234 et ses modifications, art. 78(1) et (2), 79(1), 85(5), 91, 94.

Dominion était, depuis 1935, locataire de locaux assujettis à The Land Titles Act de l’Ontario en vertu d’un bail écrit et de plusieurs renouvellements subséquents. Le dernier renouvellement qui devait expirer le 30 novembre 1970 contenait, en faveur de Dominion, une option de renouvellement pour une période allant jusqu’au 30 novembre 1975 sous réserve d’une augmentation du loyer et de la clause usuelle relative à l’augmentation des taxes foncières. Dominion exerça son option, en en donnant avis en bonne et due forme, mais entra en pourparlers pour obtenir un bail à plus long terme. Les négociations se poursuivirent jusqu’en 1972, mais, le 20 avril, l’avocat des propriétaires l’avisa que ses clientes seraient disposées à passer un contrat d’option pour la période s’étendant du 1er décembre 1975 au 30 juin 1982 et suggéra que l’avocat de Dominion rédige les documents nécessaires. L’avocat de Dominion soumit peu après le contrat d’option. Cependant United avait négocié avec les propriétaires l’achat des locaux et, le 17 mai 1972, les propriétaires acceptèrent de vendre à United qui était au courant de l’existence du bail et de l’entente entre Dominion et les propriétaires. Le 25 mai 1972, les avocats des propriétaires répondirent en ces termes à la lettre de Dominion, en date du 28 avril: les propriétaires «n’ont pas l’intention de signer les documents que vous nous avez envoyés, le soussigné ni nos clientes n’en approuvant la forme et le contenu». Le 22 juin 1972, le lendemain de la conclusion de la transaction, United fit mettre une nouvelle porte et une nouvelle serrure aux

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locaux et en interdit l’accès à Dominion bien que celle-ci eût payé son loyer jusqu’au 30 juin 1972 inclusivement. La requête présentée par Dominion pour être relevée de la déchéance et reprendre possession des lieux a été accueillie et le pourvoi interjeté à rencontre de cette décision a été rejeté par la Cour d’appel.

Arrêt (le juge en chef Laskin étant dissident): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Judson, Ritchie, Spence et Beetz: La doctrine de la connaissance actuelle qui s’étend à toutes les relations contractuelles et au droit des biens en particulier est solidement implantée dans notre droit depuis les débuts de l’equity. En l’absence de dispositions législatives claires et dépourvues d’équivoque, un principe aussi fondamental du droit des biens ne peut pas être considéré comme abrogé. The Land Titles Act, R.S.O. 1970, c. 234, modifiée par 1972 (Ont.), c. 1 et 132 et 1973 (Ont.), c. 39 ne contient aucune disposition semblable. Le paragraphe 85(5) n’a pas modifié l’état du droit exprimé dans Re Jung and Montgomery, [1955] 5 D.L.R. 287, car premièrement, ce paragraphe n’a pas pour objet l’abrogation générale du droit établi dans l’arrêt Re Jung et donc n’a pas été édicté simplement dans un tel but et deuxièmement ce paragraphe traite d’actes enregistrés concernant ou grevant le même droit de tenure ou autre sur la même parcelle de terrain enregistré.

Le juge en chef Laskin dissident: Plusieurs dispositions de The Land Titles Act font du registre le seul «miroir» du titre et font «tomber le rideau» sur les droits non enregistrés sans égard à la connaissance. L’économie et le libellé de The Land Titles Act suffisent à démontrer que la connaissance des droits non enregistrés est sans effet. Si l’équité dans la perspective de la common law était la considération dominante, abstraction faite de toute politique législative et des circonstances qui ont présidé à la création des systèmes d’enregistrement des titres de biens-fonds, la situation serait différente. Toutefois ce n’est pas de la common law qu’il s’agit, mais bien d’une rupture complète avec elle résultant d’une politique législative délibérée qui s’est traduite dans certains pays et dans certaines provinces canadiennes par l’adoption du système Torrens et, en Angleterre et en Ontario, par l’adoption d’un système apparenté d’enregistrement des titres de biens-fonds. On ne peut interpréter le par, 85(5) comme privant d’effet la connaissance lorsque celle-ci porte sur le même droit que celui acquis à titre onéreux par une autre personne sur la foi du registre, et comme ne l’en privant pas lorsque le droit invoqué en dérive. Il ressort très claire-

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ment des art. 78(1) et (2), 79(1), 91 et 94 de The Land Titles Act que la connaissance d’un droit non enregistré ne peut porter atteinte au titre enregistré d’un acquéreur à titre onéreux qui le tient d’un propriétaire enregistré. Cette conclusion est renforcée par l’art. 85 en général et par son par. (5) en particulier.

[Distinction faite avec les arrêts: Waimiha Sawmilling Company Limited, v. Waione Timber Company Limited, [1926] A.C. 101; Assets Co. Ltd. v. Mere Roihi et autres, [1905] A.C. 176. Arrêts mentionnés: Re Skill and Thompson (1908), 17 O.L.R. 186; John Macdonald & Co. Limited v. Tew (1914), 32 O.L.R. 262; Re Jung and Montgomery, [1955] 5 D.L.R. 287; Pitcher v. Shoebottom, [1971] 1 O.R. 106; Zbryski c. City of Calgary (1965), 51 D.L.R. (2d) 54.]

POURVOI interjeté d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] rejetant un appel d’une décision du juge Grant[2] faisant droit à une demande pour être relevé d’une déchéance et reprendre possession des lieux. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin étant dissident.

D.T. Stockwood et J. Ryan, pour l’appelante.

P.S.A. Lamek et D.J.T. Mungovan, pour les intimées.

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Le présent pourvoi soulève devant cette Cour une question de première importance concernant la Land Titles Act, R.S.O. 1970, c. 234, et ses modifications. La question est de savoir si, en dehors des droits qui ont préséance sur le titre de tenure libre, un droit non enregistré sur un bien-fonds régi par la Loi peut être opposé à un acquéreur à titre onéreux auquel un transfert a été consenti par propriétaire inscrit au registre foncier, si cet acquéreur a une connaissance actuelle du droit non enregistré. Le juge Grant a décidé que le titre de l’acheteur était assujetti au droit non enregistré et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario. Je suis d’avis contraire. A mon avis, la connaissance, actuelle ou présumée, de droits non enregistrés ne peut porter atteinte au titre de l’acquéreur à titre onéreux inscrit au registre.

En l’espèce, le droit non enregistré que l’on cherche à faire valoir contre le titre de propriété de

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l’appelante est un bail qui ne devait venir à expiration que plus de trois ans après le moment où l’appelante a obtenu son transfert de propriété. Ce n’est donc pas un droit que la Loi protège ou auquel elle donne préséance. L’article 51, par. 4, assujettit les biens-fonds enregistrés à tout bail ou accord en vue d’un bail dont il ne reste pas à courir plus de trois ans et qui s’accompagne d’occupation réelle. En conséquence, quand l’échéance du terme excède trois ans et même s’il y a occupation, la Land Titles Act semble exiger l’enregistrement du droit de tenure à bail pour que celui-ci puisse être protégé contre les prétentions à la possession libre et entière du bien qu’un acquéreur à titre onéreux enregistré a acquis du propriétaire enregistré.

Il n’est pas possible de comprendre pourquoi la locataire intimée, grande chaîne de magasins d’alimentation dont le bail remontait à 1935, n’a pas fait enregistrer d’avis de son droit de tenure à bail. Elle disposait, tout aussi bien que l’appelante, de conseillers juridiques compétents. Au cours des plaidoiries en appel, son avocat a prétendu que, dans les circonstances, la connaissance que l’appelante admet avoir eue du bail en cours de l’intimée avant l’acquisition de la tenure libre rend cette acquisition par voie de transfert enregistré frauduleuse dès lors que, forte de ce transfert, elle a cherché à déposséder l’intimée. L’intimée fonde cette prétention, qu’elle n’avait toutefois pas soulevée devant le juge Grant dans sa requête originaire pour être relevée de la déchéance et obtenir la reconduction de son bail, sur le déroulement des pourparlers entre les avocats respectifs des parties, alors que l’appelante cherchait en même temps à mener à bonne fin son projet d’acquisition de la tenure libre et à obtenir de l’intimée qu’elle renonçât à la possession. Le dossier de la présente affaire ne me permet pas d’en arriver à la conclusion qu’on a trompé délibérément l’intimée. Elle était au courant de l’entente passée par l’appelante en vue d’acquérir la tenure libre et elle a eu amplement occasion de protéger ses droits. L’intimée ne peut améliorer sa position en qualifiant de fraude la connaissance actuelle. Si sa position est soutenable, ce doit être sur le fondement que la Land Titles Act ne fait pas échec aux droits non enregistrés dont un acquéreur ultérieur à titre onéreux a actuellement connaissance.

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J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés par mon collègue le juge Spence, dans lesquels il accueille cette thèse et confirme les décisions des premiers juges. Je suis d’accord avec lui sur les autres aspects du présent pourvoi qui, évidemment, cessent d’être pertinents si l’appelante peut avoir gain de cause sur la question de la connaissance.

Nous voici encore devant un cas où l’on est tenté d’interpréter une loi à la lumière de la common law et d’en restreindre la portée en recourant à une théorie d’equity étrangère au but poursuivi par cette loi, but qui est pourtant clair dans les circonstances où elle a été adoptée. Parce que l’exception de la connaissance des droits non enregistrés n’a pas été expressément écartée, l’intégrité du registre foncier est ébranlée par le jugement porté en appel, même si l’économie et le libellé de la Land Titles Act suffisent, à mon avis, à démontrer que la connaissance des droits non enregistrés est sans effet. Un système d’enregistrement des titres de biens-fonds est traité, à l’égard de l’effet de la connaissance des droits non enregistrés, comme s’il s’agissait d’un système d’enregistrement d’actes, comme celui qui existe en vertu de la Registry Act, R.S.O. 1970, c. 409, et modifications, Loi dont la portée est maintenant modifiée par la Certification of Titles Act, R.S.O. 1970, c. 59, et modifications.

Si l’équité dans la perspective de la common law était la considération dominante, abstraction faite de toute politique législative, abstraction faite des circonstances qui ont présidé à la création des systèmes d’enregistrement des titres de biens-fonds, il pourrait y avoir moins à redire aux décisions des tribunaux d’instance inférieure. Toutefois, ce n’est pas de la common law qu’il s’agit, mais bien d’une rupture complète avec elle, résultant d’une politique législative délibérée qui s’est traduite dans certains pays et dans certaines provinces canadiennes par l’adoption du système Torrens et, en Angleterre et en Ontario, par l’adoption d’un système apparenté d’enregistrement des titres de biens-fonds.

La Land Titles Act de l’Ontario, édictée pour la première fois en 1885 (Ont.), c. 22, n’a pas pour modèle le système Torrens qui naquit en Australie-Méridionale en 1857, mais la Land Transfer Act anglaise, 1875 (U.K.), c. 87. Il y avait eu, en

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Angleterre, une Commission royale sur l’enregistrement des titres de biens-fonds qui avait déposé son rapport en 1857, mais celui-ci, quoiqu’adopté par le Parlement, ne fut pas mis en œuvre par la législation qui s’ensuivit, la Land Registry Act, 1862 (U.K.), c. 53. Les raisons de l’échec de cette loi et de son remplacement en 1875 sont brièvement exposées dans Curtis et Ruoff, Registered Conveyancing (2e éd. 1965), aux pp. 5 et 6:

[TRADUCTION]... Malheureusement, cependant, la Loi de 1862 ne mit pas en œuvre les principes posés par les commissaires. Le système adopté par le Parlement chercha à atteindre la perfection. Ce mépris des réalités pratiques aboutit à des résultats si catastrophiques que, quatre ans seulement après le vote de la Loi, une Commission royale fut constituée pour en étudier les causes. Déposé en 1870, le rapport de cette Commission attribua la faillite du système d’enregistrement à trois entorses fondamentales aux principes défendus par la Commission royale de 1857, à savoir

1) qu’avant de pouvoir être enregistré, le titre de propriété devait être impeccable, purgé de toute imperfection de forme et que le conservateur n’était pas libre de passer outre aux défectuosités sans conséquence pratique;

2) que les limites de chaque parcelle de terrain devaient être déterminées au pouce près par avis aux propriétaires voisins, ce qui entraînait des discussions sur des vétilles ainsi que des pertes de temps et d’argent considérables;

3) que les droits partiels, comme les droits viagers, devaient être enregistrés au lieu de limiter le registre à la propriété de la totalité, ce qui empêchait celui-ci de réaliser la simplification des titres.

A la suite de ce rapport, une autre loi fut passée en 1875. Cette loi abrogeait pratiquement celle de 1862 et instaurait un nouveau registre qui, en fait, est notre registre foncier actuel, selon un système d’enregistrement entièrement différent et modelé, cette fois, sur les recommandations de la Commission royale de 1857. En vertu de ce nouveau système, le conservateur avait un grand pouvoir discrétionnaire à l’égard des titres dont il pouvait accepter l’enregistrement ainsi que le pouvoir d’entendre et de trancher les objections sans avoir à en saisir un tribunal. Il n’était plus nécessaire de fixer les limites des propriétés au pouce près et l’enregistrement était confiné à la propriété des pleines tenures régulières, libres ou à bail, sur les biens-fonds.

Le rapport de 1857, qui expose de façon détaillée les avantages d’un système d’enregistrement de

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titres sur un système d’enregistrement d’actes ou de documents, fait partie d’une série d’enquêtes sur les problèmes fonciers qui avaient été étudiés plus tôt par les Commissaires à la propriété foncière, dans des rapports de 1829 et 1830. Le rapport de 1857 étudie notamment la question de la connaissance de droits non enregistrés et en traite en ces termes (par. 73):

[TRADUCTION] «Nous proposons que la fraude dans l’obtention d’un transfert enregistré vicie le titre de la personne qui, par fraude, devient propriétaire enregistré, mais que la connaissance de droits non enregistrés ne puisse, comme telle, avoir cet effet. Nous pensons que, bien que l’acheteur puisse, en se renseignant ou avant la conclusion de la vente, apprendre l’existence de droits grevant la tenure, il ne serait pas injuste de priver les parties intéressées de ces droits si ceux-ci ne sont pas protégés au vu du registre. Nous ne croyons pas que toute tentative d’exclure l’application de la doctrine de la connaissance soit vouée à l’échec. Nous n’ignorons pas qu’on a dit que, nonobstant toute loi contraire, les juges finiraient toujours par trouver le moyen de neutraliser une disposition visant à exclure cette doctrine, comme nos cours l’ont fait autrefois pour empêcher le «Statute of Uses» de produire les effets voulus par le législateur; et que l’abolition de la doctrine de la connaissance serait absolument contraire aux principes de justice et d’équité. Après mûre réflexion toutefois, nous ne pouvons adopter ce point de vue et, au contraire, nous approuvons dans leur ensemble les raisons qui ont conduit les Commissaires à la propriété foncière, dans leur second rapport (aux pp. 37-40), à interdire aux cours d’equity d’intervenir sur le fondement de la connaissance.»

Le passage du second rapport, daté de 1830, des Commissaires à la propriété foncière, auquel il est fait allusion, est le suivant:

[TRADUCTION] Les raisons qui militent en faveur de l’exclusion de l’intervention des cours d’equity sur le fondement de la connaissance peuvent se résumer ainsi:

Si l’intérêt public exige que, pour être juridiquement protégé, un acheteur doive respecter certaines formes et que celles-ci soient simples et faciles, l’acheteur qui ne les respecte pas ne peut pas se plaindre à bon droit de n’être pas protégé. Si l’omission n’est pas délibérée, il doit encore ne s’en prendre qu’à lui-même ou à ses mandataires. Il est vraiment d’intérêt public que les droits privés soient susceptibles d’être constatés sans difficultés et que le droit soit à cette fin aussi général

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que possible et qu’il ne varie pas au gré des circonstances, ce qui conduirait à des erreurs. La preuve de ces droits doit être indubitable et, autant que possible, à l’abri de toute falsification. C’est pour cette raison que dans de nombreux pays, on a jugé nécessaire d’exiger une preuve écrite des titres fonciers pour prévenir ainsi toute prétention à établir des droits par témoignages ou présomptions de fait. Les avantages éminents d’un titre enregistré sont la certitude et la sécurité, mais ils seront très diminués si, sur le fondement de la connaissance, préférence est donnée à des actes non enregistrés sur des actes enregistrés. Le fait de la connaissance, préférence est donnée à des actes non enregistrés sur des actes enregistrés. Le fait de la connaissance sera, dans tous les cas, possible et, dans beaucoup, probable; il sera alors tentant pour le titulaire non enregistré d’intenter une poursuite, dans l’espoir que l’autre titulaire confesse sa connaissance ou des circonstances dont elle puisse être déduite; et il peut aussi être tentant d’appuyer l’action ainsi commencée par une preuve mensongère.

Les méfaits du maintien de la connaissance présumée ont été si vivement ressentis que certains juges é’equity l’ont jugée exclue par les Registry Acts actuelles; mais aucune disposition destinée à retirer son effet à cette connaissance ne sera efficace, car la distinction entre la connaissance actuelle et la connaissance présumée ne peut être définie et les jurys ou les tribunaux manqueront donc souvent de le faire avec justesse; et la dureté de certains cas particuliers pourrait susciter une jurisprudence qui entamerait l’esprit de la Loi et en diminuerait les avantages…

L’exclusion de toute intervention des cours d’equity sur le fondement de la connaissance les empêchera très rarement d’exercer leur compétence en cas de fraude réelle. Dans tous les cas où priorité pourrait être donnée frauduleusement à un acte enregistré sur un acte non enregistré, bien que la connaissance doive être un des éléments de la preuve de l’existence de la fraude, il y aura habituellement d’autres circonstances qui, indépendamment de la connaissance, révéleront l’intention frauduleuse. Toute conspiration ou conduite malhonnête destinée à empêcher ou entraver l’enregistrement d’un acte au profit d’un autre, peut toujours être sanctionnée comme frauduleuse; et dans d’autres cas, la fraude se verra à l’insuffisance du prix ou aux circonstances dans lesquelles l’acte subséquent a été passé. Quand une partie a à souffrir de sa propre négligence ou de n’avoir pas exigé une mise en garde qui l’aurait protégée contre toute activité supérieure à une autre, c’est qu’elle s’en sera remise à la confiance entre parties plutôt qu’à la protection accordée par la loi et elle n’aura pas de juste motif de se plaindre.

[Page 923]

Les articles-clés de la Loi ontarienne de 1885, qui suivent le texte des articles correspondants de la Loi anglaise de 1875, sont les art. 35, 38, 54(1), (2) et (3) et 99. Ces articles (qui, dans la Loi actuelle, sont respectivement les art. 91, 94, 75, 78(1) (originairement 54(3)) et 174) se lisent comme suit:

[TRADUCTION] 35. Lorsqu’il est enregistré, le transfert à titre onéreux d’un bien-fonds enregistré avec un titre exclusif conférera à l’acquéreur une tenure en propriété absolue sur le bien-fonds transféré, ainsi que tous droits, privilèges et dépendances qui lui appartiennent ou en dépendent, sous réserve de ce qui suit: —

(1) des charges, s’il en est, inscrites au registre; et

(2) des obligations, droits et intérêts, s’il en est, déclarés ne pas être des charges pour les fins de la présente loi (à moins que le contraire ne soit exprimé au registre),

mais libre de toutes tenures et autres droits quels qu’ils soient, y compris les tenures et autres droits de Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, qui relèvent de la compétence législative de cette province.

38. Le transfert sans contrepartie d’un bien-fonds enregistré en vertu de la présente loi se fera, en ce qui concerne l’acquéreur, sous réserve de toutes tenures, droits, intérêts ou charges sous réserve desquels le cédant le détenait lui-même; mais, sauf ce qui a été dit ci-dessus, quand il a été enregistré, il aura à tous égards, et en particulier à l’égard de toutes transactions enregistrées conclues par l’acquéreur, le même effet qu’un transfert du même bien-fonds à titre onéreux.

54. (1) Seul le propriétaire enregistré peut, par acte de disposition enregistré, transférer ou grever un bien-fonds enregistré.

(2) Mais, sous réserve du maintien de la tenure et des droits de ce propriétaire, toute personne, qu’elle soit ou non propriétaire enregistré d’un bien-fonds enregistré, qui a un droit suffisant de tenure ou autre sur le bien-fonds, peut constituer des droits de tenure et autres de la même manière qu’elle pourrait le faire si le bien-fonds n’était pas enregistré.

(3) Et toute personne ayant un titre légitime à des droits de tenure ou autres non enregistrés sur un bien-fonds enregistré ou qui y possède un intérêt peut protéger lesdits droits contre tout acte du propriétaire enregistré en faisant inscrire dans le registre tous avis, mises en garde, interdictions ou réserves autorisés par la présente loi.

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99. Sous réserve des dispositions de la présente loi relatives aux actes de disposition à titre onéreux enregistrés, tout acte de disposition d’un bien-fonds ou d’une charge grevant un bien-fonds qui, en l’absence d’enregistrement, serait frauduleux et nul le demeurera nonobstant l’enregistrement.

Le but visé par ces dispositions, de faire du registre le seul «miroir» du titre et de faire «tomber le rideau» sur les droits non enregistrés sans égard à la connaissance (les expressions entre guillemets sont de Ruoff, An Englishman Looks at the Torrens System (1957), à la p. 8) a été renforcé par une modification législative en 1893 (Ont.), c. 22, art. 11, édictant ce qui est maintenant le par. 79(1) de la Loi. Le paragraphe 54(3) originaire (par. 78(1) actuel) a été également renforcé en 1972 (Ont.), c. 132, art. 18, par l’addition du par. 78(2). L’importance de l’art. 78 et du par. 79(1) à la lumière de l’art. 91 est telle qu’il est désirable que je les cite intégralement:

[TRADUCTION] 78. (1) Toute personne ayant un titre légitime à des droits de tenure ou autres non enregistrés sur un bien-fonds enregistré ou qui y possède un intérêt, peut protéger lesdits droits contre tout acte du propriétaire enregistré en faisant inscrire dans le registre tous avis, mises en garde, interdictions ou réserves autorisés par la présente loi ou le directeur de l’enregistrement.

(2) Lorsqu’un avis, mise en garde, interdiction ou réserve est enregistré, tout propriétaire enregistré du bien-fonds ainsi que toute personne qui tient un titre de lui, à l’exception des détenteurs de charges enregistrées avant l’enregistrement de cet avis, mise en garde, interdiction ou réserve, sont censés être touchés par l’avis de tous droits de tenure ou autres non enregistrés qui y sont mentionnés.

79. (1) Nul, en dehors des parties intéressées, n’est présumé avoir une connaissance quelconque du contenu d’un acte, à part celui qui est indiqué sur le registre existant du titre de la parcelle de terrain, ou qui a été dûment inscrit sur les registres tenus par le bureau aux fins d’enregistrer les actes reçus, ou qui est en voie d’enregistrement.

L’article 51 de la présente Loi énumère les droits qui ont préséance comme, par exemple, les taxes, les servitudes existantes, le douaire, certains droits de bail comme on l’a déjà mentionné, et les

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droits d’expropriation, auxquels le bien-fonds peut être assujetti, et l’art. 52 indique la portée du titre lors du premier enregistrement de propriété. L’article 52 se lit comme suit:

[TRADUCTION] 52. Le premier enregistrement d’une personne comme propriétaire du bien-fonds, appelée dans la présente loi premier propriétaire enregistré avec titre exclusif, confère à la personne ainsi enregistrée une tenure en propriété absolue sur le bien-fonds, ainsi que tous droits, privilèges et dépendances, libre de toutes tenures et autres droits quels qu’ils soient, y compris les tenures et autres droits de Sa Majesté, qui relèvent de la compétence législative de l’Ontario, mais à l’exception de ce qui suit:

1. les charges, s’il en est, inscrites au registre;

2. les obligations, droits et intérêts qui sont déclarés ne pas être des charges pour les fins de la présente loi, à moins que le contraire ne soit exprimé au registre;

3. quand le titre du propriétaire enregistré sur le bien-fonds n’est pas établi à son profit dans les rapports du propriétaire avec toute personne invoquant un droit sous son couvert, toutes tenures ou autres droits non enregistrés auxquels cette personne a un titre légitime.

Depuis le début, la Loi a prévu l’enregistrement des charges (désignation moderne incluant l’hypothèque) et la protection des droits invoqués sur un bien-fonds au moyen de l’enregistrement d’une mise en garde: voir les art. 26 et 58 de la Loi originaire, art. 98 et 143 actuels. Le contrôleur des titres joue évidemment un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la Loi et il existe un fonds d’assurance pour couvrir ce qui est en fait une garantie gouvernementale du titre qui figure au registre. L’enregistrement n’est pas automatique: il doit subir un contrôle administratif et satisfaire aux formes requises et, de façon générale, aux exigences de la Loi.

Je n’ai pas besoin d’examiner plus en détail les dispositions de la Loi pour appuyer mon point de vue selon lequel la connaissance que l’acquéreur à titre onéreux du titre qui figure au registre a d’un droit non enregistré, ne peut affecter ce titre. Il semble que ce soit la position également adoptée par la Land Transfer Act anglaise de 1875 dans son art. 49, qui est l’équivalent de l’art. 75 de la Loi ontarienne (qui était originairement l’art. 54(1) et (2) cité plus haut): voir 24 Halsbury (1re

[Page 926]

éd. 1912), à la p. 320, art. 591. Sans aucun doute, la Législature aurait pu ajouter à ce qu’elle a dit de la primauté du registre en se référant à la connaissance plus expressément qu’elle ne l’a fait aux art. 78 et 79. C’est ce qu’on a fait en Angleterre lors de la révision de la législation sur l’enregistrement foncier, par la Land Registration Act de 1925 (U.K.), c. 87, par. 59(6) et c’est le cas dans la législation du système Torrens; niais, à mon avis, cela n’aurait fait que mettre l’accent sur ce qui était déjà suffisamment exprimé.

Au risque de me répéter, je n’arrive pas à voir comment on peut échapper aux art. 52 et 91 de la Loi actuelle qui codifient ce qui a trait au titre acquis lors d’un premier enregistrement et lors d’un transfert opéré sur la foi du registre. Les dispositions secondaires, particulièrement les art. 75, 78 et le par. 79(1), montrent que l’enregistrement est la méthode de protection des droits invoqués sur un bien-fonds enregistré et que la fraude est le seul facteur extérieur qui puisse être pris en considération.

Sur un point, la Land Registration Act anglaise accorde aux droits non enregistrés une protection qui n’est accordée que de façon limitée par la Land Titles Act de l’Ontario: il s’agit de la protection des [TRADUCTION] «droits de toute personne qui occupe réellement le bien-fonds ou en perçoit les loyers et fruits» à moins que ces droits ne se révèlent pas à la recherche. Comme le disent Megarry et Wade, The Law of Real Property (4e éd. 1975), à la p. 1066 [TRADUCTION] «les propriétaires en equity qui sont en possession, même s’ils n’ont pas fait enregistrer la mise en garde ou autre avertissement [sont sauvegardés et protégés] même quand leur occupation n’est pas évidente pour l’acquéreur»; et aussi, [TRADUCTION] «celui qui occupe un bien-fonds enregistré en vertu d’un simple contrat de bail, par exemple, ou qui a une option de renouvellement de bail ou d’achat de la tenure libre ne sera nullement menacé de perdre ses droits aux mains d’un acquéreur ultérieur si, comme cela arrive souvent, il omet de protéger ses droits par une inscription au registre». Une telle disposition dans la Loi ontarienne aurait protégé l’intimée dans la présente affaire et son introduction dans la Loi mérite considération.

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Une bonne partie de l’argumentation des avocats des parties a porté sur la jurisprudence relative au système Torrens. L’apport principal de la jurisprudence citée à la présente cause est la dissociation de la connaissance et de la fraude, le rejet de l’idée qu’une personne qui a connaissance d’un droit non enregistré puisse être accusée de fraude: voir, par exemple, l’affaire australienne Friedman v. Barrett[3]. Les législations adoptant le système Torrens soulignent l’importance de cette distinction en excluant expressément la connaissance et en faisant de la fraude une exception à l’intégrité du registre. Dans certains pays, le législateur est allé plus loin en disposant que la connaissance d’un droit non enregistré n’était pas en elle-même imputable comme fraude. Une telle disposition existait dans la Land Transfer Act de Nouvelle-Zélande de 1915 appliquée par le Conseil privé dans l’arrêt Waimiha Sawmilling Co. v. Waione Timber Co.[4], mais ne faisait pas partie de la législation du Queensland étudiée dans l’affaire Friedman v. Barrett. Son absence n’a cependant pas empêché les tribunaux de distinguer la simple connaissance de la fraude et de protéger le propriétaire enregistré contre un droit non enregistré dont il avait connaissance. Le point de départ de la jurisprudence sur la question se trouve dans le jugement rendu par le Conseil privé dans l’affaire Assets Ltd. v. Mere Roihi[5], à la page 210.

La fraude constitue évidemment une exception à l’intégrité du registre en vertu de la Loi ontarienne (voir l’art. 174), mais puisque notre Cour en est arrivée à la conclusion que l’intimée n’a pas prouvé de fraude, la seule question à considérer est celle de l’effet de la connaissance. L’intimée prétend que cette question doit être tranchée en sa faveur parce qu’en dépit des indications fournies par les diverses dispositions de la Loi auxquelles je me suis référé dans ces motifs, la Loi ontarienne, à la différence des législations adoptant le système Torrens, n’a pas exclu expressément l’effet de la connaissance.

L’intimée souligne qu’une telle exclusion était expressément prévue dans la législation néo-zélan-

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daise que le Conseil privé avait à appliquer dans Waimiha Sawmilling, précité, arrêt sur lequel s’est appuyée l’appelante. Cette dernière se fonde sur le fait que le Comité judiciaire, dans les motifs pour lesquels il a estimé que le titre d’un acquéreur enregistré n’était pas vicié par un contrat non enregistré dont il avait eu connaissance, paraît s’appuyer sur une disposition de la loi néo-zélandaise comparable à l’art. 91 de la Loi ontarienne. La disposition néo-zélandaise qui excluait l’effet de la connaissance était l’art. 197 et le Comité ne s’est référé qu’au passage qui disposait que la connaissance de l’existence d’un droit non enregistré n’était pas en elle-même imputable comme fraude. Toutefois, l’art. 197 a été cité en entier et je suis d’accord avec l’intimée que l’appelante ne peut pas tirer grand argument de Waimiha Sawmilling.

Cela ne signifie pas, à mon avis, qu’il y ait nécessairement une lacune dans la Loi ontarienne. Nous avons affaire à des systèmes d’enregistrement foncier différents bien qu’apparentés, et je ne pense pas que la présence d’une disposition expresse dans les législations adoptant le système Torrens soit la preuve d’une lacune dans la Loi ontarienne, pas plus, à vrai dire, que dans la législation anglaise de 1875 qui lui est comparable. Il en est spécialement ainsi quand on dit que la conséquence en est l’introduction d’une doctrine qui nie le but premier de la Loi ontarienne. Évidemment, s’il avait été expressément prévu que la connaissance ne peut affecter le titre qui figure au registre, le présent litige aurait pu être évité, mais l’enregistrement d’un avis de bail par l’intimée, conformément à l’art. 115 de la Land Titles Act de l’Ontario, aurait eu le même résultat.

Voilà pour l’historique de la législation et la législation elle-même. Je voudrais examiner maintenant la jurisprudence se rapportant à la question en litige. Les motifs de la Cour d’appel de l’Ontario dans la présente affaire sont les seuls motifs publiés d’une cour d’appel ontarienne à soutenir que la connaissance préalable d’un droit non enregistré peut porter atteinte au titre d’un acquéreur à titre onéreux qui le tient du propriétaire inscrit au registre. Par ailleurs ces motifs, sous réserve d’une

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question que je mentionnerai un peu plus loin, reposent seulement sur Re Jung and Montgomery[6], où la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé oralement un jugement du juge de cour de district Duranceau. Parlant dans la présente affaire en son nom et au nom du juge Brooke, le juge Jessup a eu la franchise de déclarer (et je cite ses propres termes) que [TRADUCTION] «si j’avais dû aborder le problème avec une loi dans l’état où elle se trouvait au moment de Re Jung, j’aurais eu des doutes sur la justesse de la décision rendue dans cette affaire, eu égard en particulier aux termes de ce qui est maintenant l’art. 91 de la Loi». Le juge Jessup a toutefois estimé que la promulgation, en 1960, de ce qui est maintenant le par. 85(5) de la Land Titles Act doit être interprétée comme une confirmation de l’arrêt Re Jung and Montgomery, en ce que la connaisance d’un droit non enregistré affecte le titre obtenu par un acquéreur à titre onéreux sur la foi du registre. Je reviendrai plus loin dans mes motifs sur ce paragraphe, sur lequel les deux parties se sont appuyées; mais je veux examiner d’abord les faits soumis au juge de cour de district Duranceau et la décision qu’il a rendue dans Re Jung and Montgomery.

Jung avait acheté certains locaux selon acte translatif de propriété du 26 juin 1953 qui avait été enregistré le 30 juin 1953. A cette époque, Montgomery était locataire d’une partie des locaux en vertu d’un bail de cinq ans allant du 1er avril 1950 au 31 mars 1955. Il n’y avait pas eu d’enregistrement du bail, mais Jung avait été lui-même locataire d’une autre partie des locaux avant d’en acquérir la tenure libre. Après qu’il l’eut acquise, Montgomery est resté son locataire et a continué à lui verser le loyer qu’il acceptait. Le bail de Montgomery comportait une option de renouvellement de trois ans sur préavis de trois mois, préavis que Montgomery donna en bonne et due forme, le 8 novembre 1954. Le 9 février 1955, Jung mit Montgomery en demeure de quitter les lieux et, celui-ci ayant refusé, Jung intenta une action en réclamant la possession.

Le juge Duranceau jugea qu’en fait, avant d’acheter les locaux, Jung était au courant du bail de Montgomery et de l’option de renouvellement

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qu’il comportait. Pour ce qui restait à courir du bail originaire de Montgomery, il s’agissait d’un droit protégé comme ayant préséance, car l’échéance du terme n’excédait pas trois ans et il y avait occupation réelle. La situation de l’option de renouvellement était différente. Le terme n’en excédait pas trois ans, mais il ne pouvait s’accompagner d’occupation réelle jusqu’à ce qu’il commençât, ce qui n’était pas possible avant le 1er avril 1955. Le juge Duranceau traita l’option comme créant un droit distinct à considérer à part et en conséquence elle ne pouvait constituer un droit ayant préséance en vertu de Fart. 51, par. 4. Il ne semble pas que l’on ait songé de quelque façon à traiter l’option comme un droit réel, auquel cas aucun enregistrement distinct ne serait nécessaire: cf. Di Castri, Law of Vendor and Purchaser (2e éd. 1976), à la p. 427. Pour ce qui nous préoccupe ici, il n’est toutefois pas nécessaire que je me prononce sur la validité de la thèse de l’option comme «droit réel». Bien que les motifs du juge Duranceau ne soient pas explicites sur ce point, je prends pour acquis que la mise en demeure de quitter les lieux du 9 février signifiée à Montgomery lui ordonnait de le faire à l’expiration du terme de cinq ans. La question en litige entre les parties était de savoir si Jung pouvait prétendre déposséder Montgomery après le 31 mars 1955 ou si Montgomery avait un terme renouvelé valide de trois ans à compter de cette date.

Il y a des indications dans les motifs du juge Duranceau que Jung était lié par le bail parce qu’il l’avait reconnu en acceptant le loyer que lui versait Montgomery. Les motifs n’indiquent pas si Jung avait protesté de quelque manière lors de l’avis de renouvellement du 8 novembre 1954, trois mois avant la mise en demeure de quitter les lieux. Cela aurait pu suffire à trancher le litige, sans avoir à introduire la doctrine de la connaissance dans la Land Titles Act. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge Duranceau et, selon le recueil, sans avoir entendu le locataire intimé et en approuvant le jugement de première instance. Il est possible également qu’elle ait approuvé tous les motifs de ce jugement, dont certains s’appuyaient clairement sur la connaissance, et c’est certainement ainsi que le juge Grant comme la Cour

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d’appel de l’Ontario ont interprété Re Jung and Montgomery dans la présente affaire.

Après avoir cité Magee on Land Titles (1940), aux pp. 43, 93 et 104, selon qui la doctrine de la connaissance est étrangère à la Land Titles Act de l’Ontario, et noté qu’aucune jurisprudence n’est citée à l’appui de cette proposition, le juge Duranceau cite une série de décisions allant, selon lui, en sens contraire. Certaines de ces décisions sont manifestement inapplicables à la question de la connaissance telle qu’elle se présente ici; et l’équivalence qu’il admet entre la connaissance et la fraude est également inacceptable. Deux décisions sur lesquelles il s’appuie et qui ont été citées en appel devant cette Cour peuvent cependant être mentionnées. Il s’agit de Re Skill and Thompson[7] et John Macdonald & Co. Ltd. v. Tew[8]. Aucune ne peut nous éclairer, à mon avis, sur la question de la connaissance au regard de la Land Titles Act.

L’affaire Re Skill and Thompson a parcouru toute la gamme des juridictions supérieures ontariennes de l’époque. Elle a d’abord été entendue en chambre par le juge Riddell, puis en appel par la Cour divisionnaire et en appel encore par la Cour d’appel de l’Ontario. Cette affaire a son origine dans le rejet par le contrôleur des titres, en vertu de la Land Titles Act, d’une requête en radiation ou annulation d’une mise en garde enregistrée contre un bien-fonds par Thompson, lequel prétendait y détenir un droit contre Skill, le propriétaire figurant au registre. Skill avait acquis le bien-fonds d’un nommé Sears au nom duquel était le titre avant le transfert à Skill, mais Thompson se réclamait d’une option d’achat antérieure qui lui avait été consentie par Sears et dont Skill aurait eu connaissance. Le juge Riddell estima que le registre avait prépondérance et qu’au surplus, puisque Thompson avait intenté une action en exécution intégrale contre Sears et Skill, le maintien de la mise en garde ne se justifiait plus. En conséquence il l’annula. La Cour divisionnaire rétablit l’ordonnance du contrôleur des titres, au motif que la radiation de la mise en garde avant l’audition de l’action en exécution intégrale préjugeait du résul-

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tat de cette action au cours de laquelle le demandeur aurait la possibilité d’établir la fraude, en ce que le transfert de Sears à Skill n’était pas destiné à être enregistré. Il se peut qu’il y ait là une équivalence entre la connaissance et la fraude, mais le jugement de la Cour divisionnaire n’est pas clair sur la question de la connaissance comme telle. Quand l’affaire vint devant la Cour d’appel de l’Ontario, deux de ses cinq membres motivèrent leur décision de rejeter l’appel, les trois autres ne faisant qu’approuver cette solution. Le juge Osier se fonda sur le fait que le maintien de la mise en garde relevait de la compétence du contrôleur des titres, que celui-ci l’avait régulièrement exercée et qu’il ne lui imcombait pas de se prononcer sommairement sur les droits des parties. Rien dans ses motifs n’a trait à la question de la connaissance, si ce n’est lorsqu’il signale, dans son exposé des faits, que Thompson prétend que le transfert de Sears à Skill s’est fait en fraude des droits résultant de l’exercice de son option.

C’est sur les motifs du juge Meredith que le juge de cour de district Duranceau dans Re Jung and Montgomery et l’intimée dans le présent pourvoi se sont appuyés. Il est regrettable qu’en citant ces motifs, le juge Duranceau ait omis de les replacer dans leur contexte qui ressort d’un passage subséquent non cité dans Re Jung and Montgomery. Voici les deux passages extraits des motifs du juge Meredith, qui ont été cités:

[TRADUCTION] La Land Titles Act n’est pas une loi abolissant le droit des biens immobiliers; elle est, à cet égard, beaucoup plus inoffensive qu’on ne semble parfois l’imaginer dans certains milieux, à tout le moins quand on se laisse aller à prendre ses désirs pour des réalités. C’est une loi destinée à simplifier les titres de propriété et à faciliter les transferts de biens-fonds; et il n’est pas douteux que lorsqu’on sera plus familier avec elle, bon nombre d’idées fausses sur son caractère révolutionnaire tendront à disparaître.

Son principal objet est de garantir le titre de celui qui achète d’un propriétaire enregistré; mais il n’entre certainement pas dans ses buts de protéger un propriétaire enregistré contre ses propres obligations et encore moins contre sa propre fraude: voir l’art. 124.

L’article 124 de la Loi (il s’agit maintenant de l’art. 174) assure la protection contre la fraude

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dans les termes suivants (déjà cités dans sa version originale, alors l’art. 99):

[TRADUCTION] Sous réserve des dispositions de la présente loi relatives aux actes de disposition à titre onéreux enregistrés, tout acte de disposition d’un bien-fonds qui, en l’absence d’enregistrement, serait frauduleux et nul, le demeurera nonobstant l’enregistrement.

Après s’être référé à cette disposition, le juge Meredith a continué ainsi:

[TRADUCTION] En l’espèce, l’intimé prétend — et la chose est alléguée sans détours dans la défense du défendeur à l’action Sears — que l’appelant a acquis du propriétaire enregistré son titre sur le bien-fonds en question non seulement en pleine connaissance du droit antérieur que l’intimé avait de l’acquérir, mais sous réserve expresse de ce droit, et qu’il est substantiellement dans la même position que s’il avait consenti lui-même à le vendre à l’intimé. S’il en est ainsi, comment la Loi peut-elle empêcher l’exercice d’un tel droit? Si ce n’était de la mise en garde enregistrée, un transfert par l’appelant à un propriétaire enregistré subséquent conférerait à celui-ci un titre régulier en vertu de la Loi, mais pourquoi devrait-il, et comment pourrait-il, supprimer l’obligation de l’appelant tant que le titre demeure entre ses mains? Le but de la Loi est de protéger le propriétaire enregistré qui achète sur la foi du registre. Mais s’il faut une fraude pour réclamer un droit contre l’appelant, eu égard à la Loi, il est pour le moins raisonnable de se demander si l’enregistrement d’un transfert, effectué dans le but de faire échec à une obligation légale, serait, à rencontre de celui qui commet l’acte, une fraude en vertu de l’article que j’ai mentionné. Certes, je n’insinue pas que l’intimé sera capable de prouver ses prétentions. Il suffit de dire que ces prétentions sont raisonnables et soulevées de bonne foi et qu’elles sont l’objet d’une action pendante.

Ce que ce passage indique, c’est que les allégations contre Skill dépassaient la simple connaissance; qu’il était, en fait, partie à une entente selon laquelle tout titre qu’il acquerrait serait assujetti au droit antérieur de Thompson. Évidemment, c’était là une simple allégation; la chose restait encore à être jugée. Je pense que Magee on Land Titles (1940), à la p. 110, avait raison en substance de traiter Re Skill and Thompson comme déterminant l’étendue de la compétence du contrôleur des titres à l’égard d’une mise en garde enregistrée. Je ne considère donc pas que cet arrêt a

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posé en règle, que les cours d’instance inférieure seraient tenus de suivre, que la simple connaissance, par opposition à la fraude, aurait effet à l’encontre d’un titre enregistré.

L’arrêt Tew de 1914 est encore moins applicable aux questions soulevées par le présent pourvoi. Ce sur quoi l’on s’appuie, c’est sur l’affirmation générale suivante, faite par l’un des quatre juges siégeant en appel, le juge en chef Mulock de la Division de l’Échiquier (32 O.L.R., à la p. 265):

[TRADUCTION] La Land Titles Act traite simplement de la question de l’enregistrement et ne porte nullement atteinte aux droits que possède le propriétaire d’un bien-fonds, en vertu de la common law ou autrement, d’hypothéquer celui-ci par un acte qui n’est pas susceptible d’enregistrement en vertu de ladite loi. Étant cessionnaire sans contrepartie, l’appelante n’a acquis que les droits que pouvait lui transférer le débiteur hypothécaire, sous réserve, autrement dit, du privilège de la compagnie intimée: National Bank of Australasia v. Morrow (1887), 13 V.L.R. 2; Jellett c. Wilkie (1896), 26 R.C.S. 289.

Le litige était né de la réclamation d’un créancier hypothécaire qui invoquait un droit de préférence sur un syndic auquel le débiteur hypothécaire avait cédé ses biens postérieurement à l’hypothèque mais qui avait fait inscrire la cession au registre foncier. L’hypothèque avait été consentie conformément à la Short Forms of Mortgages Act et elle n’était pas, comme telle, susceptible d’inscription au registre foncier. Quand le créancier hypothécaire obtint un acte translatif de propriété régulier, la cession avait déjà été enregistrée. Le juge de première instance jugea que l’hypothèque devait avoir priorité, ce qui était de toute évidence bien fondé puisque le syndic n’était pas un acquéreur à titre onéreux qui pouvait se prévaloir de la protection du registre foncier. L’article 45 de la Loi (art. 94 actuel) prévoyait en effet que [TRADUCTION] «le transfert sans contrepartie d’un bien-fonds enregistré est assujetti, en ce qui concerne l’acquéreur, à tous droits, tenures, intérêts ou charges sous réserve desquels le cédant le détenait lui-même...». Le seul point de désaccord entre les quatre juges qui entendirent l’appel portait sur la forme du jugement à rendre pour que le redressement soit efficace à l’égard du créancier hypothécaire.

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Voilà pour la jurisprudence. La logique de la Land Titles Act est parfaitement claire. Si, comme son libellé l’indique, c’est le registre qui détermine la situation du titre, la connaissance actuelle devient alors sans importance à moins que l’effet en soit préservé, comme l’est la fraude et comme le sont certains autres droits ayant préséance. Dire que l’effet de la connaissance est censé être préservé parce qu’il n’est pas expressément exclu (comme il l’est par excès de prudence dans la législation adoptant le système Torrens) est une déclaration qui n’est pas moins une déclaration de principe que celle à laquelle je me rallie. La question est alors de déterminer quel principe est le plus compatible avec la Loi, dans son esprit comme dans sa lettre. On trouve un exposé de principe succinct dans le Rapport sur l’enregistrement de la Commission de réforme du droit de l’Ontario, publié en 1971, où le système d’enregistrement foncier est résumé en ces termes (à la p. 14):

[TRADUCTION] Le système de titres de biens-fonds a été créé en Ontario en 1885. Il s’agit essentiellement d’une homologation par la province de la propriété des biens-fonds. Des bureaux locaux ont été créés — il en existe 30 actuellement — et un dossier distinct de chaque parcelle régie par le système y est conservé. Le dossier contient une homologation de l’existence et du titulaire des droits — propriété absolue et charges, ainsi que certains baux et servitudes. Les droits dont l’existence et le titulaire ne sont pas homologués peuvent être protégés et garder leur priorité au moyen de l’enregistrement d’avis et de mises en garde.

Une recherche de titre consiste essentiellement à examiner le registre et, habituellement, certains documents auxquels il renvoie. Le système impose une surveillance administrative des transferts de propriété plus étendue que le système d’enregistrement d’actes, et les formules à utiliser obligatoirement sont précisées pour beaucoup de transactions. Si une homologation entraîne l’extinction d’un droit, le titulaire de celui-ci a droit à une indemnité payée à même un fonds créé à cet effet. Un droit qui ne figure pas au dossier est sans effet à l’encontre de l’acquéreur, à moins que celui-ci n’ait agi frauduleusement.

Lorsque la Land Titles Act a été introduite en Ontario, la province avait déjà l’expérience d’un système d’enregistrement d’actes dont le principe, clairement exprimé, était de donner priorité à l’en-

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registrement sous réserve de la connaissance actuelle du droit d’un tiers: voir la Registry Act, R.S.O. 1877, c. 111, art. 74, 78 et 80. Introduire la notion de connaissance actuelle dans un système d’enregistrement de titres de biens-fonds, en l’absence de réserve expresse à cet effet, revient à changer la nature fondamentale du système. Il est impossible, à mon avis, d’adhérer au principe de la primauté du registre et de le subordonner en même temps à la doctrine de la connaissance.

J’en viens maintenant au par. 85(5) auquel la Cour d’appel, dans la présente affaire, s’est référée dans ses motifs comme élément principal de sa décision. Cette disposition se lit comme suit:

[TRADUCTION] (5) Sous réserve de toute inscription contraire dans le registre et de la présente loi, les actes enregistrés concernant ou grevant le même droit de tenure ou autre sur la même parcelle de terrain enregistré prennent rang entre eux dans l’ordre où ils ont été inscrits dans le registre et, nonobstant toute connaissance actuelle ou présumée, par avis formel ou autrement, ils ont priorité selon la date de l’enregistrement

Je ne suis pas d’accord avec la Cour d’appel lorsqu’elle voit, dans cette disposition, une confirmation de la survivance de la connaissance comme exception au caractère absolu du registre (la fraude mise à part, bien entendu). La Cour fait reposer son opinion sur les mots «nonobstant toute connaissance actuelle ou présumée, par avis formel ou autrement» que l’on trouve au par. 85(5), mais je ne parviens pas à voir comment l’on peut conclure de l’inclusion expresse de ces mots que la connaissance actuelle d’un droit non enregistré produit encore des effets à l’encontre du titre qui figure au registre.

S’il s’agit d’une disposition de portée générale, elle s’oppose de toute évidence à ce que la connaissance d’un droit non enregistré restreigne la portée du titre figurant au registre. En considérant le par. 85(5) comme ayant une portée générale, je n’arrive pas à voir comment on peut l’interpréter comme privant d’effet la connaissance lorsque celle-ci porte sur le même droit que celui acquis à titre onéreux par une autre personne sur la foi du registre, et comme ne l’en privant pas lorsque le droit invoqué en dérive, comme c’est le cas en

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l’espèce. Le juge Arnup, dans les motifs concomitants qu’il a donnés en Cour d’appel, admet l’illogisme d’une situation où une personne se trouve, du fait de la connaisance, en meilleure position contre un acquéreur enregistré que si elle avait fait enregistrer son droit, mais il conclut que le législateur doit porter la responsabilité de ce résultat. Il me semble que c’est plutôt aux tribunaux de le faire, puisque c’est leur interprétation, qui n’a rien d’irrésistible, qui y conduit.

A mon avis, si l’on replace le par. (5) de l’art. 85 dans le contexte de l’article au complet, il est possible de l’expliquer, sans lui conférer une portée générale, tout en renforçant encore le caractère inattaquable du registre et du titre qu’il constate, réserve faite seulement des droits ayant préséance et de la fraude.

L’article 85 réglemente la procédure d’enregistrement ainsi que sa mise à exécution. Il commence par une disposition exigeant que le fonctionnaire ou employé présent note le jour, l’heure et la minute auxquels ont été reçus les actes présentés à l’enregistrement. Suivent les par. (2) et (3) que je reproduis en entier:

[TRADUCTION] (2) Sous réserve des règlements, tout acte reçu en vue de son enregistrement sera enregistré dans l’ordre de sa réception, à moins qu’avant que ne soit effectué son enregistrement, il n’ait été retiré ou que le contrôleur des titres compétent ne décide qu’il contient une erreur, omission ou lacune notable ou qu’il manque une preuve qu’il juge nécessaire ou que l’enregistrement doit être refusé pour une autre raison, et n’avise les parties ou leurs avocats en conséquence dans les vingt-et-un jours suivant la réception et ne leur accorde un délai de sept jours au moins et de trente jours au plus après la date de cet avis pour corriger l’erreur, l’omission ou la lacune ou pour fournir la preuve nécessaire; et, quand l’erreur, omission ou lacune a été corrigée ou la preuve fournie dans le délai fixé, l’acte a priorité comme s’il avait été régulier dès le début, mais, si l’erreur, omission ou lacune n’a pas été corrigée ou la preuve fournie dans le délai fixé ou si la personne qui désire l’enregistrement est déboutée de son appel de la décision, le contrôleur des titres compétent peut procéder à d’autres enregistrements sur le bien-fonds comme si l’acte n’avait pas été présenté à l’enregistrement et le contenu de l’acte ne sera pas censé avoir été porté à sa connaissance.

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(3) L’enregistrement d’un acte est complet dès lors que l’inscription au registre approprié et sa mention détaillée sur l’acte lui-même ont été signées par le contrôleur des titres compétent, son adjoint ou un fonctionnaire délégué, et le moment où l’acte a été reçu sera censé être celui de son enregistrement.

Ce que ces dispositions montrent, c’est que l’inscription dans le registre peut en fait avoir lieu quelque temps après la réception de l’acte présenté à l’enregistrement mais que, cependant, l’enregistrement prendra effet au moment de la réception de l’acte. Comme l’indique le par. 85(2), une inscription peut être suspendue en attendant la correction d’erreurs ou de lacunes dans l’acte concerné et avoir pourtant priorité sur la présentation dans l’intervalle d’un acte concurrent qui paraît régulier en la forme. Quand le par. (5) de l’art. 85 parle de priorité [TRADUCTION] «concernant le même droit de tenure ou autre sur la même parcelle de terrain enregistré» selon l’ordre d’inscription au registre, il vise les actes concurrents dans l’optique des dispositions des par. (2) et (3). Il me paraît être une redondance inutile, mais on pourrait estimer qu’il renforce la portée du par. 85(2) selon lequel, lorsqu’une erreur ou lacune est corrigée (par opposition au cas où elle ne l’est pas), l’acte présenté dans l’intervalle n’a pas priorité du seul fait qu’on en a eu connaissance avant que l’erreur ou la lacune ait été corrigée dans l’autre acte, même s’il a été passé le premier.

Je ne considère pas que le par. 85(5), vu son contexte, modifie l’effet des art. 52 et 91, pas plus que leur effet n’est modifié par les dispositions exceptionnelles du par. 157(3) de la Loi concernant les acquéreurs de biens-fonds mis en vente pour défaut de paiement de taxes. Il appert que la mention de la connaissance actuelle au par. 157(3), introduit par une modification législative de 1914 (Ont.), c. 24, art. 2, était destinée à créer un régime spécial pour les ventes pour taxes impayées en conformité avec la situation existant en vertu de la Registry Act, puisque la modification de 1914 se réfère à l’article pertinent de cette loi. La modification est discutée par Magee, Notice under the Ontario Land Titles Act (1933), 11 Can. Bar. Rev. 245, qui se réfère aussi au jugement du juge en chef [des common pleas] Meredith dans l’affaire Re Lord and Ellis[9], rendu

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peu avant l’adoption de la modification de 1914. Tout ceci mis à part, je ne vois guère que cette situation spéciale puisse dominer le principe fondamental de la Loi.

En somme, à mes yeux, il ressort très clairement des art. 78(1) et (2), 79(1), 91 et 94 de la Land Titles Act que la connaissance d’un droit non enregistré ne peut porter atteinte au titre enregistré d’un acquéreur à titre onéreux qui le tient d’un propriétaire enregistré et que cette conclusion est renforcée par l’art. 85 en général et par son par. (5) en particulier. En conséquence, je ferais droit au pourvoi, infirmerais les décisions des tribunaux d’instance inférieure et rejetterais la demande de Dominion Stores Limited, avec dépens en faveur de l’appelante dans toutes les cours.

Le jugement des juges Judson, Ritchie, Spence et Beetz a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario prononcé le 25 octobre 1974, par lequel elle a rejeté un appel d’un jugement prononcé par le juge Grant le 15 octobre 1973. L’intimée, Dominion Stores Limited, s’est adressée à la Cour suprême pour être relevée de la déchéance et obtenir la reconduction du bail qu’elle possédait sur certains locaux situés au 418 du chemin Spadina, dans la ville de Toronto, et pour obtenir une prolongation de son option de renouvellement dudit bail ainsi qu’une injonction ordonnant aux trois intimées de ne plus troubler la requérante dans l’exercice de son bail et de la convention relative à la prolongation de son option.

Le juge Grant releva la requérante, Dominion Stores Limited, de la déchéance de son bail et «ordonna et décida» qu’elle avait le droit d’exercer son option de renouvellement de bail jusqu’au 30 juin 1982.

Le juge Grant ordonna en outre à United Trust Company intimée de ne plus troubler Dominion Stores Limited dans sa possession des locaux susdits, tant que Dominion Stores Limited se conformerait aux conditions du bail.

Au début de l’audition, j’ai fait remarquer qu’aucune autorisation d’appeler n’avait été obtenue et qu’en conséquence, le pourvoi était régi par

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les dispositions de l’art. 36 de la Loi sur la Cour suprême, en vertu duquel il y avait, à l’époque pertinente, appel de plein droit sur une question qui n’était pas de pur fait, d’un jugement final de la plus haute cour de dernier ressort d’une province, dans tout procès où le montant ou la valeur du litige porté en appel dépassait $10,000. La décision du juge Grant, confirmée par la Cour d’appel, ne mentionne toutefois aucun montant d’argent, se contentant d’accorder l’injonction et la déclaration réclamées. L’avocat de l’appelante s’est appuyé sur l’affidavit d’un évaluateur, M. Grant Edwardh, selon lequel le loyer des locaux était de $2.18 le pied carré et le loyer rentable, au taux du marché, était de $6.25 le pied carré, soit une différence de $4.07 le pied carré par an. Rien qu’en un an, la différence entre le loyer stipulé au bail et le loyer rentable excéderait $10,000 et il aurait suffi que l’affidavit en question fût déposé avec l’avis d’appel pour que celui-ci satisfasse aux conditions que posait alors l’art. 36 de la Loi sur la Cour suprême. Dans ces circonstances, notre Cour a décidé que, si une permission d’appeler était nécessaire, elle devrait être accordée.

Dominion Stores Limited était locataire des locaux susdits depuis le 5 septembre 1935 en vertu d’un bail écrit et y avait exploité un supermarché aux conditions prévues par ledit bail et plusieurs renouvellements subséquents. En 1946, les intimées Geller et Granatstein devinrent propriétaires des locaux, réserve faite du bail. Le dernier renouvellement de bail avait eu lieu le 12 septembre 1967 et devait expirer le 30 novembre 1970. Ce renouvellement contenait, en faveur de Dominion Stores, une option de renouvellement de bail pour une période supplémentaire allant du 1er décembre 1970 au 30 novembre 1975, aux mêmes conditions, à l’exception du loyer qui passait à $475 par mois et sous réserve également de la clause usuelle relative à l’augmentation des taxes foncières. Dominion Stores exerça son option, en en donnant avis en bonne et due forme.

Désirant effectuer d’importantes réparations aux locaux et ouvrir un magasin d’épicerie fine à la place du supermarché, Dominion Stores Limited entra en pourparlers avec les propriétaires pour obtenir un bail à plus long terme. Les négociations

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durèrent de février 1971 jusqu’aux premiers mois de 1972.

Le 12 avril 1972, Dominion Stores Limited, sous la signature de son directeur des services immobiliers, un nommé J.A. Munro, écrivit à l’avocat des propriétaires pour confirmer l’entente verbale à laquelle ils en étaient prétendument arrivés auparavant. Je cite cette lettre en entier:

[TRADUCTION] Cher maître

Objet: 418, Spadina — Option de bail

Suite à notre discussion d’hier, veuillez trouver ci-jointe une copie de la lettre que nous avons reçue de la division des contrats de chez Simpsons établissant le coût des rénovations nécessaires pour rendre cet immeuble conforme aux règlements de la santé, de la construction, des incendies et du travail.

Le bail actuel de Dominion expire le 30 novembre 1975. Il est entendu que les propriétaires sont maintenant disposées à consentir une option à Dominion Stores Limited pour la période allant du 1er décembre 1975 jusqu’au 30 juin 1982, au même loyer et aux mêmes conditions que le bail actuel. Comme je vous l’ai indiqué, Dominion Stores Limited a l’intention de sous-louer les locaux dans les plus brefs délais possibles à Quintana Stores Limited.

Dès réception du consentement écrit de vos clientes à l’option du bail et à la sous-location proposée, nous demanderons à notre contentieux de rédiger les documents nécessaires en vue de leur signature. Nous vous saurions gré de bien vouloir étudier la question dans les meilleurs délais.

Le 20 avril 1972, l’avocat des propriétaires répondit à cette lettre en ces termes:

[TRADUCTION]

A l’attention de: M. J.A. Munro

Directeur des services immobiliers

Monsieur,

Objet: 418, Spadina — Option de bail

Nous accusons réception de votre lettre du 12 avril 1972 et désirons vous aviser que nos clientes seraient disposées à passer un contrat d’option avec votre compagnie pour la période s’étendant du 1er décembre 1975 jusqu’au 30 juin 1982, au même loyer et aux mêmes conditions que le bail actuel.

Il est bien entendu que le contrat d’option contiendra une clause selon laquelle votre compagnie devra effectuer sur l’immeuble des rénovations d’un montant minimum de $15,000, à défaut de quoi le contrat sera résolu. Il est également entendu que les rénovations devront être

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effectuées dans un délai raisonnable après la conclusion du contrat d’option.

Nous suggérons que vous rédigiez les documents nécessaires et, si la forme et le contenu nous conviennent, nous les soumettrons à nos clientes pour signature immédiate.

Le 28 avril 1972, Dominion Stores Limited, sous la signature de J. R. Morrison, avocat de son contentieux, écrivit de nouveau à l’avocat des propriétaires en ces termes:

[TRADUCTION] A l’attention de Me Lawrence S. Crackower

Objet: Votre dossier n° 72-10835

Molly Geller & Bella Granatstein

418, chemin Spadina, Toronto

Cher maître

Suite à votre lettre du 20 courant adressée à l’attention de M. J.A. Munro, veuillez trouver ci-joint le contrat d’option que nous avons préparé conformément à l’entente intervenue. S’il vous convient, nous vous serions obligés de bien vouloir le faire signer par vos clientes et de nous retourner les trois exemplaires pour les faire signer par Dominion Stores Limited. Nous vous retournerons ensuite un exemplaire complet et dûment signé.

Comme ce qui reste à courir du bail actuel et le renouvellement de bail totalisent plus de dix ans, nous souhaiterions peut-être enregistrer un avis de bail et nous vous serions très obligés de nous faire parvenir une description légale de l’immeuble ou, à défaut, les numéros de lot et de plan.

Veuillez agréer, cher maître, nos salutations distinguées.

J. R. Morrison

Avocat

Contentieux

Après avoir étudié attentivement la preuve et les documents que je viens de citer, ainsi que le droit applicable, le savant juge de première instance en arriva à la conclusion que, par la lettre du 20 avril 1972, une entente exécutoire de prolongation du bail jusqu’en 1982 avait été conclue. Il examina aussi ce qui se serait passé si sa conclusion était fausse et si l’interprétation correcte de l’échange de correspondance entre les parties était que l’entente entre elles était intervenue sous, réserve de la rédaction et de la signature d’un contrat recevant

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l’approbation des avocats des propriétaires. Il en vint de nouveau à la conclusion, après avoir étudié la preuve et la jurisprudence, que les avocats des propriétaires n’avaient pas agi judicieusement en l’espèce et qu’ils avaient retiré leur approbation de mauvaise foi. En conséquence, le savant juge de première instance prononça l’ordonnance que j’ai mentionnée plus haut et décida que Dominion Stores Limited avait le droit d’exercer son option de renouvellement de bail jusqu’au 30 juin 1982.

En appel, le juge Jessup disposa de cette question dans le court alinéa suivant:

[TRADUCTION] L’appelante prétend également que l’entente de prolongation de bail en question ici n’était qu’un avant-contrat, mais cela ne peut être honnêtement soutenu lorsque l’on tient compte de l’ensemble de la correspondance échangée par l’avocat des propriétaires et le locataire.

Quant au juge Arnup, il déclara dans son jugement:

[TRADUCTION] Le juge Grant a correctement tranché les autres points soulevés par l’appelante et mentionnés par le juge Jessup.

J’en suis arrivé à la conclusion que, sur ce point, le jugement du savant juge de première instance, confirmé par la Cour d’appel, est bien fondé et je ne vois guère ce que je pourrais ajouter à ses motifs bien pesés.

Il y a seulement un point débattu devant notre Cour qui mérite une mention particulière: l’entente conclue avec Dominion Stores Limited résulte d’une lettre des avocats des propriétaires et ces dernières n’ont, quant à elles, jamais rien signé; au surplus, s’il est vrai que les avocats sont, et étaient dans ce cas, autorisés à négocier le renouvellement éventuel du bail et les conditions de celui-ci, ils ne sont pas habilités à conclure le contrat de renouvellement. J’estime que les termes mêmes de la lettre du 20 avril que j’ai déjà citée indiquent clairement que les avocats avaient reçu des propriétaires des instructions pour conclure un nouveau bail aux conditions indiquées dans ladite lettre et qu’ils ne faisaient que suivre ces instructions et agissaient comme intermédiaires de leurs clientes.

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Cette requête a été présentée au juge Grant sur une preuve par affidavit. Il n’y a pas d’affidavit de l’une ou l’autre des intimées, Molly Geller et Bella Granatstein, pas plus qu’il n’y en a de l’un quelconque des avocats du cabinet qui agissait pour leur compte et qui écrivit la lettre du 20 avril. Dans ces conditions, je suis autorisé à conclure, comme l’ont fait les tribunaux d’instance inférieure, que la lettre du 20 avril a été écrite sur les instructions des clientes et qu’elle liait celles-ci comme si elles l’avaient signée elles-mêmes.

J’en viens maintenant à une question beaucoup plus difficile et, avant de l’aborder, je résume les faits dans leurs grandes lignes.

United Trust Company appelante avait négocié, avec les intimées Geller et Granatstein, l’achat des locaux connus sous le numéro civique 418, chemin Spadina et, le 17 mai 1972, elle leur fit une offre écrite d’achat. L’offre, acceptée le même jour par lesdites Geller et Granatstein, contenait la disposition suivante:

[TRADUCTION] Cette offre est faite sous condition que, dans les trente jours à compter de l’acceptation, l’acheteur obtienne de Dominion Stores Limited une renonciation à son bail permettant à l’acheteur de prendre pleinement possession des lieux lors du transfert de propriété. A défaut, l’acheteur pourra considérer la présente offre comme nulle et demander le remboursement immédiat et intégral de toutes les sommes déposées.

United Trust Company entra alors en pourparlers avec Dominion Stores Limited pour tenter d’obtenir de celle-ci qu’elle renonce à son bail et libère les lieux. Les pourparlers se poursuivirent jusque vers le 15 juin, date à laquelle deux avocats de United Trust eurent avec un administrateur et l’avocat de Dominion Stores Limited une rencontre que l’avocat de United Trust Company a décrite comme [TRADUCTION] «une tentative sincère de régler la question qui est maintenant devant la cour». Dans son affidavit, il ajoutait:

[TRADUCTION] 5. Il fut convenu que je discuterais avec ma cliente du montant du loyer qu’elle serait prête à accepter de Dominion Stores au cas où cette dernière lui louerait les locaux. Pour en arriver à un règlement M. Shaw accepta aussi que M. Morrison fixe le montant de

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l’indemnité que Dominion Stores accepterait pour la rembourser des dépenses qu’elle prétendait avoir engagées et l’indemniser de la perte des locaux.

Les représentants des deux parties se séparèrent là-dessus et il ne semble pas y avoir eu d’autres pourparlers, mais ce même 15 juin 1972, United Trust Company, et non pas son avocat, écrivit à mesdames Geller et Granatstein la lettre suivante:

[TRADUCTION]

Objet: 418, chemin Spadina, Toronto

Chère madame Geller, chère madame Granatstein.

La présente est pour vous confirmer que nous désirons renoncer à nos droits à l’égard de la condition posée dans l’entente intervenue entre United Trust Company et vous-mêmes le 17 mai 1972 et selon laquelle nous entendions obtenir de Dominion Stores Limited qu’elle libère l’immeuble.

En conséquence, nous avons donné instructions à nos avocats, Goodman & Goodman, de conclure la transaction.

Je profite de l’occasion pour vous remercier d’avoir bien voulu nous consentir une réduction du taux d’intérêt sur l’hypothèque à 8%.

Il est donc évident que, plutôt que de continuer à négocier avec Dominion Stores Limited, United Trust Company était prête à renoncer à la condition posée dans l’offre d’achat acceptée du 17 mai 1972 qui subordonnait le succès de la transaction à l’obtention d’une renonciation de Dominion Stores à son bail. L’alinéa final de cette lettre vaut également la peine d’être noté. L’offre d’achat que j’ai citée plus haut prévoyait un taux d’intérêt de 9 pour cent par an. Voyant qu’il n’allait pas lui être possible de prendre possession des lieux libres de tout bail, United Trust Company réussit à faire réduire de 1 pour cent l’intérêt annuel de l’hypothèque.

Ce n’est que le 25 mai 1972 que les avocats des intimées Geller et Granatstein répondirent en ces termes à la lettre précitée de Dominion Stores du 28 avril.

[TRADUCTION] A l’attention de: Me J. R. Morrison, Avocat, Contentieux

Cher maître,

[Page 946]

Suite à votre lettre du 28 avril et à notre récente conversation téléphonique avec M. Munro, nous vous avisons, selon les instructions que nous ont données nos clientes à cet effet, que celles-ci n’ont pas l’intention de signer les documents que vous nous avez envoyés, le soussigné ni nos clientes n’en approuvent la forme et le contenu.

En conséquence, nous vous retournons vos projets de contrat.

Bien que l’offre d’achat prévît que la transaction serait conclue «au plus tard le 31 juillet 1972», elle le fut le 21 juin 1972 entre les intimées Geller et Granatstein en qualité de vendeurs et United Trust Company en qualité d’acheteur. Le jour suivant, United Trust Company, sans en avoir avisé Dominion Stores Limited, fit mettre une nouvelle porte avec une nouvelle serrure aux locaux du 418, chemin Spadina et en interdit l’accès à Dominion Stores Limited, bien que celle-ci eût payé son loyer jusqu’au 30 juin 1972 inclusivement. Ce même 21 juin 1972, les avocats de United Trust Company écrivirent en ces termes à Dominion Stores Limited:

[TRADUCTION]

Objet: United Trust

418, chemin Spadina

Geller et Granatstein

Cher Nat:

Suite à notre réunion de jeudi dernier, nous avons rencontré les avocats des vendeurs pour essayer d’obtenir une prolongation du délai dans lequel devait être remplie la condition prévue au contrat, afin de nous permettre d’explorer davantage la possibilité d’un arrangement avec Dominion Stores Limited.

Les vendeurs ont refusé d’accorder un délai supplémentaire, si bien que notre cliente n’avait pas d’autre solution que de conclure la transaction, ce qui a été fait aujourd’hui. Cependant, je recommande à notre cliente de nous fournir les informations relatives à notre discussion de sorte que nous puissions, sans préjuger des droits des deux parties, tenter de régler cette question.

Le premier paragraphe de cette lettre est plutôt intéressant. Il se réfère en effet à une réunion de «jeudi dernier». Or le 21 juin était un mercredi. S’il en est ainsi, le jeudi précédent aurait été le 15, mais le 15 juin, United Trust Company écrivait à mesdames Geller et Granatstein pour renoncer à la

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condition qui lui donnait le droit d’obtenir de Dominion Stores une renonciation à son bail avant d’être obligée de conclure la transaction et d’acheter les locaux. On ne voit guère ce qui aurait pu être négocié à la date indiquée dans la lettre, si ce n’est une réduction de coût en faveur de United Trust Company et, de fait, cela fut négocié avec succès, puisque le taux d’intérêt fut réduit. Ce rabais s’explique évidemment si l’on prend pour acquis que United Trust, en devenant propriétaire des locaux, allait devoir honorer le bail et c’est bien ainsi que l’entendaient les avocats des intimées Geller et Granatstein lorsque, le 19 Juin 1972, ils écrivirent notamment ceci aux avocats de United Trust Company:

[TRADUCTION] Votre cliente ayant maintenant accepté de renoncer à la condition posée dans le contrat de vente, il semble maintenant qu’elle ait accepté d’assumer les obligations du bail à l’égard de Dominion Stores Limited.

[C’est moi qui souligne.]

Le 7 juillet 1972, les avocats de Dominion Stores Limited remirent aux avocats de United Trust Company une lettre mettant celle-ci en demeure de rendre la possession des lieux et, le 10 juillet 1972, les mêmes avocats de Dominion Stores Limited remirent à ceux de United Trust Company une lettre contenant un chèque daté du 7 juillet 1972. Le chèque fut retourné. En conséquence, Dominion Stores Limited entama les présentes procédures.

Le titre de propriété sur les locaux du 418, chemin Spadina, à Toronto, est régi par les dispositions de la Land Titles Act, R.S.O. 1970, c. 234, modifié par les Lois de l’Ontario de 1972, cc. 1 et 132, et de 1973, c. 39.

L’appelante, United Trust Company, admet qu’elle avait pleinement connaissance du bail consenti sur les locaux à Dominion Stores Limited intimée et elle ne pouvait guère prétendre le contraire, puisque ses administrateurs avaient entrepris de longues négociations avec ceux de Dominion Stores Limited pour essayer d’obtenir que cette dernière renonce à son bail et que l’offre d’achat faite par United Trust Company appelante aux intimées Geller et Granatstein était subordonnée à l’origine à l’obtention d’une telle renonciation.

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L’appelante prétend toutefois qu’en vertu des dispositions de la Land Titles Act, le bail de Dominion Stores Limited n’ayant jamais été enregistré contre le titre de propriété conformément à ces dispositions, l’acheteur a acquis ce dernier libre de toutes charges résultant de ce bail. Cela revient à dire, tout uniment, qu’en vertu de la Land Titles Act et en l’absence de fraude, la charge résultant d’un acte non enregistré dont un acquéreur à titre onéreux a eu la connaissance actuelle, est inopposable à ce dernier.

Il faut d’abord noter qu’en vertu des dispositions expresses de l’art. 51(1), al. 4, de la Land Titles Act, tout bail venant à expiration dans un délai de moins de trois ans est protégé malgré le défaut d’enregistrement: le titre de propriété est assujetti à un tel bail, lequel doit être censé, pour les fins de la Loi, ne pas être une charge et, en conséquence, ne pas nécessiter un enregistrement. Comme l’a souligné le juge Grant, le bail de Dominion Stores Limited, réserve faite de tout droit ou option de prolongation, n’expirait que le 30 novembre 1975 et United Trust Company a conclu la vente avec les intimées Geller et Granatstein le 21 juin 1972, soit plus de trois ans avant le terme. Il en résulte que le bail n’était pas protégé par les dispositions de l’art. 51(1).4.

A l’appui de ses prétentions, l’appelante invoque les dispositions des art. 52, 75, 78, 79, 85(5), 91 et 115(5) de la Land Titles Act. L’article 52 vise un premier enregistrement et n’a pas d’application dans le présent pourvoi. Je reproduis les autres articles cités par l’appelante:

[TRADUCTION] 75. (1) Aucune personne, autre que le propriétaire enregistré, ne peut, par acte de disposition enregistré, transférer ou grever des biens-fonds détenus en pleine propriété ou à bail.

(2) Sous réserve du maintien de la tenure et des droits du propriétaire enregistré, une personne qui a un droit suffisant de tenure ou autre sur un bien-fonds peut constituer des droits de tenure et autres de la même manière qu’elle pourrait le faire si le bien-fonds n’était pas enregistré.

78. (1) Toute personne ayant un titre légitime à des droits de tenure ou autres non enregistrés sur un bien-fonds enregistré ou qui y possède un intérêt, peut proté-

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ger lesdits droits contre tout acte du propriétaire enregistré en faisant inscrire dans le registre tous avis, mises en garde, interdictions ou réserves autorisés par la présente loi ou le directeur de l’enregistrement.

(2) Lorsqu’un avis, mise en garde, interdiction ou réserve est enregistré, tout propriétaire enregistré du bien-fonds ainsi que toute personne qui tient un titre de lui, à l’exception des détenteurs de charges enregistrées avant l’enregistrement de cet avis, mise en garde, interdiction ou réserve, sont censés être touchés par l’avis de tous droits de tenure ou autres non enregistrés qui y sont mentionnés.

79. (1) Nul, en dehors des parties intéressées, n’est présumé avoir une connaissance quelconque du contenu d’un acte, à part celui qui est indiqué sur le registre existant du titre de la parcelle de terrain, ou qui a été dûment inscrit sur les registres tenus par le bureau aux fins d’enregistrer les actes reçus, ou qui est en voie d’enregistrement.

(2) Aux fins du paragraphe 1, le registre des routes mentionné à l’alinéa c de l’article 182 est censé être un livre tenu pour l’inscription d’actes instrumentaires.

(3) Sous réserve des règlements, le registre de la Trans-Canada Pipe Line créé en vertu de l’alinéa c de l’article 182 est censé, pour les fins de la présente loi, être un registre des titres de propriété ou des autres droits sur des biens-fonds, y compris des servitudes, détenus par la Trans-Canada Pipe Lines Limited.

85. (5) Sous réserve de toute inscription contraire dans le registre et de la présente loi, les actes enregistrés concernant ou grevant le même droit de tenure ou autre sur la même parcelle de terrain enregistré prennent rang entre eux dans l’ordre où ils ont été inscrits dans le registre et non dans l’ordre où ils ont été passés et, nonobstant toute connaissance actuelle ou présumée, par avis formel ou autrement, ils ont priorité selon la date de l’enregistrement.

91. Lorsqu’il est enregistré, le transfert à titre onéreux d’un bien-fonds enregistré avec un titre exclusif confère à l’acquéreur une tenure en propriété absolue sur le bien-fonds transféré, ainsi que tous droits, privilèges et dépendances, sous réserve

a) des charges, s’il en est, inscrites ou notées au registre; et

b) des obligations, droits et intérêts, s’il en est, déclarés ne pas être des charges pour les fins de la présente loi, à moins que le contraire ne soit exprimé au registre,

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et de tous droits, privilèges et dépendances, sous réserve également de toutes réserves, restrictions ou charges auxquelles ils sont déclarés assujettis dans le registre ou, quand de tels droits, privilèges et dépendances ne sont pas enregistrés, sous réserve de toutes réserves, restrictions ou charges auxquelles ils sont assujettis au moment du transfert, mais libres de toutes tenures et autres droits quels qu’ils soient, y compris les tenures et autres droits de Sa Majesté, qui relèvent de la compétence législative de l’Ontario.

115. (1) Un locataire ou une autre personne ayant un titre légitime ou un intérêt dans un bail ou contrat en vue d’une cession à bail d’un bien-fonds enregistré peut s’adresser au master ou contrôleur des titres compétent afin de faire enregistrer l’avis de bail ou de contrat de la manière prescrite.

Je reviendrai plus loin sur ces articles.

L’appelante soutient que l’adoption par la province de l’Ontario du système Torrens d’enregistrement de titres de biens-fonds a rendu applicable à cette province la théorie principale de ce système, à savoir l’autorité absolue du registre, et que l’effet d’un tel principe est que la connaissance actuelle, si clairement prouvée soit-elle tant que les charges ne figurent pas au registre, n’affecte pas le titre clair de l’acquéreur à titre onéreux. Je suis disposé à admettre que c’est là le principe fondamental du système Torrens, tel que de nombreux auteurs, qu’il ne me paraît pas nécessaire de citer, l’ont exprimé.

Le système d’enregistrement Torrens a été conçu par un nommé Robert Torrens d’Australie‑Méridionale et, grâce à sa persévérance, une loi renfermant les principes de son système d’enregistrement de titres de biens-fonds a été passée en Australie-Méridionale en 1857. Des lois analogues, fondées sur les mêmes principes et utilisant la même technique, ont été successivement et rapidement passées au Queensland en 1861, en Tasmanie, en Victoria et en Nouvelles-Galles du Sud en 1862, en Nouvelle-Zélande en 1870, et en Australie-Occidentale en 1874. Le système a gagné le Canada et une loi semblable a été passée dans la Colonie de l’île de Vancouver en 1861, puis dans la province de la Colombie-Britannique en 1869. La Land Titles Act de l’Ontario a été passée en

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1885. A cette époque, la Législature de l’Ontario avait devant elle, comme modèles, tous les textes législatifs antérieurs que je viens d’énumérer. Toutes ces lois contenaient une disposition expresse selon laquelle la connaissance actuelle ne pouvait avoir pour effet de grever le titre enregistré.

Les Land Titles Acts passées postérieurement en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba contenaient une disposition semblable. En Ontario, il n’en a rien été. Dominion Stores Limited intimée soutient que cette omission est cruciale et ne peut certainement pas être considérée comme un accident.

L’avocat de Dominion Stores Limited soutient, et je suis d’accord avec lui, que la jurisprudence volumineuse citée par l’avocat de l’appelante à l’appui de la thèse selon laquelle la connaissance actuelle est sans effet, certaines affaires présentant une similitude presque parfaite avec la présente, provient de ressorts dans lesquels existent des dispositions législatives expresses en ce sens et qu’en conséquence, elle ne peut servir à trancher la situation en Ontario où de telles dispositions sont absentes. J’ai lu la jurisprudence citée par l’appelante et effectivement, clans chacune de ces affaires, on se réfère expressément à de telles dispositions. A titre d’exemple, on peut citer les dispositions de l’art. 203 de The Land Titles Act de 1’Alberta, R.S.A. 1970, 198:

[TRADUCTION] 203. Sauf en cas de fraude, aucune personne qui contracte ou traite avec le propriétaire d’un bien-fonds au nom duquel a été accordé un certificat de propriété ou qui en fait ou se propose de s’en faire consentir une cession, une hypothèque, une charge ou un bail, ne sera tenue de quelque façon de s’informer ou de s’assurer des circonstances ou de la cause pour lesquelles le propriétaire ou tout propriétaire antérieur du bien-fonds est ou a été enregistré ni de s’enquérir de l’emploi de tout ou partie du prix d’achat; pas davantage n’est-elle affectée par la connaissance directe, implicite ou présumée qu’elle peut avoir de toute fiducie ou droit non enregistré sur le bien-fonds, nonobstant toute règle de droit ou d’equity contraire, et le fait qu’elle connaisse l’existence d’une fiducie ou d’un droit non enregistré ne sera pas en soi imputé comme fraude.

[R.S.A. 1955, c. 170, art. 203]

[Page 952]

Il n’est pas douteux que lorsque la loi applicable contient de telles dispositions, il en résulte que les charges non enregistrées ne sauraient en aucune manière grever le titre de l’acquéreur à titre onéreux.

Dans Waimiha Sawmilling Company Limited v. Waione Timber Company Limited[10], lord Buck-master déclarait à la p. 106:

[TRADUCTION] Le premier de ces articles prévoit en termes clairs que, sauf en cas de fraude, le propriétaire enregistré d’un bien-fonds le détient libre de tout ce qui n’est pas inscrit dans le registre, sous réserve de trois exceptions dont aucune ne s’applique ici; tandis que l’art. 197 déclare expressément que la connaissance de l’existence d’un droit non enregistré ne sera pas, en elle-même, imputée comme fraude.

[Les italiques sont de moi.]

et adoptait la définition de la «fraude» donnée par lord Lindley dans Assets Co. c. Mere Roihi et autres[11], à la p. 210:

[TRADUCTION]… ce que l’on entend par fraude dans ces lois, c’est une fraude réelle, c.‑à‑d. une malhonnêteté quelconque et non ce que l’on appelle la fraude présumée ou «équitable» — expression malheureuse et très trompeuse mais que l’on emploie souvent, faute de mieux, pour qualifier des transactions qui, en equity, entraînent des conséquences semblables à celles qui découlent de la fraude.

En Ontario, toutefois, quelques années seulement après que la Land Titles Act a été passée, les tribunaux ont exprimé leur répugnance à admettre une telle disparition de la doctrine de la connaissance actuelle. Il ne fait aucun doute que cette doctrine, qui s’étend à toutes les relations contractuelles et au droit des biens en particulier, est solidement implantée dans notre droit depuis les débuts de l’equity. Ces tribunaux ont donc estimé, et c’est également mon point de vue, qu’en l’absence de dispositions législatives parfaitement claires et dépourvues d’équivoque, un principe aussi fondamental du droit des biens ne peut pas être considéré comme abrogé. De telles dispositions, comme je l’ai indiqué, figurent en effet dans toutes les autres lois citées par l’appelante.

[Page 953]

Le point de vue des tribunaux ontariens a été exprimé par le juge Meredith dans Re Skill and Thompson[12]. Il s’agissait d’un contrôleur des titres qui avait rendu une ordonnance dans laquelle il refusait de rayer du registre une mise en garde enregistrée par une personne qui poursuivait en vertu d’une promesse de vente obtenue de l’ancien propriétaire du bien-fonds. En dépit de la promesse que détenait la personne en question, ce dernier avait vendu à un tiers qui était devenu propriétaire enregistré. Le juge Riddell fit droit à l’appel de la décision du contrôleur des titres et ordonna la radiation de la mise en garde. Thompson fit appel à la Cour divisionnaire composée du juge en chef [des common pleas] Meredith et des juges Anglin et Mabee. Le juge Mabee rédigea les motifs de la Cour divisionnaire, infirmant la décision du juge Riddell. Skill s’adressa alors à la Cour d’appel composée du juge en chef Moss et des juges Osier, Garrow et Maclaren. En Cour d’appel, seul le juge Meredith traita de la question et son exposé a toujours été cité depuis comme exprimant la position de l’Ontario sur l’effet de la connaissance actuelle. Le voici:

[TRADUCTION] Le juge d’appel MEREDITH: La Land Titles Act n’est pas une loi abolissant le droit des biens immobiliers; elle est, à cet égard, beaucoup plus inoffensive qu’on ne semble parfois l’imaginer dans certains milieux, à tout le moins quand on se laisse aller à prendre ses désirs pour des réalités. C’est une loi destinée à simplifier les titres de propriété et à faciliter les transferts de biens-fonds; et il n’est pas douteux que lorsqu’on sera plus familier avec elle, bon nombre d’idées fausses sur son caractère révolutionnaire tendront à disparaître. Son principal objet est de garantir le titre de celui qui achète d’un propriétaire enregistré; mais il n’entre certainement pas dans ses buts de protéger un propriétaire enregistré contre ses propres obligations et encore moins contre sa propre fraude.

Quelques années plus tard, en 1914, dans John Macdonald & Co. Limited v. Tew[13], le juge en chef Mulock de la Division de l’Échiquier déclara à la p. 265:

[TRADUCTION] La Land Titles Act traite simplement de la question de l’enregistrement et ne porte nullement atteinte aux droits que possède le propriétaire du bien-fonds, en vertu de la common law ou autrement, d’hypo-

[Page 954]

théquer celui-ci par un acte qui n’est pas susceptible d’enregistrement en vertu de ladite loi. Étant cessionnaire sans contrepartie, l’appelante n’a acquis que les droits que pouvait lui transférer le débiteur hypothécaire, sous réserve, autrement dit, du privilège de la compagnie intimée: National Bank of Australasia v. Morrow (1887), 13 V.L.R. 2; Jellett c. Wilkie (1896), 26 R.C.S. 289.

Bien sûr, il est vrai que dans cette affaire le juge en chef Mulock traitait, comme il l’a dit, d’une personne qui, en tant que syndic, n’était pas un acquéreur à titre onéreux, mais son exposé des effets de la Land Titles Act sur le droit qu’a le propriétaire d’un bien-fonds, en common law, de l’hypothéquer ou de le louer, est une indication de la position des tribunaux ontariens.

Une autre décision ontarienne à laquelle je veux me référer est Re Jung and Montgomery[14]. Dans cette affaire, le juge de cour de district Duranceau avait à étudier la demande de mise en possession d’un propriétaire. Le propriétaire et un locataire avaient été tous les deux locataires de lots contigus détenus en vertu de la Land Titles Act. Puis le propriétaire a acheté le lot qu’il louait antérieurement ainsi que celui qui était loué par Montgomery. Le bail de Montgomery, y compris l’option de renouvellement, couvrait plus de trois ans. Jung, le nouveau propriétaire enregistré, avait pleine connaissance du bail de Montgomery au moment où il avait acheté le bien-fonds à l’ancien propriétaire. Après la conclusion de la transaction, Jung avait continué à accepter le loyer que lui versait Montgomery mais, plus tard, il demanda à être mis en possession. Ce dernier fait, à mon avis, aurait pu suffire à résoudre l’affaire, au motif que Jung avait accepté Montgomery comme locataire et avait pris son bail en charge. Toutefois, le savant juge de cour de district ne fit mention de cet argument qu’à la fin de ses motifs et consacra la majeure partie de ceux-ci à l’étude de la question de savoir si la connaissance actuelle que Jung avait du bail de Montgomery avant d’avoir conclu l’achat avait eu pour effet de lui faire acquérir un titre grevé du bail de Montgomery. Il jugea qu’il en était ainsi, en se fondant en particulier sur les arrêts Skill and Thompson et Macdonald v. Tew

[Page 955]

que j’ai cités ci-dessus. Jung en appela à la Cour d’appel, dont la décision est rapportée en ces termes dans le recueil:

[TRADUCTION] La Cour a rejeté l’appel aussitôt après avoir entendu la plaidoirie de l’appelant et a exprimé oralement son accord avec 3e jugement porté en appel.

On trouve une note semblable dans 1955 O.W.N., à la p. 936.

Peu après, en 1960, la Land Titles Act a été modifiée pour y ajouter le par. 54(5). Cette modification se retrouve maintenant au par. 85(5) de la Land Titles Act que j’ai cité plus haut.

Dans Pitcher v. Shoebottom[15], le juge Lieff avait devant lui le cas d’un demandeur qui avait conclu une entente verbale avec le défendeur pour acheter certains lots à celui-ci. Antérieurement, le défendeur était entré en relation avec un agent immobilier dans le but de vendre son terrain. Les efforts de cet agent ont abouti à un accord entre le défendeur et un nommé Block, portant sur la vente d’une partie des terrains en novembre 1960. Cette transaction fut conclue en 1960. Le demandeur intenta une action contre le défendeur en exécution intégrale de l’entente intervenue en 1958, en se fondant sur l’arrêt Jung and Montgomery, précité. Le défendeur invoqua les dispositions de ce qui est maintenant le par. 85(5) de la Land Titles Act. Le juge Lieff déclara à la p. 112:

[TRADUCTION] AU moment où ont été passés les contrats de vente, il ne semble pas y avoir de doute que la connaissance actuelle d’un droit non enregistré suffisait à mettre en échec la priorité invoquée par un acheteur enregistré sur ce droit non enregistré. Que telle ait été la situation au moment où les accords ont été passés, cela est démontré par l’arrêt Re Jung and Montgomery, [1955] O.W.N. 931, [1955] 5 D.L.R. 287, où la Cour d’appel a rejeté un appel d’un jugement du juge de cour de district Duranceau, pour les motifs donnés par celui-ci.

La compagnie défenderesse prétend que la Land Titles Amendment Act [par. 85(5) actuel] a pour effet d’éliminer de la Land Titles Act la doctrine de la connaissance actuelle. S’il en est ainsi, et le droit applicable en l’espèce est la loi modifiée puisque sa date de mise en vigueur est le 1er janvier 1960, cela réglerait nécessaire-

[Page 956]

ment la question en ce qui concerne la doctrine de la connaissance actuelle.

Le juge Lieff n’estima cependant pas utile de trancher ce point car il jugea qu’en fait, l’acheteur n’avait pas eu connaissance du droit non enregistré.

Dans la présente affaire, les juges Jessup et Arnup, dans les motifs qu’ils ont donnés pour la Cour d’appel, ont tous les deux étudié le par. 85(5), comme l’avait fait le juge Grant lors de l’audition de la requête. Le juge Jessup a estimé qu’en édictant le par. 85(5), la Législature avait révélé l’intention de la Loi et que cette intention était celle exprimée dans la décision Re Jung and Montgomery:

[TRADUCTION] Le paragraphe n’a pas pour objet l’abrogation générale du droit établi dans l’arrêt Re Jung et n’a donc pas été édicté simplement dans un tel but.

A l’appui de sa conclusion, le juge Jessup a en outre souligné que le par. 85(5) traitait des [TRADUCTION] «actes enregistrés concernant ou grevant le même droit de tenure ou autre sur la même parcelle de terrain enregistré» alors qu’en l’espèce, on avait affaire à une tenure libre chez l’acheteur, United Trust Company, et à une tenure à bail chez Dominion Stores Limited.

Dans ses motifs, le juge Arnup a répondu à l’argument en ces termes:

[TRADUCTION] L’appel se réduit à la question de savoir si la mise en vigueur du par. 85(5), en 1960, a changé le droit en abolissant la doctrine de la connaissance actuelle. Si telle a été l’intention du législateur, la modification a été placée dans un endroit très bizarre, eu égard au contexte des par. (1) à (4) de l’art. 85.

Avec égards, je suis complètement d’accord avec ce commentaire. Il est difficile de comprendre pourquoi la Législature, ayant devant elle une décision confirmée en Cour d’appel selon laquelle la connaissance actuelle avait encore pour effet, en Ontario, de grever la tenure d’un détenteur de titre enregistré, aurait cherché à éliminer une telle solution en adoptant un paragraphe dans un article portant sur des détails d’enregistrement, alors que cela pouvait se faire de façon appropriée en modifiant carrément l’art. 52 relatif au premier enregis-

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trement ou l’art. 91 relatif aux transferts subséquents. C’était la démarche à suivre, comme l’indiquent beaucoup d’autres Land Titles Acts provinciales. De nouveau, je suis d’accord avec le juge Arnup lorsqu’il dit qu’on ne doit conclure à une modification du droit des biens immobiliers par le législateur que lorsqu’une telle modification a été faite en termes clairs ou appropriés.

Le juge Arnup a estimé que le par. 85(5) s’appliquerait entre actes enregistrés même si l’un de ceux-ci consistait en un transfert de tenure libre et l’autre en un bail, son avis étant que celui-ci affectait celui-là, mais a jugé qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur ce point. Compte tenu de son point de vue qu’avec égards je partage, le par. 85(5) n’a pas modifié l’état du droit exprimé dans Re Jung and Montgomery.

Je suis d’accord avec les motifs exprimés en ce sens en Cour d’appel par les juges Jessup et Arnup et je n’ai donc pas à considérer la question de savoir si, dans les circonstances du présent pourvoi que j’ai relatées de façon assez détaillée plus haut, on pourrait conclure à une fraude de la part de l’appelante.

Dans l’affaire Zbryski v. City of Calgary[16], le juge Farthing avait devant lui des circonstances qui, quoique non identiques aux présentes, avaient substantiellement la même teneur. Il a jugé qu’elles constituaient une fraude caractérisée à l’endroit du détenteur du droit non enregistré, mais il ne l’a fait qu’après un procès et après les dépositions orales des témoins et leurs longs contre-interrogatoires.

Le présent pourvoi a son origine dans une requête pour être relevé de déchéance et obtenir une injonction. La requête a été examinée en se fondant sur une preuve et des documents établis sous serment et les interrogatoires sur ceux-ci n’ont fait l’objet que d’une transcription limitée. La requête elle-même ne contenait aucune allégation de fraude. A mon avis, le principe bien établi selon lequel la fraude doit être expressément alléguée et strictement prouvée ne justifierait pas, avec un dossier de cette sorte, de conclure à la

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fraude et, en conséquence, je ne suis parvenu à aucune conclusion sur la question de savoir si Dominion Stores Limited aurait pu avoir gain de cause en se fondant sur la fraude réelle.

Pour les motifs que je viens d’exprimer, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de confirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef LASKIN dissident.

Procureurs de l’appelante: Goodman & Goodman, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Fraser & Beatty, Toronto.

[1] (1973), 6 O.R. (2d) 199.

[2] (1974), 2 O.R. (2d) 279.

[3] [1962] Qd. R. 498.

[4] [1926] A.C. 101.

[5] [1905] A.C. 176.

[6] [1955] 5 D.L.R. 287.

[7] (1908), 17 O.L.R. 186.

[8] (1914), 32 O.L.R. 262.

[9] (1914), 30 O.L.R. 582.

[10] [1926] A.C. 101.

[11] [1905] A.C. 176.

[12] (1908), 17 O.L.R. 186.

[13] (1914), 32 O.L.R. 262.

[14] [1955] 5 D.L.R. 287.

[15] [1971] 1 O.R. 106.

[16] (1965), 51 D.L.R. (2d) 54.


Parties
Demandeurs : United Trust
Défendeurs : Dominion Stores et al.
Proposition de citation de la décision: United Trust c. Dominion Stores et al., [1977] 2 R.C.S. 915 (5 octobre 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-10-05;.1977..2.r.c.s..915 ?
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