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19/01/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._267

Canada | Thornton c. School Dist. No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267 (19 janvier 1978)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Thornton c. School Dist. No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267

Date : 1978-01-19

Gary Edmund Thornton, mineur représenté ad litem par Doris May Tanner, et ladite Doris May Tanner et Robert Tanner (Demandeurs) Appelants;

et

Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George) et David T. Edamura et John A. Harrower Défendeurs) Intimés.

1977: 13, 14 et 15 juin; 1978: 19 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.r>
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Dommages-intérêts — Accident résultant d...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Thornton c. School Dist. No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267

Date : 1978-01-19

Gary Edmund Thornton, mineur représenté ad litem par Doris May Tanner, et ladite Doris May Tanner et Robert Tanner (Demandeurs) Appelants;

et

Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George) et David T. Edamura et John A. Harrower Défendeurs) Intimés.

1977: 13, 14 et 15 juin; 1978: 19 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Dommages-intérêts — Accident résultant de la négligence des dirigeants de l’école qui n’ont pas pris les précautions nécessaires pendant les classes d’éducation physique — Jeune tétraplégique, physiquement inva­lide, mais conservant toutes ses facultés mentales — Principes applicables pour l’évaluation des dommages-intérêts.

Alors qu’il fréquentait une école secondaire à Prince George, l’appelant a subi des blessures graves lors d’un accident résultant de la négligence des dirigeants de l’école qui n’ont pas pris les précautions nécessaires pendant les classes d’éducation physique. Une blessure grave à la nuque a causé la paralysie totale ou partielle des quatre membres, d’où l’action en dommages-intérêts. Avant l’accident, l’appelant mesurait 6 pieds 3 pouces et la preuve l’a décrit comme étant l’archétype de l’athlète complet. A l’époque du procès, il était âgé de 18 ans, physiquement invalide, inemployable, et entièrement dépendant d’un infirmier pour ses besoins quoti­diens, bien qu’il conservât ses facultés mentales complè­tement intactes.

Le juge de première instance a évalué les dommages-intérêts au montant de $1,534,058.93, sous les catégories suivantes:

1.

Dommages-intérêts spéciaux

$ 42,128.87

2.

Coûts des soins fondamentaux futurs

a)

Équipement, maison, véhicule motorisé

65,500.00

b)

Coût des soins ($4,305 par mois; espérance de vie, 49 ans; taux de capitalisation de 4%)

1,122,571.80

3.

Perte de la capacité de gagner un revenu

103,858.26

4.

Dommages non pécuniaires

200,000.00

[Page 268]

Sur appel des défendeurs, la Cour d’appel a modifié comme suit le montant alloué:

1.

Coût des soins futurs ($1,500 par mois ; espérance de vie, 49 ans ; taux de capitalisation 7½ — 9% ; éventualité 10%)

$210,000.00

a)

Appareils médicaux

12,000.00

2.

Perte de revenus futurs

120,000.00

3.

Douleur et souffrances, perte des agréments de la vie et diminution de l’espérance de vie

200,000.00

Au montant total de $542,000, la Cour d’appel a ajouté $58,000 pour tenir compte notamment de l’im­pact de l’impôt sur le revenu qui serait probablement produit par l’investissement du montant alloué, et elle est parvenue à un montant de $600,000 de dommages-intérêts généraux. La Cour d’appel a également jugé que l’appelant avait droit à des dommages-intérêts spéciaux de $42,128.87 et à la somme de $7,500 à être détenue en fiducie pour sa mère, pour la compenser des services de garde-malade qu’elle lui a rendus.

L’indemnité totale a donc été réduite par la Cour d’appel de $1,534,058.93 à $649,628.87. Sur autorisa­tion, l’appelant a logé un pourvoi devant cette Cour sur la question générale de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur de droit en évaluant les dommages-intérêts.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli. L’évaluation des dommages par la Cour d’appel est annulée et une indemnité de $859,628 la remplace.

I Coût des soins futurs

La Cour d’appel a commis une erreur de droit dans le point de vue qu’elle a adopté à l’égard du niveau de soins. Selon la preuve médicale, avec des soins à domi­cile, la victime peut avoir une longévité normale ou presque normale. On peut s’attendre à ce qu’avec des soins institutionnels, il vive moins longtemps. Avant de refuser à un tétraplégique des soins à domicile à cause de frais qui seraient «déraisonnables», il faut aller plus loin que l’assertion et le prouver de telle façon que toute personne de bon sens soit amenée à dire «c’est du gaspillage — il faudrait être fou pour faire une telle dépense». Ou alors, il faut prouver subsidiairement que des soins convenables peuvent être prodigués, dans un environnement approprié, à un coût moindre que le montant réclamé par le demandeur.

En l’espèce, un grand nombre d’experts ont conseillé un genre particulier de soins. Peut-on supposer que ces

[Page 269]

personnes dignes de confiance recommanderaient un genre particulier de soins qu’elles estimeraient extrava­gant ou déraisonnable? Si tel était le point de vue de certains, il incombait au défendeur de le dire et de le démontrer pendant le procès. La défense n’a rien invo­qué pour réfuter la preuve relative au niveau des soins ou à leur coût présentée au nom de l’appelant. L’indem­nité fixée par le juge de première instance pour le coût des soins futurs doit être maintenue.

Quant à la détermination du coefficient d’actualisa­tion que le juge de première instance a fixé A. 4%, un témoin expert pour le demandeur a déclaré que l’utilisa­tion d’un taux de rendement courant, accompagné d’une provision pour l’inflation, constituait une méthode alternative de calcul à l’utilisation d’un «taux d’intérêt pur» (c’est-à-dire qui pourrait exister dans une situation éco­nomique hypothétiquement stable), sans provision pour l’inflation. Il a également reconnu qu’il était possible d’obtenir des investissements à long terme de qualité, comme les obligations corporatives à vingt ans d’échéance, avec des taux de rendement excédant 10 pour cent. Un autre expert a indiqué dans son témoi­gnage que le Conseil économique du Canada avait prédit qu’au cours des 40 prochaines années, le taux d’inflation moyen serait dans les environs de 3½ à 4 pour cent. Cette preuve constitue une base suffisante pour choisir 7 pour cent comme taux d’actualisation. Elle n’appuie cependant pas les chiffres de 7½ à 9 pour cent, le coefficient d’actualisation retenu par la Cour d’appel.

Il faut rétablir, comme partie de l’indemnité, le prix de la maison et du véhicule rejeté par la Cour d’appel. Le coût de ces articles résulte du choix des soins à domicile comme norme.

Vu que les soins à domicile constituent la norme il faut reconnaître que la durée de ces soins peut être influencée par des éventualités telles que les difficultés de trouver le personnel pour un établissement indépen­dant ou la nécessité d’entrer dans un hôpital pour un traitement spécial. Un abattement de 20 pour cent A. ce titre est justifié.

II Perte de revenus futurs

Il est préférable que la déduction au titre des frais d’entretien soit faite dans le calcul de l’indemnité pour pertes de revenus futurs plutôt que dans celui des soins futurs. Cette façon de voir reflète le fait que les frais courants peuvent être différents selon que l’on est infirme ou en santé. Une différence surviendra également si l’abattement pour éventualités est modifié. Comme l’a fait le juge de première instance, un montant de $443 doit être déduit au titre des frais courants d’entretien. Cependant, il faut appliquer un taux d’ac­tualisation de 7 pour cent au lieu de 4 pour cent.

[Page 270]

On ne peut dire que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en procédant à un abattement de 10 pour cent au titre des éventualités. Cet abattement n’est pas obligatoire. Cependant, l’abattement, s’il en est, dépen­dra des faits de l’espèce, y compris l’âge du demandeur et la nature de son emploi.

III Douleur et souffrances perte des agréments de la vie, diminution de l’espérance de vie

L’indemnité au titre des dommages non pécuniaires devrait être une indemnité canadienne conventionnelle, ajustée de façon à répondre aux circonstances précises du cas. Comme dans l’arrêt Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, l’indemnité pour pertes non pécuniaires doit être réduite à $100,000. Pour les motifs exposés dans l’arrêt Andrews, il n’y a pas lieu d’accorder quoi que ce soit pour l’impôt et on ne doit, en aucun cas, tenir compte de l’effet de l’impôt sur une indemnité pour perte de gains éventuels.

POURVOI interjeté par les demandeurs, à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1] réduisant l’indemnité accordée par le juge Andrews dans une action en domma­ges-intérêts pour blessures corporelles. Pourvoi accueilli.

R. Cummings et D. Andrews, pour les demandeurs, appelants.

C. C. I. Merritt, c.r., et R. B. Wallace, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été prononcé par

LE JUGE DICKSON — Ce pourvoi soulève essen­tiellement les mêmes problèmes que l’affaire Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd.[2] Les motifs dans cette dernière affaire sont exposés en même temps que ceux du présent pourvoi. Dans l’affaire Andrews, j’ai cherché à définir les principes appli­cables à l’évaluation des dommages-intérêts en cas de préjudice corporel grave. L’application de ces principes m’a amené à conclure que la Division d’appel de l’Alberta avait erré dans cette affai­re-là. Pour les mêmes motifs, je crois que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a erré en l’espèce.

[Page 271]

Le présent pourvoi porte sur une action en dom­mages-intérêts pour les blessures graves subies par Gary Thornton (l’appelant) alors qu’il fréquentait l’école secondaire de Kelly Road à Prince George en Colombie-Britannique. Comme dans l’affaire Andrews, la question principale porte sur le coût annuel capitalisé des soins auxquels l’appelant doit être en mesure de pourvoir pendant la durée pro­bable de sa vie. Le juge de première instance[3] a alloué $1,122,571. La Cour d’appel[4], sans s’ap­puyer sur la preuve, a réduit cette somme à $210, 000. L’arrêt de la Cour d’appel a eu pour effet d’infirmer des conclusions de fait et de passer outre aux témoignages unanimes et convaincants d’éminents médecins, que le juge de première instance avait acceptés, quant aux soins nécessaires pour un jeune tétraplégique atteint d’incapacité physique, mais mentalement éveillé.

L’accident résulte de la négligence des diri­geants de l’école de la ville de Prince George qui n’avaient pas pris les précautions nécessaires pen­dant les classes d’éducation physique. En essayant de faire un saut périlleux, l’appelant a subi une blessure grave par flexion de la nuque, avec frac­ture comminutive de la quatrième vertèbre cervi­cale. L’accident a causé la paralysie totale ou partielle des quatre membres. Avant l’accident, l’appelant mesurait six pieds trois pouces et la preuve I’a décrit comme étant l’archétype de l’athlète complet. A l’époque du procès, il était âgé de 18 ans, physiquement invalide, inemployable et entièrement dépendant d’un infirmier pour ses besoins quotidiens, bien qu’il conservât ses facultés mentales complètement intactes.

Le D’ F. Ducharme, un orthopédiste, a témoigné que les problèmes orthopédiques auxquels l’appe­lant aurait à faire face seraient minimisés par des soins optimums et que, si ces soins lui étaient prodigués, il pouvait avoir une espérance de vie presque normale. A défaut de ces soins, son espé­rance de vie serait sérieusement réduite. Cette opinion était partagée par le D’ Ayers, un spécia­liste en neurochirurgie, et par le D’ Ezzedin, un spécialiste en rééducation et en médecine physique. Le Dr Gauk, un spécialiste en maladies nerveuses

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des enfants, a décrit l’appelant comme un patient exemplaire dans son comportement et dans ses études, bien motivé, généralement de bonne humeur et sachant se rendre utile en enseignant aux autres handicapés le secret de la motivation. Le Dr Moncton, un neurochirurgien, seul médecin appelé par la défense, a souscrit d’une façon géné­rale à l’avis des autres médecins, sauf qu’il doutait que l’appelant ait une espérance de vie normale en raison de sa prédisposition aux infections pulmo­naires et urinaires. Le Dr Gingras, directeur géné­ral de l’Institut de réadaptation de Montréal, ancien président de la Fédération internationale de médecine physique et consultant aux Nations-Unies sur la rééducation des paraplégiques et des tétraplégiques, a déclaré que la longévité d’un malade atteint à la moelle épinière était mainte­nant, ou serait bientôt, celle d’une personne normale sous réserve que des soins optimums lui soient constamment prodigués. L’expression «soins optimums» a été utilisée plusieurs fois dans les témoignages. Pour certains, elle peut suggérer le summum en matière de soins et de dépenses, en fait, une vie de pacha; mais il ressort clairement de la preuve médicale que cette expression signifie simplement un niveau constant et adéquat de soins infirmiers à domicile. En revanche, les hôpitaux de soins prolongés ou «auxiliaires» constituent des éta­blissements de soins minimums. Voici ce qu’en disait le Dr Ayers:

[TRADUCTION] LA COUR: Si ce garçon était placé dans un hôpital de soins prolongés, pensez-vous qu’il recevrait ce que vous appelez des soins opti­mums, bien qu’il s’agisse d’un hôpital?

LE TÉMOIN: Non, parce que la plupart de ce qu’on appelle des hôpitaux de soins prolongés ou hôpi­taux auxiliaires sont des institutions de soins minimums. Les soins ne seraient pas totalement personnalisés.

LE TÉMOIN: Bien, à mon avis, des soins optimums sont seulement des soins raisonnables et nécessai­res. Il y a des choses qui s’imposent. Le milieu de vie du patient doit être orienté vers lui et ceux qui s’en occupent doivent le connaître et comprendre ses problèmes.

Le Dr Gingras s’oppose fortement à ce qu’on place de jeunes tétraplégiques dans des hôpitaux de soins prolongés où ils peuvent être oubliés, se

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sentir seuls, sans distractions ni traitements conve­nables et sans rien pour leur donner la volonté de vivre. Le Dr Gingras estime que les soins optimums exigent la vie en appartement ou en maison privée, tant sur le plan psychologique que sur celui de la santé mentale. A son avis, ni l’hôpital de soins prolongés ni un service d’infirmiers itinérants ne convient à la santé physique et mentale d’un jeune tétraplégique. L’hôpital ne doit être considéré qu’en dernier recours pour ce genre de malade. Sur les 600 tétraplégiques que le D’ Gingras a traités, 125 seulement sont en hôpitaux de soins prolongés; les autres 475 sont placés en milieu familial.

En première instance, on a fourni au juge Andrews un décompte des frais (pièce 37) d’où il ressort que le coût mensuel du type de soins que les médecins entendus au procès considèrent essentiels serait de $4,305. De plus, les dépenses initiales pour l’équipement spécial totaliseraient $12,000. Une maison, s’il fallait en acheter une, coûterait de $45,000 à $52,000; un Econo-van, spécialement équipé pour l’usage d’un tétraplégique, coûterait $8,500, soit, en chiffres ronds, un total de $65,500.

Après avoir revu toute la preuve médicale, le juge de première instance a conclu ceci:

[TRADUCTION]

1. Gary Thornton a de bonnes chances d’avoir une espérance de vie normale, mais ces «bonnes chances» exigent des soins optimums.

2. Les montants indiqués à la pièce 37 sont essentiels à la prestation de soins optimums.

La preuve ne lui permettait aucune autre con­clusion. Les défendeurs n’ont pas réussi à réfuter la prétention du demandeur selon laquelle des soins prodigués à domicile constituent la seule compensation adéquate pour ses blessures. Ils n’ont pas davantage établi que des soins convena­bles à domicile pourraient être prodigués à un coût moindre que celui indiqué à la pièce 37.

Le juge a évalué les dommages-intérêts par caté­gories et a fixé les montants suivants:

Catégorie 1:

Dommages-intérêts spéciaux

Les avocats s’entendent sur le montant de $42,128.87 au titre des dommages-intérêts spé­ciaux.

[Page 274]

Catégorie 2:

Coût des soins fondamentaux futurs

L’avocat de la défense a contesté le principe des soins à domicile, mais il n’a pas contesté les taux indiqués à la pièce 37. Le juge de première instance a rejeté les prétentions des intimés dans les termes suivants:

[TRADUCTION] A la lumière de la preuve soumise, je considère devoir évaluer le coût des soins conformément aux moyens indiqués à la pièce 37, puisqu’ils correspon­dent au type de soins dont le jeune Gary Thornton a besoin pour garder de «bonnes chances» d’avoir une longévité normale. Lui accorder moins, compte tenu de la preuve médicale, aurait pour effet de réduire la durée de sa vie à moins que sa juste mesure.

Le juge de première instance a accepté la preuve de l’actuaire selon laquelle un jeune homme de l’âge de l’appelant a une espérance de vie de 54 ans, dont il a déduit cinq ans, ce qui donne une espérance de vie de 49 ans. Le juge a utilisé le principe de l’épuisement du fonds, n’a tenu aucun compte de l’inflation et a utilisé un taux de capita­lisation de 4 pour cent, fondé sur le taux historique du rendement des investissements. Il n’a pas tenu compte des éventualités. Le juge était d’avis que l’appelant aurait besoin de soins pendant le restant de ses jours et que d’autres éventualités, contraires ou favorables, ne pouvaient pas surgir. En incluant la somme de $65,500, que j’ai mentionnée pour l’équipement spécial, le juge est arrivé à un total de $1,188,071.80 pour la deuxième catégorie.

Catégorie 3:

Perte de la capacité de gagner un revenu

Les avocats ont convenu que la perte de revenu devait être calculée sur la base présumée d’un revenu mensuel de $850. Pour éviter le double emploi, le juge, acceptant le témoignage des experts, a déduit 52 pour cent pour les frais courants d’entretien tels que nourriture, habillement, logement et autres, auxquels l’appelant aurait eu à faire face s’il n’avait pas été blessé. Il a présumé un âge normal de retraite de 65 ans et a calculé que la valeur actualisée de la perte serait de $103, 858.26. Il a refusé de faire des déductions au titre des éventualités, déclarant qu’il n’avait aucun moyen de savoir si l’appelant aurait à faire face

[Page 275]

pendant sa vie à des conditions défavorables comme le chômage, l’alcoolisme, la toxicomanie, l’aliénation mentale. De même, il ne pouvait pas savoir si l’appelant aurait bénéficié de promotions ou d’augmentations de salaire. Finalement, il a considéré que les éventualités favorables et défavo­rables s’annulaient.

Catégorie 4:

Dommages non pécuniaires

Cette catégorie comprend l’indemnisation au titre des souffrances physiques et morales, la perte des agréments de la vie et la diminution de l’espé­rance de vie. La somme de $200,000 a été accor­dée à cc titre.

Conclusion

Dans l’avant-dernier alinéa de ses motifs de jugement, le juge de première instance a déclaré:

[TRADUCTION] Je me suis rarement référé à la jurisprudence pour fixer les dommages-intérêts dans cette affaire, bien que j’aie lu et relu toutes les décisions canadiennes, anglaises et américaines mentionnées par les avocats au cours des plaidoiries. En effet, je consi­dère que les principes relatifs aux éventualités, les consi­dérations fiscales, le double emploi, l’inflation et le calcul mathématique du fonds sont bien établis en Colombie-Britannique. J’en ai indiqué les grandes lignes et les ai suivies, sans me soucier de ce qu’à première vue, cette indemnité est beaucoup plus élevée que toute autre indemnité pour préjudice corporel accordée en Colom­bie-Britannique ou peut-être au Canada. A mon sens, le principe sous-jacent est, et a toujours été, que le deman­deur doit être remis, tant du point de vue financier que du point de vue de la santé, dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas été blessé, conformément aux principes que j’ai mentionnés plus haut. On ne doit pas, et en vérité on ne peut pas, lui accorder une compensation parfaite. Il faut être équitable à l’égard de chaque partie. J’ai pris soin, d’une part, comme l’a si adroitement dit Me Merritt, c.r., dans sa plaidoirie, de ne pas «exploiter l’auteur du dommage»; en revanche, j’ai essayé d’utiliser l’argent de l’auteur du dommage pour assurer à Gary la dignité, le confort et la longévité auxquels nous tous, dans cette société, considérons à juste titre avoir droit. Les principes n’ont pas changé, et c’est heureux car ils sont bien fondés. C’est la preuve médicale qui a changé et qui justifie l’importance de l’indemnité fixée en l’espèce, soit $l,534,058.93.

[Page 276]

L’observation selon laquelle l’importance de l’in­demnité est justifiée par le changement dans la preuve médicale et non par le changement des principes juridiques mérite d’être notée. Elle reconnaît la révolution qui a transformé la méde­cine de rééducation et la médecine physique ces dernières années. Le concept actuel veut préserver la dignité de la personne gravement atteinte et l’accepter comme un membre utile de la race humaine qu’il faut aider par tous les moyens à se réintégrer dans la société. Auparavant, les grands infirmes étaient relégués dans des institutions où ils ne font qu’attendre une mort prématurée. Ils meurent, selon le Dr Ezzedin, parce que [TRADUC­TION] «rien ne les aide à vivre».

Les défendeurs ont fait appel.

Le jugement le plus important en Cour d’appel a été rendu par le juge Taggart.

I Coût des soins futurs

Dans ses remarques préliminaires, le savant juge d’appel a défini le litige comme portant sur la question de savoir si l’attention et les soins cons­tants requis par l’appelant devaient lui être prodi­gués chez lui, sans aucun partage des frais sub­stantiels qu’ils entraînent avec d’autres personnes ayant des lésions similaires et exigeant le même niveau de soins. Le juge s’est référé à la preuve médicale et aux deux considérations fondamenta­les auxquelles, selon cette preuve, il faut répondre à l’égard d’une personne dans la situation de l’ap­pelant: (i) ses besoins physiques — le tourner toutes les deux heures, le déplacer de son lit à une chaise roulante ou à un véhicule spécialement conçu, et vice versa; (ii) soins personnels, tels que toilette, habillage, surveillance des voies intestinales et uri­naires et autres besoins personnels. Comme l’a souligné le juge Taggart, la preuve médicale a démontré que s’il ne lui était pas possible d’avoir sa propre maison, l’appelant serait placé en hôpital de soins prolongés. La Cour a reconnu que ce genre d’institution ne convient pas à de jeunes personnes dans la situation de l’appelant. Les raisons en sont: (i) que l’âge et la sénilité de la plupart des malades ne sont pas favorables au bien-être mental d’une jeune personne d’intelli­gence moyenne ou supérieure comme l’appelant;

[Page 277]

(ii) que l’appelant peut, avec l’aide d’infirmiers, se rendre au spectacle et à des événements sportifs, ou rendre visite à des amis. Il en résulterait qu’en dépit de ses graves infirmités, l’appelant pourrait se déplacer beaucoup plus que les autres. Du point de vue de l’institution, ses allées et venues, incom­patibles avec la marche régulière d’un hôpital, s’ajouteraient à la charge de travail du personnel hospitalier.

En Cour d’appel et devant cette Cour, on a invoqué la possibilité pour l’appelant et deux ou trois autres personnes se trouvant dans une situa­tion similaire de mettre en commun leurs ressour­ces et d’avoir un logement de groupe afin de réduire le coût mensuel des soins futurs requis par l’appelant. Bien que la Cour d’appel se soit pen­chée sur cette possibilité, elle a reconnu que [TRA­DUCTION] «la preuve est muette sur la probabilité de cette solution». Avec égards, j’estime qu’une cour d’appel est mal fondée à évoquer, de son propre chef, des possibilités qui n’ont pas été soule­vées en première instance, particulièrement quand la preuve reste muette sur leurs aspects pratiques ou financiers. En procédure contradictoire, il incombe aux parties elles-mêmes et non à la cour de présenter des demandes d’adoucissement et de les étayer par une preuve convaincante: voir Karas c. Rowlett[5].

Le juge Taggart a conclu de façon incisive: [TRADUCTION] «Je ne doute pas que l’espérance de vie sera augmentée si ce niveau idéal de soins peut être prodigué à l’intimé.» Il a ajouté: [TRA­DUCTION] «Toutefois, la question est de savoir si ce niveau idéal de soins, avec les frais qui l’accom­pagnent, doit être imposé aux appelants.» Telle est la vraie question en litige. Thornton vivra plus longtemps s’il reçoit les soins que les médecins recommandent. Le coût en est-il trop élevé pour les intimés? La capacité de payer est présentée comme un motif légitime de contester à l’appelant les soins dont il a besoin selon les experts. Comme je l’ai dit dans l’affaire Andrews, c’est une erreur de droit de considérer la capacité de payer du défendeur comme un argument pertinent dans l’évaluation des dommages-intérêts pécuniaires. La compensation qui correspond au préjudice subi par

[Page 278]

la victime est le principe à retenir. Dans tout cas particulier, le montant exact doit être déterminé à partir de la preuve présentée par les parties au procès. L’équité à l’égard du défendeur n’est pas réalisée par une diminution liée à la capacité de payer ou par une réduction arbitraire de l’indem­nité, mais en s’assurant que les demandes de l’ap­pelant sont légitimes et justifiables.

Le juge Taggart s’est référé aux frais mensuels de $4,305 mentionnés à la pièce 37 et à la preuve selon laquelle si l’appelant était soigné dans un hôpital auxiliaire d’Edmonton, les frais mensuels n’excéderaient probablement pas $1,200. Il a lon­guement cité le jugement du juge McGillivray, juge en chef de l’Alberta, dans l’affaire Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd.[6], et a conclu que $1,500 constituait un montant [TRADUCTION] (généreux et raisonnable». J’ai clairement exprimé, dans l’affaire Andrews, mon opinion sur le raison­nement de la Division d’appel de l’Alberta dans cette affaire.

Pour éviter le double emploi, le juge de première instance en l’espèce a déduit du montant accordé au titre de la perte de revenu futur, les sommes que l’appelant aurait dépensées pour ses frais courants d’entretien s’il n’avait pas été blessé. La Cour d’appel a opéré cette déduction sur le coût des soins futurs, expliquant que cette réduction avait été faite en fixant le montant de $1,500. Il est évident qu’accorder $1,500 par mois au titre du coût des soins futurs condamnerait l’appelant à l’hospitalisation à vie.

Chaque cause doit être jugée selon sa propre preuve; en l’espèce, comme dans l’affaire Andrews, la preuve démontre clairement que l’hospitalisa­tion ne conviendrait pas du tout à un jeune tétra­plégique pouvant se déplacer et dont les facultés mentales sont intactes. A mon avis, la Cour d’ap­pel a fait une erreur de principe en ne donnant pas effet à la preuve relative au niveau de soins exigés et aux conclusions du juge de première instance.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a ensuite discuté du taux d’intérêt approprié, de l’inflation et de l’augmentation des frais, facteurs qu’il faut prendre en considération pour fixer le

[Page 279]

taux de capitalisation. La Cour a rejeté le coeffi­cient d’actualisation de 4 pour cent accepté par le juge de première instance, étant d’avis que ce taux était fondé sur des conditions économiques dont l’existence était peu probable dans un avenir prévi­sible. Elle a considéré également erronée l’utilisa­tion irréaliste d’un taux d’intérêt élevé, qui exclurait toute protection du capital contre les augmentations futures des frais et autres effets de l’inflation. Avec égards, je souscris à ces deux observations. La Cour d’appel a alors choisi un coefficient d’actualisation se situant entre 7½ et 9 pour cent. Malheureusement, elle n’a pas justifié ce choix par la preuve présentée en première instance. Cette preuve était similaire à celle de l’af­faire Andrews. En fait, le même actuaire, M. R. W. Grindley, a comparu comme expert pour le demandeur dans les deux affaires. En l’espèce, comme dans l’affaire Andrews, il a déclaré que l’utilisation d’un taux de rendement courant, accompagné d’une provision pour l’inflation, cons­tituait une méthode alternative de calcul à l’utili­sation d’un [TRADUCTION] «taux d’intérêt pur», (c’est-à-dire. qui pourrait exister dans une situa­tion économique hypothétiquement stable), sans provision pour l’inflation. Il a également reconnu qu’il était possible d’obtenir des investissements à long terme et de qualité, comme les obligations corporatives à 20 ans d’échéance, avec des taux de rendement excédant 10 pour cent. Un autre expert, M. D. R. Badir, a indiqué dans son témoignage que le Conseil économique du Canada avait prédit qu’au cours des 40 prochaines années, le taux d’inflation moyen serait à peu près de 3½ à 4 pour cent. A mon avis, cette preuve constitue une base suffisante pour choisir 7 pour cent comme taux d’actualisation. Elle n’appuie cependant pas les chiffres de 7½ à 9 pour cent. J’adopterai en consé­quence un taux d’actualisation de 7 pour cent.

La Cour d’appel a jugé nécessaire de tenir compte des éventualités. Parmi celles qui ont été mentionnées, on trouve la possibilité que, dans l’avenir, l’Etat prenne en charge les tétraplégiques qui seraient logés en appartements particuliers, dans des institutions conçues pour eux. Aucune preuve n’étaye cette supposition. L’autre éventua­lité relevée est la possibilité de l’hospitalisation de l’appelant en hôpital auxiliaire ou en hôpital général,

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quand certains soins médicaux nécessaires l’exigeraient. Si la Cour d’appel avait accordé une indemnité rendant possibles les soins à domicile, j’aurais compris qu’on retienne un abattement au titre des éventualités pour la possibilité qu’à l’occa­sion l’infirme soit hospitalisé pour un traitement spécial. Comment peut-on, cependant, justifier la réduction d’une indemnité en raison de l’éventua­lité que le demandeur entre en institution ou en hôpital général, quand l’indemnité elle-même est tellement basse que le demandeur est effectivement voué, dès l’abord, à un hôpital auxiliaire?

La Cour d’appel a réduit l’indemnité pour soins futurs à $210,000, estimant que le juge de pre­mière instance avait fait trois erreurs de principe, savoir:

(i) il avait choisi un niveau de soins irréaliste et excessivement élevé pour fixer les frais mensuels de soins futurs;

(ii) il avait choisi un taux d’intérêt excessivement bas pour calculer la valeur actualisée du capital;

(iii) il n’avait pas fait les déductions appropriées au titre des éventualités.

A mon avis, le point de vue de la Cour d’appel à l’égard du niveau de soins est erroné en droit. Selon la preuve médicale, la durée même de la vie du jeune tétraplégique est directement proportion­nelle à la nature des soins prodigués. On peut s’attendre à ce qu’avec des soins à domicile, la victime ait une longévité normale ou presque normale. On peut s’attendre à ce qu’avec des soins institutionnels, il vive moins longtemps. Il est diffi­cile, et à la vérité impossible, de mesurer le «carac­tère raisonnable» des frais en termes d’années de vie. Je crois qu’il suffit de dire en l’espèce qu’avant de refuser à un tétraplégique des soins à domicile à cause de frais qui seraient «déraisonnables», il faut aller plus loin que l’assertion et le prouver de telle façon que toute personne de bon sens soit amenée à dire: «C’est du gaspillage-il faudrait être fou pour faire une telle dépense.» Ou alors, il faudrait prouver que des soins convenables peuvent être prodigués dans un environnement approprié, à un

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coût moindre que le montant réclamé par le demandeur.

En l’espèce, un grand nombre d’experts repré­sentant diverses disciplines, tous hautement quali­fiés, ont comparu devant la Cour et conseillé un genre particulier de soins. D’une façon générale, ils sont au courant du coût de ces soins. Peut-on supposer que ces personnes dignes de confiance recommandent un genre particulier de soins alors qu’elles l’estiment extravagant ou déraisonnable? Si tel était le point de vue de certains, il incombait aux défendeurs de le dire et de le démontrer pendant le procès. La défense n’a rien invoqué pour réfuter la preuve relative au niveau des soins ou à leur coût présentée au nom de l’appelant. J’estime que l’indemnité fixée par le juge de pre­mière instance pour le coût des soins futurs doit être maintenue. A mon humble avis, son jugement démontre une analyse réfléchie et prudente de chaque aspect de cette affaire difficile.

La Cour d’appel a refusé à l’appelant le capital nécessaire à l’achat de sa propre maison et d’un véhicule motorisé Econo-van, mais lui a accordé $12,000 pour un équipement médical qui ne serait pas nécessaire si, comme la Cour d’appel l’a effec­tivement décidé, il devait être placé dans une institution.

Les intimés n’ont produit aucune preuve pour réfuter le caractère raisonnable des coûts indiqués par l’appelant pour chacun des postes mentionnés à la pièce 37, y compris les coûts initiaux de la maison et de l’Econo-van. Le juge de première instance a fait remarquer que la valeur actualisée du loyer d’un appartement aurait été de $117,342 pour l’espérance de vie de l’appelant, comparée au montant en capital de $45,000 qu’il a accordé au titre du prix d’une maison. Le coût des articles mentionnés résulte du choix des soins à domicile comme norme. Evidemment, ces articles feraient double emploi si le niveau des soins devait être celui d’un hôpital auxiliaire. Je rétablis donc, comme partie de l’indemnité, le prix de la maison et du véhicule rejeté par la Cour d’appel.

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En ce qui concerne les éventualités, vu que les soins à domicile constituent la norme, je crois qu’il faut reconnaître que la durée de ces soins peut être influencée par des éventualités telles que les diffi­cultés de trouver le personnel pour un établissement indépendant ou la nécessité d’entrer dans un hôpital pour un traitement spécial. Je suis d’avis qu’un abattement à ce titre est justifié et je le fixe à 20 pour cent.

II Perte de revenus futurs

Le tableau suivant montre les différences entre le calcul du juge de première instance et celui de la Cour d’appel relativement à l’indemnité pour perte de revenu futur.

En première instance

En appel

$

$

Revenu de base brut mensuel présumé

850

850

Déduction pour les frais courants d’entretien, nourriture, habillement et logement

443

407

850

Durée de vie active anticipée

46 ans

43 ans

Taux d’actualisation

4%

7½-9½%

Abattement pour les éventualités

10%

Indemnité

$103,858.26

$120,000

Pour les motifs que j’ai indiqués dans l’affaire Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., je suis d’avis qu’il est préférable que la déduction au titre des frais d’entretien soit faite dans le calcul de l’indemnité pour perte de revenus futurs plutôt que dans celui des soins futurs. Cette façon de voir reflète le fait que les frais courants peuvent être différents selon que l’on est infirme ou en bonne santé. Une différence surviendra également si l’abattement pour éventualités est modifié. Je me range à l’avis du juge de première instance pour déduire $443 au titre des frais courants d’entretien. Cependant, pour les motifs précédemment exposés, j’applique un taux d’actualisation de 7 pour cent.

La question de l’abattement au titre des éven­tualités présente quelque difficulté. Comme je l’ai dit, le juge de première instance a décidé de ne pas en tenir compte. Il a considéré qu’il ne pouvait en

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aucune manière savoir si l’appelant, au cours de sa vie, aurait à faire face à des conditions défavora­bles qui réduiraient ses gains éventuels, ni s’il aurait bénéficié de promotions ou d’augmentations de salaire qui gonfleraient les chiffres projetés. La Cour d’appel a procédé à un abattement de 10 pour cent au titre des éventualités. Cet abattement n’est pas obligatoire en droit, bien qu’il soit parfois traité comme tel. L’abattement, s’il en est, dépen­dra des faits de l’espèce, y compris l’âge du demandeur et la nature de son emploi. Dans la plupart des emplois, il y a toutefois possibilité de congédiement, maladie, accident et autre. Je ne pense pas qu’on puisse dire que la Cour d’appel a erré en effectuant un abattement de 10 pour cent.

Le choix par la Cour d’appel d’une espérance de vie de 43 ans est fondé sur la preuve de l’actuaire. L’appelant souscrit aux modifications apportées par la Cour d’appel à cet égard. Finalement, j’ac­cepte les chiffres du juge de première instance en réduisant la durée de vie active de 46 à 43 ans.

En concluant son examen de l’indemnité pour pertes pécuniaires, le juge Taggart a exprimé cer­tains doutes qu’avec égards, je partage:

[TRADUCTION] L’indemnité forfaitaire est peut-être encore le moyen le plus approprié de fixer la compensa­tion pour cette catégorie de dommages dont je dois encore traiter, soit la douleur et les souffrances, la perte des agréments de la vie et la diminution de l’espérance de vie. Mais je crains que ce genre d’indemnité soit loin d’être approprié en ce qui concerne le préjudice pécu­niaire. Elle aboutit à accorder à l’intimé des sommes très importantes pour cette catégorie de dommages. Si le point de vue que j’ai adopté est correct, si l’intimé vit pendant tout le terme prévu par l’actuaire et s’il ne se produit pas d’éventualités, ces sommes suffiront pour défrayer le coût des soins futurs et compenser la perte de revenus. En revanche, s’il vit plus longtemps que ne l’a prévu la preuve de l’actuaire, ou si des éventualités surgissent, l’indemnité sera certainement insuffisante. Si toutefois l’intimé vit moins longtemps, il pourra rester des sommes considérables qui iront aux bénéficiaires de sa succession. Ces derniers ont peut-être droit à la partie non dépensée du montant alloué au titre de la perte de revenus futurs, mais on peut difficilement dire qu’ils ont

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droit à la partie non dépensée du montant alloué au titre du prix des soins futurs. Quelles que soient les précau­tions dont j’entoure mon jugement en prévoyant des déductions pour éventualités, dont certaines pourraient être favorables à la victime et d’autres lui être défavora­bles, j’ai le sentiment de ne pas être vraiment en mesure de rendre pleinement justice à l’auteur du dommage ni à celui qui demande réparation.

III Douleur et souffrances, perte des agréments de la vie, diminution de l’espérance de vie

On se rappellera que, sous ce titre, le juge de première instance a accordé la somme de $200, 000. La Cour d’appel a estimé que le montant alloué par le juge de première instance, bien que généreux, n’était pas si démesurément élevé qu’il constituait une indemnité inacceptable. Elle a considéré que la situation de l’appelant en l’espèce ne se distinguait pas vraiment de celle de l’appelant dans l’affaire Andrews. La Cour d’appel n’a donc pas réduit la somme de $200,000 allouée à ce titre.

L’indemnité au titre des dommages non pécu­niaires devrait être une indemnité canadienne con­ventionnelle, ajustée de façon à répondre aux cir­constances précises du cas. Je conviens avec la Cour d’appel que la douleur et les souffrances, la perte des agréments de la vie et la diminution de l’espérance de vie subies par Thornton sont essen­tiellement semblables à celles qu’a subies Andrews. Tous deux étaient des jeunes gens actifs, qui pouvaient tout attendre des joies de la vie. Tous les deux sont maintenant tétraplégiques, mais ont toutes leurs facultés mentales et peuvent se déplacer avec l’aide nécessaire. Pour les motifs que j’ai exprimés dans l’affaire Andrews, je réduis à $100,000 l’indemnité pour pertes non pécuniaires.

A $542,000, montant total de toutes les catégo­ries de dommages-intérêts, la Cour d’appel a ajouté $58,000, pour tenir compte notamment des effets de l’imposition du revenu qui serait proba­blement produit par l’investissement du montant alloué, et elle est parvenue à un total de $600,000 de dommages-intérêts généraux. Il semble que le montant ajouté pour compenser l’effet de l’impôt l’ait été à la fois pour les revenus produits par l’indemnité au titre de la perte de gains futurs et par l’indemnité au titre des soins futurs. Pour les

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motifs exposés dans l’affaire Andrews, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’accorder quoi que ce soit pour l’impôt. On ne doit en aucun cas tenir compte de l’effet de l’impôt sur une indemnité pour perte de gains éventuels.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé que l’appelant avait droit à des dommages-intérêts spéciaux de $42,128 et à la somme de $7,500 à être détenue en fiducie pour sa mère, pour la compenser des services de garde-malade qu’elle lui a rendus.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et j’évalue les dommages-intérêts comme suit:

Dommages-intérêts généraux

A.

Pertes pécuniaires

I.

Coût des soins futurs

a)

Dépenses initiales en capital pour :

Maison

$45,000

Véhicule motorisé Econo-van

8,500

Équipement pour soins à domicile

12,000

b)

Coût annuel capitalisé des soins futurs (montant mensuel, $4,305 ; espérance de vie, 49 ans ; éventualités, 20% ; taux de capitalisation, 7%)

586,989

II.

Pertes de gains futurs

($407 par mois ; durée de vie active, 43 ans ; éventualités, 10% taux de capitalisation, 7%)

61,254

B.

Pertes non pécuniaires

Indemnité pour douleur et souffrances physiques et morales subies et à subir, perte des agréments de la vie, diminution de l’espérance de vie

100,000

Total des dommages-intérêts généraux

$813,743

Arrondi à

$810,000

Pour arriver à l’indemnité totale, il faut ajouter les dommages-intérêts spéciaux de $49,628, qui com­prennent la somme de $7,500 à être détenue en fiducie pour la mère de l’appelant, soit un chiffre de $859,628.

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L’appelant a droit à ses dépens devant cette Cour et devant les tribunaux d’instance inférieure.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des demandeurs, appelants: Klingle, Cummings, Andrews & Wilton, Edmonton.

Procureurs des défendeurs, intimés: Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

[1] [1976] 5 W.W.R. 240, 73 D.L.R. (3d) 35.

[2] [1978] 2 R.C.S. 229.

[3] [1975] 3 W.W.R. 622.

[4] [1976] 5 W.W.R. 240.

[5] [1944] R.C.S. 1.

[6] [1976] 2 W.W.R. 385.


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 267 ?
Date de la décision : 19/01/1978

Parties
Demandeurs : Thornton
Défendeurs : School Dist. No. 57 (Prince George)
Proposition de citation de la décision: Thornton c. School Dist. No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267 (19 janvier 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-01-19;.1978..2.r.c.s..267 ?
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