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14/12/1977 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._97

Canada | Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et autre c. British Columbia Packers Ltd. et autres, [1978] 2 R.C.S. 97 (14 décembre 1977)


Cour suprême du Canada

Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et autre c. British Columbia Packers Ltd. et autres, [1978] 2 R.C.S. 97

Date: 1977-12-14

Le Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et le Conseil canadien des relations du travail Appelants;

et

British Columbia Packers Limited, Nelson Bros. Fisheries Ltd., The Canadian Fishing Company Limited, Queen Charlotte Fisheries Limited, Tofino Fisheries Ltd., Seafood Products Limited, J.S.

McMillan Fisheries Ltd., Norpac Fisheries Ltd., The Cassiar Packing Co. Ltd., Bab...

Cour suprême du Canada

Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et autre c. British Columbia Packers Ltd. et autres, [1978] 2 R.C.S. 97

Date: 1977-12-14

Le Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et le Conseil canadien des relations du travail Appelants;

et

British Columbia Packers Limited, Nelson Bros. Fisheries Ltd., The Canadian Fishing Company Limited, Queen Charlotte Fisheries Limited, Tofino Fisheries Ltd., Seafood Products Limited, J.S. McMillan Fisheries Ltd., Norpac Fisheries Ltd., The Cassiar Packing Co. Ltd., Babcock Fisheries Ltd., Francis Millerd & Co. Ltd., Ocean Fisheries Ltd. Intimées;

et

Native Brotherhood of British Columbia, Fishing Vessel Owners Association of British Columbia, Pacific Trollers Association, Le procureur général de la Colombie-Britannique, Le procureur général de Terre-Neuve et Le procureur général de la Nouvelle-Écosse Intervenants.

1977: 3 et 4 mai; 1977: 14 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 97 ?
Date de la décision : 14/12/1977
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Relations de travail - Demandes d’accréditation pour des équipages de navires de pêche - Procédures de prohibition - Opérations impliquant «une entreprise fédérale» - Les membres des équipages de pêche et les fabricants n’entrent pas dans la catégorie des relations employés-patron aux termes du Code canadien du travail - Le Conseil canadien des relations du travail n’était pas autorisé à entendre les demandes - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, Partie V (modifiée par 1972, c. 18, art. 1).

Des procédures de prohibition ont été intentées contre l’appelant, le Conseil canadien des relations du travail, auquel le syndicat a présenté plusieurs demandes d’accréditation comme agent négociateur des équipages de navires de pêche dont les prises sont vendues aux intimées. Des ententes conclues avec les propriétaires, les capitaines et les équipages des navires prévoient les modalités de leur rémunération sur les prises. Les inti-

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mées sont, des fabricants qui emballent et vendent le poisson à l’intérieur et à l’extérieur de la Colombie-Britannique.

Le juge Addy a entendu la demande de prohibition et y a fait droit pour deux raisons; il a jugé (a) que le Code canadien du travail, selon ses propres termes, ne s’applique pas aux relations des équipages de navires à titre d’employés avec les intimées, à titre d’employeurs, puisque les pêcheurs ne sont pas employés dans le cadre d’une entreprise fédérale aux termes de l’art. 108 du Code canadien du travail; et (b) que si le Code s’applique, ses dispositions sont à cet égard ultra vires. La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement du juge Addy sur le moyen constitutionnel qu’il avait retenu. Parlant au nom de la Cour, le juge en chef Jackett partant de l’hypothèse que le Code canadien du travail s’applique aux équipages de navires de pêche et aux fabricants, les intimées, a conclu «après beaucoup d’hésitation … que cette législation, telle que formulée, ne concerne pas un sujet entrant dans la catégorie des «pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» [par. 91(12) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique]».

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Quant à la question principale soulevée par l’art. 108 (article applicable concernant la compétence du Conseil), celle de savoir si les opérations pour lesquelles on demande l’accréditation impliquent «une entreprise fédérale», les parties pertinentes en l’espèce de la définition donnée à l’art. 2 du Code sont les premiers mots de cette définition («tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada») et l’al. i) («tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales»). Sur les autres questions d’interprétation, à savoir, les définitions de «employé» et «patron», il a été conclu que la Partie V du Code canadien du travail n’assujettit pas les membres d’équipage de navires de pêche et les fabricants à une relation employeur-employé qui permettrait au Conseil canadien du travail d’entendre une demande d’accréditation à l’égard de ces pêcheurs et des fabricants intimés.

Le paragraphe 107(1) de la Partie V donne une définition à la fois générale et particulière du mot «employé». La définition du mot «employé» inclut spécifiquement l’«entrepreneur dépendant» qui, aux termes du sous-al. b) de sa propre définition comprend notamment un pêcheur. Il y a de la difficulté à faire entrer dans cette définition les équipages de navires de pêche, en ce qui concerne leurs relations avec les fabricants intimés qui, à titre de «patrons», seraient des «personnes qui emploient un ou plusieurs employés». Si un «pêcheur» est une personne qui n‘est pas employée par

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un employeur, comment les pêcheurs peuvent-ils être considérés comme employés des intimées?

On a manifestement oublié de modifier la définition de «patron» lorsque l’on a ajouté l’«entrepreneur dépendant» à la définition d’«employé» dans 1972 (Can.), c. 18, mais un tribunal ne peut ajouter des mots à une loi à moins qu’ils ne soient implicites. Cette inférence est d’autant plus difficile qu’«entrepreneur dépendant», selon sa définition, comprend un pêcheur, qui n’est pas employé par un employeur mais «qui est partie à un contrat verbal ou écrit aux termes duquel il a droit à un pourcentage ou à une fraction du revenu d’une entreprise commune de pêche à laquelle il participe». Cela suggère, tout au moins à première vue, une entente interne entre le propriétaire du navire de pêche, le capitaine et l’équipage sur la façon de répartir entre eux les produits des prises qui ont été vendues à des tiers. Bien qu’ils soient dans certains cas propriétaires de navires de pêche, les fabricants intimés ne sont pas impliqués dans les procédures d’accréditation en cette qualité. Même s’ils tiennent effectivement les comptes des parts revenant au propriétaire du navire de pêche, au capitaine et à l’équipage, et s’ils répartissent l’argent entre eux, ils ne sont pas pour autant des fabricants employeurs en vertu de la Partie V; et même s’ils participent ainsi à une entreprise commune de pêche, ils sont alors pêcheurs et donc eux-mêmes «employés».

Arrêt mentionné: Re Lunenberg Sea Products, Re Zwicker, [1947] 3 D.L.R. 195.

POURVOI à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] confirmant le jugement du juge Addy interdisant au Conseil canadien des relations du travail d’entendre des demandes d’accréditation du syndicat appelant en vertu du Code canadien du travail. Pourvoi rejeté.

S.R. Chamberlain, pour le syndicat appelant.

D.H. Aylen, c.r., et D.F. Friesen, pour le Conseil canadien des relations du travail.

W.G. Burke-Robertson, c.r., et G.S. Levey pour les intimées.

J.W. Kavanagh, c.r., et C.A. McCulloch, pour le procureur général de la Nouvelle Écosse.

J.A. Nesbitt, c.r., pour le procureur général de Terre-Neuve.

[Page 100]

S. Kelleher et S. Gudmundseth, pour Native Brotherhood of British Columbia.

W.K. Hanlin, pour Fishing Vessel Owners Association of British Columbia.

P. Fraser, pour Pacific Trollers Association.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le présent pourvoi interjeté sur autorisation de la Cour d’appel fédérale attaque une décision de cette dernière à l’égard de la demande de prohibition visant l’appelant, le Conseil canadien des relations du travail, auquel le syndicat appelant a présenté onze demandes d’accréditation comme agent négociateur des équipages de navires de pêche dont les prises sont vendues aux intimées. Des ententes conclues avec les propriétaires, les capitaines et les équipages des navires prévoient les modalités de leur rémunération sur les prises. Les douzes intimées (dont deux sont réunies dans une des demandes d’accréditation sous le titre d’«employeur») sont des fabricants qui emballent et vendent le poisson à l’intérieur et à l’extérieur de la Colombie-Britannique.

Le juge Addy a entendu la demande de prohibition et y a fait droit pour deux raisons; il a jugé (a) que le Code canadien du travail, selon ses propres termes, ne s’applique pas aux relations des équipages de navires à titre d’employés avec les intimées à titre d’employeurs puisque les pêcheurs ne sont pas employés dans le cadre d’une entreprise fédérale aux termes de l’art. 108 du Code canadien du travail cité plus loin; et (b) que si le Code s’applique, ses dispositions sont à cet égard ultra vires. La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement du juge Addy sur le moyen constitutionnel qu’il avait retenu. Parlant au nom de la Cour, le juge en chef Jackett partant de l’hypothèse que le Code canadien du travail s’applique aux équipages de navires de pêche et aux fabricants, les intimées, a conclu «après beaucoup d’hésitation … que cette législation, telle que formulée, ne concerne pas un sujet entrant dans la catégorie des «pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» [par. 91(12) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique]».

[Page 101]

Conformément à la pratique de cette Cour, il est préférable d’éviter les questions constitutionnelles lorsqu’on peut fonder la solution du litige sur d’autres motifs; j’examinerai donc tout d’abord la Partie V du Code canadien du travail qui traite des relations industrielles ou des relations employés-patron, pour voir si elle permet au Conseil appelant d’entendre les demandes d’accréditation déposées par le syndicat appelant. L’article applicable concernant la compétence du Conseil est l’art. 108, que voici:

108. La présente Partie s’applique aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu’aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés.

La question principale soulevée en l’espèce par l’art. 108 est de savoir si les opérations pour lesquelles on demande l’accréditation impliquent «une entreprise fédérale». L’article 108 fait mention d’«employés» et de «patrons», mais je suis d’avis que le Parlement peut élargir le sens que ces mots ont en common law s’il le fait pour réglementer les relations employés‑patron dans le cadre d’opérations, d’activités ou d’entreprises relevant de son pouvoir législatif. J’examinerai sous peu la définition du mot «employé» à la Partie V du Code canadien du travail, mais la question de savoir si en l’espèce, les membres des équipages de navires de pêche sont des «employés» en vertu de la Partie V ne se pose pas s’ils ne sont pas employés dans le cadre d’une entreprise fédérale.

L’article 2 du Code canadien du travail définit l’«entreprise fédérale» en des termes qui englobent toute la gamme des opérations, activités ou entreprises ressortissant au pouvoir législatif fédéral et exige, à mon avis, une décision constitutionnelle. Il se lit comme suit:

2. Dans la présente loi

«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:

[Page 102]

a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation (intérieure ou maritime), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;

b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s’étendant au-delà des limites d’une province;

c) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s’étendant au-delà des limites d’une province;

d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une province et un pays autre que le Canada;

e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;

f) toute station de radiodiffusion;

g) toute banque;

h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l’avantage du Canada en général, ou de plus d’une province, bien que situé entièrement dans les limites d’une province; et

i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;

Sont pertinents en l’espèce, les premiers mots de cette définition («tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada») et l’al. i) («tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales»).

Ainsi, les seules questions d’interprétation qui subsistent sont les définitions d’«employé» et de «patron». Le paragraphe 107(1) de la Partie V donne une définition à la fois générale et particulière du mot «employé» comme il appert de la formulation suivante:

«employé» ou «travailleur» désigne toute personne employée par un employeur et s’entend également d’un entrepreneur dépendant et d’un constable privé mais non d’une personne qui participe à la direction ou exerce des fonctions confidentielles ayant trait aux relations industrielles;

La définition du mot «employé» inclut spécifiquement l’«entrepreneur dépendant» qui, aux termes

[Page 103]

du sous-al. b) de sa propre définition, comprend notamment un pêcheur:

b) un pêcheur qui n’est pas employé par un employeur mais qui est partie à un contrat verbal ou écrit aux termes duquel il a droit à un pourcentage ou à une fraction du revenu d’une entreprise commune de pêche à laquelle il participe;

Je dois reconnaître avoir de la difficulté à faire entrer dans cette définition les équipages de navires de pêche, en ce qui concerne leurs relations avec les fabricants intimés qui, à titre de «patrons», seraient des «personnes qui emploient un ou plusieurs employés». Si un «pêcheur» est une personne qui n’est pas employée par un employeur, comment les pêcheurs peuvent-ils être considérés comme employés des intimées? Le juge Addy n’a pas considéré que ceci soulevait de difficulté, car il a déclaré brièvement et sans autre commentaire que:

Le mot «employé» est défini comme comprenant un entrepreneur dépendant. En d’autres termes, les pêcheurs sont, aux fins de cette loi, les employés des fabricants.

Cependant, le juge en chef Jackett a relevé la difficulté et a formulé certaines hypothèses pour la résoudre afin d’aborder la question constitutionnelle. Je me réfère aux deux passages suivants de ses motifs:

Un problème se pose en l’espèce, du fait que la Partie V du Code canadien du travail contient, aux fins de cette partie, une définition du mot «employé» qui en étend la signification pour y inclure «un entrepreneur dépendant», qui, selon la définition de ce terme aux fins de la Partie V, comprend un pêcheur «qui n’est pas employé par un employeur» mais qui est partie à un contrat aux termes duquel il a droit à «une fraction du revenu d’une entreprise commune de pêche à laquelle il participe». (On remarquera qu’aucune disposition n’ajoute de signification artificielle correspondante aux mots «employeur» ou à l’expression «conditions d’emploi» dans la définition du terme «convention collective», quoique la compétence du Conseil canadien des relations du travail relativement à l’examen des demandes d’accréditation, qui font l’objet du jugement en appel, dépende de l’interprétation de ces expressions entendues dans cette acceptation large.)

[Page 104]

Tout d’abord, il faut souligner qu’il ne s’agit pas ici d’une attaque dirigée contre une loi réglementant les relations entre un employeur et ses employés en vertu de contrats de fourniture de services. En l’espèce, l’attaque est dirigée contre une loi qui, aux fins du moyen d’inconstitutionnalité, est censée réglementer la négociation de contrats relatifs à la vente ou cession du poisson par des pêcheurs, qui ne sont «pas employés par un employeur», à un fabricant qui n’est pas leur employeur. En supposant remplies les conditions nécessaires pour qu’elle produise les effets que, d’après les parties, elle était censée produire, on peut admettre que cette loi réglemente la vente du poisson ou cette partie de l’entreprise de pêche ou de «pêcheries» que constitue l’écoulement du poisson après la pêche.

On a manifestement oublié de modifier la définition de «patron» lorsque l’on a ajouté l’«entrepreneur dépendant» à la définition d’«employé», dans 1972 (Can.), c. 18, mais je ne vois pas comment un tribunal peut ajouter des mots à une loi à moins qu’ils ne soient implicites. Cette inférence est d’autant plus difficile qu’«entrepreneur dépendant», selon sa définition, comprend «un pêcheur», qui n’est pas employé par un employeur mais «qui est partie à un contrat verbal ou écrit aux termes duquel il a droit à un pourcentage ou à une fraction du revenu d’une entreprise commune de pêche à laquelle il participe». A mon avis, cela suggère, tout au moins à première vue, une entente interne entre le propriétaire du navire de pêche, le capitaine et l’équipage sur la façon de répartir entre eux les produits des prises qui ont été vendues à des tiers. Bien qu’ils soient dans certains cas propriétaires de navires de pêche, les fabricants intimés ne sont pas impliqués dans les procédures d’accréditation en cette qualité. Même s’ils tiennent effectivement les comptes des parts revenant au propriétaire du navire de pêche, au capitaine et à l’équipage, et s’ils répartissent l’argent entre eux, ils ne sont pas pour autant des fabricants employeurs en vertu de la Partie V; et même s’ils participent ainsi à une entreprise commune de pêche, ils sont alors pêcheurs et donc eux-mêmes «employés».

Au début des auditions du Conseil canadien des relations du travail, l’avocat des fabricants a soulevé la question de savoir si ces derniers étaient des «patrons»: voir le dossier d’appel, vol. 1, à la p. 103.

[Page 105]

Le Conseil ne s’est jamais prononcé sur la question car il s’agissait d’auditions spéciales tenues pour établir des faits portant sur ce que le Conseil a appelé sa compétence constitutionnelle et pouvant justifier un renvoi devant la Cour d’appel fédérale en vertu du par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Au lieu d’un renvoi, une demande de prohibition a été présentée le 9 juillet 1974. L’un des affidavits à l’appui de la requête, celui de Kenneth MacKenzie Campbell, administrateur de l’association professionnelle nationale des industries de transformation du poisson au Canada, énonce certains faits sur la nature des relations entre les équipages de navires de pêche et les fabricants. Ces faits ont été acceptés par le juge Addy et la Cour d’appel fédérale aux fins de la demande de prohibition. En voici les extraits pertinents:

[TRADUCTION]

8. Les compagnies requérantes achètent le poisson aux pêcheurs selon les modalités décrites ci-dessous sous réserve de variations mineures selon les variétés de poisson et l’équipement utilisé.

9. Aux termes d’ententes écrites ou orales, qui prévoient le versement aux pêcheurs d’une part du produit de la vente du poisson livré aux requérantes, les pêcheurs sont payés selon un «pourcentage». On calcule généralement le «pourcentage» comme suit: les pêcheurs apportent la prise aux mandataires ou préposés des compagnies requérantes et la vendent à l’une d’elles.

10. Chaque compagnie requérante tient une comptabilité qui lui permet de rendre compte au propriétaire et à l’équipage du navire du produit de chaque prise vendue par les pêcheurs à la compagnie requérante.

11. Aux termes des ententes écrites ou orales, qui suivent un modèle type, certains coûts d’exploitation arrêtés par les parties sont déduits du produit brut de la vente de la prise, appelé aussi «valeur brute». Un certain pourcentage du solde, connu sous le nom de «part du bateau», est porté au crédit du propriétaire du bateau.

12. Du reste du produit de la prise, connu dans le métier sous le nom de «crédit net», on déduit encore un certain nombre d’autres frais, dont le coût de la nourriture de l’équipage et d’autres dépenses engagées pour le

[Page 106]

personnel lors du voyage. Le solde est divisé entre les membres de l’équipage, y compris le capitaine. Si le propriétaire fait partie de l’équipage, en qualité de capitaine ou autre, il reçoit aussi sa part, à titre de membre de l’équipage.

13. Si le voyage se solde par une perte (on parle alors d’un voyage «à vide»), la perte est portée au compte du propriétaire et de l’équipage selon les proportions qu’on aurait utilisées pour partager entre eux le «crédit net». Chacune des requérantes, en qualité d’acheteur, rend compte du produit de chaque prise au propriétaire et à l’équipage, y compris le capitaine.

14. Les compagnies requérantes achètent le poisson aux pêcheurs visés par les demandes d’accréditation susmentionnées uniquement en Colombie-Britannique.

15. Les frais susdits représentent le dénominateur commun des relations entre les compagnies requérantes et les pêcheurs visés par les demandes d’accréditation susmentionnées.

16. Toutes les ententes orales ou écrites passées entre les compagnies requérantes et les pêcheurs sont les contrats d’achat et de vente des prises des pêcheurs et déterminent les prix minimaux du poisson que doivent payer les requérantes ainsi que les modalités du partage de la valeur brute de la prise.

Aussi louable que soit le désir de donner aux pêcheurs le droit à la négociation collective dans un domaine qu’on prétend assujetti à la compétence fédérale, il fallait s’inspirer de l’histoire pour choisir la façon appropriée d’atteindre ce but. Dans Re Lunenberg Sea Products, Re Zwicker[2], la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse siégeant au complet a accordé un certiorari visant l’annulation d’une ordonnance d’accréditation rendue par la Nova Scotia Wartime Labour Relations Board, en vertu de règlements fédéraux, Les Règlements des relations ouvrières en temps de guerre, C.P. 1003, le 17 février 1944, relativement aux équipages de navires de pêche dans leurs relations avec les propriétaires desdits navires. Les pêcheurs et les propriétaires avaient convenu de faire des apports réciproques relativement aux opérations de pêche et de partager le produit des prises après vente. Le

[Page 107]

Conseil avait le pouvoir de décider qui était «employeur» ou «employé» aux fins des Règlements, mais la Cour, par la voix du juge Doull, a jugé que cette décision soulevait une question de compétence et était donc sujette à révision. La Cour a alors conclu qu’en l’absence d’une définition particulière des termes «employé» et «employeur», le «droit commun» s’appliquait et l’obligeait à conclure que les pêcheurs étaient engagés dans une entreprise commune avec les propriétaires des navires, en une sorte d’association, et qu’il n’existait aucune relation employeur-employé qui justifiait l’ordonnance d’accréditation.

Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de cette décision, mais il faut souligner que la question des relations employeur-employé était soulevée à l’égard de membres d’équipage et de propriétaires de navires de pêche sur lesquels travaillaient les pêcheurs et non entre des pêcheurs et des fabricants. En fait, l’inclusion des pêcheurs dans la définition d’«entrepreneur dépendant» à la Partie V vise à mon avis la situation examinée dans l’arrêt Lunenberg Sea Products.

Cet arrêt a été rendu le 14 janvier 1947 et, dans les quatre mois, la législature de la Nouvelle-Écosse a adopté une loi sur les négociations collectives entre propriétaires de navires et équipages de pêcheurs, The Fishermen’s Federation Act, 1947 (N.-É.), c. 4. La loi spéciale s’écartait des concepts traditionnels des relations employeur-employé en reconnaissant que le partage des produits de la prise pouvait faire l’objet de négociations collectives au même titre que les conditions de travail sur les navires de pêche. Cette loi a subsisté jusqu’en 1971 alors qu’elle a été abrogée par (N.É.) 1970-71, c. 40. Les relations de travail entre pêcheurs et propriétaires de navires de pêche ont été assujetties à la loi générale, Trade Union Act, 1972 (N.-É.), c. 19, en incluant les pêcheurs dans la définition d’«employé», dans les termes suivants:

[TRADUCTION] al. 1(1)k) «employé» désigne une personne employée pour accomplir du travail manuel spécialisé ou non spécialisé, du travail de bureau ou du travail technique, et comprend

(ii) une personne employée sur un navire de pêche ou pour la navigation de ce navire, s’il reçoit une rémuné-

[Page 108]

ration ou un salaire, ou accepte de recevoir un pourcentage ou une fraction des produits de l’entreprise ou de la prise au lieu du salaire ou en plus.

Le paragraphe 1(1) définit «employeur» comme [TRADUCTION] «toute personne qui emploie plus d’un employé». On n’y trouve pas la mention d’un pêcheur «qui n’est pas employé par un employeur» comme dans la Partie V du Code canadien du travail.

The Fishing Industry (Collective Bargaining) Act, 1971, n° 53, de Terre-Neuve, a pour effet d’accomplir ce que, selon les appelants, la Partie V du Code canadien du travail accomplit. Elle autorise expressément la négociation collective entre les syndicats de pêcheurs et les fabricants qui s’occupent du traitement des produits de la pêche. Les définitions de «pêcheur» et de «fabricant» dénotent bien l’intention de la Loi. Elles figurent à l’art. 2:

[TRADUCTION] 2. Dans la présente loi

1) «pêcheur» désigne un pêcheur commercial indépendant (y compris un partageant ou personne qui accepte de recevoir en paiement de ses services un pourcentage ou une fraction du produit ou des profits d’une entreprise de pêche, avec ou sans autre rémunération) qui se livre à la pêche dans un but lucratif et non sportif, dans les eaux maritimes (y compris la pêche des anadromes lorsqu’ils se trouvent dans ces eaux) et comprend tout autre pêcheur commercial qui n’est pas compris dans la définition du mot «employé» dans The Labour Relations Act;

o) «fabricant» désigne toute personne qui achète du poisson à un pêcheur ou à toute personne représentant un pêcheur, dans le but de traiter le poisson dans l’une de ses usines ou à l’usine de toute autre personne;

Je ne me prononce pas, bien sûr, sur la validité de cette loi en l’espèce.

La situation des pêcheurs en matière de négociations collectives, en vertu de la législation de la Colombie-Britannique, dépend de savoir s’ils sont des employés au sens de la définition d’«entrepre-neur dépendant» dans la Labour Code of British Columbia Act, 1973 (C.-B.), (2e Sess.), c. 122:

[Page 109]

[TRADUCTION] 1. (1) Dans la présente loi

«entrepreneur dépendant» désigne un particulier, avec ou sans contrat de travail, qui fournit ou non ses propres outils, véhicules, équipement, machinerie, matériaux ou autre chose, qui accomplit un travail ou fournit des services pour une autre personne, contre rémunération, selon des conditions qui le mettent dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de cette dernière, et dans l’obligation d’accomplir certaines tâches de sorte que sa situation ressemble davantage à celle d’un employé qu’à celle d’un entrepreneur indépendant;

Je n’ai pas à décider ici si cette définition permet aux pêcheurs qui sont membres d’équipages de navires de pêche, de revendiquer, par le truchement de leurs syndicats, le droit à la négociation collective avec les fabricants comme avec les propriétaires de navires de pêche. Les modalités de leur rémunération et leurs relations, le cas échéant, avec les fabricants seraient pertinentes. Il suffit de dire que la situation en Colombie-Britannique, tout comme en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, diffère de la situation régie par la Partie V du Code canadien du travail, quelle que soit la portée de la Loi de la Colombie-Britannique relativement aux pêcheurs.

Je dois donc conclure que la Partie V du Code canadien du travail n’assujettit pas les membres d’équipage de navires de pêche et les fabricants à une relation employeur-employé qui permettrait au Conseil canadien du travail d’entendre une demande d’accréditation à l’égard de ces pêcheurs et des fabricants intimés.

En conséquence, le pourvoi est rejeté pour des motifs autres que ceux retenus par la Cour d’appel fédérale et par le juge Addy, sans qu’il soit nécessaire de traiter de la question constitutionnelle. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens en cette Cour en faveur ou à l’encontre des parties ou des intervenants.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant, le Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés: Rankin, Robertson & Co., Vancouver.

[Page 110]

Procureur de l’appelant, le Conseil canadien des relations du travail: D.S. Thorson, Ottawa.

Procureurs des intimées: Levy, Samuels & Glasner, Vancouver.

[1] [1976] 1 C.F. 375, 64 D.L.R. (3d) 522.

[2] [1947] 3 D.L.R. 195.


Parties
Demandeurs : Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et autre
Défendeurs : British Columbia Packers Ltd. et autres
Proposition de citation de la décision: Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés et autre c. British Columbia Packers Ltd. et autres, [1978] 2 R.C.S. 97 (14 décembre 1977)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-12-14;.1978..2.r.c.s..97 ?
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