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29/04/1977 | CANADA | N°[1978]_1_R.C.S._731

Canada | Aetna Insurance Co. et autres c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731 (29 avril 1977)


Cour suprême du Canada

Aetna Insurance Co. et autres c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731

Date: 1977-04-29

Aetna Insurance Company et autres Appelantes;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1976: 15 et 16 décembre; 1977: 29 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

Cour suprême du Canada

Aetna Insurance Co. et autres c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731

Date: 1977-04-29

Aetna Insurance Company et autres Appelantes;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1976: 15 et 16 décembre; 1977: 29 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli

Analyses

Droit criminel - Infractions commerciales - Complot pour diminuer indûment la concurrence - Éléments de l’infraction - Recevabilité de la preuve sur l’intérêt général - «Indu», «Indûment» - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, art. 32(1)c).

Les appelantes, 73 compagnies d’assurance, ont été accusées de complot en vue de diminuer indûment ou empêcher la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie sur des biens situés en Nouvelle-Écosse en contravention à l’al. 32(1)c) (abrogé et remplacé par 1974-75 (Can.), c. 76, par. 14(1)) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23. Les appelantes sont toutes membres du Nova Scotia Board of Underwriters (le Conseil) et délivraient des polices d’assurance à des taux fixés par le Conseil. Il existait dans la province d’autres grandes compagnies d’assurance qui n’étaient pas affiliées au Conseil et ne suivaient pas les taux fixés par ce dernier. La question est de savoir si les appelantes étaient parties à une entente destinée à empêcher ou diminuer la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie en général dans toute la province et si cette entente était indue et par conséquent interdite par l’article en question. Les appelantes ont été acquittées au procès, mais la Division d’appel a infirmé le verdict, inscrit une déclaration de culpabilité et imposé des amendes se chiffrant au total à $339,700.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Judson et Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz: La seule question est de savoir si l’entente a été conclue pour empêcher ou diminuer «indûment» la concurrence. Le fait qu’une entente ait existé pour prévenir ou diminuer la concurrence ne constitue pas en soi une infraction aux termes de l’article. Le caractère illégal de l’entente réside dans le fait que la suppression ou la diminution est indue. C’est seulement en évaluant ce qui résulterait de l’application de l’entente que l’on peut mesurer ce caractère indu. Le juge de première instance

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a donc entendu, à bon droit, des témoignages sur l’entente sur la libre concurrence dans le commerce de l’assurance. La preuve montre que le Conseil, pour établir ses taux, prenait toujours en considération la concurrence des compagnies non-membres du Conseil; qu’une grande compagnie internationale pouvait faire affaire en Nouvelle-Écosse en payant un permis; que la part du marché occupée par les compagnies non-membres du Conseil a augmenté durant la période en question, et particulièrement pendant les années soixante visées dans les accusations. Une preuve substantielle venait donc appuyer l’opinion du juge de première instance selon laquelle la concurrence n’était pas étouffée par les activités du Conseil. La majorité de la Cour d’appel n’était pas fondée à conclure que chaque fois qu’il est démontré qu’un «secteur considérable de l’industrie de l’assurance» est impliqué dans une entente celle-ci devient «indue». L’accusation portée en l’espèce est relative à l’ensemble de l’industrie de l’assurance-incendie dans la province et il ne suffit pas de prouver qu’un groupe particulier au sein de l’industrie s’est concerté pour se soumettre à des tarifs édictés par le Conseil.

Le juge en chef Laskin et les juges Judson et Spence, dissidents: C’est à bon droit que l’appel du ministère public a été interjeté devant la Division d’appel en vertu de l’al. 605(1)a) du Code criminel sur des erreurs de droit au procès a) sur le sens du mot «indûment» à l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et b) l’admission, malgré l’objection du ministère public, de preuves invoquées par la défense et destinées à montrer que le public a tiré un bénéfice de ce que les accusées avaient comploté d’accomplir. Pour interpréter le mot «indûment» le juge du procès s’estimait tenu de se demander «si, oui ou non, il y a eu une quelconque diminution de la concurrence». Ceci ne tient pas compte du fait qu’il s’agit d’une accusation de complot et il n’est pas nécessaire de prouver que la concurrence a été en fait indûment diminuée pour qu’il y ait infraction. L’infraction existe s’il y a complot ayant pour objet la diminution immodérée de la concurrence. L’effet importe peu si l’objet est illégal. En outre, le juge du procès a eu tort d’admettre la preuve relative à l’avantage conféré au public. Il a également commis une erreur en faisant la remarque que les appelantes n’avaient pas voulu que leur entente ait pour effet de les soustraire virtuellement à l’influence de la libre concurrence. La mens rea, en l’espèce, était l’intention des appelantes de conclure l’entente. Les faits établissent sans conteste la portion du marché qui était aux mains du Conseil et il n’était pas nécessaire d’examiner ce qu’aurait été la situation s’il n’en avait eu qu’une très

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petite partie. Le ministère public n’était pas tenu d’établir l’existence d’un monopole ou d’un monopole virtuel, comme semblait le penser le juge du procès.

[Arrêts mentionnés: Howard Smith Paper Mills Limited et al. c. R., [1957] R.C.S. 403; Weidman et al. c. Shragge (1912), 46 R.C.S. 1; Stinson-Reeb Builders Supply Co. Ltd. et al. c. R., [1929] R.C.S. 276; Container Materials Ltd. et al. c. R., [1942] R.C.S. 147.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse[1], accueillant un appel interjeté par le procureur général du Canada d’un jugement du juge Hart, au procès, où il a imposé un verdict de non culpabilité sur une accusation portée contre soixante-treize compagnies d’assurance en vertu de l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, modifiée. Pourvoi accueilli, jugement de première instance rétabli, le juge en chef Laskin et les juges Judson et Spence étant dissidents.

R.F. Wilson, c.r., et R.J. Downie, c.r., pour les appelantes.

Keith Eaton, c.r., pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Judson et Spence a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Le présent pourvoi soulève des questions fondamentales touchant notre droit des coalitions illégales et a des ramifications qui vont au-delà des faits de l’espèce. L’appel interjeté par le ministère public contre l’acquittement des diverses accusées poursuivies en vertu de l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, a été accueilli par un jugement majoritaire de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, au motif que le juge de première instance, qui siégeait sans jury, avait commis une erreur de droit, et une condamnation a été prononcée, fondée sur les conclusions de fait du juge de première instance. En formant un pourvoi devant cette Cour, on a notamment prétendu que l’appel à la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ne soulevait pas une question de droit au sens de l’al. 605(1)a) du Code criminel. S’il en était ainsi, il serait inutile de considérer les autres questions soulevées devant cette Cour et le pourvoi devrait être accueilli et l’acquittement rétabi.

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Le ministère public a soutenu devant cette Cour qu’il y avait deux questions de droit sur lesquelles le juge de première instance s’était trompé et qu’elles donnaient toutes deux régulièrement ouverture à appel, de l’acquittement des accusées, à la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. La première erreur alléguée porte sur le sens du mot «indûment» à l’al. 32(1)c), et la seconde concerne la réception, malgré l’objection du ministère public, de certaines preuves présentées par la défense et destinées à montrer que le public avait tiré un bénéfice de ce que les accusées avaient comploté d’accomplir.

A mon avis, ces preuves n’auraient pas dû être reçues et le juge de première instance n’aurait pas dû s’en servir, comme il l’a clairement fait, pour en arriver à déterminer si le complot ou l’entente entre les accusés en vue de diminuer la concurrence dans le prix, c’est‑à-dire les primes d’assurance-incendie en Nouvelle-Écosse, était «indu».

Les extraits pertinents des motifs du juge de première instance sur la question du bénéfice tiré par le public sont les suivants:

[TRADUCTION] Le substitut du procureur général s’est opposé à toute preuve tendant à montrer que le travail du Conseil était à l’avantage du public, au motif que pareille preuve n’était pas pertinente. A l’appui de son point de vue, il a invoqué l’arrêt Howard Smith Paper Mills Limited et autres c. La Reine (1957), 8 D.L.R. (2d) 449, rendu par la Cour suprême du Canada [et les motifs du juge Taschereau, à la p. 452]:

J’ai admis le témoignage de M. Shakespeare et d’autres personnes même si l’on peut dire qu’il portait sur le bénéfice tiré par le public du travail du Conseil, mais pour une autre raison. Il ne peut faire de doute que si l’infraction en cause est établie au-delà de tout doute raisonnable, les meilleures intentions des parties au complot ne sauraient en aucune façon excuser leur conduite. Cela résulte, on ne peut plus clairement, des remarques du juge Taschereau et constitue un principe que nos tribunaux appliquent régulièrement dans les procès criminels. D’un autre côté, avant de décider si l’infraction en cause a été effectivement commise, la Cour doit se demander si, oui ou non, il y a eu une quelconque «diminution» indue «de la concurrence». Pour se prononcer sur ce point, je suis convaincu qu’il est nécessaire de

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prendre en considération le genre de preuve présentée par les témoins de la défense, et c’est ce que j’ai fait…

Il ressort clairement de ces motifs que non seulement le juge de première instance a reçu une preuve qui n’était pas admissible sur la question du caractère indu, mais qu’il s’est également trompé, et gravement, en considérant le caractère «indu» comme un élément qu’il fallait établir en fait plutôt que comme un aspect englobé dans la preuve du complot illégal visé en l’espèce par l’accusation. Je me réfère de nouveau, pour la souligner, à l’affirmation suivante que l’on trouve dans l’extrait précité de ses motifs:

[TRADUCTION] …avant de décider si l’infraction en cause a été effectivement commise, la Cour doit se demander si, oui ou non, il y a eu une quelconque «diminution» indue «de la concurrence»… [Les italiques sont de moi]

La question a été examinée par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Bien que la majorité, par le truchement du juge Macdonald, ait revu la jurisprudence en détail et soit parvenue à la conclusion (selon ses propres termes) que [TRADUCTION] «le préjudice causé au public n’a pas à être démontré», elle a semblé mêler ce point à sa conclusion quant à l’erreur commise par le juge de première instance sur le premier point soulevé ici par le ministère public, savoir le sens du mot «indûment».

La gravité de l’erreur commise par le juge de première instance, en examinant la preuve d’un avantage conféré au public pour affaiblir la thèse du ministère public, est amplement démontrée par les affirmations d’un avantage retiré par le public dans la preuve admise par le juge de première instance sur le point de savoir si le complot était destiné à diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie. Les procureurs des accusées appelantes ont d’ailleurs répété ces affirmations dans leur plaidoirie devant cette Cour; les voici:

1. Les activités du Nova Scotia Board of Insurance Underwriters avaient pour but d’assurer la solvabilité des compagnies membres.

2. Ces activités entraînaient une diminution des coûts.

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3. Les activités du Conseil étaient utiles aux services de lutte contre l’incendie de la Nouvelle‑Écosse pour prévenir les incendies.

4. Il fournissait une aide technique pour l’évaluation des risques.

5. Il aidait les municipalités de la province en ce qui concerne les méthodes de prévention des incendies.

L’exploitation au détriment du public (à l’égard de laquelle la preuve d’un avantage conféré au public serait admissible) est une question qui se pose au sujet d’accusation de fusions ou de monopoles illégaux et c’était une question cruciale dans le récent jugement rendu par cette Cour, dans l’affaire La Reine c. K. c. Irving Limited et autres[2]. Dans une accusation de complot, qu’il s’agisse d’un complot en termes généraux pour diminuer indûment la concurrence ou, comme en l’espèce, d’un complot pour diminuer indûment la concurrence dans le prix des primes d’assurance-incendie, la loi n’exige pas la preuve que cela se fait au détriment du public ni ne prévoit ni ne comporte corrélativement de défense fondée sur un avantage conféré au public. S’il existe un thème dominant dans la jurisprudence sur les complots illégaux en vertu de l’actuelle Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et de la législation antérieure, c’est que la concurrence sert l’intérêt du public, que la législation est destinée à la protéger comme le bien suprême dans une économie de marché et que la démonstration que le public bénéficie de la coalition attaquée, que ce soit du point de vue des prix, des services ou autrement, ne saurait être une raison pour l’atténuer.

Déjà dans l’arrêt Weidman c. Shragge[3], le juge Anglin avait souligné que la définition de l’infraction de complot destiné à diminuer la concurrence ne permettait pas de mettre sur le même pied «indûment» et «déraisonnablement». Dans cette affaire, qui était une affaire civile concernant le caractère exécutoire d’un contrat, la question s’était soulevée parce que l’interdiction des atteintes à la liberté du commerce était tempérée, en common law, par la notion du caractère raisonna-

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ble de l’atteinte dans l’intérêt des parties à la convention litigieuse et dans l’intérêt du public. Il y a longtemps que, dans notre pays, la politique législative sur les complots criminels relatifs à la diminution de la concurrence a été de rejeter les tempéraments de la common law et d’introduire le critère du caractère indu, relié directement à la concurrence et sans aucun allègement selon que le complot destiné à la diminuer est bon ou mauvais.

Les arrêts ultérieurs ont pris pour acquise la distinction faite dans l’arrêt Weidman c. Shragge et ont rejeté l’intérêt privé, aussi bien que l’intérêt public, comme facteurs à décharge d’une accusation de complot illégal. Le juge Mignault s’y est expressément référé dans l’arrêt Stinson-Reeb Builders Supply Co. c. Le Roi[4], à la p. 280, où il a déclaré que

[TRADUCTION] …l’avantage ainsi obtenu par les fabricants et les marchands membres de l’association n’est pas le bon critère. …Le préjudice causé au public en entravant ou en supprimant la libre concurrence, quel que soit par ailleurs l’avantage qui peut en résulter pour les intérêts commerciaux des membres de la coalition, est ce qui fait tomber un accord ou une association d’intérêts sous l’interdiction de [la loi].

L’expression «Le préjudice causé au public» dans cet extrait ne signifie pas qu’il était loisible aux personnes accusées de démontrer le contraire ou d’apporter des preuves à cet effet et de permettre ainsi au juge de première instance de conclure que le ministère public n’avait pas prouvé le complot illégal au-delà de tout doute raisonnable. C’est pourtant là le point de vue qu’ont adopté les procureurs des appelantes et qu’ils ont soutenu en se référant au témoignage apporté par Shakespeare, directeur du Nova Scotia Board of Insurance Underwriters, témoignage que le juge de première instance a accepté et sur lequel il s’est de toute évidence fondé.

La question de l’avantage conféré au public a été carrément soulevée dans Howard Smith Paper Mills c. La Reine[5]. Dans ses motifs, le juge Taschereau, alors juge puîné, s’est référé aux déclarations du juge Mignault dans Stinson-Reeb que j’ai

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citées plus haut et il a affirmé qu’on ne peut, selon la politique législative canadienne, utiliser l’avantage conféré au public pour faire échec à une accusation de complot illégal destiné à porter atteinte à la concurrence ou à la diminuer. Je cite des déclarations, aux pp. 406 et 407:

[TRADUCTION] On a prétendu en faveur des appelants que l’infraction n’est pas consommée, à moins que le ministère public ait établi au-delà de tout doute raisonnable que l’entente nuisait au public en ce sens que la fabrication ou la production était effectivement diminuée, limitée ou empêchée à la suite des accords conclus. On a également avancé qu’il n’y a pas d’infraction si les actes reprochés ont profité au public. Je suis en complet désaccord avec ces prétentions. Le complot est un crime en lui-même, sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’il y a eu passage aux actes…

Le public a droit au bénéfice de la libre concurrence et l’on ne peut se soustraire aux interdictions de la Loi pour de bons motifs. Seraient-ils innocents et même louables, ils ne peuvent changer la vraie nature de la coalition que le droit interdit, et la volonté d’atteindre des buts désirables ne constitue pas une défense et ne saurait excuser l’atteinte indue qu’est l’élimination des marchés internes libres.

Je suis fermement d’avis que les marchands, fabricants et producteurs ne peuvent, en l’état actuel du droit, monopoliser une partie substantielle des marchés du pays dans des industries données pour promouvoir leurs propres intérêts commerciaux et venir ensuite se poser en bienfaiteurs publics en disant aux tribunaux que le complot a été organisé dans le but de réaliser la stabilisation des prix et de la production.

Dans le même arrêt, le juge Kellock a souligné (à la p. 411) que l’intérêt public est enchâssé dans la politique législative de la liberté de la concurrence, et le juge Cartwright (alors juge puîné) a adopté le même point de vue en déclarant (à la p. 427) que [TRADUCTION] «la Cour, sauf, je le suppose, sur la question de la sentence, n’a ni l’obligation ni la faculté de se demander si, en l’espèce, les résultats recherchés et concrets de l’entente ont, en fait, profité ou nui au public».

Voilà, à mon avis, l’état du droit tel qu’il a été compris durant les soixante-cinq dernières années, et il ne peut y avoir de doute à son sujet, tout au moins depuis les jugements rendus dans l’affaire Howard Smith. Bien qu’ayant apparemment déclaré que la preuve d’un avantage conféré au

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public était comme telle inadmissible, le juge de première instance a néanmoins admis, dans les extraits de ses motifs que j’ai cités, cette même preuve comme ayant une incidence sur la question de savoir si le complot avait un caractère indu. J’avoue éprouver une grande difficulté à voir comment cette preuve peut avoir rapport au caractère indu et être admise à cet égard quand son principal objet est l’avantage conféré au public et qu’elle est inadmissible à cette fin, comme elle l’est par conséquent sur la question du caractère indu. Cette erreur du juge de première instance suffisait en elle-même à justifier l’annulation de l’acquittement par une cour d’appel.

Ce n’est cependant pas la seule erreur commise par le juge de première instance. Dans l’extrait même de ses motifs que j’ai cité où il décide d’examiner la preuve relative à un avantage conféré au public, il a affirmé qu’afin de déterminer si l’infraction dont les appelantes étaient accusées avait été commise, il lui fallait déterminer [TRADUCTION] «si, oui ou non, il y a eu une quelconque diminution indue de la concurrence». Ceci ne tient pas compte du fait qu’il s’agit d’une accusation de complot. Il n’est pas nécessaire qu’il soit prouvé que la concurrence a été en fait indûment diminuée pour qu’il y ait infraction. A supposer même (quoique le juge de première instance ne le dise nulle part) que la preuve d’une diminution réelle de la concurrence puisse venir renforcer la conclusion qu’il y a eu un complot à cette fin et que celui-ci visait une diminution indue, l’absence d’une telle preuve de diminution réelle de la concurrence, sans parler d’une diminution indue, ne résoud pas la question à l’encontre de la prétention du ministère public.

Cette seconde erreur, même si elle est en elle-même accessoire, est reliée à ce que je considère comme une erreur majeure sur le sens de l’expression caractère «indu». Pour le juge de première instance, cette expression exigeait la preuve que les accusées entendaient, par leur accord, diminuer la concurrence indûment, avec cette conséquence que la preuve de l’absence d’une telle intention priverait la thèse de l’accusation d’un support nécessaire.

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Après avoir étudié la preuve, dont la plus grande partie avait trait à l’avantage conféré au public et était donc inadmissible comme non pertinente, le juge de première instance a abordé la question critique du caractère indu après en être arrivé aux conclusions exprimées dans l’extrait suivant de ses motifs:

[TRADUCTION] Il ne peut faire de doute qu’en l’espèce il existait effectivement une entente entre toutes les défenderesses pour diminuer la concurrence dans le prix de l’assurance. Cette entente ressort très clairement des statuts et règlements du Nova Scotia Board of Insurance Underwriters, association non constituée en corporation dont toutes les défenderesses étaient membres. Les témoignages reçus à l’audience m’ont en outre convaincu que les membres savaient qu’ils se concertaient pour éliminer virtuellement la concurrence entre eux en s’engageant à respecter les tarifs établis par le Conseil. La question qui demeure est de savoir si la diminution de la concurrence dans le prix de l’assurance relève ou non du sens du mot «indûment» tel que les tribunaux l’ont interprété.

Vient ensuite, dans les motifs du juge de première instance, une vaste étude de la jurisprudence, avec de nombreuses citations d’une série de jugements, notamment de cette Cour. A mon avis, le juge de première instance a, dans ses motifs, mal interprété les décisions de cette Cour sur la nature de l’infraction reprochée aux accusées.

Il a conclu en ces termes:

[TRADUCTION] Après un examen de l’ensemble de la preuve, je conclus que l’entente en vertu de laquelle les défenderesses ont tarifé l’assurance entre 1960 et 1970 n’était pas de nature criminelle. Bien qu’elle eût pour effet de diminuer la concurrence entre les membres du Conseil, elle ne la diminuait pas dans l’ensemble d’une façon qu’on pourrait qualifier d’illégitime, immodérée, excessive ou oppressive. Je ne crois pas non plus que les défenderesses aient voulu que leur entente ait pour effet de les soustraire virtuellement à l’influence de la libre concurrence. A mon avis, les défenderesses n’ont pas conspiré ou ne se sont pas concertées pour diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance sur les biens dans cette province.

Il y a trois erreurs évidentes dans cette application des règles de preuve. En premier lieu, la preuve de l’infraction n’exige pas que le complot ait pour effet une diminution illégitime, immodérée, excessive ou oppressive de la concurrence. L’infraction

[Page 741]

existe s’il y a un complot ayant pour objet la diminution immodérée de la concurrence; l’effet importe peu si l’objet est illégal. Cela résulte clairement du jugement rendu par le juge Kerwin au nom de la majorité de la Cour dans l’affaire Container Materials Ltd. c. Le Roi[6], aux pp. 158 et 159, aussi bien que des motifs de l’arrêt Howard Smith. La seconde erreur réside dans l’observation faite par le juge de première instance dans le passage précité, selon laquelle par leur entente, les défenderesses n’avaient pas l’intention de se soustraire virtuellement à l’influence de la libre concurrence. Une fois de plus, ce n’est pas ce que cette Cour a décidé. Dans Container Materials, le juge Kerwin a abordé directement ce point en se référant à l’argument des accusés selon lequel [TRADUCTION] «les accusés doivent avoir eu l’intention que la concertation ou l’entente ait pour effet [de prévenir ou diminuer la concurrence]». Il a alors poursuivi en ces termes:

[TRADUCTION] Ce n’est pas le sens de la disposition sur laquelle est fondée l’accusation. La mens rea est sans aucun doute nécessaire, mais les poursuites satisfaisaient en l’espèce à cette exigence dès lors qu’il était démontré que les appelants avaient eu l’intention de conclure, et avaient effectivement conclu, l’entente même dont l’existence avait été prouvée.

Même abstraction faite de la troisième que je vais signaler, les erreurs qui précèdent rendent donc impossible, à mon avis, le maintien de l’acquittement; et à vrai dire, en me fondant sur les conclusions mêmes du juge de première instance, je suis d’avis que la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, dans son jugement rendu à la majorité, a eu raison non seulement d’annuler l’acquittement mais de prononcer une condamnation.

La troisième faute a trait à la question du marché que le juge de première instance, selon mon interprétation de ses motifs, a considéré comme étant la totalité du commerce de l’assurance-incendie dans toute la province de la Nouvelle-Écosse. Cela étant, il semble avoir estimé qu’il incombait au ministère public d’établir une diminution indue de la concurrence dans toute la province. Comme l’a noté le juge Macdonald, dans

[Page 742]

les motifs de la majorité en appel, le juge de première instance a semblé imposer au ministère public le fardeau d’établir l’existence d’un monopole ou d’un monopole virtuel. De toute évidence, ce n’est pas ce qui est exigé dans une accusation de complot. Les faits établissant sans conteste la portion du marché qui était aux mains des membres du Nova Scotia Board of Insurance Underwriters, il n’est pas nécessaire d’examiner ce qu’aurait été la situation s’ils n’en avaient eu qu’une très petite partie. Je dois souligner également que l’accusation portée contre les appelantes concerne le prix des primes d’assurance-incendie et non la concurrence dans les autres secteurs de ce commerce et que c’est relativement à cet élément, qui est expressément mentionné dans la définition de l’infraction, que la question du marché doit être examinée. Il suffit de dire, pour terminer, que le Conseil dont les appelantes étaient membres n’étaient pas un simple centre d’information mais un poste de commandement exigeant de ses membres l’observation des tarifs des primes.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qui a accueilli un appel interjeté par le procureur général du Canada contre le jugement rendu en première instance par le juge Hart. Celui-ci avait ordonné l’inscription d’un verdict de non-culpabilité envers la compagnie d’assurance Aetna et 72 autres compagnies accusées

[TRADUCTION] …entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1970 inclusivement, en ou près de la cité de Halifax, dans le comté de Halifax, en la province de la Nouvelle‑Écosse, d’avoir comploté, de s’être coalisées, concertées ou entendues illégalement ensemble et entre elles et avec 64 autres compagnies d’assurance et Wilfred G. Shakespeare ou avec certaines d’entre elles ou l’une d’entre elles et avec des personnes inconnues pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie sur des biens situés dans la province de la Nouvelle‑Écosse, et d’avoir ainsi commis un acte criminel en contravention à l’ai. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

[Page 743]

Le paragraphe 32(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970 c. C-23, dans sa version actuelle, dispose en particulier que:

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de deux ans, toute personne qui complote, se coalise, se concerte ou s’entend avec une autre…

c) pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence dans la production, la fabrication, l’achat, le troc, la vente, l’entreposage, la location, le transport ou la fourniture d’un article, ou dans le prix d’assurance sur les personnes ou les biens;…

L’essence de cette accusation est que les appelantes étaient partie à une entente destinée à «empêcher ou diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie sur des biens situés dans la province de la Nouvelle-Écosse». Ce chef d’accusation, à mon avis, vise l’ensemble du commerce de l’assurance-incendie dans la province et les questions à trancher sont de savoir s’il existait une entente à laquelle les appelantes étaient partie révélant un dessein commun d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans le prix de cette assurance en général dans toute la province et, dans l’affirmative, si cette entente était indue et par conséquent interdite par l’article.

Toutes les compagnies accusées et les autres compagnies mentionnées dans l’accusation avaient été, à un moment ou l’autre de la période qui y est mentionnée, membres d’une association non constituée en corporation, connue sous le nom de Nova Scotia Board of Insurance Underwriters (ci-après appelée le «Conseil») qui était en activité en Nouvelle‑Écosse depuis le 5 janvier 1857. Ses membres délivraient des polices d’assurance sur les biens dans cette province à des prix ou taux que le Conseil édictait ou publiait. En tant que groupe, ils s’intéressaient également à des choses comme l’amélioration de la protection contre les incendies en coopération avec les autorités locales et fournissaient des inspecteurs immobiliers aux fins d’évaluation.

Les faits qui ont donné lieu à la présente poursuite ont été discutés en détail dans le jugement fouillé du savant juge de première instance, qui est opportunément publié dans 19 C.C.C. (2d), aux

[Page 744]

pp. 449 à 507, et l’exactitude de son analyse des faits ne me semble pas avoir été sérieusement mise en question dans le jugement de la Division d’appel publié dans 22 C.C.C. (2d), aux pp. 513 à 553. En Division d’appel, le juge Coffin a rendu un jugement dissident confirmant le jugement de première instance et le juge Macdonald, aux motifs duquel le juge Cooper a souscrit, a entamé son jugement majoritaire par ces mots: [TRADUCTION] «J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement rédigés par mon collègue Coffin dans lesquels il résume clairement et complètement les faits et les questions en litige».

Il n’est pas sérieusement contesté qu’en organisant le Conseil, l’un des buts poursuivis était que ses membres s’entendent entre eux pour fournir de l’assurance au même taux ou prix, mais la seule question est de savoir si cette entente a été conclue pour empêcher ou diminuer «indûment» la concurrence.

Le sens qu’il faut attacher au mot «indûment» dans ce contexte a été discuté dans un grand nombre d’affaires dont la plupart ont fait l’objet de longues citations dans les jugements du premier juge et de ceux de la Cour d’appel. Je pense toutefois que la discussion la plus utile du sujet se trouve dans les motifs de jugement des membres de cette Cour dans l’affaire Howard Smith Paper Mills Limited et autres c. La Reine[7]. Dans cette affaire, l’infraction pour laquelle avaient été condamnés les appelants était prévue à l’al. 498(1)d) du Code criminel, S.R.C. 1927, c. 36 et les termes en étaient, pour l’essentiel, les mêmes que ceux du par. 32(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Cet article se lisait, en partie, comme suit:

498. (1) Est coupable d’un acte criminel… toute personne… qui conspire, se coalise, se concerte ou s’entend avec une autre…

d) Pour prévenir ou diminuer indûment la concurrence dans… les tarifs d’assurance sur les personnes ou les biens.

Dans les motifs de jugement exposés en son nom et au nom des juges Rand et Fauteux, le juge Kellock a eu l’occasion de se reporter à la défini-

[Page 745]

tion du mot «indûment» qui se trouve dans les motifs du juge Anglin dans Weidman et autres c. Shragge[8]. Au sujet de l’entente en cause dans cette affaire, il déclarait aux pp. 42 et 43:

[TRADUCTION] …la question fondamentale à se poser est certainement de savoir si, quelque avantageuse ou même nécessaire qu’elle soit pour la protection des intérêts commerciaux des parties, elle impose des restrictions illégitimes, immodérées, excessives ou oppressives à cette concurrence dont chacun est en droit de bénéficier.

Le juge Kellock a également noté que ce jugement du juge Anglin a été approuvé par cette Cour dans Stinson-Reeb Builders Supply Company c. Le Roi[9], qui a été repris plus tard par le juge Kerwin dans Container Materials Ltd., et autres c. Le Roi[10], où il déclarait:

[TRADUCTION] Selon la décision rendue dans Stinson-Reeb, le public a le droit de bénéficier de la libre concurrence sauf dans la mesure où une législation valide peut y porter atteinte, et toute partie à une entente, dont l’objet direct est d’imposer des restrictions illégitimes, immodérées, excessives ou oppressives à cette concurrence, est coupable d’une infraction.

Au cours de ses motifs de jugement dans Howard Smith Paper Mills, le juge Kellock s’est également référé aux motifs du jugement du juge en chef Duff dans l’affaire Container Materials Ltd., précitée, où celui-ci déclarait à la p. 151:

[TRADUCTION] Le second point découle de la prétention des appelants selon laquelle l’essence de l’infraction consiste à s’entendre pour faire quelque chose qui cause préjudice au public; qu’un tel préjudice envers le public doit être démontré par la preuve et constaté par le juge pour fonder légalement une condamnation.

Plus loin, à la p. 152, le juge en chef Duff disait de la protection assurée par l’article:

[TRADUCTION] Cette protection est assurée en frappant d’illégalité les ententes qui, mises à exécution, préviennent ou diminuent indûment la concurrence et en en faisant des infractions punissables; et comme le but de la disposition est de protéger l’intérêt qu’a le public à la libre concurrence, c’est de ce point de vue qu’il faut examiner la question de savoir si la suppression ou la diminution concertée sera indue.

[Page 746]

Commentant la prétention des procureurs des appelants dans Howard Smith Paper Mills, le juge Kellock a déclaré, à la p. 411:

[TRADUCTION] En ce qui concerne la question 5, il n’est pas nécessaire à mon avis de discuter l’argument qui nous a été présenté dans la mesure où il porte sur des questions de preuve. L’essence de cet argument consiste en ceci: bien que l’entente que le premier juge et la Cour d’appel ont jugée contraire aux dispositions de l’al. 498(1)d), ait été maintenue sans interruption pendant toute la période indiquée dans l’acte d’accusation et bien que l’al. 498(1)d) n’ait pas été abrogé, l’entente a cessé de tomber sous le coup de cet article pendant la période des contrôles de temps de guerre, pour la raison que toute possibilité de concurrence dans les papiers fins était éliminée en vertu de la législation alors en vigueur.

A mon avis, la réponse simple à cette prétention se trouve dans un passage des motifs du juge en chef Duff dans Container Materials, précité. A la p. 153, le savant juge en chef, après avoir souligné que la Cour d’appel avait jugé que le but des parties à l’entente litigieuse avait été de s’assurer le contrôle réel du marché canadien et qu’elles y avaient largement réussi, a ajouté «Mais le seul fait que telle ait été l’entente suffit en droit» pour conclure que l’article a été enfreint.

Le juge Cartwright a rédigé des motifs distincts en son nom et au nom du juge Locke. Il y discute les critères appliqués jusque-là pour déterminer le sens du mot indûment dans le contexte de l’al. 498(1)d), et déclare à la p. 425:

[TRADUCTION] Je dois avouer que j’ai éprouvé quelque difficulté à cerner exactement le critère. Comme l’a souligné le juge Anglin, dans Weidman et autres c. Shragge, précité, à la p. 41, on est obligé de conclure que le Parlement a envisagé qu’il puisse exister des ententes pour prévenir ou diminuer la concurrence qui ne tombent pas sous le coup de l’interdiction de l’al. 498(1)d); pour que l’entente soit criminelle, la suppression ou diminution recherchée doit être «indue». «Indu» et «indûment» ne sont pas des termes absolus dont le sens coule de source. Leur utilisation présuppose l’existence d’une règle ou norme définissant ce qui est «dû». Il ne me semble pas que l’on facilite leur interprétation en leur substituant les adjectifs «illégitime», «immodéré», «excessif», «oppressif» ou «mauvais», ou les adverbes correspondants, en l’absence d’une détermination de ce qui, sous ce rapport, est légitime, modéré, tolérable ou bon.

Et il ajoute, à la p. 426:

[Page 747]

[TRADUCTION] En substance, il me semble que les décisions citées statuent qu’une entente pour prévenir ou diminuer la concurrence dans des activités commerciales de la sorte décrite dans l’article devient criminelle quant la suppression ou la diminution concertée atteint un point tel que les parties à l’entente deviennent libres d’exercer leurs activités en étant virtuellement à l’abri de l’influence de la concurrence, influence que le Parlement considère manifestement comme une protection indispensable de l’intérêt public; que c’est le fait que les membres de la coalition s’arrogent le pouvoir d’exercer leurs activités sans concurrence qui est déclaré illégal;…

Comme en substance, on s’entend sur le sens du mot «indûment» et qu’il n’existe pas de divergences importantes sur les faits, la question soulevée par la différence de point de vue en première instance et en appel est de savoir si les faits, qui ne sont pas sérieusement contestés, révèlent une entente pour prévenir ou diminuer la concurrence «indûment», au sens donné à ce mot dans les arrêts de notre Cour cités et suivis aussi bien par le juge Hart que le juge Macdonald.

Le fait qu’une entente ait existé pour prévenir ou diminuer la concurrence dans le prix de l’assurance ne constitue pas en soi une infraction aux termes de l’article; le caractère illégal de l’entente réside dans le fait que la suppression ou la diminution est indue et il me semble que la meilleure, si ce n’est la seule façon d’en décider est de se demander si la concurrence serait indûment prévenue ou diminuée si le dessein révélé par l’entente était mis à exécution. A mon avis, c’est seulement en évaluant ce qui résulterait de l’application de l’entente que l’on peut mesurer ce caractère indu difficile à saisir et c’est la raison pour laquelle, en l’espèce, le savant juge de première instance a entendu des témoignages quant à l’effet de l’entente sur la libre concurrence dans le commerce de l’assurance.

A mon avis, le juge Coffin l’a bien expliqué dans son jugement dissident en Cour d’appel lorsqu’il a déclaré, à la p. 534:

[TRADUCTION] Je suis d’avis que le juge de première instance n’était pas dans l’erreur lorsqu’il a admis la preuve de la défense. Je conviens que ce n’est pas le résultat concret de l’entente qui nous intéresse, mais l’effet qu’elle aurait si elle était mise à exécution. Néan-

[Page 748]

moins, selon moi, le juge de première instance avait le droit d’examiner cette preuve pour se faire une opinion sur la question de savoir si l’objet de l’entente était de diminuer indûment la concurrence. Elle était utile à sa recherche du but et du plan d’ensemble de l’entente.

Le ministère public a le fardeau d’établir, en l’espèce, au-delà de tout doute raisonnable, d’abord que les intimées ont voulu conspirer, se coaliser, se concerter ou s’entendre et ensuite que cette conspiration, coalition, concertation ou entente, si elle était mise à exécution, préviendrait ou diminuerait indûment la concurrence. Ce sont là des questions de fait et la seule question de droit que puisse soulever le présent pourvoi est la signification du mot indûment dans le contexte de l’al. 32(1)c).

Après avoir procédé à une analyse complète des faits et passé en revue la jurisprudence, le juge de première instance a conclu sur cette question à la p. 504, 19 C.C.C.:

[TRADUCTION] Cette revue des différents exposés sur le sens du mot «indûment» relativement à l’infraction de diminution de la concurrence me conduit aux conclusions suivantes. Une entente pour prévenir ou diminuer la concurrence ne constitue pas à elle seule une infraction. Ce qui est criminel, c’est une entente destinée à diminuer la concurrence de façon illégitime, immodérée, excessive ou oppressive ou destinée à soustraire virtuellement les conspirateurs à l’influence de la libre concurrence. Le ministère public n’est aucunement obligé de prouver l’existence d’un monopole et c’est une question de fait que de savoir si l’entente atteint un point tel qu’elle est destinée à diminuer indûment la concurrence et devient ainsi une conspiration criminelle.

A mon avis, il y a là une appréciation exacte du sens du mot indûment, tel qu’il ressort de la jurisprudence, et il ne me semble pas que l’intimée ou la majorité de la Cour d’appel l’aient sérieusement mise en doute. Toutefois, le savant juge de première instance avait déclaré, à la p. 487:

[TRADUCTION] Il ne peut faire de doute qu’en l’espèce, il existait effectivement une entente entre toutes les défenderesses pour diminuer la concurrence dans le prix de l’assurance. Cette entente ressort très clairement des statuts et règlements du Nova Scotia Board of Insurance Underwriters, association non constituée en corporation dont toutes les défenderesses étaient membres. Les témoignages reçus à l’audience m’ont en outre convaincu que les membres savaient qu’ils se concer-

[Page 749]

taient pour éliminer virtuellement la concurrence entre eux en s’engageant à respecter les tarifs établis par le Conseil. La question qui demeure est de savoir si la diminution de la concurrence dans le prix de l’assurance relève ou non du sens du mot «indûment» tel que les tribunaux Font interprété.

En appel, le juge Macdonald a commenté cet extrait dans les termes suivants, 22 C.C.C. (2d), à la p. 551:

[TRADUCTION] Dans le premier passage cité, le savant juge de première instance a conclu que les membres du Conseil s’étaient concertés pour éliminer virtuellement la concurrence entre eux. Lorsque l’on considère cette conclusion, pleinement étayée par la preuve, à la lumière du fait, également prouvé, que les membres du Conseil contrôlaient la majeure partie du marché de l’assurance-incendie dans la province à l’époque pertinente, il me semble que ce qui existait était le type même de situation que la jurisprudence citée qualifie indubitablement d’«indue».

Et il a fait observer plus loin, à la p. 552:

[TRADUCTION] La situation, telle que je la perçois, est que, le savant juge du procès ayant conclu que le ministère public avait établi que les compagnies membres du Conseil, qui assuraient la plupart des biens dans la province, s’étaient entendues pour éliminer virtuellement la concurrence entre eux sur le prix de l’assurance-incendie, le caractère «indu», s’il n’est pas présumé, se trouvait alors certainement établi. La Loi, telle que je la comprends, n’oblige pas le ministère public à établir que l’entente entre les membres du Conseil visait ou impliquait l’ensemble du commerce de l’assurance‑incendie ou que tel était le but poursuivi par l’entente. Tout ce qu’elle exige plutôt, c’est que l’on montre qu’un secteur considérable du commerce de l’assurance a été touché par l’entente.

Ces commentaires du juge Macdonald sont en contradiction avec le témoignage du directeur du Conseil, M. Shakespeare, dont le juge du procès a dit, à la p. 469 du recueil:

[TRADUCTION] Son témoignage est franc et digne de foi, et j’en retiens les faits suivants.

Le savant juge du procès cite alors à la p. 470 les parties suivantes du témoignage de M. Shakespeare:

[TRADUCTION] M. Shakespeare indique qu’en établissant ses tarifs, le Conseil doit toujours prendre en considération la concurrence des compagnies non-membres du Conseil, qui a augmenté ces dernières années.

[Page 750]

Une grande compagnie internationale, comme la Lloyds, dès lors qu’elle est enregistrée à Ottawa, peut faire affaire en Nouvelle-Écosse en payant un permis. Ceux qui le désirent peuvent toujours recourir à ces compagnies mais, bien qu’elles soient à même de pratiquer des tarifs moins élevés, elles n’assurent pas dans la province le même type de services que ceux qui sont fournis par le Conseil ou par les compagnies résidentes qui n’en sont pas membres.

Quand on rapproche ces observations du fait que la part du marché occupée par les compagnies non-membres du Conseil a augmenté durant la période en question et particulièrement dans la deuxième moitié de la décennie visée par l’accusation, il devient évident que le juge Macdonald a, dans le passage précité de ses motifs, considérablement exagéré les choses en concluant que l’entente sur les prix conclue entre les compagnies membres du Conseil établissait d’elle-même son caractère indu. Une preuve substantielle vient appuyer l’opinion du juge de première instance selon laquelle la concurrence n’était pas étouffée par les activités du Conseil et, avec égards, je pense que la majorité de la Cour d’appel n’était pas fondée à conclure que chaque fois qu’il est démontré qu’un «secteur considérable du commerce de l’assurance» est impliqué dans une entente, celle-ci devient indue. Dans l’avant-dernier alinéa de son jugement, le savant juge de première instance avait déclaré, aux pp. 506 et 507:

[TRADUCTION] Après un examen de l’ensemble de la preuve, je conclus que l’entente en vertu de laquelle les défenderesses ont tarifé l’assurance entre 1960 et 1970 n’était pas de nature criminelle. Bien qu’elle eût pour effet de diminuer la concurrence entre les membres du Conseil, elle ne la diminuait pas dans l’ensemble d’une façon qu’on pourrait qualifier d’illégitime, immodérée, excessive ou oppressive. Je ne crois pas non plus que les défenderesses aient voulu que leur entente ait pour effet de les soustraire virtuellement à l’influence de la libre concurrence. A mon avis, les défenderesses n’ont pas conspiré ou ne se sont pas concertées pour diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance sur les biens dans cette province.

A propos de cet extrait, le juge Macdonald a fait observer aux pp. 551 et 552 du recueil:

[TRADUCTION] …le savant juge de première instance a manifestement pris en considération l’ensemble du commerce de l’assurance et pas seulement la part qu’y

[Page 751]

prenait le Conseil. De ce point de vue, le savant juge de première instance a conclu que l’entente ne diminuait pas indûment la concurrence dans l’ensemble. J’objecterai ici que l’accusation n’est pas que les intimées ont diminué indûment la concurrence dans le prix de l’assurance-incendie mais plutôt qu’elles ont conspiré dans ce but.

Le savant juge de première instance, comme on l’a noté, a conclu le dernier passage cité en disant qu’à son avis, les intimées n’avaient pas conspiré ou ne s’étaient pas concertées pour diminuer indûment la concurrence dans le prix de l’assurance dans cette province.

En somme, j’estime que le savant juge de première instance considérait l’effet de l’entente sur les membres du Conseil dans le premier passage et sur l’ensemble du commerce dans le second.

Comme je l’ai indiqué, je suis d’accord avec la conclusion du juge Coffin selon laquelle le juge de première instance était fondé à prendre en considération le témoignage de M. Shakespeare et d’autres personnes quant au degré de concurrence existant dans le commerce de l’assurance-incendie durant la décennie en question, afin de se prononcer sur la question de savoir si l’objet de l’entente était de diminuer indûment la concurrence. Il était, comme l’a dit le juge Coffin, [TRADUCTION] «utile à sa recherche du but et du plan d’ensemble de l’entente». C’est en ce sens, et non en tant que preuve d’un bénéfice retiré par le public, que le juge Hart a admis le témoignage de M. Shakespeare et conclu que l’entente du Conseil n’avait pas pour but de diminuer indûment la concurrence. Malgré les arguments des procureurs devant cette Cour, je suis convaincu que c’est sur la base de cette dernière conclusion que le savant juge de première instance a jugé les appelantes non coupables de l’infraction dont elles étaient accusées en vertu de l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et que son verdict n’était fondé sur aucune conclusion que l’entente en question était à l’avantage du public. Cela ressort, me semble-t-il, de l’extrait suivant des motifs du jugement du juge Hart, ou il a déclaré:

[TRADUCTION] J’ai admis le témoignage de M. Shakespeare et d’autres personnes même si l’on peut dire qu’il portait sur le bénéfice tiré par le public du travail du Conseil, mais pour une autre raison. Il ne peut faire de doute que si l’infraction en cause est établie au-delà de tout doute raisonnable, les meilleures inten-

[Page 752]

tions des parties au complot ne sauraient en aucune façon excuser leur conduite. Cela résulte, on ne peut plus clairement, des remarques du juge Taschereau et constitue un principe que nos tribunaux appliquent régulièrement dans les procès criminels. D’un autre côté, avant de décider si l’infraction en cause a été effectivement commise, la Cour doit se demander si, oui ou non, il y a eu une quelconque «diminution» indue «de la concurrence». Pour se prononcer sur ce point, je suis convaincu qu’il est nécessaire de prendre en considération le genre de preuve présentée par les témoins de la défense, et c’est ce que j’ai fait…

Comme je l’ai indiqué au début, je suis d’avis que l’accusation portée en l’espèce est relative à l’ensemble du commerce de l’assurance-incendie dans la province et qu’il ne suffit pas de prouver qu’un groupe particulier s’est concerté pour se soumettre à des tarifs édictés par le Conseil.

Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir ce pourvoi et de rétablir le jugement de première instance.

Pourvoi accueilli, le jugement de première instance rétabli, le juge en chef LASKIN et les juges JUDSON et SPENCE étant dissidents.

Procureurs des appelantes: Day, Wilson, Campbell, Toronto.

Procureur de l’intimée: K.E. Eaton, Halifax.

[1] (1975), 13 N.S.R. (2d) 693, 22 C.C.C. (2d) 513.

[2] [1978] 1 R.C.S. 408.

[3] (1912), 46 R.C.S. 1.

[4] [1929] R.C.S. 276.

[5] [1957] R.C.S. 403.

[6] [1942] R.C.S. 147.

[7] [1957] R.C.S. 403.

[8] (1912), 46 R.C.S. 1.

[9] [1929] R.C.S. 276.

[10] [1942] R.C.S. 147.


Parties
Demandeurs : Aetna Insurance Co. et autres
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Aetna Insurance Co. et autres c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731 (29 avril 1977)


Origine de la décision
Date de la décision : 29/04/1977
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1978] 1 R.C.S. 731 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-04-29;.1978..1.r.c.s..731 ?
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