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16/11/1977 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._112

Canada | Pacific Coast Coin Exchange c. Ontario Securities Commission, [1978] 2 R.C.S. 112 (16 novembre 1977)


Cour suprême du Canada

Pacific Coast Coin Exchange c. Ontario Securities Commission, [1978] 2 R.C.S. 112

Date: 1977-11-16

Dans l’affaire de The Securities Act, R.S.O. 1970, Chapitre 426 et Modifications:

Et dans l’affaire de Pacific Coast Coin Exchange of Canada Limited Appelante;

Et dans l’affaire de Monex International Ltd., faisant affaire sous la raison sociale de Pacific Coast Coin Exchange Appelante;

et

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario Intimée.

1977: 15 et 16 février; 1977: 16 novembre.

Présents:

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN...

Cour suprême du Canada

Pacific Coast Coin Exchange c. Ontario Securities Commission, [1978] 2 R.C.S. 112

Date: 1977-11-16

Dans l’affaire de The Securities Act, R.S.O. 1970, Chapitre 426 et Modifications:

Et dans l’affaire de Pacific Coast Coin Exchange of Canada Limited Appelante;

Et dans l’affaire de Monex International Ltd., faisant affaire sous la raison sociale de Pacific Coast Coin Exchange Appelante;

et

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario Intimée.

1977: 15 et 16 février; 1977: 16 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Loi sur les valeurs mobilières - Portée de la loi - Offre de vente de pièces d’argent «sur marge» - Convention de compte sur marchandises - «Contrat de placement» - Critères de communauté d’intérêt et de subordination relativement au succès de l’entreprise - Recours à la notion de capitaux spéculatifs - Devoir des tribunaux de rechercher l’intention du législateur - The Securities Act, R.S.O. 1970, c. 426, art. 1, 35.

L’appelante exploitait une entreprise visant à permettre au public d’investir dans des pièces d’argent. Elle a commencé à faire affaire en Ontario en 1973 et ses activités dans cette province consistaient principalement à offrir, à vendre et à livrer des sacs de pièces d’argent en espèces et à offrir et à vendre des sacs de pièces d’argent sur marge. Seule cette dernière activité, les achats sur marge selon une convention de compte sur marchandises, fait l’objet du présent pourvoi. L’entreprise attire principalement ses clients par des annonces dans les journaux, qui invitent le public à demander de plus amples renseignements par courrier. Des brochures d’information alors envoyées aux personnes intéressées vantent les pièces d’argent comme «placement» assurant une protection efficace et idéale contre l’inflation. On y compare favorablement le rendement du prix de l’argent à d’autres genres d’investissement, comme les actions ordinaires. L’appelante propose deux façons d’investir dans les pièces d’argent, l’achat au comptant et l’achat sur marge, mais elle encourage les achats sur marge plutôt que les achats au comptant et, en fait, plus de 90 pour cent des achats sont faits sur marge. Les conven-

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tions de compte sur marchandises de l’appelante sont résiliables et les clients sont tenus de faire un dépôt de 35 pour cent du prix d’achat. Les placements aux termes des conventions de compte sur marchandises mettent à la disposition des appelantes des fonds qui deviennent les leurs. Un lien est créé entre les appelantes et leurs clients quant à la résiliation de leurs achats, soit par livraison des pièces d’argent, soit par fermeture de comptes, en vendant au prix en vigueur par l’intermédiaire des appelantes. Les appelantes ne sont cependant pas tenues de racheter; leur seule obligation étant de livrer les sacs de pièces d’argent visés lorsque le client acquitte le solde et le client ne possède aucun droit réel sur les sacs d’argent achetés avant ce moment. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario après une audition aux termes de l’art. 144(1) de la Loi a rendu une ordonnance de prohibition contre les appelantes ordonnant la cessation immédiate de toutes les transactions jusqu’à ce que soit déposé un prospectus, parce que les activités des appelantes sont assujetties à l’art. 1(1) de la Loi en ce qu’elles constituent des contrats de placement au sens du sous-al. 1(1)22xiii ou subsidiairement constituent «la reconnaissance d’un titre de propriété sur le capital, l’actif, les biens, les profits, les revenus et les redevances» au sens du sous-al. 1(1)22ii.

En rejetant l’appel des appelantes, la Cour divisionnaire a confirmé la conclusion de l’intimée mais uniquement parce que les transactions conclues constituent des contrats de placement, car, à son avis, ces ententes ne constituent pas une reconnaissance de titre au sens du sous-al. 1(1)22ii. La Cour d’appel a confirmé cette décision, étant aussi d’avis que les transactions constituent des contrats de placement, mais elle a estimé inutile de décider si elles sont également des valeurs mobilières au sens du sous-al. 1(1)22ii. La principale question en litige dans ce pourvoi est de savoir si la convention conclue entre l’appelante et ses clients est un contrat de placement.

Arrêt (le juge en chef Laskin étant dissident): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: L’article 35 de la Loi interdit à quiconque de faire le commerce de valeurs mobilières sans un prospectus et le sous-al. 1(1)(22)xiii définit les valeurs mobilières comme comprenant «tout contrat de placement autre qu’un contrat de placement au sens de The Investment Contracts Act». [Le contrat en question n’est pas visé par The Investment Contracts Act]. Bien que l’expression «contrat de placement» ne soit pas définie, le but de la législation est nettement la protection du public par la divulgation complète et juste des faits relatifs aux valeurs mobilières émises. Les

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quatorze alinéas de la définition englobent pratiquement tous les types de transaction au point que la portée de cette définition a dû être limitée par une longue liste d’exceptions que l’on trouve à l’art. 19. Les catégories de la définition ne sont pas mutuellement exclusives et jouent le rôle de «fourre-tout». On doit donner à ce genre de législation protectrice une interprétation large. L’élément décisif est le fond et non la forme. La législation ne vise pas uniquement les plans qui sont effectivement frauduleux; elle a plutôt trait aux accords qui ne permettent pas aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement.

C’est en ayant tout ce qui précède à l’esprit que la Cour suprême des États-Unis a établi dans l’arrêt SEC v. W.J. Howey Co., 328 U.S. 293 (1946), le critère suivant: «Est-ce que le plan implique «un investissement d’argent dans une entreprise commune, dont les profits sont uniquement le fruit du labeur de tiers»?» En l’espèce, il convient de répondre par l’affirmative à tous les aspects de ce critère. Il ne fait aucun doute qu’il y a eu un placement de fonds; quant à la question de l’entreprise commune, la seule communauté d’intérêt nécessaire à l’existence d’un contrat de placement est celle qui existe entre l’investisseur et le promoteur; et quant à la subordination du client vis-à-vis du succès de l’entreprise, le sort de l’investissement de chaque client est en définitive subordonné à la façon dont sont administrés les fonds obtenus par l’appelante. Le critère qui permet de déterminer les réalités économiques d’une vente de valeurs mobilières, énoncé par la Cour suprême d’Hawaï dans State of Hawaii v. Hawaii Market Center, Inc., 485 P. 2d. 105, fondé sur le recours à «la notion de capitaux spéculatifs» mène à la même conclusion, que la convention en question est un contrat de placement.

A la demande des parties, les faits ont été examinés uniquement à la lumière des critères énoncés dans les arrêts Howey et Hawaii. Toutefois, un point de vue plus large aurait pu être adopté. Le législateur a nettement voulu adoucir la règle caveat emptor dans les transactions portant sur des valeurs mobilières et les tribunaux dans des décisions antérieures s’avèrent inefficaces et doivent être constamment élargis.

Le juge en chef Laskin dissident: L’expression «contrat de placement» s’applique aux diverses valeurs mobilières énumérées dans The Securities Act. Il est admis qu’on ne peut interpréter littéralement cette expression puisque cela aurait pour effet d’assujettir à The Securities Act un nombre incalculable de transactions qui n’ont aucun caractère public, et il est admis que les contrats à terme sur marchandises ne relèvent pas, par nature, des règles établies par la Loi. Lorsqu’il est question d’une législation jouissant de la faveur générale

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car elle vise la protection du public investisseur, il est facile de donner aux expressions non définies une interprétation large de façon à y assujettir les plans suspects. Mais si la Législature a délibérément omis de définir une expression qui englobe différents types de transactions dont plusieurs sont parfaitement légitimes, il n’y a aucune raison pour que les tribunaux s’empressent de dissiper le doute en élargissant le domaine d’application du contrôle statutaire.

Il n’existe pas plus de trois facteurs à considérer pour décider si la convention de compte sur marchandises est un «contrat de placement» au sens de cette expression dans la définition de «valeurs mobilières» dans la Loi, la détermination du prix de base des achats par les clients, la mise en commun des fonds versés au titre des dépôts exigés aux termes des conventions et la question de la solvabilité des appelantes. On retrouve ces mêmes facteurs dans un arrangement semblable, dans Jenson v. Continental Financial Corporation (1975), 404 F. Supp. 792. Dans cette affaire, la Cour avait à trancher la même question que celle soulevée devant les tribunaux en l’espèce, savoir si la spéculation sur les fluctuations du marché de l’argent n’est rien de plus qu’une opération à terme sur marchandises et ne constitue donc pas une valeur mobilière assujettie à la législation. Dans Jenson, la Cour a insisté sur le placement dans une entreprise commune des sommes d’argent versées par les investisseurs, où les possibilités de profits ou de pertes dépendent essentiellement de l’habileté des promoteurs à jauger le marché et, de là, à assurer leur propre solvabilité de façon à pouvoir répondre à leurs obligations à l’égard de leurs clients. Sous cet angle, la question n’en est une que de solvabilité puisque c’est le marché qui détermine si le client va réaliser un profit et que celui-ci est libre de fermer son compte ou de prendre livraison en espèces, à sa demande. Il n’y a aucun élément de contrôle dans l’activité de gestion comme dans Howey. Ni le critère Howey, ni le concept plus large de capitaux spéculatifs dans Hawaii ne doivent être généralisés pour trancher le présent litige. Les deux affaires se distinguent facilement l’une de l’autre.

[Arrêts mentionnés: Re Regina Great Way Merchandising Ltd. (1971), 20 D.L.R. (3d) 67; Re Bestline Products of Canada Ltd. (1972), 29 D.L.R. (3d) 505; Re Ontario Securities Commission and Brigadoon Scotch Distributors (Canada) Limited, [1970] 3 O.R. 714; Tcherepnin v. Knight, 389 U.S. 332 (1967); SEC v. W.J. Howey Co., 328 U.S. 293 (1946); Koscot Interplanetary, Inc., 497 F. 2d 473 (1974); SEC v. Glen W. Turner Enterprises Inc., 474 F. 2d 476 (1973); State of Hawaii v. Hawaii Market Center, Inc., 485 P. 2d 105

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(1971), Jenson v. Continental Financial Corporation (1975), 404 F. Supp. 792.]

POURVOI à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1] rejetant un appel d’une décision de la Cour divisionnaire[2] rejetant l’appel d’une ordonnance de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario de «cesser toutes les transactions». Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin étant dissident.

Douglas Laidlaw, c.r., pour les appelantes.

B.P. Bellmore et M.W. Bader, pour l’intimée.

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Mon collègue le juge de Grandpré a relaté les faits de la présente affaire dans ses motifs de jugement que j’ai eu l’avantage de lire avant de rédiger les miens. Il s’agit ici de l’interprétation et de l’application de l’expression «contrat de placement» que l’on trouve dans l’énumération des «valeurs mobilières» à The Securities Act, R.S.O. 1970, c. 426, et modifications, et qui, par conséquent, assujettit ces contrats à cette loi. Il est admis qu’on ne peut interpréter littéralement cette expression puisque cela aurait pour effet d’assujettir à The Securities Act un nombre incalculable de transactions qui n’ont aucun caractère public. Même sous ce rapport, il est admis que les contrats à terme sur marchandises ne relèvent pas, par nature, des règles établies par la Loi.

Mon collègue le juge de Grandpré a souligné dans ses motifs que les lois américaines sur les valeurs mobilières ne donnent pas non plus de définition de l’expression «contrat de placement», de sorte que c’est aux tribunaux qu’a incombé la tâche de circonscrire une signification compatible avec les buts de la législation sur les valeurs mobilières, c’est-à-dire de garantir la communication aux investisseurs intéressés par une offre publique de tous les renseignements leur permettant d’évaluer (s’ils veulent le faire) les risques que comporte ce placement. Les tribunaux canadiens, aux prises avec des problèmes similaires d’interprétation et d’application, ont estimé utiles les décisions des tribunaux américains beaucoup plus nombreuses

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dans ce domaine; c’est ainsi que pour décider si les apppelantes faisaient le commerce de valeurs mobilières en concluant des conventions de compte sur marchandises avec leurs clients, les tribunaux d’instance inférieure ont examiné et appliqué en l’espèce le critère Howey (énoncé dans Securities and Exchange Commission v. Howey[3]) et le critère Hawaii (énoncé dans Hawaii Commissioner of Securities v. Hawaii Market Centre Inc.[4])

Dans une affaire comme celle-ci, où il est question d’une législation jouissant de la faveur générale car elle vise la protection du public investisseur contre des plans d’investissement frauduleux ou trompeurs présentés de façon attrayante, il est facile de donner aux expressions non définies une interprétation large de façon à y assujettir les plans suspects. Mais si la législature, dans un domaine aussi surveillé et réglementé que celui du commerce des valeurs mobilières, a délibérément omis de définir une expression qui, de l’avis de tous, englobe différents types de transactions dont plusieurs sont parfaitement légitimes, et préfère s’en tenir à des généralités, je ne vois aucune raison pour que les tribunaux s’empressent de dissiper le doute en élargissant le domaine d’application du contrôle statutaire.

Bien que, selon la preuve, il y ait eu des achats de pièces d’argent au comptant, le litige devant cette Cour a trait aux achats sur marge conclus aux termes des conventions-type de compte sur marchandises des appelantes. Les achats au comptant ne sont nettement pas assujettis à The Securities Act. La convention de compte sur marchandises est une convention résiliable par laquelle les acheteurs sur marge s’engagent à acheter un certain nombre de sacs de pièces d’argent tout en versant un dépôt de trente-cinq pour cent du prix d’achat. Ils peuvent obtenir livraison en espèces moyennant un préavis de 48 heures après paiement du solde du prix d’achat plus commission, intérêts et frais d’entreposage s’il y a lieu. Pour honorer les contrats, les appelantes sont tenues d’avoir des sacs de pièces d’argent à leur disposition ou d’effectuer des opérations à terme sur le marché, ce qu’elles

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font d’ailleurs généralement pour couvrir leurs obligations envers leurs clients plutôt que de négocier des achats pour leur propre compte.

Les placements aux termes des conventions de compte sur marchandises mettent à la disposition des appelantes des fonds importants, qui deviennent les leurs. Un lien est donc créé entre les appelantes et leurs clients quant à la réalisation de leurs achats, soit par livraison des sacs de pièces d’argent (ce qui se fait rarement), soit par fermeture des comptes en vendant au prix du marché par l’intermédiaire des appelantes, tout en payant à ces dernières une commission sur la vente ainsi que sur l’achat. Les conventions en question ne peuvent être cédées par les clients sans le consentement des appelantes mais, naturellement, ces dernières peuvent les utiliser comme garantie bancaire.

Les appelantes contrôlent ce qu’il est convenu d’appeler le prix de base, c’est-à-dire qu’elles fixent le prix auquel les investisseurs achètent les sacs de pièces d’argent à livrer ultérieurement compte tenu du cours du marché à ce moment-là. Toutefois, les appelantes ne contrôlent pas le cours du marché mais y sont elles-mêmes soumises; elles ne contrôlent pas non plus le cours des devises qui, de concert avec le cours du marché, influence certainement la décision d’un client de fermer ou non son compte. C’est à l’égard de ces aspects des transactions conclues avec les clients que l’avocat des appelantes s’est élevé contre l’importance que les tribunaux d’instance inférieure ont donnée aux opérations en contrepartie, ceci d’après lui n’étant pas en litige.

L’avocat prétend qu’il importe peu aux clients de savoir si les appelantes effectuent des opérations en contrepartie relativement à leurs obligations à terme à leur égard. Si elles n’effectuent pas d’opérations en contrepartie, les appelantes accroissent simplement la possibilité de perte ou de profit quand elles répondent à la demande de livraison de sacs de pièces d’argent que le client a achetés ou quand elles reçoivent du client qui a décidé de fermer son compte l’ordre de vendre. Si elles en effectuent, il appartient toujours au client de décider, indépendamment de ces opérations, s’il doit prendre livraison ou vendre si le cours du marché de l’argent rend cette alternative plus avantageuse.

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Les opérations en contrepartie n’ont donc d’influence que sur la situation financière des appelantes et il me semble même que seule leur solvabilité est source de risque pour le client. Pourtant la Cour d’appel de l’Ontario, par la voix du juge Dubin, est d’avis que la question de la solvabilité ne suffit pas à assujettir les conventions de compte sur marchandises à The Securities Act. Je comprends que l’on soit réticent à conclure que la solvabilité ou l’insolvabilité constituent des facteurs déterminants en l’espèce. Cette question influe également sur la réalisation de bénéfices futurs découlant de contrats commerciaux à cet effet, mais personne n’a suggéré que même s’il existait un réseau de contrats, les tribunaux devraient les qualifier de contrats de placement aux fins de la réglementation sur les valeurs mobilières.

A mon avis, il n’existe pas plus de trois facteurs à considérer pour décider si la convention de compte sur marchandises est un «contrat de placement» au sens de cette expression dans la définition de «valeurs mobilières» dans The Securities Act de l’Ontario. Il y a d’abord la détermination du prix de base des achats par les clients; il y a ensuite la mise en commun, par les appelantes, des fonds qui leur ont été versés au titre des dépôts exigés aux termes des conventions de compte sur marchandises; et, en dernier lieu, il y a la question de la solvabilité des appelantes. On retrouve ces mêmes facteurs dans un arrangement semblable qui a fait l’objet d’une décision de la Cour de district des États-Unis, district du Minnesota, dans Jenson v. Continental Financial Corporation[5] sur laquelle l’avocat de l’intimée en l’espèce s’est fortement appuyé. Dans cette affaire, la Cour avait à trancher la même question que celle soulevée devant les tribunaux en l’espèce, savoir si la spéculation sur les fluctuations du marché de l’argent n’est rien de plus qu’une opération à terme sur marchandises et ne constitue donc pas une valeur mobilière assujettie à la législation.

En concluant à l’aide du critère Howey que la convention de compte sur marchandises est assujettie à la législation pertinente, la Cour a insisté sur le placement dans une entreprise commune des

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sommes d’argent versées par les investisseurs, où les possibilités de profit ou de perte dépendent uniquement (ou peut-être essentiellement) de l’habileté des promoteurs à jauger le marché et, de là, à assurer leur propre solvabilité de façon à pouvoir répondre à leurs obligations à l’égard de leurs clients. Je ne vois rien de plus, sous cet angle, qu’une simple question de solvabilité puisque c’est le marché qui détermine si le client va réaliser un profit, et que celui-ci est libre de fermer son compte ou de prendre livraison en espèces, en tout temps et à sa demande, et non pas seulement lorsque le promoteur l’y autorise. Je ne vois aucun élément de contrôle dans l’activité de gestion à laquelle la Cour de district a fait allusion dans l’affaire Jenson, puisque c’est le marché et non le promoteur qui détermine les profits. De toute évidence, la notion d’activité de gestion provient de l’affaire Howey où les intimés étaient les promoteurs d’une entreprise de vergers d’agrumes tout en en assumant la gestion et l’entretien. On ne peut établir de parallèle avec la présente affaire, pas plus qu’on ne peut le faire avec une compagnie manufacturière dont les actions peuvent être achetées sur le marché libre.

Je ne suis pas convaincu qu’un critère découlant d’un ensemble de faits précis comme ceux de l’affaire Howey, ou que le concept plus large des capitaux spéculatifs fondé sur un autre ensemble de faits comme ceux de l’affaire Hawaii, puisse ou doive être généralisé pour permettre de trancher le présent litige où l’ensemble des faits est encore différent. Dans les affaires Howey et Hawaii, les tribunaux étaient respectivement aux prises avec des plans portant sur la gestion de terrains et sur la vente de marchandises, aux termes desquels les promoteurs assumaient le contrôle de la gestion. Hors du contrôle du promoteur, le cours du marché ne jouait pas le rôle important qu’il joue en l’espèce. J’estime qu’il convient de se reporter à la dissidence du juge Frankfurter dans l’affaire Howey, à la p. 302, où il s’oppose à ce que toute transaction conclue de bonne foi soit assujettie à la législation sur les valeurs mobilières simplement parce que des transactions malhonnêtes du même type y sont assujetties.

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Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions des tribunaux d’instance inférieure et d’annuler l’ordonnance de prohibition de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, avec dépens aux appelantes dans toutes les cours.

Le jugement des juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRE — Par avis donné conformément aux dispositions du par. 144(1) de The Securities Act, R.S.O. 1970, c. 426, l’intimée a informé l’appelante de la tenue d’une audition le 24 juillet 1974 [TRADUCTION] «pour déterminer s’il serait dans l’intérêt public que la Commission ordonne la cessation immédiate de toutes les transactions touchant les valeurs mobilières offertes par Pacific Coast Coin Exchange of Canada Limited jusqu’à ce que soit déposé et accepté un prospectus et jusqu’à ce qu’elle se soit conformée aux dispositions de The Securities Act sur l’enregistrement». L’appelante a également été informée qu’à l’appui de cette demande, l’intimée allait invoquer le fait que le plan ou mode de fonctionnement de l’appelante [TRADUCTION] «comprend l’offre et la vente… de valeurs mobilières au public» en ce que

1) ce plan constitue [TRADUCTION] «un contrat de placement» au sens du sous-al. 1(1)22xiii de la Loi;

2) subsidiairement, ce plan constitue [TRADUCTION] «la reconnaissance d’un titre de propriété sur le capital, l’actif, les biens, les profits, les revenus et les redevances» de l’appelante au sens du sous-al. 1(1)22ii de la Loi.

Le 11 octobre 1974, à la suite de l’audition, l’intimée a rendu une ordonnance de prohibition; elle indique qu’elle se fonde principalement sur le sous-al. 1(1)22ii de la Loi, tout en précisant que le sous-al. 1(1)22xiii est aussi applicable. La Cour divisionnaire a confirmé la conclusion de l’intimée mais uniquement parce que les transactions conclues entre l’appelante et ses clients constituent des contrats de placement; selon la Cour divisionnaire, ces ententes ne constituent pas une reconnaissance de titre au sens du sous-al. 1(1)22ii de la Loi. Cf: (1975) 7 O.R. (2d) 395; également (1975) 55

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D.L.R. (3d) 331. L’appel interjeté à la Cour d’appel a été rejeté, cette dernière étant elle aussi d’avis que les transactions constituent des contrats de placement; elle a estimé inutile de décider si elles constituent également des valeurs mobilières au sens du sous-al. 1(1)22ii de la Loi. Cf: (1975) 8 O.R. (2d) 257; également (1975) 57 D.L.R. (3d) 641.

La principale question en litige dans ce pourvoi est de savoir si la convention conclue entre l’appelante et ses clients est un contrat de placement. Si l’on répond par la négative, il sera alors nécessaire de décider si la convention constitue une valeur mobilière au sens du sous-al. 1(1)22ii.

LES FAITS

Bien que le juge Houlden, qui parlait au nom de la Cour divisionnaire, ait soigneusement analysé les faits et que la Cour d’appel et les parties en cause aient accepté cette analyse, j’estime important de revoir encore une fois les plus pertinents.

L’appelante Pacific est une compagnie canadienne qui fait affaire en Ontario et dans d’autres provinces; MM. Louis Carabini et Neil Chamberlain en sont les actionnaires. L’appelante Monex, une compagnie californienne également contrôlée par MM. Carabini et Chamberlain, a été constituée en 1971 pour remplacer une autre compagnie qui faisait affaire depuis 1967; elle est active dans plusieurs états des États-Unis d’Amérique. Ces deux appelantes seront ci-après appelées «Pacific». Soulignons qu’à l’époque de l’audition, Pacific avait quelque 12,000 clients aux États-Unis et 226 au Canada.

Pacific a commencé à faire affaire en Ontario au printemps 1973. Ses activités dans cette province consistent principalement à offrir, à vendre et à livrer des sacs de pièces d’argent en espèces et à offrir et à vendre des sacs de pièces d’argent sur marge. Seule cette dernière activité fait l’objet du présent pourvoi.

Pacific attire principalement ses clients par des annonces dans les journaux, qui invitent le public à demander de plus amples renseignements en retournant un coupon postal à la compagnie. Les

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personnes intéressées reçoivent alors des brochures d’information qui vantent les pièces d’argent comme «placement» assurant la protection «efficace» et «idéale» de l’épargne et de l’actif du client contre l’inflation. On y compare favorablement le rendement du prix de l’argent à d’autres genres d’investissement, comme les actions ordinaires. Les brochures prédisent une augmentation constante et débridée du taux d’inflation et suggèrent même la possibilité d’une nouvelle dépression. L’accent est mis sur une augmentation inévitable du prix de l’argent nonobstant l’inflation, la dévaluation de la monnaie et la récession sur les marchés boursiers.

L’appelante propose deux façons d’investir dans les pièces d’argent: l’achat au comptant de sacs de pièces d’argent qui sont livrés à l’investisseur et l’achat sur marge de sacs de pièces d’argent. On encourage les achats sur marge plutôt que les achats au comptant et ce, au moyen d’une comparaison qui démontre qu’une personne ayant une somme de $10,000 à investir peut, sur marge, acheter sept sacs de pièces d’argent tandis qu’elle ne peut en acheter que deux au comptant.

Plus de 90 pour cent des achats sont faits sur marge. Dans les deux cas, Pacific exige du client qu’il signe une «convention de compte sur marchandises». Puisque cette convention est l’unique document qui fait foi d’un contrat entre Pacific et ses clients, il convient maintenant d’examiner les clauses relatives aux droits et obligations des acheteurs sur marge:

a) les marchandises consistent en un ou plusieurs sacs de pièces d’argent;

b) le client verse une commission de 2 pour cent sur le prix d’achat et lorsqu’il vend, il doit verser une seconde commission de 2 pour cent;

c) le client est tenu de faire un dépôt (35 pour cent du prix d’achat à l’époque de l’audition) et de conserver à son compte une couverture adéquate correspondant aux montants exigés à l’occasion par Pacific;

d) Pacific n’est pas tenue de livrer les marchandises avant que le client en ait payé intégralement le prix, c’est-à-dire le solde du prix d’achat plus intérêts (approximativement 12 pour cent à

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l’époque de l’audition), commission et frais d’entreposage; le client convient d’acheter toutes les marchandises qu’il a commandées et d’en payer intégralement le prix avant la livraison;

e) il peut être mis fin à la convention à la demande d’une des parties mais, en tout état de cause, elle prendra fin cinq ans après la date du dernier achat effectué aux termes de cette convention;

f) Pacific fixe plusieurs fois par jour le prix auquel elle vend à ses clients et le publie; ce prix comprend la valeur marchande établie par Pacific plus les commissions et les autres frais;

g) le client peut obtenir la livraison de toutes les marchandises portées à son compte ou d’une partie de celles-ci, dans les quarante-huit heures suivant le paiement intégral de leur prix;

h) Pacific ne possède aucun pouvoir ni aucune autorité sur les transactions du client et ne possède aucun contrôle sur le compte du client, sous réserve de certaines dispositions qui lui permettent d’exiger qu’il garantisse ses dettes en souffrance;

i) le client ne possède aucun droit réel sur les sacs d’argent achetés en vertu de la convention, avant qu’il en acquitte intégralement le prix et en accepte la livraison;

j) la convention prévoit que dans certains cas de défaut de paiement, Pacific se réserve le droit de liquider le compte du client ou de réaliser les marchandises achetées par le client et portées à son compte pour compenser l’endettement de ce dernier envers elle;

k) Pacific peut céder la convention tandis que le client ne peut le faire sans son consentement.

Plus de 85 pour cent de tous les acheteurs sur marge ferment leur compte sans prendre livraison. Lorsqu’un acheteur sur marge ferme son compte, il reçoit ou verse la différence entre le prix en vigueur au moment de la fermeture de son compte et le montant de sa dette sur marge, plus intérêts, commission et frais d’entreposage.

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Bien qu’il soit stipulé dans la convention que Pacific [TRADUCTION] «peut, mais n’est pas tenue de se porter acquéreur des marchandises», elle souligne dans sa brochure d’information que, dans le passé, elle s’est toujours portée acquéreur pour ses clients. Pacific ne rachète pas les contrats sur marge conclus avec d’autres vendeurs de monnaie, pas plus que ces derniers ne rachètent les contrats sur marge conclus avec Pacific.

L’unique obligation de Pacific envers les clients sur marge est de livrer les sacs de pièces d’argent visés par le contrat lorsque le client acquitte le solde. En pratique, Pacific se couvre relativement à cette obligation envers ses clients sur marge:

a) en achetant l’argent par contrats à terme; ces contrats couvrent environ 85 pour cent des obligations de Pacific envers ses clients sur marge;

b) en ayant toujours un petit stock de pièces d’argent en espèces.

Pacific a pour politique de se couvrir pour au moins 95 pour cent de ses obligations sur marge.

Pacific touche les sommes versées comme dépôt par les investisseurs sur marge. Ces sommes s’ajoutent à ses fonds généraux. Elle en utilise une partie pour garantir ses propres contrats à terme et une autre partie pour ses propres Investissements.

En effectuant ses opérations de contrepartie, Pacific négocie pour son propre compte et en son propre nom; elle vend et achète les contrats à terme comme partie à ces contrats et non comme mandataire d’un client. Lorsque les contrats à terme sur l’argent arrivent presqu’à échéance, la Direction des opérations, où travaillent quelque 55 personnes, doit décider s’il vaut mieux payer le solde dû et prendre livraison de l’argent ou se défaire des contrats en les vendant et en les remplaçant par d’autres à échéance plus éloignée.

Dans sa brochure, Pacific fait une mise en garde contre les personnes qui spéculent sur les contrats à terme. Pareils placements ne sont pas pour les profanes ni pour les imprudents:

[TRADUCTION] Ils s’adressent principalement aux spéculateurs qui recherchent les situations à court terme et

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à effet spéculatif très élevé, et aux contrepartistes qui utilisent les contrats à terme pour équilibrer leurs engagements à long ou à court terme par un engagement équivalent. Si vous envisagez d’acheter de l’argent à terme, vous devez être prêts à consacrer beaucoup de temps à l’étude du marché de l’argent et à en suivre l’évolution quotidienne.

CONTRAT DE PLACEMENT

L’article 35 de la Loi édicté l’interdiction pour quiconque de [TRADUCTION] «faire le commerce de valeurs mobilières» sans un prospectus. L’expression «valeurs mobilières», définie à l’art. 1, inclut quatorze catégories, la treizième étant [TRADUCTION] «tout contrat de placement autre qu’un contrat de placement au sens de The Investment Contracts Act». Il est admis que le contrat en cause n’est pas visé par cette dernière loi.

L’expression «contrat de placement» n’est pas définie dans la Loi. Dans le but de la définir, les tribunaux d’instance inférieure se sont reportés à la jurisprudence américaine et les avocats nous invitent à faire de même. Je suis d’accord. Bien que la Loi présentement en cause ne soit pas complètement identique à son pendant américain, l’expression «contrat de placement» est employée dans l’une et dans l’autre. De plus, le but de la législation dans les deux pays est exactement le même, de sorte que vu les rares décisions canadiennes sur ce sujet, il est sage de consulter les décisions rendues par les tribunaux américains. La Cour d’appel de l’Alberta, dans Re Regina Great Way Merchandising Ltd.[6], et le juge Nemetz de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans Re Bestline Products of Canada Ltd.[7], ont aussi procédé de la sorte.

J’ai fait allusion au but de la législation. Il s’agit nettement de la protection du public, comme l’a déclaré le juge Hartt dans Re Ontario Securities Commission and Brigadoon Scotch Distributors (Canada) Limited[8], à la p. 717:

[TRADUCTION]… The Securities Act, 1966, vise principalement… à protéger le public investisseur en exigeant la divulgation claire, complète et honnête de tous les faits pertinents aux valeurs mobilières émises.

[Page 127]

S’il pouvait subsister des doutes quant à l’intention de la législature en l’espèce, ils sont dissipés par les termes très généraux employés dans la définition de l’expression «valeurs mobilières». Les quatorze alinéas de la définition englobent pratiquement tous les types de transactions au point que la portée de cette définition a dû être limitée par une longue liste d’exceptions que l’on trouve à l’art. 19.

A ce stade-ci, il convient de se reporter à un ouvrage du professeur Louis Loss que l’appelante a cité comme témoin-expert devant la Commission. Dans la deuxième édition de son ouvrage intitulé Securities Regulation ((1961) tome I, aux pp. 483, 488 et 489) et dans le supplément de 1969 (tome IV à la p. 2501), M. Loss reconnaît que [TRADUCTION] «les catégories de la définition ne sont pas mutuellement exclusives et jouent le rôle de «fourre‑tout»». Cette conception de la définition que l’on trouve dans la loi américaine, vaut également pour la nôtre.

On doit donner à ce genre de législation protectrice une interprétation large qui tienne compte des réalités économiques qu’elle vise. L’élément décisif est le fond et non la forme. Comme on l’a souligné dans Tcherepnin v. Knight[9], à la p. 336:

[TRADUCTION]… en cherchant la signification et la portée de l’expression «valeurs mobilières» dans la Loi, le fond doit l’emporter sur la forme et l’accent doit être mis sur la réalité économique.

Dans la recherche du sens véritable de l’expression «contrat de placement», il faut aussi penser à un autre principe important. Comme l’a souligné la Cour suprême des États-Unis dans SEC v. W.J. Howey Co.[10], une définition doit permettre (à la p. 299):

[TRADUCTION]… à la législation d’atteindre son but, savoir rendre obligatoire la divulgation complète et juste des faits relatifs à l’émission «des divers types d’effets qui, dans le commerce, entrent ordinairement dans la notion de valeurs mobilières»… Elle contient un principe souple plutôt que statique, capable de s’adapter aux innombrables plans employés par ceux qui cherchent à utiliser l’argent des autres en leur promettant des profits.

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Cela ne signifie pas que la législation vise uniquement les plans qui sont effectivement frauduleux; elle a plutôt trait aux accords qui ne permettent pas aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement.

C’est en ayant tout ce qui précède à l’esprit que la Cour suprême des États-Unis a établi dans l’arrêt Howey (précité, aux pp. 298, 299, 301) le critère suivant:

[TRADUCTION] Est-ce que le plan implique «un investissement d’argent dans une entreprise commune, dont les profits sont uniquement le fruit du labeur de tiers»?

Selon la Cour, ce critère est simplement une autre façon d’exprimer un sens cristallisé antérieurement par l’interprétation judiciaire. Le passage suivant (à la p. 298) mérite d’être cité:

[TRADUCTION] L’expression «contrat de placement» n’est pas définie dans la Securities Act, ni dans les recueils législatifs pertinents. Mais on retrouve cette expression dans plusieurs des lois dites «blue sky» en vigueur avant l’adoption de la loi fédérale et, bien que l’expression ne soit pas non plus définie par les lois des États, leurs tribunaux les ont interprétées largement de façon à accorder aux investisseurs une bonne protection. Le fond l’a emporté sur la forme et l’accent a été mis sur la réalité économique. Ainsi, le contrat de placement a pris le sens de contrat ou plan visant «le placement de capitaux ou le débours d’une somme d’argent dans le but d’en tirer un revenu ou un profit». State v. Gopher Tire & Rubber Co., 146 Minn. 52, à la p. 56; 177 N.W. 937, à la p. 938. Les tribunaux des États ont appliqué uniformément cette définition à de nombreuses situations où des individus avaient été incités à investir de l’argent dans une entreprise commune dans l’espoir de toucher un profit grâce au seul labeur du promoteur ou d’un tiers.

En assujettissant le contrat de placement à la Securities Act par le biais de son par. 2(1), le Congrès a utilisé en fait une expression dont le sens a été cristallisé antérieurement par interprétation judiciaire. Par conséquent, il est raisonnable de donner ce sens à l’expression employée par le Congrès, notamment du fait que cette définition est compatible avec le but de la Loi.

En l’espèce il ne fait aucun doute qu’il y a eu placement de fonds dans le but d’en tirer un profit. Les questions à trancher sont donc les suivantes: Y a-t-il une entreprise commune? Les profits résultent-ils uniquement du labeur d’autrui? Ces deux

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questions sont si étroitement liées qu’il importe de répondre aux deux à la fois.

Bien des tribunaux américains ont critiqué l’emploi du mot «uniquement» dans ce critère et en ont atténué la portée. Il suffit de se reporter à SEC v. Koscot Interplanetary, Inc.[11], et à SEC v. Glen W. Turner Entreprises, Inc.[12] Comme le mentionne l’arrêt Turner, donner une interprétation rigoureuse au mot «uniquement» (à la p. 482) [TRADUCTION] «n’est pas conforme au but de la Loi. Nous préférons adopter un critèire plus réaliste, savoir le labeur de personnes autres que l’investisseur est-il incontestablement déterminant, s’agit-il de cette direction effective de l’entreprise qui influe directement sur son échec ou son succès». Dans ce même arrêt, on a défini l’expression «entreprise commune» comme (à la p. 482) [TRADUCTION] «une entreprise où le sort de l’investisseur est étroitement lié et subordonné aux fruits du labeur de ceux qui l’ont incité à investir ou de tiers». J’accepte d’emblée les raffinements de cette notion.

A l’instar des tribunaux d’instance inférieure, j’estime qu’il convient de répondre par l’affirmative à ces deux questions. Puisqu’ils ont analysé la présente situation en profondeur, il me paraît inutile de le refaire dans mes propres termes et de répéter les faits résumés au début de ces motifs. J’insisterai simplement sur la question de l’entreprise commune et je tenterai d’illustrer deux aspects de la subordination du client à Pacific, savoir vis-à-vis du succès de l’entreprise et de l’existence d’un marché véritable.

A mon avis, on a satisfait en l’espèce au critère d’entreprise commune. J’accepte l’allégation de l’intimée selon laquelle pareille entreprise existe lorsqu’elle vise à avantager celui qui fournit le capital (l’investisseur) et ceux qui le sollicitent (le promoteur). L’investisseur a pour seul rôle d’avancer l’argent, tandis que le promoteur assume la direction effective de l’entreprise en vue de son succès; d’où la communauté d’intérêt. En d’autres termes, la «communauté d’intérêt» nécessaire à l’existence d’un contrat de placement est celle qui existe entre l’investisseur et le promoteur. Il n’est

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pas nécessaire qu’il y ait entreprise commune entre les investisseurs.

Quant à la subordination du client relativement au succès de L’entreprise, il convient de se rappeler que l’appelante souligne, dans sa brochure d’information, le danger que court l’investisseur ordinaire en se lançant dans des opérations à terme; le texte de l’avertissement a été cité précédemment dans ces motifs. Dans son témoignage, M. Loss y fait écho: [TRADUCTION] «L’homme de la rue n’est pas équipé pour faire affaire sur le marché à terme des marchandises». L’appelante tente maintenant de se rétracter et elle allègue que les contrats à terme sur les marchandises n’ont vraiment rien de sorcier. Les tribunaux d’instance inférieure ont rejeté cette allégation et jugé, à bon droit, que le sort de l’investissement de chaque client est en définitive subordonné à la façon dont sont administrés les fonds obtenus par l’appelante. Si Pacific n’investit pas sagement les fonds mis en commun, l’acheteur ne tirera aucun rendement de son investissement, indépendamment de la valeur courante de l’argent; l’acheteur ne peut rien faire pour éviter ce résultat.

Cette subordination des investisseurs à l’appelante est également manifeste lorsqu’on retient que l’acheteur sur marge ne peut se tourner que vers Pacific pour l’exécution de son contrat. Avant d’avoir acquitté intégralement le prix d’achat, l’investisseur ne possède aucun titre sur un bien mais uniquement un recours contre Pacific. Si le cours de l’argent baisse, l’investisseur ne peut pas financer son solde débiteur (sauf par ses propres moyens) et à compter de ce moment-là, il est à la merci de Pacific. Cela ne revient pas à dire qu’il s’agit ici uniquement d’une question de solvabilité. Comme l’a souligné la Cour d’appel (à la p. 259), la conclusion de la Cour divisionnaire ne repose pas [TRADUCTION] «sur une base aussi étroite».

Le succès de l’entreprise dépend uniquement du labeur du promoteur dans le but d’obtenir un bénéfice pour l’investisseur et lui. Ainsi la nature de la relation entre Pacific et ses clients sur marge satisfait le critère énoncé dans Howey. Peu importe que la relation vise une marchandise qui, dans un autre contexte, pourrait faire l’objet d’opérations à terme non assujetties aux restrictions de

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The Securities Act.

Un autre critère qui permet de déterminer les réalités économiques d’une vente de valeurs mobilières est celui énoncé par la Cour suprême d’Hawaii dans State of Hawaii v. Hawaii Market Center, Inc.[13], décision en date de 1971. Ce critère est peut-être encore plus favorable à la thèse de l’intimée en l’espèce; d’ailleurs, la Cour divisionnaire a aussi étudié les faits sous cet angle et a conclu que le recours à la notion de capitaux spéculatifs mène sensiblement à la même conclusion. Je partage cet avis.

Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la question soulevée dans le présent pourvoi n’est pas de savoir si les contrats à terme sur marchandises constituent des contrats de placement. Les parties ont convenu qu’ils n’en sont pas. Ce qui est en cause, c’est la relation entre Pacific et ses clients sur marge, examinée en particulier à la lumière des critères énoncés dans les arrêts Howey et Hawaii. Une relation semblable a été récemment étudiée dans Jenson v. Continental Financial Corporation[14], décision de la Cour de district de l’État du Minnesota, rendue le 19 novembre 1975, que l’on trouve aux par. 95 à 436 des CCH Federal Securities Law Reporters, où les faits étaient presque identiques à ceux en l’espèce. Dans cette affaire-là, la question était formulée en ces termes (pp. 99, 202):

[TRADUCTION]… les demandeurs n’allèguent pas que la vente des pièces de monnaie constitue à elle seule un contrat de placement. Ils prétendent plutôt que le mode de fonctionnement des défendeurs a transformé en un contrat de placement ce qui, à première vue, semble être la vente d’un contrat à terme sur marchandises.

Et la Cour a répondu (pp. 99, 205):

[TRADUCTION] Il est donc clair que les actions des défendeurs vont plus loin que la simple vente d’un contrat à terme sur marchandises. En mettant en commun des capitaux de placement et en les investissant en leur propre nom, les défendeurs ont transféré le risque de leurs transactions aux demandeurs investisseurs qui, par le fait même, sont devenus associés des défendeurs dans une entreprise commune.

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A cet égard, on peut consulter une décision très semblable, State of Idaho ex rel. Park v. International Silver (Silver) Mint Corporation[15], rendue le 20 juillet 1972 par la Cour de district du Quatrième district judiciaire de l’État d’Idaho.

Un dernier mot. A la demande des parties, j’ai examiné les faits uniquement à la lumière des critères énoncés dans les arrêts Howey et Hawaii. Toutefois, à l’instar de la Cour divisionnaire, je serais enclin à adopter un point de vue plus large. Le législateur a nettement voulu adoucir la règle caveat emptor dans les transactions portant sur des valeurs mobilières et les tribunaux doivent chercher à atteindre ce but même si les critères soigneusement formulés dans des décisions antérieures s’avèrent inefficaces et doivent constamment être élargis. C’est l’intention du législateur qui est décisive et non le critère judiciaire formulé ultérieurement.

* * *

Ayant conclu que la convention de compte sur marchandises entre l’appelante et ses clients sur marge constitue un contrat de placement, il n’est pas nécessaire de déterminer si cette convention tombe également sous le coup de la définition de «valeurs mobilières» au sens du sous-al. 1(1)22ii de la Loi.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef LASKIN étant dissident.

Procureurs des appelantes: McCarthy & McCarthy, Toronto.

Procureur de l’intimée: M.W. Bader, Toronto.

[1] (1975), 8 O.R. (2d) 257, 57 D.L.R. (3d) 641.

[2] (1975), 7 O.R. (2d) 395, 55 D.L.R. (3d) 331.

[3] (1946), 328 U.S. 293.

[4] (1971), 485 P. 2d 105.

[5] (1975), 404 F. Supp. 792.

[6] (1971), 20 D.L.R. (3d) 67.

[7] (1972), 29 D.L.R. (3d) 505.

[8] [1970] 3 O.R. 714.

[9] 389 U.S. 332 (1967).

[10] 328 U.S. 293 (1946).

[11] 497 F. 2d 473 (1974).

[12] 474 F. 2d 476 (1973).

[13] 485 P. 2d 105 (1971).

[14] (1975), 404 F. Supp. 792.

[15] (1972), C.C.H. Blue Sky Law Reports, vol. 3, p. 67, 321


Parties
Demandeurs : Pacific Coast Coin Exchange
Défendeurs : Ontario Securities Commission

Références :
Proposition de citation de la décision: Pacific Coast Coin Exchange c. Ontario Securities Commission, [1978] 2 R.C.S. 112 (16 novembre 1977)


Origine de la décision
Date de la décision : 16/11/1977
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 112 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-11-16;.1978..2.r.c.s..112 ?
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